Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 7 : Halloween

5629 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/01/2021 20:28

Salamèche ouvrit doucement les yeux. Se réveillant d’une reposante nuit précédant une longue journée d’exploration, il s’étira avant de fondre dans ses draps. Il tourna lentement la tête vers le reste de sa chambre, là où une grande citrouille au regard terrifiant l’accueillit. Il sursauta, se redressant en moins de temps qu’il n’en fallut à Pifeuil pour éclater de rire.

— Ça a marché ! s’esclaffait-il en entrant dans sa chambre pour récupérer la sculpture. Si elle t’a fait peur, c’est qu’elle est éligible au grand concours des citrouilles du village !

— Bonjour Pifeuil… baillait-t-il en se frottant les yeux. Vous avez toutes vos chances, effectivement.

— Merci p’tit gars ! J’adore le sculptage, je m’éclatais avec ça quand j’étais môme !

— C’est vrai ? le questionnait-il en se levant du lit. Je ne savais pas, en fait… je ne sais pas vraiment ce que vous aimez.

— Oh, je suis pas bien compliqué. Nous n’avions pas grand-chose, à mon époque.

— Que faisiez vos parents ?

— Tu m’crois, si je te dis que mon père était explorateur ?

— Non, sérieux ? Vous ne me le dîtes que maintenant ?!

— Je voulais pas te décourager !

— Pourquoi l’aurais-je été ?

— Parce que c’était un lâche. Un père absent qui fuyait sa famille, quand il avait le courage de ne pas fuir ses responsabilités de héros.

— Ah… et… euh… votre mère, du coup ?

— Décédée peu après ma naissance.

— Ok… bégaya le jeune garçon. Je suis désolé, Pifeuil…

— Pourquoi ? Je suis passé à autre chose, boudiou, alors te tracasse pas avec ça !

Il choya les épaules de son petit.

— La vraie famille, c’est celle qu’on construit !

Et finalement, Salamèche lui sourit.

— Bon allez, ma citrouille ne va pas concourir toute seule ! Je vais sur la place du marché, tu m’accompagnes ?

— Je dois retrouver Pikachu là-bas, de toute façon.

— Alors habille-toi, mon p’tit gars ! Aujourd’hui est un grand jour !


Chapitre 7 : Halloween


Voilà une semaine que Salamèche dormait jusqu’au lever du soleil. En cette fin du mois d’octobre, les écoliers profitaient de leurs vacances scolaires pour se reposer en compagnie des dernières lueurs chaleureuses, avant un hiver glacial. Les deux bambins Chenipan et Rattata jouaient sur la place du village, Riolu et Arcko traînaient à la bibliothèque tandis que Germignon et Carapuce semblaient passer leurs journées enfermés chez eux. De leur côté, les membres de la Dream Team profitaient de leur temps libre pour explorer de nouvelles contrées au sein du territoire. La matinée du trente-et-un, ils cumulaient vingt points de secourisme.

Sur la place du village et malgré le grand soleil, les habitants commençaient doucement à se couvrir. Alors que le garçon à la tunique usée aidait son père à porter les sacs de course en attendant que Pikachu arrive, il remarqua son professeur, sur le stand d’en face, discuter avec les autres passants.

— Alors mon gars, lui demanda Lombre, on veille à l’école ce soir ?

— Ça va pas la tête ? Je refuse de revivre cette expérience !

— Comment ça ? intervint Hippodocus. Vous ne deviez pas y retourner avec des secouristes ?

— Aucun d'entre eux ne semble vouloir passer la nuit d'Halloween à travailler. Tant pis, je rangerai l'établissement demain.

— Mais quelle bande de fainéants, ces secouristes ! Quand prendront-ils la peine d’aider Bourg-Tranquille ?!

— Ne soyez pas si rude, Hippodocus. On ne peut pas reprocher à qui que ce soit de ne pas travailler lors d’une fête.

— C’est vous qui êtes trop gentil ! La maire a raison, nous n’avons pas besoin d’eux !

Salamèche les zieutait d’un air un peu perdu.

— Dites, chuchota-t-il à Pifeuil, que se passe-t-il à l’école le soir d’Halloween ?

— Hm ? Oh, il semblerait qu’un p’tit malin ait pris la désagréable tradition de tout saccager le soir du dernier jour d’octobre, rien de bien méchant.

— Quelqu’un du village ?

— Non, je pense pas. Les mômes du coin ont de l’énergie à revendre, mais pas de la mauvaise, ça non !

— Donc il s’agirait d’un hors-la-loi ?

— Dans les faits, oui, après faut pas paniquer non plus. Tu sais, parfois, les gens ne se rendent tout simplement pas compte du mal qu’ils causent. On dit que l’ignorance apaise les esprits.

— Mais s’il est capable de saccager une école, c’est qu’il est dangereux !

— Qui sait ? conclut-il en haussant les épaules.

Pikachu arriva finalement. La journée suivit son cours et une fois le tableau d’affichage de la poste Bekipan consulté, les deux secouristes grimpèrent jusqu’à la colline au grand arbre pour préparer leurs affaires. Ce jour-là, ce n’est pas le calme apaisant qui les accueillit.

— Vous êtes venus aussi ! exclama le petit Chenipan en attirant l’attention de tous les autres enfants qui s’étaient réunis sur la colline du village.

— Qui les a invités ? râla Arcko.

— Tant mieux ! s’enjoua Rattata. Plus on est nombreux, mieux on s’amusera !

— Sans doute… marmonna Riolu.

Les deux amis s’échangèrent un regard embarrassé.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? s’inquiéta Pikachu en cachant dans son dos la demande de récolte.

— On prépare Halloween ! répondit le lépidoptère d’un air tout souriant. Arcko nous a proposé d’infiltrer l’école, ce soir ! Vous voulez venir ?

— Quoi… ? tiqua le jeune amnésique. Non, surtout pas !

— Tiens, se moqua le garçon à la queue crochue, en voilà un autre qui a la frousse !

— Vous n’avez pas entendu la rumeur ? Quelqu’un saccagerait l’école !

— Et c’est pour ça qu’on y va, abruti ! C’est l’occasion de prouver aux adultes qu’on vaut mieux qu’eux !

— C’est ridicule, cracha Carapuce adossé contre l’arbre les bras croisés. Ne me dérangez plus pour un truc aussi stupide.

Il s’en alla dans un silence qui fit esclaffer Arcko.

— Vous avez tous la frousse, en fait !

— Moi je t’accompagne, assura Riolu.

— Ouais, ajouta Chenipan, moi aussi moi aussi !

— Pareil ! se prononça Rattata. Je veux savoir qui saccage l’école !

— Parfait ! Rendez-vous ici à vingt-trois heure, dans ce cas !

Chacun rentra finalement chez lui. De son côté, la Dream Team discuta de cette initiative durant sa mission de récolte.

— Je pense que ça ira, exprima le rongeur. Il n'y a jamais rien eu de vraiment dangereux à Bourg-Tranquille. Au pire, ils se feront attraper et punir pour leur bêtise.

— Pikachu, le saccageur est probablement un hors-la-loi ! Rappelle-toi d’Abo. Et s’ils tombaient sur quelqu’un comme lui ?

— Ils fuiront, Salamèche. Ce que je veux dire, c’est que tu n’arriveras jamais à les convaincre de ne pas le faire.

— Et si on les dénonce aux adultes ?

— Non merci, j’ai pas envie d’avoir des problèmes à la rentrée.

— Bon, et si je les dénonce aux adultes ?

— Mon pote, on est dans le même sac. On me le reprochera aussi et tu le sais. T’inquiète, je t’assure que ça ira. Ne nous mêlons pas à cette histoire, ça nous évitera les ennuis.

— Si tu le dis…

Après avoir récupéré suffisamment de fruits et nourrit les sauvages du coin, ils retournèrent au village et validèrent leur mission accomplie à la poste Bekipan. Puis, ils rentrèrent se reposer jusqu’au lever de la lune.

Salamèche dîna avec Pifeuil, qui lui raconta sa rude journée à essayer de convaincre les autres habitants de voter pour sa citrouille. Les votes se terminaient le lendemain et le jeune amnésique comptait bien le soutenir. Vingt-deux heure passées, le boulanger dormait dans le salon. Mais dans sa chambre, le secouriste tournait en rond. La situation dans laquelle se mettaient les autres élèves le tracassait. Mais pire encore, il ne cessait de se demander comment les protéger sans mettre en danger Pikachu. L’horloge tournait, il ne lui restait plus beaucoup de temps.

— Oh ! s’extasia Chenipan. Tu es venu !

Les regards se tournèrent vers le lézard à la queue enflammée, grimpant la colline au grand arbre d’un air ennuyé.

— Oui, je… je suis passé par la fenêtre de ma chambre.

— Comme nous tous ! J’espère que t’as pas fait l’erreur de la fermer, sinon t’es bloqué à l’extérieur toute la nuit !

— Bon, commença Arcko, je pense que tout l’monde est là ! On va se faufiler discrètement jusqu’à l’école, restez groupés !

Pendant le trajet, le jeune lézard remarqua la présence de Germignon, isolée des autres garçons. La première de la classe était également la plus discrète. Ne lui ayant jamais vraiment adressé la parole, il l’approcha d’un air inquiet.

— Salut, euh… est-ce que tout va bien ?

Elle le dévisagea d’un regard perçant.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Rien, je suis juste surpris que tu fasses partie du groupe.

— Sans blague.

— Ouais…

Un silence gênant s’imposa.

— Et sinon, retenta le reptile, qu’est-ce qui te motive à venir ce soir ?

— Ça ne me dérange pas d’être seule, si c’est ta crainte.

— D’accord, désolé…

— De toute évidence, pourquoi voudrais-je parler avec un voyou comme toi ?

— Un voyou ?

— Est-ce que ça t’amuse tant que ça, de désobéir au règlement du village ? Les enfants ont pour formelle interdiction de le quitter, espèce de médiocre secouriste !

Salamèche écarquilla les yeux.

— Tu es au courant ?

— Vous vous pensiez discrets, à en discuter pendant les récréations ? Personne ne vous calcule, mais moi, j’entends tout. Tu n’as pas honte de faire subir ça à monsieur Pifeuil ?

— Pifeuil m’encourage à devenir explorateur.

— Alors c’est encore pire que ce que je pensais. Ne m’approche plus ou je dévoile à madame Rapasdepic l’existence de votre équipe de secours. À mon avis, elle y mettra un terme en un rien de temps.

— En nous expulsant du village, tu veux dire ?

— On est arrivé ! s’exclama Arcko.

Leur petite école semblait morbide, sans toutes les lumières pour illuminer les vives couleurs de l’infrastructure. Le garçon à la queue crochue dégaina une épingle de sa poche et crocheta la porte d’entrée en un rien de temps.

— Wow ! s’extasia Chenipan. T’es trop fort ! Tu pourras m’apprendre ?

— Tu rigoles ? T’as même pas de bras, espèce de larve !

— Mais…

— Allez, on entre ! Je meurs d’envie de savoir qui saccage l’école !

Empruntant le couloir principal, ils gagnèrent en premier lieu leur salle de classe. Chenipan et Rattata sautèrent sur les tables, gribouillèrent au tableau et imitèrent leur professeur avec une règle en guise de poireau.

— Oh là là, Pikachu, tu es encore en retard !

— Ouais, rigolait la chenille d’un air gêné, pas mal…

— Non, intervint le secouriste, tu es ridicule.

Il effaça les gribouillis dessinés au tableau.

— Oh, râla Rattata, t’es qu’un rabat-joie !

— Je ne comprends pas. Êtes-vous venus pour débusquer le saccageur ou pour le remplacer ?

— Ça va, on ne fait que s’amuser un peu !

— Riolu, lui demanda Arcko, qu’est-ce qu’on sait de ce saccageur ?

Assis à son bureau, le garçon à fourrure feuilleta un étrange bouquin.

— Il agirait vers minuit, selon les précédentes expériences de monsieur Canarticho. Si je me souviens bien, il parlait d’une ombre gigantesque qui lui jouait des tours. Je me suis renseigné ce matin et il est plus que probable qu’il s’agisse… d’un fantôme !

Il leur montra son livre, ouvert sur une double page regroupant tout un tas d’illustrations fantastiques avec des figures griffues, aux yeux froncés et entièrement obscurcie par les ténèbres.

— Un… un fantôme ?!

Les deux bambins en tremblaient.

— Quoi ? rigolait le garçon vert. On a la frousse ?

— N… non ! J’ai pas peur, moi !

— Alors on va traquer ce fantôme ! reprit-il. Pour ne lui laisser aucune chance de s’échapper, il faut se séparer ! Riolu et moi allons inspecter le couloir, Rattata et Chenipan, allez jeter un coup d’œil à l’infirmerie et Germignon, va fouiller le bureau de la directrice !

— Ça me va, assura-t-elle.

— Quant à toi… soupira-t-il en dévisageant Salamèche. Vu que tu ne sais pas t’amuser, tu devrais rester ici. Allez, on y va !

Et ainsi, les élèves se séparèrent aux quatre coins de l’école. Salamèche s’installa à son bureau, croisa les bras et attendit simplement. Une dizaine de minutes plus tard, il commençait enfin à regretter d’être venu. Ce groupe d’amis, il n’en faisait clairement pas partie.

Soudain, les deux bambins hurlèrent à gorge déployée. Salamèche bondit de sa chaise et accourut jusqu’à l’infirmerie. Plus il approchait et plus il entendait des rires. Débarquant dans la pièce, il trouva Chenipan et Rattata à terre, aussi apeurés qu’essoufflés. À côté d’eux, Arcko était plié de rire.

— Vous êtes trop bêtes ! se gaussait-il sans s’arrêter.

— Mais qu’est-ce qui t’a pris ?! paniqua Rattata. J’ai failli faire une crise cardiaque !

— Je vois ça ! T’es qu’une flippette, en fin de compte !

Germignon débarqua à son tour, bousculant Salamèche pour s’imposer au centre de la pièce.

— Le fantôme… ? Où est le fantôme ?

— Hein… ? Tu l’as toujours pas ? Y a pas de fantôme ! Par contre, on a eu droit à des froussards sur pattes ! Regardez-ça, ils se sont pissés dessus !

— Arrête, beuglait Rattata, c’est pas drôle !

— Moi, je trouve ça hilarant ! J’ai tellement de nouveaux surnoms qui me viennent en tête, c’est dingue !

— Ok, s’impatienta le jeune fille, d’accord, c’est marrant deux minutes. On peut se reconcentrer, s’il vous plaît ?

— Germignon, lui répondit Riolu, je ne pense pas que qui que ce soit viendra.

— Quoi… ?

— T’y croyais vraiment ? reprit Arcko. Cette histoire d’école saccagée, c’est du grand n’importe quoi ! Les adultes voulaient juste nous faire peur, tout ça n’a jamais existé ! C’est fou comme vous êtes tous naïfs !

— Vraiment… ? marmonna la jeune fille en baissant la tête. Je me suis inquiétée pour rien… ?

— T’es aussi bête qu’eux, faut croire !

Salamèche crispa les dents. Il s’était trompé. Ce n’était pas un groupe d’amis, mais juste des enfants perdus, qui se tournaient autour et se moquaient les uns des autres pour faire passer le temps. Eux aussi, semblaient terriblement seuls. Il avança jusqu’à Chenipan et Rattata, à qu’il tendit une patte.

— Debout, vous deux.

— Merci… bougonna Chenipan.

— C’est vrai qu’il est là, le rabat-joie ! Dis, t’as eu la frousse toi aussi ?

— On va passer aux toilettes avant de rentrer, d’accord ?

— Ouais, ok…

— Hé, j’te parle !

Salamèche lui adressa un regard ennuyé.

— Qu’est-ce que tu fais encore là ? T’as fait ta blague, maintenant va-t’en.

— Hein… ? Tu m’donnes un ordre, là ?

Arcko approcha les poings serrés, mais Germignon s’interposa soudainement.

— Arrête ! lui clama-t-elle fermement.

— Qu’est-ce qui te prend, toi ? Retourne sous le bureau du prof !

La jeune fille recula d’un pas, bouche bée. Rattata et Chenipan la devancèrent.

— Tais-toi, espèce de monstre !

— Ouais, tout le monde en a marre de toi !

— Vous me voulez quoi, les minables ?

— Arcko… marmonna Riolu. On devrait y aller…

Il en imposa le silence. Son ami grogna, puis se retourna et quitta les lieux sans se retourner. Embarrassé, Riolu le suivit. Germignon soupira tristement.

— Est-ce que ça va ? lui demanda Salamèche.

Elle le fixa de nouveau, alors il recula d’un pas.

— Désolé, euh… j’avais oublié.

Cependant, son regard n’était plus noyé de mépris. Elle semblait juste dépitée.

— C’est bon, j’ai l’habitude.

— Envoie-moi bouler si tu veux, mais… est-ce que tu veux qu’on en parle ?

Elle détourna le regard.

— Pour quoi faire… ?

— Euh… intervint Chenipan, faut vraiment que j’aille aux toilettes, par pitié !

— Oui, pardon, allons-y tout de suite !

Il se dépêcha de les guider dans le sombre couloir principal, jusqu’à atteindre les cabines dans lesquelles il laissa les deux bambins se débarbouiller. Germignon les suivit de loin, hésitant à changer de direction pour atteindre la sortie. Mais voyant le jeune amnésique attendre seul, elle le rejoignit finalement. Elle s’adossa contre un mur à côté de lui, zieutant les alentours sans savoir quoi dire.

— Alors… commença-t-elle finalement, t’as révisé pour le contrôle à la rentrée ?

— Un peu, répondit-il en se grattant l’arrière du crâne, mais j’imagine que ce n’est pas assez.

— Tu n’as pas bien excellé, sur la Grande Guerre.

— Non, effectivement. J’ai d’autres priorités en ce moment.

— Comme jouer aux secouristes ?

— Jouer ? Si ce n’était qu’un jeu, j’arrêterais immédiatement.

— Alors c’est prévu ? Vous comptez vraiment devenir explorateurs ?

— Oui, bien que ça me terrifie un peu. Récolter des pommes pour nos voisins, c’est une chose. Confronter un hors-la-loi, c’en est une autre…

— Attends, t’es sérieux ?

— Ouais, rigola-t-il nerveusement. Pikachu m’a littéralement sauvé la vie.

— Vous êtes vraiment trop stupides, c’est dingue ! Comment pouvez-vous avoir le culot de récidiver des erreurs toujours plus dangereuses ?!

— C’est ce dans quoi on a envie d’avancer, c’est tout.

Elle soupira en détournant le regard.

— Du coup… reprit-elle après un léger silence, c’était comment de l’autre côté ?

Salamèche lui sourit.

— C’était incroyable. Des plaines, des collines, des montagnes, des lacs, des voies rocheuses ou verdoyantes, on avait l’impression que le monde entier s’ouvrait à nous ! Et ça, en revanche, ça n’avait rien de terrifiant. C’était même la meilleure partie du voyage…

— Hm… ok.

— Tu t’intéresses à l’exploration ?

— Quoi ? Non, pas du tout ! Je demande juste.

— Ok, ok.

— Pardon d’essayer d’animer cette fichue soirée ! Je n’arrive pas à croire que je sois tombée dans le piège d’Arcko…

— J’avoue que je ne m’y attendais pas non plus…

Elle lui jeta un regard assassin.

— Désolé, mais disons que le respect du règlement semble te porter à cœur. Je ne pense pas que s’introduire la nuit dans son école en fasse partie.

— Ouais, sans blague…

Pensive, son regard s’apaisa.

— Je suis venue parce que je m’inquiétais pour monsieur Canarticho. On le retrouvait toujours avec le plumage hérissé, tremblant comme une feuille et incapable de nous donner correctement cours, à la rentrée. J’espérais vraiment débusquer le saccageur pour lui rendre la monnaie de sa pièce.

— Tu penses qu’il existe ?

— J’en suis persuadée. Qu’Arcko aille se faire voir !

— Hm. Finalement, tu es bel et bien intéressée par l’exploration.

— Non, ça n’a rien à voir !

— Pourtant, tu es prête à aider les autres au péril de ta sécurité.

— Ce n’est pas comme ça que je décrirais les explorateurs. Ils sont lâches, on ne peut compter que sur soi-même !

— Alors… en fait, il n’y a pas vraiment d’explorateurs à Bourg-Tranquille…

— Oui, bon, secouristes ou explorateurs, c’est la même chose ! Peu importe que leur statut soit professionnel ou pas, on ne change pas quelqu’un de mauvais !

— Tu penses qu’ils sont tous comme ça ?

— J’en sais rien, mais à quoi bon chercher à faire ce qui est juste, quand on peut s’enrichir sur le malheur d’autrui ? C’est un monde d’ordures, rien de plus !

Un brusque fracas les fit soudainement sursauter. Provenant des toilettes, Salamèche se dépêcha d’entrer en interpellant les deux bambins. Aucune réponse, la pièce était vide.

— Les garçons ? Vous me faites une mauvaise blague ?

Dans la pénombre, deux yeux rouges aux irises en fentes le surprirent.

— Qui… ? Qui est là ?!

Soudain, la porte des toilettes se referma brusquement.

— Salamèche ?! s’exclama Germignon de l’autre côté. La porte est bloquée !

— Qu’est-ce que c’est que ça… ?

Il apercevait sur la poignée une sorte de patte, couleur violette, griffue et translucide. Elle la maintenait d’une vraisemblable grande force, à en croire sa taille démesurée.

— Qu’est-ce que tu vois ?!

— Le saccageur est ici. Tu devrais partir !

Derrière lui se formait un sourire en forme de fermeture éclair lorsque d’un coup, une autre patte griffue lui agrippa la queue. Elle le tira en arrière, le forçant à s’enfoncer jusqu’au bout de la pièce. Alors que sa chute le mena à côté d’un mur, la même patte le plaqua contre ce dernier.

— Tu as peur, s’introduisit une voix grave dont l’écho semblait résonner dans toute l’école, n’est-ce pas ? Mais c’est pour cela que tu es venu, pour me tenir compagnie !

— Qui es-tu ?!

— Oh, tu souhaites vraiment le savoir ? Je suis…

— Non, en fait je m’en moque ! Où sont Chenipan et Rattata ?!

— Hé, laisse-moi terminer ! Je suis la terreur de la nuit, le monstre qui s’éveille les soirs d’Halloween ! Et cette nuit, je serai ton pire cauchemar !

Le garçon au foulard doré cligna deux fois des yeux.

— Est-ce que t’es un enfant ?

— Hein ? Non ! Écoute, tu cherches les deux froussards ? Malheureusement, je crois qu’ils se sont évanouis de peur !

De la pénombre apparurent les corps inconscients des jeunes écoliers, jetés depuis l’obscurité par une autre patte griffue.

— C’est quoi ton problème ? s’énerva Salamèche. Pourquoi tu saccages l’école ? Pourquoi tu t’en prends à nous ?!

— Je n’ai encore rien saccagé. D’habitude, c’est un canard effrayé qui me divertit et faire tomber la moindre chaise hérisse son plumage trempé d’angoisse ! Mais puisque vous êtes venus de votre propre initiative, j’imagine que je peux aller un peu plus loin !

Le visage aux yeux rouges et au sourire en forme de fermeture éclair apparut face à lui.

— Si tu me fais face, tu connaitras la vraie peur ! Mais si tu t’évanouis, je m’incrusterai dans le moindre de tes rêves pour te terroriser jusqu’au lever du soleil ! Ose prétendre que tu ne me crains pas !

— Un peu, mais je suis surtout embêté.

— Embêté ?

— T’as l’air puissant.

— Je le suis.

— Alors pourquoi tu perds ton temps ici ?

Il n’eut aucune réponse.

— Hé ! Je te parle ! Tu te rends compte de ce que tu es en train de faire ? Harceler une école, d’abord notre professeur et maintenant de pauvres enfants effrayés ! Est-ce que tu es fier de ce que tu as accompli ?!

— Et que voudrais-tu que je fasse ? Des papouilles ?!

La patte griffue se resserra contre lui, l’immobilisant de plus en plus férocement.

— Tu t’attendais à rencontrer une adorable boule rose qui chante ?! Nous ne naissons pas avec les mêmes chances !

— Justement ! Si tu tiens tant que ça à montrer les tiennes aux autres, sert-en pour leur bien !

— Qu’est-ce que tu racontes ?!

Le jeune amnésique crispait les dents alors que la douleur devenait insupportable. Malgré tout, il ne cessa de fixer les deux yeux rouges d’un air déterminé. Son interlocuteur semblait trembler.

— Te rends-tu compte du nombre de gens que tu pourrais aider au quotidien, avec un pouvoir pareil ?! Si je les avais… Abo ne m’aurait jamais fait cauchemarder !

— Quoi… ?

La patte cessa de le coincer.

— C’est… une longue histoire.

— Non, pas ça, je m’en fiche ! Mais… qu’est-ce que t’essaies de faire ? Tu veux me convaincre d’arrêter ce que je fais ? Tu veux rendre ma vie définitivement ennuyeuse ?! Je me plais à faire ça ! Je me sens exister !

— C’est faux. Si tu assumais ce que tu faisais, tu ne te cacherais pas dans la pénombre. Et tu parlerais avec ta vraie voix.

— Je… euh…

La porte s’ouvrit brusquement. L’étrange personnage sursauta, tandis que la patte griffue qui s’était fait prendre de court se dissipa dans l’atmosphère. Germignon entra dans la pièce, une chaise portée au bout de sa feuille. Salamèche aussi, écarquillait les yeux.

— Relâche-le sur le champ !

— Mais… pourquoi… ?

— Parce qu’il n’a rien fait de mal !

— Non, pas ça ! Pourquoi vous vous entraidez, bon sang ?! Depuis quand les gens pensent à quelqu’un d’autre qu’à eux-mêmes ?! Normalement, tout le monde aurait dû fuir en abandonnant le rat que j’avais pris pour cible…

Il fixa Chenipan, l’air frustré.

— Mais même son pote n’a pas voulu l’abandonner…

Sa voix s'adoucit, monta dans les aigus et se mit à trembler.

— J’ai encore raté… mâchouilla-t-il en détournant le regard.

— Hé… l’interpella Salamèche d’un ton plus sympathique. Quel âge as-tu ?

Il ne répondit pas.

— Moi, j’ai treize ans. Enfin… apparemment ? Je suis amnésique, en réalité.

— J’ai… treize ans, moi aussi.

Sa figure se dessina finalement. Constitué d’un tissu noir, il ressemblait à une poupée. Sur sa tête se trouvaient trois cornes, tandis qu’un bout de sa peau déchiré s’étendait jusqu’à lui servir de chevelure. Il était couvert d’une cape d’un noir encore plus profond. Ses yeux rouges aux irises en fentes laissaient transparaître de l’incertitude.

— Mon nom est Branette, j’habite à Bourg-Palissade.

— Bourg-Palissade… ?

— Oui, je sais, c’est à une trotte d’ici. Mais je suis capable de décupler ma vitesse en me faufilant dans l’ombre. La nuit, le monde entier est mon terrain de jeu.

— C’est… vraiment très impressionnant !

— Est-ce que cette chose est vraiment à toi ? lui demanda Germignon en fixant la patte griffue qui flottait à ses côtés.

— Hein… ? Oh, euh… désolé.

Elle se dispersa dans la pénombre. La traînée violette se rangea dans la cape du bonhomme à la voix moins grave et dont l’écho s’était entièrement dissipé. Pendant que Germignon relevait Salamèche, lui fixait simplement le sol.

— Je vous présente toutes mes excuses, pour… euh… tout.

— Je ne sais pas quoi en penser, répondit dans un premier temps la jeune fille.

— Moi je te pardonne ! ajouta le lézard à la queue enflammée. Elle a beau être griffue, cette patte était plutôt douce.

— Tu… tu trouves ? bégayait Branette.

— Je suis sûr que tu pourrais aider et rassurer des tas de gens avec !

Le garçon fait de tissu était bouche bée. Pendant ce temps, Germignon vérifiait l’état de Chenipan et Rattata.

— Ils n’ont aucune égratignure, assura le saccageur, je le promets.

— Il n’empêche que tu as mis nos vies en danger, rétorqua-t-elle, les nôtres et celles de monsieur Canarticho.

— Je sais, je voulais juste… me divertir. Ma mère et moi sommes les seuls types Spectre de Bourg-Palissade, les autres s’en prendraient à elle si j’osais leur faire des farces. Alors j’ai décidé de venir ici, chaque soir d’Halloween, pour attirer l’attention et m’amuser un peu. Je pensais que j’aimais bien voir les gens me craindre. Mais là… je me sens juste mal à l’aise.

— Aucun problème, déclara Salamèche, vraiment.

— À t’entendre parler, on dirait que tu veux le laisser rentrer chez lui comme si de rien n’était.

— C’est ce qu’on va faire, oui.

— Quoi ?! Salamèche, il doit assumer les conséquences de ses actes !

— Il le fera à sa manière. En tout cas, je ne laisserai pas Rapasdepic martyriser une autre famille.

Germignon soupira.

— Salamèche, c’est ça ? Je… je ne sais pas quoi dire à part merci.

— Dis, est-ce que tu t’es déjà servi de ton pouvoir pour porter quelqu’un qui en avait besoin ?

— Euh… non, je ne crois pas.

— C’est l’occasion d’essayer ! Aide-moi à les ramener chez eux !

Le quart d’heure d’après, l’école était entièrement rangée et fermée. C’est dans un silence apaisant que Germignon observa Salamèche et Branette travailler ensemble pour escorter Rattata et Chenipan directement jusqu’à leur lit, en faufilant la patte spectrale du saccageur à travers la fenêtre entrouverte de leur chambre. Ils se dirigèrent ensuite vers la colline au grand arbre, là où leur chemin se séparèrent.

— Je n’avais jamais été aussi délicat avec mon pouvoir. J’avais peur de leur faire du mal en les tenant.

— Mais tout s’est bien passé, souriait Salamèche.

— Et c’était satisfaisant, compléta Branette.

Germignon approcha.

— Allez, tu devrais rentrer chez toi.

— Ça ne te dérange plus ?

— Non, je… je te pardonne aussi.

— Merci. Du fond du cœur, merci… euh…

— Germignon.

— Germignon, c’est noté. Aurevoir, Salamèche et Germignon.

Telle une ombre, il disparut dans la pénombre.

— Wow… s’épata le reptile, il est rapide.

— Il aurait pu s’enfuir facilement et pourtant, il a attendu que je le pardonne. Il faut croire que tu avais raison, ce n’est pas une mauvaise personne…

— J’imagine que parfois, les gens ne se rendent tout simplement pas compte du mal qu’ils causent.

— Oui, peut-être que certains ont juste besoin de parler. D’ailleurs, est-ce que tu disais vrai ? À propos de cette amnésie… ?

Il hocha la tête.

— Il avait l’air d’avoir besoin de se confier, alors je l’ai devancé.

— Je ne m’en étais jamais doutée. Je suis désolée.

— T’inquiète, je vis très bien avec ! Mais… je préférerais que ça ne s’ébruite pas.

— Évidemment. Il en va de même pour votre équipe d’exploration.

— De secours…

— Oui, bon, bref ! Je ne dirai rien à madame la maire.

— Merci, c’est gentil de ta part.

À son tour, elle hocha simplement la tête.

— Bon, je vais rentrer. Profite de tes vacances et essaie de ne pas arriver en retard à la rentrée, ok ?

— Je te promets d’essayer, lui sourit-il.

Elle lui sourit en retour, avant de descendre la colline au grand arbre.

— Ah, euh… Germignon, attends !

Le garçon à la tunique usée accourut vers elle d’un air paniqué.

— Dis, euh… tu comptes voter pour qui, au concours des citrouilles du village ?

Finalement, la soirée d’Halloween s’acheva sur une jolie promesse. Le lendemain, le professeur Canarticho, l’infirmière Nanméouïe et la directrice Flotoutan retrouvèrent leur établissement en parfait état. Dans la salle de classe, ils remarquèrent que la chaise de Salamèche était anormalement disposée. La première journée de novembre suivit son cours et le soir-même, Pifeuil débarqua à la maison, tout euphorique.

— J’ai gagné ! s’enjouait-il en enlaçant sa citrouille. Boudiou, j’ai remporté le grand prix ! J’ai exclusivement carte blanche pour les décorations des fêtes de fin d’année sur la place centrale !

— Bravo Pifeuil ! Vous avez géré !

— Sept votes, tu t’rends compte ?! Qui a bien pu voter pour un pauvre type comme moi ?

— Sept… ? Les gens ne votent pas tant que ça, en fait.

— Hé ! Arrête de décrédibiliser ma victoire !

— Euh… pardon ! Ce soir, c’est moi qui fais à manger !

Et ainsi s’achevèrent les vacances scolaires.

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