Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 9 : Le dojo Makuhita

4762 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/01/2021 00:49

Une boule de poils sur pattes au pelage couleur crème sautait partout. Accoutrée d’une tunique en mauvais état, elle portait sur son dos un épais sac de pommes. Elle grimpait sur les toits, bondissait des mètres de hauteur et se rattrapait systématiquement à l’aide de sa fine queue, qu’elle enroulait autour d’une branche pour se propulser toujours plus loin.

— Reviens ici ! répéta la marchande Kecleon en la poursuivant avec son faible cardio. Sale voleuse !

D’un culot certain, la jeune délinquante se permit de lui esquisser un sourire narquois. Ce simple geste l’empêcha d’esquiver Salamèche, qui lui bondit dessus à l’intersection d’une rue.

— Je te tiens ! exclama-t-il en la plaquant à terre.

Le sac s’écrasa un peu plus loin.

— C’est terminé Férosinge, tu es en état d’arrestation !

— Je suis en état de te botter l’cul, ouais !

D’une vive allure, elle lui cogna le bas du ventre avec ses deux bottes boueuses. Le secouriste s’effondra pendant que d’un mouvement agile, elle se redressa en avant. Au loin, Pikachu accourait en la pointant du doigt.

— Ça suffit ! s’essoufflait-il. Par pitié, arrête de courir partout… !

Il tira une petite étincelle dans le but de la paralyser. Mais elle bondit et l’esquiva de justesse. Salamèche se redressa et Pikachu arriva à ses côtés. Tous les trois étaient à quelques mètres du sac de fruits.

— Pourquoi est-ce que tu voles ? demanda le jeune lézard. Tes parents n’ont pas de quoi te payer de simples fruits ?!

— Qui sait ? rigola-t-elle. J’ai faim, ça va pas plus loin !

— Laisse-tomber ! assura Pikachu. Tu vas juste manger un éclair dans ta face, si tu continues !

— Apprends déjà à viser, le rat !

Elle bondit en direction du sac et l’attrapa avant Pikachu, qui s’écrasa sur le sol. Le temps qu’elle se relève, Salamèche lui sauta dessus. Tout du moins il tenta, avant qu’elle ne l’esquive, l’agrippe par le bras et le plaque contre le sol d’un mouvement agile et élégant.

— Qu’est-ce que… hallucinait-il en se relevant.

Alors qu’elle accrochait le sac sur son dos, il tenta de lui donner un coup de poing. Elle le bloqua net.

— Ridicule. Plus lent, mou et prévisible, tu meurs !

En échange, elle lui asséna un coup de boule puis lui percuta les chevilles d’un rapide mouvement de queue. Le jeune secouriste s’écrasa lamentablement pendant qu’au loin, Férosinge fuyait avec le sac de pommes.

— Mince, mâchouilla Pikachu, m’dame Kecleon va pas être contente…

— Cette fille, la fixait Salamèche, elle se débrouillait vraiment bien…


Chapitre 9 : Le dojo Makuhita


Voilà deux semaines que les mineurs de Bourg-Tranquille avaient repris la patte sur le Mont Acier. Cela avait coûté à Salamèche un demi-mois de soins et rééducations, grâce à ses capacités régénératrices de reptile qui lui permirent de revenir sur le terrain avant la fin du mois de novembre. Cependant, il dédia le plus gros de son temps libre aux révisions, suite à la violente chute de sa moyenne scolaire. Parfois, les picotements refaisaient surface. Lorsqu’il s’en apercevait, il prenait le temps de respirer, mangeait un peu et pensait à autre chose que l’école ou le secourisme. Son séjour à l’hôpital ainsi que son zéro à un examen paralysèrent la Dream Team un long moment et à l’aube du premier décembre, l’équipe cumulait seulement vingt-trois points.

Récemment, une petite voleuse du nom de Férosinge faisait parler d’elle. Volée à trois reprises, la marchande Kecleon s’en plaignit à Rapasdepic, qui ne manqua pas de la renvoyer déposer sa demande à la poste. Bien évidemment, seule la Dream Team tenta d’intervenir, pour l’instant en vain.

— Maudite gamine ! râla-t-elle en servant des fruits à Lombre. Pourquoi personne ne lui tombe dessus ?

— Je crois que tout le monde a un peu la frousse, face au père Colossinge. Cela-dit, ça va faire une bonne semaine que je lui ai pas servi une bonne bière, à ce brave tas de muscles !

— S’il entre dans votre bar, vous m’appelez sur le champ !

— Bien compris, m’dame !

De son côté, Salamèche contourna quelques buissons, charrettes, caissons et arbustes qui cachaient la voie menant à un étrange bâtiment. S’étendant en longueur, ses murs étaient jaunes et son toit construit d’un bois orangé. La pancarte à l’entrée indiquait les horaires d’ouvertures : tous les jours, de huit à vingt heure. Les prix des abonnements y étaient également annotés, mais rien de bien coûteux pour les moins de dix-huit ans, d’autant qu’une séance gratuite était offerte pour les plus motivés. Le jeune garçon tenta de discerner le contenu du lieu à travers la porte en verre.

— Bonjour ? le salua une voix grave et assurée.

Salamèche se retourna en sursautant. Il faisait face à une imposante carrure. Jaune de peau, il ressemblait à un sac rempli à ras bord et dont la chevelure servait d’attache, tel un nœud bien ficelé. Il n’avait pas de jambes, seulement des pieds. Sur ses joues se dessinaient deux cercles rouges, tandis qu’il accoutrait un épais kimono blanc attaché par une ceinture noire. Ses poings, ou plutôt ses grands gants noirs portaient à eux seuls d’immenses cartons. Il n’en tremblait pas d’un pouce.

— Bien le bonjour, se reprit-il, vous êtes monsieur Makuhita ?

— Tout juste, affirma-t-il en poussant la porte avec son dos. Et à quel petit fouineur ai-je l’honneur ?

Salamèche voulait l’aider en la lui maintenant, mais le gaillard était déjà de l’autre côté. C’est même lui, qui devait accélérer la cadence pour le suivre.

— Je… je m’appelle Salamèche ! J’ai cru comprendre que vous entreteniez un…

Il s’arrêta en admirant la grande pièce dans laquelle il venait d’entrer. Les fenêtres en hauteur laissaient passer les rayons d’un soleil vif, droit en direction des nombreux tatamis qui occupaient le plus grand de l’espace. Makuhita déposa les cartons à l’arrière de son comptoir conçu d’un bois luisant.

— Un dojo ? Bien vu. Comment as-tu appris son existence ?

— C’est mon père qui est passé devant, en rentrant de sa boulangerie une fois. Je sais qu’il aime bien emprunter des chemins incongrus, mais là…

— Oh oui, navré pour ça. Il semblerait que nous n’ayons pas besoin d’un lieu sauvage tel que ce dojo.

— Quelqu’un vous a dit ça ?

— Madame la maire en personne.

— Ah… euh… désolé. Du coup, vous apprenez aux gens à se battre ?

— À se défendre, nuance.

— Ça m’intéresse !

La porte des vestiaires des hommes s’ouvrit brutalement. C’est dans un kimono à la ceinture bleu, qu’un garçon sans sa carapace s’étira en rejoignant les tatamis. Puis, son regard croisa celui de Salamèche.

— Toi ?! beugla Carapuce en dévisageant son foulard doré.

— Vous vous connaissez ? questionna le maître du dojo.

— Ouais, c’est le lèche-cul de service !

— Nous sommes, euh… camarades de classe…

— Oh, vous apprenez ensemble ! C’est parfait ! Quoi de mieux pour tester ta détermination, jeune Salamèche ?

Il se tourna vers la tortue en kimono.

— Une initiation rapide aux coutumes de notre établissement, qu’en dis-tu ?

— Jamais de la vie, grogna-t-il. Je refuse de m’entraîner avec ce guignol !

— Écoute, il souhaite vraiment intégrer le dojo. Vu que tu es mon seul élève en ce moment, que dirais-tu de lui montrer un aperçu du chemin qu’il pourrait parcourir à nos côtés ?

Il soupira, avant qu’un sourire ne s’esquisse de son visage.

— Hm… ouais, en vrai, pourquoi ne pas lui montrer ?

— Nickel ! Allez, Salamèche, aux vestiaires ! Fouille dans le grand casier, tu trouveras forcément un kimono adapté à ta morphologie. Ah et n’oublie pas de l’attacher avec une ceinture blanche !

Le jeune amnésique tremblait, comme face à un hors-la-loi. Cinq minutes plus tard, il accoutrait un kimono blanc, un peu froissé et trop grand pour lui. Carapuce se mit en garde, alors que Salamèche peinait encore à délimiter le terrain.

— Le premier hors du tatami ou à terre pendant plus de dix secondes est hors-jeu ! Vous êtes prêts ?

— Ouais ! clama la tortue.

— Euh… ! bégaya le lézard.

— Combattez !

Immédiatement, Carapuce bondit sur sa cible. Ce dernier l’esquiva de peu.

— Hé, paniquait-il, attends !

Trop tard, la tortue bleu lui agrippait déjà la queue.

— Où crois-tu aller ?! cria-t-il en le soulevant pour le plaquer de l’autre côté.

Son dos percuta le tatami, frôlant la limite du terrain. Son adversaire lui empoigna le kimono.

— J’en ai pas fini avec toi !

Il le jeta de l’autre côté, au centre du tatami. Le jeune amnésique se relevait tout juste, quand Carapuce se précipita sur lui pour le frapper d’un coup de poing en plein visage. Puis d’un second en plein ventre. Enfin, il le bouscula d’un coup de coude sur la poitrine, l’étalant face à lui.

— C’est tout ce que tu sais faire ?!

Il tenta de le piétiner, mais Salamèche roula jusqu’à l’esquiver. Le temps qu’il se redresse, le reptile bleu lui asséna un coup de pied en pleine mâchoire. Le jeune secouriste s’écrasa en se maintenant le museau, les larmes aux yeux.

— Qu’est-ce qu’il te trouve, sérieux ? Qu’est-ce que t’as de si différent ?!

Soudain, de vagues picotements lui parcoururent les bras. Il ferma les yeux, se forçant à ne plus l’écouter.

— Ce que t’as fait, j’aurai très bien pu le faire aussi ! Tu ne vaux pas mieux que moi !

— Ça suffit ! exclama Makuhita. C’est terminé, Carapuce remporte le match. Retour aux vestiaires.

Le vainqueur soupira, s’étira puis quitta la pièce en laissant son partenaire d’entraînement seul, étalé sur le tatami. Bien qu’il tremblait encore un peu, les picotements s’atténuaient. Le maître approcha et lui tendit une patte. De son museau s’échappèrent quelques gouttes de sang qui, lorsqu’il s’affaissa, tâcha le kimono neuf qu’il avait enfilé.

— Oh bon sang, sursauta-t-il en s’en rendant compte, je suis désolé…

— Ne t’en fais pas, il est à toi maintenant. Si tu as la motivation de payer un abonnement, tu seras libre de venir t’entraîner à nos côtés quand tu le souhaiteras !

— Pour me faire défoncer par Carapuce ? Non merci…

— Je voulais le tester, savoir si cette rage que je sentais en lui était superficielle. Il semblerait que non.

— Vous auriez pu intervenir plus tôt. Je suis sûr qu’il est interdit de frapper au visage…

— Cela dépend de l’art martial pratiqué, mais je n’avais rien ordonné. J’ai mis fin au match parce que tu étais resté plus de dix secondes à terre, voilà tout. En vérité, j’ai pour habitude de laisser mes élèves développer leur propre style. Celui de Carapuce est disons… agressif. Je n’ai beau lui apprendre que des techniques défensives, il trouve toujours le moyen de les adapter à sa manière. Honnêtement, je ne pensais pas qu’il irait aussi loin avec toi.

— Est-ce qu’il traîne souvent ici ?

— Dès qu’il a du temps libre, j’imagine. Heureusement que je ferme à vingt-heure, parce que ce petit ne sait pas s’arrêter. M’enfin, je suppose que le numéro un ne se l’est pas coulé douce pour en arriver là.

Salamèche détourna le regard d’un air dépité.

— Et toi ? lui demanda Makuhita. Pourquoi es-tu venu ici ?

— Je ne sais pas…

— Hé, ne le laisse pas te décourager.

— Ce n’est pas à cause de lui, je m’en fiche ! C’est juste que… je suis quelqu’un de dangereux. C’est… c’est moi le responsable du désastre survenu au Mont Acier.

— Cette histoire avec Triopikeur qui s’est terminée sur un déferlement ? Qu’est-ce que tu entends par désastre ?

— C’est moi qui ai provoqué le déferlement. Je l’ai fait… avec ces deux petits bras. Je voulais juste nous défendre, pas m’en prendre personnellement à Airmure. Sauf que j’ai failli le tuer.

— Mouais. J’ai du mal à croire qu’un si petit gars peut produire une aussi grande puissance de frappe. Cette explosion était digne d’un grand Dracaufeu surentraîné, pas d’un jeune Salamèche sans la moindre expérience. Que faisais-tu là-bas, d’ailleurs ?

— Je suis secouriste.

— Tu as le droit ?

— Quelle importance ? Quand… quand on voit tout ce qu’il se passe ici, je veux dire les tremblements de terre, les hors-la-loi et l’abstinence des secouristes… moi, ça me terrifie. Si personne n’était venu à mon secours, lorsque je me suis réveillé dans les Petits Bois, je n’aurais jamais pu constater à quel point les gens sont en réalité seuls, affreusement seuls. Et ce pouvoir… ne fait pas partie de mes valeurs. Je suis venu ici parce que je voulais apprendre à apaiser ces flammes, pas à les déchaîner.

— Il fallait commencer par ça, affirma le maître en croisant les bras. Va souffler un peu, puis reviens t’assoir sur le tatami. Je vais commencer par t’enseigner les bases de la méditation.

Et Salamèche lui sourit en retour. De l’autre côté de la porte des vestiaires, la carapace sur le dos depuis déjà un moment, la tortue bleue grommela.

— C’est quoi son problème… ?

Et ainsi débuta une nouvelle routine pour le jeune secouriste.

Après l’école, un jour sur quatre, la Dream Team partait en mission. Le reste du temps, il le passait à étudier aux côtés de la première de la classe. En plus de cela se rajouta, un jour sur deux, une séance d’entraînement au dojo. Pendant deux longues semaines, il consacra le reste de ses après-midi à renforcer son corps et son esprit.

Pour commencer, Makuhita lui donna un petit carnet rouge.

— Tiens ! Ne t’en sépare jamais !

— Euh… bégaya son élève en le feuilletant, il est vide.

— Pour l’instant. Je veux que tu exprimes tout ce qui te passe par la tête quand tu analyses une situation en lien avec le secourisme ! Quand tu fais face à un obstacle qui, au premier abord, te paraît insurmontable, je veux que tu le notes. Quand tu confrontes un hors-la-loi ou observes un collègue utiliser ses capacités d’une manière que tu ne pouvais imaginer avant de le rencontrer, je veux aussi que tu le notes. Prends note de tout et lorsque tu auras le temps d’y repenser à tête reposée, je veux que tu imagines des solutions pour contourner ces problèmes.

— Vous voulez que j’en fasse une sorte de rappelle-tout ?

— Un rappelle-tout ? Ça sonne bien ! Écoute, le plus important est que tu le gardes près de toi ! Il deviendra ton meilleur atout, mais également ta plus grande faiblesse si quelqu’un s’en empare pour l’utiliser contre ta volonté.

— Qui serait assez tordu pour voler le carnet d’un enfant ? Mais oui, évidemment que je ferai attention !

— Bien, alors passons au programme !

Un programme chargé qui commençait avec de la musculation. Des squats, des pompes, des enroulements vertébraux, trois minutes de gainages par séance, puis des exercices à l’aide de deux épais haltères. Les premiers jours, il peinait à enchainer cinq pompes. Après deux semaines, le tout lui prenait une demi-heure.

Ensuite, le maître montait sur le tatami.

— Amène-toi ! exclamait-il en se mettant en garde.

Salamèche le chargeait, lui le bloquait. Régulièrement, les rôles s’inversaient et c’était au jeune garçon d’encaisser les épaisses charges adverses. Par séance, Makuhita l’envoyait paître hors du tatami au moins trente fois.

— Boudiou, s’horrifia Pifeuil lors du dîner, c’est quoi ce coquard ?! Je paie pour ça, moi ?!

Mais Salamèche en rigolait de bon cœur.

— Tout va bien, j’ai compris ce que j’avais manqué !

Et deux jours plus tard, il le prouva à son maître en le bloquant. Vint l’heure de mettre son agilité à l’épreuve. Pour cela, rien de mieux qu’un gigantesque mur à escalader en un temps imparti. Makuhita l’attendait en haut, un caisson de balles à ses côtés.

— Prêt ? Partez !

Au début, le jeune garçon se précipitait en ligne droite. Autant dire qu’il se mangea plusieurs balles en pleine poire. Son derrière se renforça autant que ses bras et ses jambes à force de s’écraser, parce qu’il avait la motivation de se relever à chaque fois. Et plus il s’entraînait, plus il établissait le parcours idéal. Il gagnait en vitesse tout anticipant chaque lancer de balle. La dernière, il la récupéra avec ses dents avant de gravir le sommet du mur.

Enfin, la touche finale de l’entraînement. Avant de rentrer à la maison pour préparer un grand repas débordant de nutriments, il courait une grande distance en empruntant toutes les rues du village. Le tout en portant un sac rempli de poids lourds. Puis il rentrait au dojo, se nettoyait et remerciait son maître pour le faire progresser de séance en séance.

La méditation renforçait sa patiente et sa sérénité, la musculation consolidait son corps, les affrontements sur le tatami le préparaient aux situations dangereuses, l’escalade fortifiait son agilité et le footing augmentait son endurance. À peine deux semaines après le début de l’entraînement, il dévisagea la petite bosse avait poussé sur son bras, bouche bée.

Mi-décembre, alors qu’il terminait sa séance en courant le long d’un village au climat rafraichi, il bouscula par inadvertance une jeune passante au coin d’une intersection.

— Pardon ! s’excusa-t-il en panique. Je suis désolé, je ne vous avais pas… !

Son regard se porta sur la couleur crème de cette boule de poils, recouverte de vêtements plus épais.

— Férosinge… ?

Sans un mot, elle bondit hors de sa portée.

— Hé, attends !

La poursuivant jusque dans un jardin, il manqua de lui attraper le bras avant qu’elle ne lui échappe en sautant sur le toit d’une maison. Mais le jeune secouriste s’y précipita sans crainte. Il s’appuya sur la clôture et sauta à son tour, accrochant ses griffes dans la toiture pour ne pas tomber. La voleuse sursauta.

— T’es sérieux, là ?!

— Férosinge, je dois te parler !

— Je t’en prie, essaie donc !

Elle bondit jusqu’à un arbre, accrocha sa queue autour d’une branche et se laissa tomber pour reprendre sa fuite jusque dans les ruelles les plus étroites de Bourg-Tranquille. Puis, elle plaqua un pied contre un mur et se propulsa sur celui d’en face, répétant le mouvement jusqu’à atteindre suffisamment de hauteur pour esquiver, par les cieux, la grande charrette qui lui bloquait le passage. Elle contourna une autre maison cachée par des arbres, des poubelles et le creux d’une colline.

— Enfin… souffla-t-elle en s’appuyant sur la clôture délabrée.

— Hé ! se fit remarquer le jeune secouriste en déboulant de l’autre côté.

Elle le dévisagea avec de grands yeux, lui qui s’arrêta pour reprendre son souffle.

— Deux secondes, je… wow… j’ai envie de vomir…

— Comment t’es arrivé jusqu’ici ?!

— J’ai pris un raccourci… j’ai l’habitude depuis que je fais mon footing… fiou ! Ok, donc je disais : c’est ici que tu habites ! Je comprends mieux pourquoi madame Kecleon ne venait pas se plaindre directement à ta porte, t’es bien isolée du reste du village en fait !

— C’est quoi ton problème ?

— C’est quoi le tien, à voler les autres habitants ?!

— Mêle-toi de tes affaires, tu veux ?!

— Tu parles à un secouriste ! Je devrais déjà t’avoir arrêté pour tes infractions !

— Oh, pitié, arrête de te prendre pour un adulte !

Soudain, elle lui bondit dessus, le pied en avant.

— De toute façon, tu ne fais pas le poids !

Mais le jeune garçon l’esquiva.

— Arrête, je ne veux pas me battre contre toi !

— C’est pas mon problème !

Elle récidiva et enchaîna une multitude de coups, mais sa cible les esquiva de plus en plus facilement.

— Comment tu fais ?!

— Je te le dis si tu arrêtes de…

Elle profita de ce moment d’inattention pour lui cogner les chevilles d’un coup de queue, le faisant trébucher comme lors de leur première confrontation. Avant qu’il ne se relève, elle lui asséna un coup de pied en plein visage, l’envoyant paître des mètres plus loin. Elle crispa les dents lorsqu’il s’écrasa contre le sol.

— Bon sang… marmonna-t-elle en le scrutant de loin.

Il s’en releva, les narines ensanglantées.

— Je me suis fait avoir, rigolait-il, je l’avoue !

— T’en as pas eu assez ?!

— Je ne sais pas. Est-ce que tu te sens mieux ?

— Quoi… ? Non ! Je me sentirai mieux quand t’auras dégagé !

— Férosinge, tu sais très bien pourquoi je suis ici.

— Je m’en fiche !

À nouveau, elle lui fonça dessus. Son adversaire se mit en garde, baissa la tête et contracta tous les muscles de son corps. Il encaissa le lourd impact de sa charge en tenant fermement sa position, non sans que ses bottes ne frottent la terre sur quelques centimètres.

— Arrête d’être passif ! cria-t-elle en lui infligeant un coup de boule.

Mais Salamèche résistait.

— Bats-toi ! enchaina-t-elle jusqu’à s’égratigner le crâne.

Celui du jeune secouriste l’était tout autant. Pourtant, il gardait le sourire. Après tout, il ne ressentait aucun picotement.

— Vas-y, continue. Si tu veux extérioriser, c’est maintenant.

— Pourquoi… ? larmoya-t-elle. Je ne t’ai rien demandé !

— Ça tombe bien, je ne fais pas ça pour toi à la base. Mais tu es sur le chemin…

— Le chemin vers quoi ? Il n’y a plus rien dans cette maison ! Plus de nourriture !

Elle le frappa d’un énième coup de boule.

— Plus de propriétaire !

Un autre.

— Plus de père !

Et un dernier. Elle s’effondra en larmes mais Salamèche l’empêcha de s’écraser.

— J’ai tout perdu ! pleura-t-elle sur les genoux du secouriste. Absolument tout ! La nuit où il est parti, j’ai compris que je n’étais qu’un pauvre déchet ! Je me fiche de ce que mes actes entraînent, je voulais juste… des pommes, comme à l’époque…

— Je comprends mieux, la rassura-t-il. Est-ce que tu m’autorises à entrer dans ta maison ?

— Elle n’est pas à moi. Elle n’est à personne.

— D’accord. Je reviens au plus vite.

Il l’affaissa contre la clôture du jardin, puis passa la barrière de ce dernier. Il esquiva les fleurs mortes sur son passage et jeta un bref coup d’œil à la boîte aux lettres, pleine à ras bord de courriers. Lorsqu’il passa la porte, une odeur de nourriture décrépie lui piqua les narines. Des tas de déchets comblaient les recoins de la pièce, alors qu’une simple couverture semblait lui servir de lit. Le sac qui lui avait servi à transporter les biens volés de la marchande trainait à même le sol, vide. De la moisissure peignait les murs, tandis que la seule et minuscule fenêtre était brisée, laissant pénétrer l’air qui de jour en jour se rafraichissait. Salamèche en avait assez vu, il retourna auprès de la jeune voleuse et lui tendit la patte.

— Viens, je connais un endroit un peu plus chaleureux que ça.

La lune se levait tout juste, lorsque Makuhita ouvrit exceptionnellement les portes de son dojo aux deux enfants. Il se montrait surpris de voir Férosinge. Alors qu’elle se débarbouillait dans les vestiaires, Salamèche expliqua à son maître la situation.

— Je n’étais pas au courant… chuchota-t-il en préparant un plateau de nourriture. Je connais Férosinge, c’est d’ailleurs à sa venue que j’ai décidé de baisser les prix pour les plus jeunes. Elle était motivée et venait surtout le matin. Je suppose qu’elle n’était pas scolarisée et qu’elle pouvait rester jusqu’au réveil de son père. Un jour, elle m’a annoncé ne plus pouvoir payer l’abonnement au dojo. Même si je lui ai proposé un accès gratuit, elle a refusé et je ne l’ai plus jamais revu.

— Elle n’est pas dans ma classe, je vous le confirme. Ce qui m’énerve c’est que… bon sang, on parle d’une enfant qui a été abandonné par son père… ! Comment peut-elle survivre seule pendant autant de temps sans que quiconque ne s’en aperçoive ?

— Le même schéma qu’avec l’affaire Triopikeur se répète. Les gens ne pensent qu’à leur famille et même si certains s’en étaient doutés, qu’est-ce que cela aurait changé ? Qu’ils aillent demander de l’aide à Rapasdepic, à la poste Bekipan ou aux secouristes du coin, le résultat aurait été le même : personne n’aurait rien fait.

Le jeune reptile soupira d’un air dépité, mais son maître lui tapota le dos.

— Heureusement que certains détestent avoir une vie simple, le consola-t-il.

La jeune fille sortit des vestiaires. Accoutrée d’un kimono en guise de pyjama, son pelage humide dégageait une odeur agréable. Elle défigura immédiatement le lézard à la queue enflammée.

— T’es au courant que ton front est toujours encrassé ?

— Je me laverai à la maison, enfin si j’ai le temps.

— Alors, approcha Makuhita avec le plateau de nourriture, comment te sens-tu ?

— Bien, ce kimono m’avait manqué. Attendez, c’est pour moi… ?

Il déposa le plateau à côté d’un matelas tout juste installé.

— Makuhita, je… je ne peux pas accepter. Je n’ai rien fait pour mériter ça.

— Et pour mériter de vivre dans une déchetterie, t’as fait quoi ?

— J’ai… volé des pommes à la marchande ?

— J’irai lui en cueillir demain, affirma Salamèche, ne t’en fais plus pour ça.

— Sérieux… ? Je… je ne sais pas quoi dire…

— M’enfin, tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit. Tu es à la maison !

— Merci, larmoya-t-elle, merci beaucoup…

Et ainsi s’acheva une rude journée mouvementée, surtout pour Férosinge. Salamèche, de son côté, rentra se coucher avec la ferme intention de reprendre l’entraînement dans deux jours. Les vacances de fin d’année approchaient à grand pas et il devait être prêt à récolter un maximum de points de secourisme avec Pikachu. Maintenant qu’il avait appris à calmer les picotements, il était déterminé à repartir en mission.

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