Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 2 : Bourg-Tranquille

4202 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/07/2021 05:03

La lune se levait, alors que les deux garçons grimpaient une petite colline menant à un grand arbre, une fois sortis des bois orangés.

— Bienvenue à Bourg-Tranquille ! exclama l’adulte qui l’avait mené jusqu’ici.

À bras ouverts, il montrait une multitude de lumières étendues au loin et qui, ensembles, formaient un village. Elles se reflétaient dans le lac, qui parcourait et entrecoupait le paysage. Des petits ponts rustiques reliaient les différentes maisonnettes cylindriques, constituées de paille pour les toits et de bois pour les murs et les portes. Salamèche resta silencieux, bouche bée, des étoiles pleins les yeux.

— J’ai emménagé ici il y a peu, donc je ne connais pas encore grand monde. D’ailleurs, les gens ne m’connaissent pas beaucoup non plus ! Ils risquent de croire que je suis ton père, si on se dépêche pas de te trouver un foyer !

— D’accord. Comment est-ce qu’on s’y prend ?

— Toi, tu te reposes ! À cette heure-là, la mairie et la poste sont fermées, alors j’irai m’renseigner demain en espérant trouver un orphelinat ou un truc du genre. Si ta mémoire pouvait revenir avant, ça m’arrangerait.

Le jeune garçon détourna le regard en se frottant le bras.

— J’rigole ! se bidonna-t-il, te mets pas la pression ! Bourg-Tranquille porte bien son nom, tu vas voir !

Ils descendirent la colline et empruntèrent un chemin fait de grès, menant tout droit vers le centre du village.


Chapitre 2 : Bourg-Tranquille


Ils passèrent proche de quelques maisonnettes construites autour dudit chemin.

— De l’autre côté, expliqua Pifeuil en s’arrêtant face à un petit pont en bois, c’est la place centrale ! C’est là où se réunissent quotidiennement nos voisins pour le marché, le bar ou juste pour sympathiser après l’boulot. Ma boulangerie est un peu plus loin et j’ai hâte de leur présenter mes délices !

— Elle n’a pas encore ouvert ?

— Nan, il y avait encore deux trois trucs à installer. Faut dire que le gars qui était là avant moi est reparti avec tout son matos. Bref, on pionce juste-là ! Bienvenue à la piaule du brave Pifeuil !

Il enjamba la clôture de la maison la plus proche du pont et le petit l’imita avec plus de difficulté. Il souleva le paillasson et y récupéra une petite clé avec laquelle il déverrouilla l’épaisse porte en bois. En la passant, Salamèche sentit l’atmosphère s’alléger, comme si plus personne ne le regardait. L’adulte ouvrit un tiroir, attrapa une boîte d’allumettes et embrasa les lanternes du gîte.

— Fais comme chez toi ! M’enfin essuie-toi les panards, quand même…

C’était une habitation faite de deux pièces rondes et d’une petite salle de bain rectangulaire. La première, la plus grande, faisait office de salon et de cuisine avec un portemanteau accroché dos à la porte, une table reconstituée et deux chaises en bois, un atelier de travail pour préparer à manger avec un évier en pierre et un seau vide à côté, des étagères en hauteur contenant de la verrerie et une cheminée encastrée, le tout aéré par une petite fenêtre sans rideaux. Contre un mur était accroché un calendrier, indiquant la date du dix-sept septembre de l’âge deux-cent-trente. La deuxième pièce était plus petite, avec une grande armoire rongée, un lit aux draps froissés, un petit bureau maintenu par des cailloux pour garder l’équilibre, un tapis en plutôt bon état, une autre fenêtre ainsi qu’une porte, menant à la minuscule salle de bain qui séparait d’un seul mètre la baignoire en bois des toilettes.

— C’est pas fait pour deux bougres, mais on s’adaptera !

— C’est génial, rétorqua l’enfant d’un air éblouit.

Pifeuil lui sourit. Il déposa ses affaires et s’occupa de préparer le matelas supplémentaire, qu’il déplaça jusque dans un recoin du salon.

— Heureusement que j’suis précautionneux ! rigolait-il en dépoussiérant un oreiller.

— C’est pour moi ?

— Nan, pour moi ! Toi, tu roupilleras dans le grand lit !

— Quoi ? Vous êtes sûr… ? Je n’ai pas envie de…

— Me déranger ? Alors accepte ce cadeau sans rechigner !

— Je… euh… d’accord, merci.

Une fois le lit mis en place, il visa la salle de bain.

— Fiou… ! Allez, maintenant, c’est l’heure de la douche !

— Pour vous ?

— Nan, là c’est pour toi ! Normalement, t’as une serviette propre dans l’armoire et le seau de la douche est déjà rempli, t’as juste à te débarbouiller ! Si nécessaire, on ira piquer une tête dans les bains publics, demain ! D’ailleurs, je laverais bien cette cape crasseuse, mais vu que t’as que ça à te mettre sous la dent, ça attendra. Tant pis, je vais faire à manger en attendant ! Si t’as le moindre problème, appelle-moi !

Salamèche s’exécuta et s’enferma dans la salle de bain avec sa serviette. Il enleva sa cape et se défigura quelques instants. Son ventre était rond et ses membres plutôt flasques. Un profond malaise l’envahit, alors il grimpa dans la baignoire et récupéra le chiffon baignant dans un seau rempli d’eau. À l’aide d’un pain de savon, il se décrassa la peau et élimina cette désagréable odeur de transpiration. Bien sûr, il essaya à nouveau d’éteindre cette détestable flammèche, crépitante au bout de sa queue. Mais rien n’y faisait, elle se rallumait à chaque fois. Une fois nettoyé, il renfila sa cape. Finalement, il se sentait mieux avec.

— À table ! prévint l’adulte à l’instant où il sortit de la salle d’eau.

L’odeur alléchante l’attira sans même qu’il ne s’en aperçoive. Sur la table se trouvaient du pain chauffé et des fruits.

— Désolé, j’ai pas trop le temps de pousser la cuisine ce soir.

— Ça a l’air bon…

— Eh bien prends place, mon petiot !

Il n’avait pas besoin de lui redemander. Salamèche qui pourtant doutait de tout, agrippa la nourriture sans crainte, en réponse à son ventre qui ne cessait de gargouiller. Pifeuil était impressionné, le fixant dévorer sa nourriture avant même qu’il n’entame l’entrée.

— Hé, doucement ! Prends des plus petites bouchées !

Mais il agissait par instinct. La panique et l’amnésie avaient obsédés son esprit, à un point tel qu’il avait oublié être affamé. En contrepartie, la digestion le fatigua à vive allure. La demi-heure d’après, il était au lit. Pifeuil le borda avec tendresse.

— Ça va aller, tu crains pas les Ténèbres ?

— Je pense que ça ira… répondit-il en supposant qu’il parlait de l’obscurité.

— Allez, on garde la pêche ! Tout sera peut-être réglé demain, alors panique pas et fais de beaux rêves, pigé ?

— Oui. Merci encore, Pifeuil, merci pour tout.

— Tu m’remercieras quand tu seras devenu riche et célèbre ! plaisanta-t-il en retournant dans le salon. Bonne nuit !

— Bonne nuit…

Salamèche ferma les yeux, pensif. Il se demandait s’il arriverait à s’endormir après une journée pareille. La vraie question était plutôt de savoir s’il avait réussi à se la poser, avant de s’endormir comme une pierre.

Ce sont les rayons du soleil, qui le réveillèrent. Le ciel était d’un bleu éclatant, sans le moindre nuage à l’horizon. Il s’étirait en repensant à sa nuit, sans grands souvenirs de ses rêves. Seule une phrase trottait dans son esprit : « Tous en place ! ». Il n’y prêta pas trop attention et se leva du lit. Seul à la maison, il pensait attendre le retour de Pifeuil, lorsqu’une ombre se faufila proche de la fenêtre. Il sursauta et se précipita sous son lit, là où personne ne pouvait le voir. Il se demandait si cela pouvait être les trois créatures de la dernière fois. Soudain, quelqu’un toqua à la porte. Il resta immobile, espérant que Pifeuil revienne vite. Quelques minutes plus tard, il rampa jusqu’en dehors du lit en pensant s’en être sortit. Il se releva doucement, essayant de ne faire aucun bruit.

— Alors c’est toi le nouveau ?! écria la voix d’un jeune homme surexcité.

Salamèche tourna lentement le regard vers la fenêtre, surprenant un individu le dévisager de haut en bas. Une boule de poils jaunes qui accoutrait une tunique éreintée, était collée contre la vitre, les yeux ronds écarquillés. Ses grandes oreilles pointues remuaient, alors qu’il toquait à la fenêtre.

— Tu peux ouvrir, steuplé ?

Bien qu’il hésitait, la manière qu’avait cet étrange bonhomme de se comporter le faisait sourire malgré tout. C’était assurément un enfant, il devait être curieux. Il ouvrit donc la fenêtre.

— Bonjour… ?

— Alors c’était vrai ! Cette odeur, c’est bien la tienne ! Pourquoi t’es chez m’sieur Pifeuil ? T’es son fils ? Pourquoi t’arrives que maintenant ? Tu viens d’où ?

Salamèche cligna à peine des yeux.

— Bah, peu importe ! Viens, j’vais t’présenter l’village !

Il passa son bras de l’autre côté de la fenêtre et le tira hors de la maisonnette.

— Attends… ! marmonna en vain celui qui était pris de court.

Tant pis, il se laissa guider jusqu’au petit pont en bois.

— Par quoi j’commence ? Ah, je sais ! On est à Bourg-Tranquille ! Oh, mais c’est débile, tu dois déjà l’savoir !

— Dis, euh…

— Moi, j’habite juste à côté de chez m’sieur Pifeuil ! On est à l’ouest du village et juste après l’pont, on arrive sur la place centrale de Bourg-Tranquille !

Le jeune amnésique zieuta les alentours, bouche bée. Des adultes, d’une couleur de peau, d’une taille et d’une corpulence différente pour chacun d’entre eux se baladaient, échangeaient et profitaient du beau temps côte à côte. Certains étaient bipèdes, comme lui, tandis que d’autres étaient quadrupède et marchaient à quatre patte. Mais tous, sans exception, portaient des vêtements. Des chemises élimées, des vestes rapiécées, des pantalons usés ou des jupes effilochées, tous couvraient leurs corps aux morphologies opposées.

— Ici c’est le bar et là-bas, les marchés !

De multiples brasseries ouvertes entouraient la place, dirigées en partie par une espèce de caméléonne verte à l’expression mélangeant amabilité et avidité.

— Si on continue à l’est, on tombe sur d’autres maisons. Au nord, c’est l’école et au sud, y a le lac ! C’est là que les gens se baignent, mais c’est aussi là que vit m’sieur Barbicha, un vieux qui sait énormément de choses !

— Dis, j’aimerais bien…

— Ouais je sais, ça fait beaucoup d’un coup ! Oh, en parlant de l’école, est-ce que ça veut dire que tu vas nous rejoindre ?! Trop bien ! J’ai trop hâte de dire aux autres que je te connaissais avant que t’arrive !

— Hé ! s’imposa Salamèche en haussant le ton.

L’autre enfant s’arrêta un instant, lui laissant enfin l’opportunité d’en placer une.

— Comment… comment tu t’appelles ?

— Mon nom ?

— Pikachu ! hurlèrent plusieurs voix en même temps.

Le lézard à la queue enflammée sursauta, en apercevant le tas d’adultes foncer vers eux. Alors qu’ils fixaient le dénommé Pikachu d’un regard noir, lui se gratta simplement l’arrière du crâne.

— Yo m’dame Hippodocus ! Comment ça va ?

— Où sont mes carottes ?! s’énerva une gigantesque hippopotame brune à la mâchoire et aux dents très imposantes.

Du sable coulait de son dos à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.

— Quelles carottes ? répondit l’enfant au pelage jaune.

— Celles que tu as dévoré !

— C’est même pas vrai, d’abord ! Elles ont servi à nourrir les sauvages ! Ah, euh… oups ?

— Et moi, mon linge a disparu ! Je suis sûr que c’est encore toi !

— Ça va, vous n’avez pas besoin d’autant de tissus !

— Des rouleaux de bandages ont été dérobés ! On t’avait demandé d’arrêter !

— Vous voulez pas plutôt demander au monde extérieur d’arrêter d’être violent ?

— Et moi, alors ! J’ai entendu du grabuge jusqu’au lever de la lune, la dernière fois ! Je n’en peux plus de tes gamineries !

— Mes gamineries ? Si vous saviez ce que je faisais…

— On s’en moque !

— Ah. Bon bah tant pis, hein…

Il se tourna vers Salamèche en haussant les épaules.

— On se voit plus tard, j’imagine !

Puis, il bondit en arrière et prit la fuite.

— Tu ne t’échapperas pas, sale avorton !

Et tout le monde le poursuivit, ignorant le nouvel arrivant comme s’il n’existait pas. Se retrouvant seul sur la place centrale, il reprenait son souffle en zieutant le paysage. Même s’il avait été assailli d’informations, ce moment ne l’avait pas spécialement déplu. Le chant des oiseaux, le mouvement des feuilles, le bruit d’écoulement des ruisseaux dans le lac, l’odeur alléchante des marchandises vendues, le vert chatoyant des herbes environnantes, tout était si reposant et agréable.

— Jeune homme, l’interpella une femme sur un ton froid et stricte.

Une grande figure brune descendait du ciel. Elle portait une tunique drapée adaptée à son plumage, dont deux grandes ailes qu’elle remuait d’une force inébranlable. Salamèche recula d’un pas, la laissant atterrir face à lui. Son cœur se mit à battre la chamade, plus encore lorsqu’elle approcha son bec pointu de son petit museau orange.

— C’est donc toi, le petit nouveau ? Évidemment, il fallait que ce soit un type Feu ! Que les choses vont vite, en ce moment. D’abord une plante puérile au langage grossier, et maintenant un lézard enflammé à l’odeur irritante. Qu’est-ce que mon village est en train de devenir ?

— Votre village… ?

— Espèce d’ignorant. Mon nom est Rapasdepic, et je suis la maire de Bourg-Tranquille ! Et toi, ignare étranger, qui es-tu ?

— Je… je m’appelle Salamèche. C’est Pifeuil qui m’héberge…

— Sans grande surprise. Après tout, le but d’un virus est de se propager. Que l’on soit clair, si j’entends parler en mal de toi ou du minable boulanger qui te laisse piétiner mes terres, vous déguerpissez ! Nous n’avons plus besoin de nous ouvrir au monde extérieur. Ai-je été claire ?

Tremblotant, le jeune garçon hocha simplement la tête. Rapasdepic se retourna et battit des ailes jusqu’à s’envoler. À nouveau, il se retrouva seul sur la place centrale. Sauf que sa curiosité aussi, s’en était allée. Il traversa le pont et rentra chez Pifeuil. Dans sa chambre, deux adultes l’attendaient les bras croisés.

— Où étais-tu ?! l’enguirlanda le bonhomme vert.

Salamèche recula d’un pas. Il baissa la tête.

— Je suis désolé, j’aurais dû attendre votre retour…

Le silence s’imposa. Pifeuil détourna le regard en dépliant les bras.

— Nan, c’est ma faute. J’aurais dû être plus clair, hier soir, c’est moi qui te demande pardon.

L’autre adulte s’avança. Il s’agissait d’une femme au pelage rose et beige, aux oreilles ailées ainsi qu’aux yeux d’un bleu attendrissant. Elle était accoutrée d’une longue cape noire, par-dessus une tunique élégante.

— Tu es donc le jeune Salamèche dont monsieur Pifeuil m’a parlé. Mon nom est Nanméouïe et je suis l’infirmière du village. Je suis venue t’examiner.

— C’est nécessaire mon p’tit gars, ajouta-t-il. Qui sait ce que t’as subi, avant notre rencontre ? D’ailleurs, je suppose que ta mémoire ne t’est toujours pas revenue ?

Il nia d’un mouvement de tête et le bonhomme vert soupira.

— L’amnésie est un problème au degré très aléatoire, expliqua l’infirmière. La mémoire peut te revenir n’importe quand, parfois au contact d’un élément du passé, parfois lors d’un choc cérébral. Je te laisse prendre place sur ton lit, je vais analyser ton rythme cardiaque et respiratoire.

Sur ces mots, elle dégaina un petit appareil métallique et pointu. Le jeune garçon s’allongea et la laissa sentir les battements de son cœur. Pifeuil ne le lâchait pas du regard, se frottant le menton d’un air inquiet.

— Y a vraiment rien qu’on puisse faire ? Pas même un pouvoir psychique ou spectral pourrait l’aider à se souvenir ?

— Rien de médicalement reconnu. Fouiller dans l’esprit d’autrui est illégal, autant pour le respect de la vie privée que pour la délicatesse chirurgicale que cela demanderait, de ne pas endommager le cerveau de celui sur qui on opère. Il est plutôt recommandé d’apprendre à vivre avec.

— Peut-être, mais c’est un petiot sans famille ! J’ai fouillé tout le village ce matin, il est le seul type Feu du coin !

— Type Feu, oui, mais est-il vraiment seul ?

À cette réponse, il resta silencieux. En piquant Salamèche avec le bout pointu de sa petite machine, Nanméouïe lui préleva du sang.

— Aïe… ! ronchonna-t-il en se couvrant le bras.

— Désolée, les enfants paniquent toujours quand on les prévient. Bon, alors voyons voir…

Elle plissa les yeux pour comprendre les informations délivrées par sa machine.

— Tu es un Salamèche en parfaite santé, né il y a quatre-mille-sept-cent-quarante-six jours, soit environ treize ans.

— J’ai… treize ans ?

— T’avais oublié ça aussi ? s’étonna le bonhomme vert.

— Hm… hélas, je n’ai aucune information sur ton arbre généalogique. Ça arrive, ces machines sont récentes et encore en phase de test. Le temps que les grandes villes nous livrent le prochain prototype, je serai déjà à la retraite ! Nous réessaierons demain, pendant la pause.

— Quelle pause ? interrogea l’autre adulte.

— La récréation, voyons. Salamèche doit être scolarisé.

— Quoi… ? L’école n’est pas obligatoire, à ce que je sache !

— Monsieur Pifeuil, soyez raisonnable. C’est un enfant perdu, il a besoin de se créer des repères.

— Oui je sais, mais…

— Le problème ne vient pas vraiment de l’école, n’est-ce pas ?

Elle lui choya l’épaule.

— Il a besoin de vous, Pifeuil.

— Je sais. Je l’sais pertinemment.

— Bien. Sachez que je travaille aussi à l’école. Je commence dès ce soir à remplir son dossier et je vous le ferai signer demain. Essayez d’être-là à huit heure. Les cours commenceront la demi-heure d’après.

Elle se tourna vers l’enfant, à qui elle afficha un grand sourire.

— À bientôt, Salamèche !

— Aurevoir, madame Nanméouïe…

Puis elle quitta la maison, la plongeant dans un profond silence suite au claquement de la porte. Les deux garçons s’échangèrent un regard incertain. Pifeuil s’installa sur une chaise et soupira.

— Mon gars, réponds-moi honnêtement. Sais-tu ce qu’est un Pokémon ?

D’un air navré, le jeune amnésique resta silencieux. L’autre se morfondit de dépit.

— C’était perdu d’avance, je l’ai toujours su…

— De quoi vous parlez ?

— J’imagine que ça n’a plus aucune importance. Bon, écoute-moi attentivement. Nous vivons dans un monde peuplé de créatures appelées Pokémon. Je suis un Pokémon, madame Nanméouïe est un Pokémon et tu… tu es toi aussi un Pokémon. Ce monde est aussi grand et diversifié que dangereux. Des types comme hier, ce n’est pas ce qui manque et je… je suis désolé pour toi. Vraiment. Être lâché, seul et amnésique, dans une dimension pareille… personne ne mérite de vivre ça.

— Pifeuil, je ne suis pas stupide. J’ai très bien compris que c’était trop compliqué pour vous et je ne vous en veux pas.

— Parce que tu crois que j’vais t’abandonner ?

— Il doit bien y avoir un orphelinat à Bourg-Tranquille ?

— Nan. Et crois-moi, j’ai cherché.

— Ah. Euh… tant pis, je me débrouillerai.

— Certainement pas, lui assura-t-il. T’as pas à endurer ça tout seul. Ma décision est prise, je vais t’adopter !

Salamèche écarquilla les yeux.

— Mieux vaut qu’on reste ensemble, au moins le temps que tu pousses un peu. Je veux pas m’inquiéter pour toi.

— Euh… rougissait-il en baissant les yeux. Je ne sais pas quoi dire…

— Ouais, moi non plus. J’vais pouvoir dire adieu à mes économies…

Le silence reprenait de la place, comme si un profond malaise s’installait. Puis, Pifeuil rigola.

— Ah si, tiens ! Tu peux commencer par me tutoyer !

— Impossible… enchaîna Salamèche.

— Comment ça, impossible ?!

— J’ai bien trop de respect pour vous.

— Ça n’a pas d’sens ! On va vivre ensemble sous le même toit, pas la peine d’être aussi formel !

— Je suis comme ça, c’est tout !

— Que dalle ! Depuis quand les mioches sont aussi polis ?!

— Qu’est-ce que j’en sais ? Je vous dois tout, ça ne va pas plus loin !

— Tout ce que tu me dois, tu le dois à cette piaule !

— Parfais, alors filez-moi toutes les tâches ménagères possibles et imaginables !

— Arrête de m’vouvoyer ! s’enguirlandaient-ils en plaisantant.

Ainsi débuta un nouveau quotidien pour le jeune amnésique. Du reste de la journée jusqu’au coucher du soleil, Pifeuil lui enseigna les bases de la vie rustique. Remplir les seaux grâce à l’eau du puits, gérer les ressources de la cheminée ainsi que la nettoyer de ses cendres, laver la vaisselle, de même pour le linge qu’il fallait étendre dans le jardin, ainsi que ranger et dépoussiérer correctement la maison.

D’ailleurs, le bonhomme vert n’était pas revenu bredouille de sa petite balade matinale. Il lui dégota une paire de bottes similaire à la sienne, c’est-à-dire un peu usée, une culotte rapiécée ainsi qu’une corde qu’il accrocha autour de sa taille. Sa cape marron éreintée se transforma alors en une espèce de tunique, séparée par une ceinture. Si le vent en faisait des siennes, sa culotte cacherait le nécessaire. Enfin, pour préparer le lendemain, il lui confia une grande bourse en cuir.

— Accroche-la à ta ceinture et sers-t’en comme d’une sacoche ! Ils y fourrent quoi les écoliers ?

— Est-ce qu’on a un stylo ?

— Bien sûr que non, t’en piqueras un là-bas.

— Euh… d’accord. Bon, de quoi j’ai l’air ?

— D’un vrai pouilleux, brocarda-t-il, comme tonton Pifeuil !

Certes un peu miséreux, il portait désormais un accoutrement digne de ce nom. La lune se leva et après le dîner, il plongea dans ses draps. Le bonhomme vert lui fit la promesse de le réveiller avec l’alléchante odeur d’un bon pain chaud, qu’il rangerait dans sa sacoche tous les matins, au cas-où la faim l’envahirait.

— Bon, je suis crevé ! On a bien nettoyé la maison aujourd’hui, on mérite de passer une bonne nuit !

— D’ailleurs, quand est-ce qu’on va au lac ?

— Quoi, les bains publics ? Mince, j’avais complètement zappé !

— C’est pas grave, rigola Salamèche. C’est moi qui vous y emmènerai !

— Ouais, c’est peut-être mieux comme ça ! Allez, au lit !

— Bonne nuit, Pifeuil !

— Bonne nuit, mon p’tit gars…

Les lanternes s’éteignirent et une journée de plus s’acheva.

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