Dans les royaumes des Eternels

Chapitre 4 : Norrington, Desire, Trois actes

2455 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/09/2018 22:31

4/ Norrington/Desire : Trois actes

Première période

L'été dans les Caraïbes s'accompagne d'une chaleur moite qui assomme hommes et bêtes. Riche ou pauvre, esclave ou homme libre, chacun s'échine à en faire le moins possible tant que durent les heures du jour. Régulièrement, les yeux se lèvent vers le ciel comme pour le prier d'amener le moindre souffle d'air, une unique goutte de pluie.

Seul le port résonne d'un semblant d'activité. Les pêcheurs sortent et rentrent à la rame dans le port, soupirant en sachant que ce temps n'est pas propice à la pêche. Sur les bateaux de la marine royale, les charpentiers effectuent les réparations nécessaires pour affronter les prochaines tempêtes et repartir à la chasse aux pirates. Quelques soldats et marins vaquent à leurs corvées, maudissant le sort de les avoir désignés quand leurs camarades sont au repos. L'apathie transparaît dans les gestes de chacun de ces hommes et femmes.

Soudain, le rire frais et sincère d'une jeune femme résonne sur le quai et tous les regards se tournent vers cette voix. Pour les travailleurs, c'est comme un souffle d'air frais qui les réveille. Des dizaines de regards examinent la jeune fille et la suivent.

Elle est belle dans sa robe neuve de jeune fille riche. Elle est à peine sortie de l'adolescence, mais la femme magnifique qu'elle sera bientôt est déjà visible. Ses cheveux blonds lui tombent en boucles bien ordonnées autour de son visage de poupée de porcelaine. Une ombrelle protège son teint de l'apprêté du soleil des Caraïbes. Les grands yeux noirs de la jeune fille, son sourire, la souplesse de sa taille que l'on devine sous son corset, tout en elle attire le regard.

Un sifflement la salue, et la jeune fille répond par un sourire amusé. Hors de portée de sa voix ou de celle d'un officier, un marin ricane.

« Oh celle-là je la ferais crier si je la tenais...

-Dis pas ça à voix haute, le reprend un autre marin. C'est la fille du gouverneur.

-Et alors ? Elle crierai comme une autre.

-Et si un officier te prenais à dire ça tu frotterais le pont jusqu'à la fin de tes jours. »

La jeune femme et son escorte disparaissent sur la route qui mènent à la maison du gouverneur et chacun retourne à sa tâche. Seul un regard fiévreux cherche encore à la voir.

Sur son navire, le capitaine Norrington suit du regard la jeune fille jusqu'à sa disparition, puis fixe avec la même intensité son ombre et enfin le sol où elle a marché. Il ne prête même pas attention à l'homme – ou est-ce une femme – qui, assis sur le bastingage, le fixe de ses yeux d'or. Il/Elle porte un uniforme qui souligne la perfection de son corps. Il/Elle fume une longue cigarette d'un genre qui ne sera fabriqué que trois cent ans plus tard et avale la fumée en souriant d'un air prédateur en regardant Norrington.

« Oui, murmure l'être d'une voix douce comme du velours. Regarde-la s'en aller. Tu la désire... mais à quel point ?

Sur le bastingage, les doigts de Norrington se crispent au point que ses phalanges blanchissent. Ses yeux brillent de désir, d'envie, de besoin de posséder. Le sourire de Desire s'élargit.

-Oh je voudrais..., murmure Norrington d'une voix rauque.

-Que voudrais-tu ? Je puis te le donner... si je le veux. Si cela m'amuse. La voudrais-tu dans ton lit demain, frémissante sous ton corps ?

-Demain, cette nuit, maintenant, frisonne le capitaine.

Il ne sait pas que Desire est à ses côtés, qu'il/elle s'est glissé derrière lui en un geste caressant. Il ne peut que s'enivrer de son parfum de sexe, d'alcool, de sang et de miel. Il n'entend ni ne vois Desire mais est empli de sa présence et peut entendre ses questions. Mais il croit qu'elles viennent de lui-même, et n'est-ce pas vrai ? Desire est une part de chaque homme et de chaque femme.

-Demain, cette nuit, répète Desire en le moquant. Demande, demande.

-Non. Non, répond Norrington en épongeant la figure de son front. Bientôt. Bientôt. Je serais commodore, je pourrais la demander en mariage.

Desire grimace comme un enfant qu'on prive de son jouet.

-Cette morale chrétienne !, peste-t-il/elle. Oh comme elle complique tout... Et comme elle rend tout plus amusant. Vous vous en voulez de désirer, et vous n'en désirez que plus fort.

Il/elle observe le capitaine qui retourne à ses cartes et à ses lettres. Il/elle peut presque sentir ses pensées, toute la luxure qui refuse de quitter l'esprit de l'homme. Soudain, Desire fronce les sourcils en sentant quelque chose d'autre.

-Tu ne veux pas la posséder maintenant, sourit-il/elle en résolvant le puzzle. Tu veux cette attente, cette incertitude. Tu aimes ne pas savoir si tu pourras la voir se tordre dans tes bras, pouvoir tout imaginer en sachant qu'elle appartiendra peut-être à un autre.

Norrington sursaute, comme surpris et gêné de se voir ainsi mis à nu. Desire éclate d'un rire cristallin et se lève pour l'embrasser doucement.

-Très bien, murmure-t-il/elle en disparaissant. Voyons voir où ton désir te mènera. »

Deuxième période

Desire s'amuse. Les humains sont pitoyables dans leurs désirs et des jouets dans ses mains. Certains cependant, à l'image de Norrington sont plus amusants que d'autres. L'ancien commodore est l'un de ces rares hommes à connaître ses désirs et à les embrasser, même lorsqu'ils sont contradictoires.

Il veut Elizabeth, libre et sauvage, tout en sachant que si elle reste ainsi il ne sera jamais capable de la garder. Il la rêve nue, se donnant et prenant en même temps mais veut l'enchaîner dans le mariage et dans une pièce dont elle ne sortirait jamais. Il veut son honneur pur et sans tache, mais est prêt aux pires trahisons pour l'obtenir. Il vendrait Elizabeth pour récupérer son honneur, mais jetterais celui là aux orties pour un regard de sa bien-aimée.

Tôt ou tard, il devra faire un choix. En attendant, Desire s'amuse. L'éternel suis attentivement les faits et pensées de Norrington depuis près de cinq ans et ne s'est pas ennuyé une seconde. Pour lui/elle dont l'intérêt est vite envolé devant l'habitude, c'est rare et réjouissant de voir si plaisant spectacle.

Et puis, il y a les à-côtés inattendus. Les pirates. Desire est sûr que ses frères et sœurs pensent tous qu'ils leurs appartiennent à eux. La destruction est leur quotidien. Ils rêvent de grandeur et de trésors infinis. Jack Sparrow porte la marque de la folie de Delirium et tout son équipage le suit en hurlant dans sa folie. Pourtant, c'est à lui/elle qu'ils appartiennent vraiment.

Le compas est l'autre avantage d'avoir suivi Norrington jusque dans la fange de Tortuga – non pas que Desire s'en plaigne, Tortuga a toujours fait partie de son domaine –. Desire n'est pas liée au compas comme Dream s'est laissé lier à son casque, son rubis et son sac, toutefois, il/elle a créée l'objet et le voir revenir à elle est... plaisant. Le compas dévoile les désirs les plus profonds et les exacerbe sans qu'aucun des humains à bord du navire ne s'en rende compte.

Desire avale avec l'air marin les désirs de ces éphémères créatures. Il/elle renifle l'odeur de désir sexuel qui émane de Norrington, d'Elizabeth et de Jack, les plus visibles sur cet étroit bateau qui vogue vers un cœur enterré. Ces désirs ont une odeur de honte, de violence enfouie. S'y ajoutent l'envie insatiable de trésors, de fortunes. L'envie bassement matérielle de nourriture, de boisson. Ah, combien le rhum nourrit les appels de l'humanité vers l'éternel... Ambition, jalousie, désir, tout cela le/la nourrie et l'enivre.

Sur le pont du navire, Desire rit et danse.

Il/elle rit et danse sur la plage tandis que Norrington, Jack et Will se battent pour le coffre, pour leur liberté, leur honneur, leur famille, pour Elizabeth et, au final, pour lui/elle. Leur désir bat plus vite que le cœur de Davy Jones dans son coffre de bois. Et même celui-ci dégage le désir insatiable du capitaine du Hollandais Volant pour la mer dans toute sa magnificence.

Quand Norrington s'arrache le cœur en choisissant son ambition, Desire applaudit. Il/elle aime une belle tragédie et il/elle sait déjà que le troisième acte sera parfait.

Troisième période

Dans sa cabine à bord du Hollandais volant, l'amiral Norrington contemple son reflet et décide qu'il n'aime pas ce qu'il y voit. Quand il était jeune, il rêvait de ce titre et de cet uniforme. Un haut grade, une bonne paye, une épouse douce et accommodante, un fils, peut-être même une maîtresse gironde et une maison à Londres.

Aujourd'hui, il est plus prêt du but que jamais. Il a le grade et des possibilités d'avancement se dessinent encore. Il devrait être heureux.

« Alors pourquoi ne l'est-tu pas ?, se demande-t-il, écho de la voix de Desire qui souffle à son oreille en lui caressant le visage.

-Elizabeth bien sûr... répond pour lui l'éternel. Douce et violente Elizabeth au visage couvert de sang et de sueur. Fascinant comme même maintenant tu la désires comme au premier jour n'est-ce-pas ?

Devant son miroir, Norrington sanglote comme un enfant. C'est la seule réponse dont a besoin Desire. C'est ce qu'il/elle préfère avec les humains. Les voir tout désirer et ne jamais faire plus que frôler l'objet de leur attention est un spectacle qui ne perd jamais de son attrait.

-Tu aurais pu me la demander, en rajoute Desire avec un plaisir malsain. Tu aurais pu dire ''je la veux ce soir, concertante et amoureuse'' et, qui sait, je te l'aurais peut être donnée. Mais non. Il fallait qu'elle vienne à son heure et tu l'as perdu. Serait-elle venue que tu l'aurais repoussée le lendemain car tu l'aurais gâchée. Les humains ne cesseront jamais d'être des imbéciles.

-Non !

Norrington casse le miroir et d'un coup d'épaule s'échappe de l'emprise de l'éternel. Desire reste un instant ébahie. Cependant, contrairement à ce qu'il/elle a cru un instant, l'amiral n'a pas décelé sa présence. Il saisit son sabre et son pistolet, laissés abandonnés sur son lit et sort d'un geste vif.

Desire aurait pu applaudir de joie enfantine. Au lieu de cela, il/elle allume d'un geste lent sa cigarette et avale une bouffée de fumée.

-Et maintenant, le dénouement, murmure-t-il/elle, radieux. »

À la suite de Norrington, Desire pénètre dans la cale du Hollandais Volant et le regarde libérer l'équipage. L'éternel sourit de plaisir en anticipant la suite. Son dénouement, celui qu'il/elle a présenti depuis le début. Norrington a trop de désirs en lui et il ne peut les refouler éternellement. Tout son être hurle à Elizabeth qu'elle doit être à lui et à lui seul. Bientôt ils sont les dernier à n'avoir pas quitté le Hollandais Volant pour le Black Pearl. Desire s'installe confortablement pour admirer la scène. Son œuvre.

Elizabeth regarde Norrington avec dégoût et le rejette. Desire attend le moment où l'épée de l'amiral s'enfoncera dans le ventre ou le cœur de la jeune femme. L'éternel parie sur le cœur. Même poussé par la jalousie et le désir, l'homme est trop faible pour donner une mort lente à la femme qui le tue à petit feu depuis des années.

Pourquoi ne le fais-t-il pas ?

Il la laisse partir. Desire n'en croit pas ses yeux. Norrington protège la belle pirate et la supplie – la supplie ! - de partir sans lui. Pourtant, Desire sent chez Norrington le désir sans cesse ravivé d'embrasser la jeune femme, de la posséder. Mais même quand il l'embrasse, ce n'est pas pour lui arracher ce qu'elle lui refuse depuis toujours. C'est pour emporter un dernier souvenir.

Norrington laisse une dernière fois Elizabeth fuir de sa vie. L'y force même. Pour la première fois depuis des années, il se sent libre et heureux. C'est ainsi qu'il aime Elizabeth se dit-il avec un dernier serrement de cœur. Libre, forte, prête à revenir pour lui alors même qu'elle en aime un autre. Il est soulagé de la voir partir. Avec elle peuvent disparaître les fantasmes qu'il n'a jamais pu s'empêcher de rêver, endormi ou éveillé. Il aurait juste voulu qu'elle ne le voit pas mourir. Elle ne mérite pas cela, pas plus que lui ne mérite de mourir ou de vivre avec elle à ses côtés.

Desire le regarde défier une dernière fois la mort et Davy Jones sans montrer le moindre signe de tristesse. Un bruit de battement d'ailes résonne dans l'air et sa sœur apparaît.

« Pauvre âme, murmure Death en caressant le visage de Norrington avec plus de douceur et d'amour que Desire n'en a jamais montré.

-Fais-en ce que tu veux ma sœur. Il a cessé d'être amusant depuis longtemps.

Death sourit.

-Tu n'aimes pas que l'on échappe à tes jeux mon frère/sœur.

-Il m'appartenais !

-Ils n'appartiennent qu'à eux-même. Ils ne font que passer de l'un de nos domaines à un autre. L'amour t'est-il si étranger que tu ne comprenne pas qu'il puisse surpasser le désir ?

Desire ne répond pas et se détourne. Au sol, Norrington se relève et regarde le sourire de Death l'accueillir dans l'au-delà. Il soupire et la lassitude s'envole soudain, le laissant plus fort et apaisé que jamais.

-Je suis prêt madame, s'incline-t-il.

Il jette un regard en coin à Desire et ne peut retenir un frisson d'effroi. Il sent dans l'éternel la personnification des désirs qui l'ont toujours contrôlé. Death lui prend le bras et ensemble, ils passent la porte du royaume des défunts. Desire saisit leur conversation avant qu'ils ne disparaissent.

-J'aurais pu être tellement plus...

-Mais tu aurais été tellement moins sans ces désirs, répond Death. Ils ne t'ont pas perdu, ils t'ont grandit. »

Desire émet un reniflement de mépris. Elle enjambe le cadavre oublié de l'amiral et se laisse dériver, à la recherche d'un autre jouet.

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