Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 3 : Salamèche et Pikachu

5619 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/01/2021 03:16

— Tu dois être le jeune Salamèche ! s’enjoua cette grande femme bleue à la chevelure longue tressée.

En ce milieu de semaine, à l’aube du dix-neuf septembre, Pifeuil et son petit garçon s’étaient rendus au sommet de la petite colline au nord du village, sur laquelle résidait une grande structure peinte de vives couleurs chatoyantes.

— Mon nom est Flotoutan, souriait-elle, et je suis la directrice de l’établissement.

— B… bonjour, marmonna le nouvel élève en baissant les yeux.

— Sois pas timide mon gars ! rigola le bonhomme vert en lui tapotant le dos.

— Je comprends, reprit la grande femme, tout le monde ici se connait depuis déjà des années. Mais je suis certaine que tu t’intégreras. De toute évidence, nous sommes-là pour t’aider.

— Je compte sur vous pour prendre soin du petiot en mon absence ! Sur ce, la boulangerie m’attend ! Amuse-toi bien, mon p’tit gars, et n’oublie pas la miche que je t’ai préparé dans ton sac !

— Pifeuil… rumina-t-il en le regardant s’en aller.

— Allons, le reste de la classe t’attend !


Chapitre 3 : Salamèche et Pikachu


Le couloir principal était grand et coloré. Les murs étaient bondés de pancartes, le sol était marqué par des bandes de peintures rouges et jaunes, les fenêtres laissaient pénétrer les rayons d’un soleil chaleureux tandis que les petites lanternes accrochées au plafond, toutes en forme de cœur, illuminaient d’un ton orangé tous les recoins de cet établissement. Une dernière fois, le petit lézard reprit son souffle. Puis, Flotoutan ouvrit la porte de la classe.

Les chuchotements se turent et les chaises grincèrent aux mouvements de tous les élèves, se levant pour accueillir leur directrice. Puis, les regards se posèrent sur le jeune homme, qui se frotta le bras en détournant le regard.

— Les enfants, j’ai l’honneur de vous présenter un nouveau camarade de classe !

— Bonjour à tous… bégaya-t-il en tremblotant comme une feuille.

Il n’arrivait pas à dire son nom. Pourtant, le public n’était pas bien nombreux : huit tables pour six élèves, une petite classe pour un petit village. Le professeur se leva de son bureau, tout souriant.

— Tu es donc le nouveau venu !

Il s’agissait d’un canard au plumage brun, à l’unique sourcil froncé mais à l’air soucieux et protecteur. Il tenait un poireau. Si si, un poireau.

— Je suis Canarticho, ton professeur principal. Je te laisse prendre place, la journée va être chargée.

— Soyez gentils, mes chers amis. Bourg-Tranquille a eu l’occasion d’accueillir deux nouveaux habitants, et il est de notre devoir de les intégrer comme il se doit à notre fantastique quotidien coloré ! Sur ce, je vous souhaite une agréable journée !

Elle ferma la porte derrière elle, alors que le jeune amnésique tentait de s’installer à l’un des deux bureaux libres, au fond de la classe. Mais la peur le paralysait. Il se sentait dévisagé, en entendant murmures et chuchotements.

— Regarde, il a une flamme au bout de la queue… !

— C’est un type Feu, tu crois… ? Qu’est-ce qu’il fiche ici, il va tout brûler… !

— Et c’est quoi ces vêtements… ? C’est un pouilleux ou quoi… ?

— Vous croyez qu’il vient d’où… ? Est-ce qu’il nous comprend, au moins… ?

— Pourquoi il agit comme ça… ? Il a peur… ?

— Il est trop bizarre, lui…

— Alors, reprit le professeur, qu’attends-tu pour prendre place ?

Il ferma les yeux, alors qu’une goutte de sueur coulait le long de sa joue. Il se sentait incapable de déplacer le moindre muscle. Soudain, la porte de la classe s’ouvrit brutalement.

— Désolé ! hurla un vraisemblable retardataire.

Il trébucha, percuta le nouvel élève et l’un sur l’autre, tous deux s’écrasèrent sous le rire narquois des autres enfants.

— Pikachu, beugla Canarticho, bon sang !

Ce nom, il s’en souvenait. Il rouvrit les yeux et dévisagea, allongé sur lui, le même gamin surexcité qu’hier. Celui-ci se redressa d’un air enjoué.

— Hé ! Comment ça va, depuis l’temps ?

Soudain, un poireau lui cogna le crâne.

— Andouille ! Excuse-toi et prends place sans faire de bruit !

— Désolé, rigola-t-il en tendant une patte à son nouveau camarade de classe.

Cette position, ce geste, comment pouvait-il l’oublier ? Il lui attrapa la patte, le sourire aux lèvres.

— Merci… marmonna-t-il.

— Pas de soucis ! Euh… dis, je t’ai demandé ton nom, la dernière fois ? J’ai une mémoire de Magicarpe, alors…

— Salamèche, l’interrompit-il, je m’appelle Salamèche.

— Salamèche… ça déchire, comme nom !

— Excusez-moi, je vous dérange ?

— Pardon m’sieur ! Viens, on a mis ton bureau à côté du mien !

Les deux écoliers prirent place, l’un à côté de l’autre.

— Bien, soupira le professeur, changement de programme. Nous allons reprendre le chapitre sur la digestion forestière depuis le début.

— Quoi ?! Mais monsieur, nous devions passer à l’étude de la Grande Guerre !

— Ça attendra, il ne faut pas que notre ami soit largué. Qui sait quel chapitre tombera, aux examens de fin d’année ?

Les élèves râlèrent.

— Super, et c’est reparti pour deux semaines à étudier des baies !

— Et dire qu’on avait de l’avance, pour une fois…

— Cessez de geindre ! Tu as de quoi prendre des notes, Salamèche ?

— Euh…, bafouilla-t-il en comprenant que seul son bureau était vide.

— C’est pour lui qu’on perd notre temps… ?

— Tiens, lui confia le rongeur jaune, j’en ai deux !

Il lui tendait une feuille et un stylo.

— Parfait ! clama Canarticho. Allez, recommençons à partir des différents climats susceptibles d’avoir un impact sur les récoltes forestières…

Et ainsi débutèrent les cours. Il ne lui fallut que quelques minutes pour être englouti par tout un tas d’informations. Des informations que semblait déjà connaître tout le monde sur le bout des griffes, à en croire la pertinence de leurs interventions. Il tentait de mettre à l’écrit ce qu’il comprenait, mais tenir un stylo dans sa petite patte droite était déjà une épreuve en soi. Il n’arrivait pas à écrire le moindre mot, bien qu’il essayait d’imiter la méthode des autres élèves. Mais quelque chose clochait.

— C’est ça tes notes ? se moqua un élève qui l’approcha.

La cloche venait de sonner et le professeur s’était éloigné. Bleu de peau, il était une tortue accoutrant une épaisse carapace au-dessus d’une légère tunique. Il souriait, mais pas de la même manière que Pifeuil ou Pikachu.

— Déjà que tu ressembles à un pouilleux, si en plus tu sais pas écrire ! Nan mais regardez-moi ce torchon ! C’est ta première année dans une école ou quoi ?!

La plupart des autres enfants lâchèrent au moins un léger rictus.

— Hé, laisse-le tranquille ! intervint son camarade à la fourrure jaune.

— La ferme, toi, tu fais peur à personne ! Bon, tu viens d’où, le pouilleux ? Pourquoi t’es là ? Qu’est-ce que tu veux ?

Le « pouilleux » gardait les yeux grands écarquillés. Peinant déjà à ne pas trembler, il n’essayait même pas de lui répondre.

— Tu sais pas parler ? Ou alors je vais trop vite pour toi ?

— Ça se voit qu’il est timide, répliqua un autre garçon bleu et noir de fourrure, assis correctement sur sa chaise avec un livre entre les pattes.

— Ouais enfin là c’est maladif ! s’exprima avec plus d’entrain celui qui, vert de peau, aux yeux jaunes et à la grande queue crochue, croisait les bras et laissait traîner ses pieds sur le bureau.

— T’es timide ou t’as honte ? reprit la tortue. Je suis sûr que tu viens d’une communauté ! Nan, pire, que t’étais un sauvage ! Le gars qui t’héberge te ressemble même pas, espèce d’orphelin !

À nouveaux, les autres en rigolèrent. Pikachu restait affalé sur son bureau, la tête dans les bras. Le persécuté baissa simplement les yeux. La porte de la classe s’ouvrit alors. L’infirmière de la veille, sans la cape noire qui couvrait sa tunique blanche intacte, posa son regard sur le grimaud à la peau orange.

— Salamèche, l’appela-t-elle avec le sourire, peux-tu venir s’il te plaît ?

Il la rejoignit sans faire un bruit, toujours sous les regards et chuchotements de ses camarades.

— Pourquoi elle doit lui parler… ? Il cause déjà des problèmes, vous croyez… ?

— C’est un étranger, on peut pas lui faire confiance…

Des chuchotements qui cessèrent enfin, une fois la porte refermée. Elle l’emmena de l’autre côté du couloir, jusqu’à l’infirmerie de l’école. Assis sur un matelas peu confortable, il la laissa prélever un peu de son sang et gagna un joli pensement en forme de cœur. À nouveau, la petite machine métallique et scintillante lui délivra plusieurs informations. Pourtant, elle les nia d’un mouvement de tête.

— Hm… je n’ai toujours rien sur ton arbre généalogique. Il faut croire que ces technologies ne sont pas encore au point. Bon, peu importe.

Elle rangea la machine.

— En attendant, dis-moi un peu ; est-ce que la mémoire t’est revenue ?

— Pas vraiment, non…

— C’est une amnésie sévère, aucun doute là-dessus.

— Dites, l’interrogea-t-il en se frottant le bras, est-ce que je suis obligé de… d’aller à l’école ?

— Maintenant que tu y es inscrit, oui. Tu n’as pas idée de la chance que tu as d’être scolarisé, beaucoup d’enfants ne le sont pas, même à Bourg-Tranquille. Si tu travailles bien, tu obtiendras ton diplôme en fin d’année et plein de portes te seront ouvertes pour l’avenir !

— Pour… l’avenir ? pensa-t-il à haute voix. Je… je n’ai aucun rêve.

— Pour le moment, rétorqua l’infirmière en lui choyant l’épaule. Écoute, tu n’as pas à t’en faire pour ton amnésie. Même si elle persiste, c’est une toute nouvelle vie qui commence pour toi ! Tu es jeune, tu as le temps. Le temps de te trouver une voie, une passion, un rêve. Je suis certaine que de grands évènements parsèmeront ton histoire. C’est ce qui fait la force du monde Pokémon. Nous sommes tous uniques !

Même si son regard délivrait de l’inquiétude, il ferma les yeux et hocha la tête. La cloche sonna et il retourna en classe. Depuis que les autres garçons s’étaient moqués de la qualité de ses notes, il ne voyait plus que ça. Il avait beau persister, la sensation lui paraissait trop étrange. Tant pis, il lâcha le stylo pour le reste du cours. Quant à la quantité d’informations donnée par le professeur, il n’en retenait que la vague surface. L’Histoire de ce monde, il n’y connaissait rien. Il se sentait perdu, et certainement pas à sa place.

Vint l’heure du déjeuner. Éloigné du reste du groupe, il suivit les élèves jusqu’à la cantine. Il récupéra un plateau et laissa Flotoutan, qui gérait aussi la restauration, lui donner une salade, un bout de pain et un plat de haricots. Sur les trois tables à dispositions, il s’installa sur la seule qui était vide. Il restait fixé sur son assiette et déjeunait dans le silence.

— Dis, je peux me mettre là ? lui demanda Pikachu d’un air morose.

Le jeune amnésique lui sourit simplement.

— Merci beaucoup ! dégoisa-t-il en prenant place. Alors, Bourg-Tranquille te plait ? J’ai pas fini de te présenter le village hier, mais s’tu veux on peut remettre ça !

— Euh… ouais, pourquoi pas ?

— Trop cool ! Merci !

— Pourquoi tu me remercies ? C’est moi qui devrais être reconnaissant…

— Ça m’fait plaisir de traîner avec quelqu’un, c’est tout !

Tous deux engloutirent leur plat de haricots.

— Et sinon, jasa-t-il la bouche pleine, tu viens d’où ?

Son interlocuteur garda le silence, le regard fixé sur son plateau. Pikachu avala sa bouchée.

— Je m’disais que pour emménager ici, il fallait l’vouloir. Mais bref ! M’sieur Pifeuil tient une boulangerie, c’est ça ?

— Oui, il vient tout juste de commencer.

— J’espère que les gens vont aimer ce qu’il fait. On pourra passer le voir, si tu veux !

— C’est vrai que… je ne sais même pas où elle est, sa boulangerie.

— T’inquiète, c’est difficile de s’perdre ici !

Le reste de la journée se déroula plus calmement. Silencieux au fond de la classe, le nouvel élève écoutait sans prendre de notes. Une dernière sonnerie retentit, et les enfants étaient enfin libres. Alors que la seule fille de la classe restait pour parler au professeur, tous les autres déguerpissaient d’un air enjoué. Salamèche et Pikachu prirent un peu plus de temps, préférant se retrouver seuls sur le chemin du retour, une longue colline descendante comblée d’arbres animés par le chant des Minisange. Arrivés sur la place, ils empruntèrent l’allée menant vers l’est du village.

— En fait, les quartiers sont surtout résidentiels, même si on trouve des structures communes un peu partout comme les marchés, la banque, la mairie, la poste ou l’hôpital. Plus loin, t’as aussi des champs, des mines et quelques maisons isolées. Et puis t’as les cellules provisoires aussi, mais bon, personne ne traîne là-bas. Ah, tiens, salut m’dame Hippodocus !

La dame à l’imposante mâchoire, marchant dans la direction opposée, le dévisagea d’un air ennuyé.

— Quelles bêtises vas-tu encore faire aujourd’hui… ? grommela-t-elle en continuant son chemin.

— Aucune, promis ! se marra-t-il en la saluant d’un mouvement de patte.

— D’ailleurs, s’inquiéta l’autre enfant, est-ce que les problèmes ont été réglés ?

— Lesquels ?

— Hier, beaucoup de gens t’ont poursuivi…

— Oh, ça ! C’est la routine, t’inquiète ! Yo, m’sieur Lombre !

Un passant bipède, bien que ses bras soient suffisamment longs pour lui permettre de se déplacer à quatre pattes, à la peau verte et au grand chapeau nénuphar se retourna.

— Salut minot ! Tiens, t’es pas tout seul ?

— Ouaip ! J’vous présente Salamèche !

— Bonjour monsieur.

— Ouais, euh… salut…

D’une voix plus terne, Lombre fixait l’embout enflammé de sa queue d’un air perplexe. Ils s’éloignèrent sans approfondir la conversation, contournant une rue pour arriver face à une boulangerie ouverte et dont les bâches le protégeaient des intempéries. L’odeur alléchante qui s’en dégageait envahit tout de suite leurs narines : le pain chaud que Pifeuil vendait aux habitants faisait gargouiller leurs estomacs.

— Merci bien, s’inclina une élégante femme à la peau bleue.

Elle flottait dans d’épaisses plumes blanches qui ressemblaient à un nuage.

— Pas de soucis, m’dame Altaria ! Vous m’en direz des nouvelles !

— Je suis sûre que vous êtes à la hauteur de ce qu’on m’a dit de vous. Je vous souhaite une bonne journée, mon brave.

Elle s’éloigna, libérant la voie entre les trois garçons.

— Oh mais c’est mon petiot ! exclama l’adulte en remarquant cette même petite flammèche d’un grand sourire.

— Bonjour, m’sieur Pifeuil ! l’imita le jeunot au pelage jaune. Elle est trop stylée, votre boulangerie !

— Merci bien, p’tit gars ! Pikachu, c’est ça ? Ta mère est venue m’acheter trois traditions, y même pas un quart d’heure. À mon avis, tu vas t’régaler ce soir !

— Faites gaffe parce que si c’est trop bon, on vous demandera de venir dîner à la maison souvent, Salamèche et vous !

— Je suis pas contre, mais c’est maman qui décide ! À vrai dire, je suis ravi de savoir que mon p’tit bonhomme s’est déjà fait un nouvel ami dans l’coin !

— C’est normal, affirma le rongeur, il est trop cool !

Le concerné se frotta le bras d’un air gêné.

— Alors, reprit Pifeuil, cette première journée à l’école ?

Les deux enfants s’échangèrent un regard perplexe.

— Épuisante ? commença Pikachu.

— Ouais, termina Salamèche, épuisante…

— Bah tu sais quoi, rétorqua le bonhomme vert en ôtant ses gants, c’est l’heure d’un bon bain reposant ! Laisse-moi terminer l’service, et on fonce au lac pour se détendre un peu !

— Ah, oui, bonne idée. Tu viens avec nous, Pikachu ?

— Non merci, marmonna-t-il, ça ne m’intéresse pas…

— D’accord, pas de soucis. Merci de m’avoir fait visiter le village, en tout cas.

— Ouais, c’était cool ! Dites m’sieur Pifeuil, je peux vous acheter une dernière baguette ?

— Encore ?! s’effaroucha le boulanger. Boudiou, doucement sur le gluten !

Il la lui offrit. De leur côté, la petite famille rentra à la maison, récupéra de quoi se nettoyer, puis retourna sur la place centrale et emprunta l’allée sud, marchant sur une voie que seul le vent animait. Si Salamèche, encore tout habillé, marchait avec la serviette enroulée sous un bras ; Pifeuil, lui, n’avait déjà plus que pour seul accoutrement sa propre serviette, accrochée autour de la taille. Ils suivirent un long lac menant jusqu’aux falaises desquelles s’écoulait la source bleutée d’une eau qui assoiffait d’un simple regard, puis s’arrêtèrent devant le premier panneau.

— Alors, se concentra Pifeuil en plissant les yeux, quatre lacs se trouvent derrière ces rochers, deux à gauche, deux à droite. Veillez à séparer les adultes des enfants, puis les filles des garçons. Si vous souhaitez rencontrer Barbicha, grimpez l’allée rocheuse. D’accord, donc nos chemins se séparent ici !

— Je dois me baigner tout seul ?

— Tu dois juste te détendre, je pense que ça ira. Y a un monde où je roupille dans la flotte, alors m’attends pas ! Ah et un bain, ça se prend sans vêtement ! Enlève-moi ça et va nager un peu, andouille ! Allez, à plus !

Pifeuil s’éloigna tandis que d’un air dubitatif, son petit emprunta l’autre voie. Seul face à plusieurs étendues d’eau, il enleva tout d’abord ses chaussures. Puis, entre quatre rochers, il se décida à décrocher la corde qui lui servait de ceinture. Il enleva sa culotte et se dépêcha d’enfiler sa serviette, se rendant compte qu’elle ne remontait que jusqu’à sa poitrine. Il récupéra ses vêtements et les porta jusqu’à destination. Il n’aimait pas cette étrange sensation, il n'aimait pas ça du tout. Plus il avançait et plus il comprenait ce que « bain public » signifiait. Il se revoyait à la maison, terriblement gêné à l’idée de se nettoyer, même seul dans une baignoire. Hélas, il fit face au lac avant de renoncer à la baignade dite reposante.

— Hé regardez ! s’étonna le garçon à la peau verte et à la queue crochue.

Plongé dans le lac jusqu’au cou, il semblait discuter avec son ami, bleu et noir de fourrure, tandis que quatre autres jouvenceaux placèrent leur attention sur le nouvel arrivant.

— C’est qui ? demanda une taupe au regard simplet.

— Un camarade de classe arrivé ce matin, réagit un rat violet quadrupède avec deux grosses dents.

— Je crois qu’il s’appelle Saflammèche, proposa la chenille verte à ses côtés.

— Salamèche, répliqua celui à fourrure.

— Comment tu sais ça, Riolu ?

— Parce que je me renseigne, Chenipan. J’ai déjà été suffisamment pris de court par l’arrivée d’un type Feu au village.

— Alors c’est ça, un type Feu ? interrogea une autre taupe, brune, ronde et au museau tout rose.

Le silence s’imposa. Fixé par tout le monde, il gardait les yeux baissés.

— Bah alors, t’attends quoi ? demanda le rat. Viens te baigner !

Il n’osait pas bouger.

— C’est quoi son problème ?

— Peut-être qu’il ne peut pas plonger ? Le feu est faible à l’eau, après tout.

— Mais alors pourquoi il est venu ?

— Bah j’sais pas moi, demandez-lui !

— On peut pas, il est muet.

— Ouais, commença celui à la queue crochue, c’est vraiment un associable ce mec ! Perso, il me gave !

Il se leva du bain, se montrant à nu aux yeux de tous. Mais à part pour le lézard à la queue enflammée, personne ne semblait être gêné. Ce dernier se fit justement pointer du doigt.

— J’arrive pas à croire qu’il ait été accepté parmi nous ! Nan mais regardez-le, il nous toise en s’embrasant en permanence ! Je suis de type Plante, ma famille est de type Plante, notre maison est faite à base de plantes ! Vous n’imaginez pas à quel point j’étais stressé, ce matin, quand je l’ai vu s’asseoir derrière moi ! Ce type est un danger public, il n’a rien à faire à Bourg-Tranquille !

— Moi aussi, poursuivit la chenille, je veux pas qu’il s’approche de moi ou de ma maman !

— Éteins-moi ça ! lui ordonna le garçon énervé.

Le jeune amnésique le fixa avec de grands yeux.

— Dépêche-toi !

Mais il était incapable de répondre. Il se retourna, prêt à quitter les lieux sans ne plonger la moindre griffe dans le bain public. Mais avant de s’éloigner, sa queue se fit agripper.

— T’es sourds ou quoi ?!

De toutes ses forces, il le tira dans l’eau. L’amnésique lâcha ses vêtements, alors que sa serviette se détacha une fois qu’il fut entièrement plongé dans le lac.

— Arcko, l’interpela le dénommé Riolu, calme-toi !

— Non, rétorqua la chenille, il a raison ! Il nous provoque avec sa flamme !

Dès qu’il dépêtra la tête de l’eau, Salamèche tenta de rattraper sa serviette. Mais Arcko lui tenait toujours la queue.

— Lâche-moi !

— Ah, donc tu sais parler ! Tiens, regardez-moi cette belle flamme !

Il la dégaina hors de l’eau, montrant à tout le monde que la flammèche avait disparu de son embout. La seconde d’après, elle s’embrasa de nouveau. Il la lâcha par surprise, effrayé par l’étincelle brûlante qui le percutait.

— Aïe ! Il m’a brûlé !

— Hein… ? Non, je ne voulais pas…

— Il a essayé de me brûler ! Tous sur lui !

Dans l’euphorie, si ce n’est Riolu qui s’en couvrit les yeux, tout le monde se joignit à Arcko. Ils bondirent sur le type Feu et bloquèrent le moindre de ses mouvements en lui agrippant les bras et les jambes.

— Qu’est-ce que vous faites ?! paniquait-il.

Il était emmené loin des rebords, au centre du lac.

— Tu ne fais plus peur à personne, quand t’es dans l’eau !

— Arrêtez, ne me touchez pas !

Ils le noyèrent à répétition, sans même lui laisser le temps de reprendre son souffle.

— Tu ne vaux rien, espèce de minable ! Ici, t’es chez nous ! Les types comme toi n’ont rien à faire là !

— Pitié ! Je ne vous ai rien fait !

Ses larmes se mélangeaient à l’eau du lac.

— Il est trop bizarre ! se moqua le rat violet.

— Il rougit comme une tomate ! l’afficha la chenille verte.

— Il est ridicule ! le chambra l’une des deux taupes.

— Il est si gros ! l’insulta Arcko. Allez, sortez-le d’ici !

Sa serviette était déjà loin, quand ils le jetèrent hors de l’eau.

— Regardez, son zizi est minuscule !

Sous le choc, il trébuchait en essayant de s’enfuir.

— Allez, p’tit zizi, dégage !

Il agrippa ses vêtements et déguerpit le plus vite possible.

— P’tit zizi, répétèrent les garçons à l’unisson, p’tit zizi, p’tit zizi !

Pleurant à chaudes larmes, il quitta les bains publics sans se retourner. Il traversa la place centrale, dont seule la marchande du coin le dévisagea d’un air perplexe. Puis, il passa le pont et s’enferma à la maison en claquant la porte. Dans un premier temps, il renfila sa tunique usée. Puis, il agrippa son sac et se dépêcha de fuir vers l’ouest du village, en empruntant l’allée montante menant à la colline au grand arbre.

Là-bas, Pikachu était accroupi près d’un buisson, du pain entre les pattes, entouré par des arbres qui séparaient Bourg-Tranquille de la forêt dans laquelle le jeune amnésique avait pour la première fois ouvert les yeux. Quand son camarade de classe l’entendit débouler en titubant, il se releva dans sa direction.

— Salamèche ? s’inquiéta-t-il en le voyant s’écrouler face à lui.

Il accourut pour le relever, mais le lézard à la flamme crépitante sursauta au premier contact. Il recula à quatre pattes. Son cœur battait la chamade, il respirait à pleins poumons sans s’arrêter.

— Hé, du calme ! C’est moi, tout va bien !

— Je veux partir d’ici !

— Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Il approcha, mais le petit reptile recula. Alors il leva les pattes.

— Désolé ! Si tu as besoin de parler, je suis là.

— Pourquoi les gens ne m’aiment pas ?! hurla-t-il de toutes ses forces. J’ai peur, mais je fais de mon mieux ! Pourquoi est-ce que personne ne le remarque ?!

— Hm… je pense que tout le monde l’a remarqué.

C’est alors que le buisson remua. Les deux garçons y portèrent leur attention, l’un effrayé, l’autre souriant. Soudain, une petite créature s’en extirpa. Elle était mince, dénudée du moindre bout de tissu et recouverte de crasse. Elle reniflait et approchait lentement le morceau de pain que Pikachu avait déposé par terre.

— Je t’en prie, régale-toi !

— C’est quoi… ?

— Un Pokémon sauvage. Ceux qui rôdent autour du village nous comprennent plutôt bien.

— Je ne comprends pas…

— Tu sais pas ce qu’est un sauvage ?

— Je suis désolé, je me sens si bête…

— Rien à voir, bien au contraire. Ma mère dit tout le temps que la curiosité est la forme d’intelligence la plus importante.

Salamèche fixait la créature. Sa respiration reprenait un rythme normal, alors qu’il s’asseyait en tailleur.

— Voilà ce qu’est un sauvage, reprit le rongeur, un Pokémon qui nait et vit en pleine nature. Il agit comme nous agirions, si nous n’étions pas éduqués selon nos coutumes ancestrales. Autrement dit, il serait comme nous, si on prenait le temps de s’occuper de lui. Mais les gens rejettent et ignorent la souffrance de ceux qu’ils craignent. Sans parler des braconniers qui les exploitent ou du gouvernement qui les virent de leur territoire. Regarde-le, il est aussi crade qu’affamé…

— Et toi, tu les nourris ?

— J’essaie. C’est impossible d’aider tout l’monde, et puis je suis incapable de voyager au-delà des Petits Bois. Je suis pas assez fort et… bref, j’agis à petite échelle. Tous les soirs, après l’école, je m’dégage du temps pour les aider un peu en leur trouvant de la nourriture, du soin de premier secours ou de quoi se couvrir un peu.

— Ah… ? C’est pour ça que les adultes ne t’apprécient pas ?

— Et pas que les adultes, se marra-t-il nerveusement. Tout l’monde me décourage, comme si ce que je faisais était mal. Et peut-être qu’au fond, ils n’ont pas totalement tort ? Peut-être qu’un jour, je finirai par me blesser à cause de mes bêtises ? Peut-être que je devrais tout arrêter et me concentrer pour de bon sur les études ? Mais à quoi bon… ? Pour aller où… ? Je n’ai aucune autre passion et aucun ami pour m’encourager. En classe, personne ne m’adresse jamais la parole. Ils me prennent tous pour un bon à rien. Arcko me l’a bien fait comprendre, d’ailleurs…

Sur ces mots, il s’enlaça le ventre en détournant le regard. Alors qu’il se perdait dans ses pensées, l’autre garçon avança jusqu’à lui. Non, il le dépassa pour arriver jusqu’au sauvage. Il défit la corde accrochée à sa bourse et dégaina la miche de pain que Pifeuil lui avait préparé pour la journée. Face à la petite créature qui venait tout juste de terminer son morceau, il lui en servit un autre. Pikachu le regarda avec de grands yeux.

— Moi, je trouve que tu agis bien. En tout cas, ça ne me dérangerait pas de me blesser si c’est pour aider quelqu’un qui… veut juste souffler un peu. J’admire ce comportement. J’aimerais être comme ça.

L’enfant au pelage jaune souriait. Un sourire plus timide, un sourire incontrôlable. Une fois l’estomac rempli, la petite créature approcha le lézard d’un peu plus près. Elle colla la tête contre sa jambe et ferma les yeux. Puis elle s’éloigna, retournant dans la forêt sans se retourner. Salamèche soupira.

— Merci beaucoup, Pikachu. Je ne savais rien de tout ça.

— Merci à toi, Salamèche. Merci de m’avoir écouté.

— C’est normal. Dis, tu viens souvent ici ?

— Ouais, quand j’ai besoin d’être seul. Je pensais pas que tu connaissais l’endroit.

— C’est par ici que je suis arrivé au village pour la première fois.

Il observa le rebord de la colline, caractérisé par un grand arbre aux racines lisses, épaisses et aux feuilles d’un vert éclatant qui remuaient en harmonies au gré du vent.

— C’est vrai que c’est un endroit reposant.

— Personnellement, je préfère aller ici que dans les bains publics !

— Oui, l’accompagna son ami, moi aussi.

— Bon, le soleil commence à se coucher. Ma mère va s’inquiéter, je ferais mieux de rentrer à la maison.

— De même. J’espère que Pifeuil n’a pas oublié de mettre la clé sous le paillasson…

— Sérieux, se bidonna le rongeur, c’est pas super pratique ça ! Si jamais t’es bloqué dehors, viens dormir à la maison !

— Merci, c’est gentil…

Ils descendirent la colline ensemble, empruntant le chemin fait de grès jusqu’à se retrouver chacun face à son habitation, à quelques mètres d’écarts.

— Dis, lui demanda Pikachu, on va à l’école ensemble demain ?

— Ça me va, acquiesça l’autre enfant, mais pas de retard !

— Oh, c’est pas mon genre ! Allez, à demain !

Le garçon au pelage jaune rentra chez lui, le sourire aux lèvres. De son côté, c’est en passant la clôture du jardin que le petit lézard remarqua, séchant sur l’étendoir, la serviette qu’il avait perdu dans le lac. Il soupira, en rentrant à la maison. Le soir-même, quand Pifeuil lui demanda comment la baignade s’était déroulée, il esquiva le sujet en restant vague. Sur la table du salon, il préférait s’entraîner à écrire.

— Un problème, mon p’tit gars ?

— Je ne comprends pas, bafouillait-il après avoir gribouillé des lignes entières.

L’adulte approcha et le zieuta quelques instants. Il attrapa son stylo et le fourgua dans sa patte gauche.

— Maintenant, réessaie.

— Hein… ? Je pense que je le saurais, si j’étais gaucher…

Il écrivit parfaitement son nom.

— Bon sang, je suis gaucher !

— Ça fait qu’une différence de plus parmi tant d’autres. Allez, ouste, je dois mettre la table !

Bouche bée, le jeune garçon dévisageait ses deux petites pattes griffues. Pifeuil avait raison, il était différent. Et peut-être que parfois, chercher à plaire aux autres le desservait. Il dîna, puis se coucha et acheva pour de bon cette rude journée.

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