Le Poids de nos Erreurs
- Donc…tu y as participé ? demanda Ana à Gérard.
Tout en parlant, elle reposa sa tasse de thés. Elle en avait proposé aux Lacroix, mais les deux avaient refusé. De l’autre côté de la pièce, Amélie était en train de remettre l’armure qu’elle portait au bas des jambes. Gérard lui, parcourait la base de données tout en parlant. Il n’avait encore rien diffusé par le projecteur holographique.
- A la chute ? répondit l’espion. Indirectement…oui. Mais avant qu’elle arrive, j’avais d’autres préoccupations. Trouver comment j’ai été assassiné et…
Son regard se tourna vers Amélie.
- ...rechercher ma femme.
La snipeuse eut une expression troublée. Gérard baissa la tête.
- Deux enquêtes qui se sont finalement rejointe…
*Il y a six ans*
- Tu sais que tu es particulièrement moche comme ça ? dit Bianca.
- Et toi pas du tout professionnel, murmura Gérard. Nous sommes en opération, alors évite de parler juste pour communiquer tes préférences esthétiques.
Ils se parlaient par oreillettes. Il faut dire que Gérard se trouvait non loin d’autres personnes. Des domestiques pour la plupart. Un petit groupe de riches également, en train de discuter autour de cocktails. Et quelques gardes du corps, qui surveillaient le tout.
L’espion se trouvait dans une charmante résidence de la campagne française. Vêtu d’un bleu de travail, Gérard avait utilisé des lentilles pour modifier la couleur de ses yeux et avait la peau intensivement bronzée. Sa fine moustache de gentilhomme avait considérablement gagné en taille et en épaisseur. Mais s’était sur sa posture qu’il avait le plus travaillé. Il se tenait légèrement voûté, baissait la tête de manière humble et évitait tout contact visuel, tout en repeignant consciencieusement les murs de la propriété.
Non loin de là, dans un petit bosquet, Bianca, en tenue de combat complète, observait la réception via une paire de lunette. Une poignée de soldats l’accompagnait, protégé par des armures de métal lisses et armée de fusils à énergies.
- Tout ça juste pour confirmer une information que tu connais déjà, se plaignit l’italienne.
- Je dois être sur...murmura Gérard.
Il avait passé des mois à faire le sale boulot de Bianca, tout en enquêtant entre deux missions. Tout ça pour se trouver ici, au bon endroit, au bon moment. Et confirmer les réponses qu’il avait obtenu…
Jamais auparavant Gérard n’avait autant souhaité avoir tort.
Il passa un nouveau coup de peinture. Juste à côté, un domestique avança, transportant un plateau rempli de flûtes de champagnes. Au loin, il entendit un éclat de rire. Quelques cigales chantonnaient. C’était un son reposant.
Il y eut un bruit de tir.
Les domestiques et les riches crièrent tandis que les gardes du corps les mettaient à couvert ou pointait leurs armes vers le tireur. Gérard lui, avait jeté son pinceau et sortie d’une de ses poches une petite longue-vue.
Il allât se cacher derrière un arbuste et regarda le point d’origine du tir, une fenêtre de la résidence.
Rien.
Nouveau coup de feu. Gérard tourna sa tête en toute hâte. Cette fois, il aperçut le tireur, caché juste derrière un arbre. Une fine silhouette, vêtu d’une tenue beige. Il pointa un bracelet vers un arbre proche et s’envola dans sa direction. Gérard suivit, le mouvement, avant d’activer le zoom de sa longue-vue.
- Amélie...murmura-t-il.
Sa peau avait bleui, ses cheveux avaient poussé, elle portait une tenue ayant dessus les initiales de Talon et maniait un fusil de précision. Mais c’était elle. Il n’y avait pas le moindre doute.
Une troisième détonation. Un corps s’effondra. Amélie sourie, d’un sourire ravi et cruel. Gérard frissonna. Il abaissa brusquement sa longue vue et détourna le regard.
- Oh surprise, dit Bianca. C’est bien elle. Bon, maintenant que nous avons confirmé ce que tu sais déjà, il est temps d’intervenir. J’ai dix agents sur le terrain, nous devrions pouvoir la cerner et la capturer.
- C’est inutile, dit Gérard. Inutile.
- Pardon ?
- Plus rien ne pourra la ramener. C’est trop tard. Ils ont réveillé la folie qui était en elle.
- Reste que c’est une dangereuse assassine de niveau internationale et qui a tué une amie à moi. Donc tu me pardonneras, mais je vais quand même la neutraliser.
Sans un mot, Gérard se détourna et partie. Au loin, des tirs d’armes à énergies se firent entendre.
*Aujourd’hui*
- Je me souviens de cette journée, dit Amélie. J’ai crue qu’Overwatch m’avait tendu une embuscade. Mais je me suis échappée.
Il y eut un court silence.
- Et c’est là que tu as abandonné ? demanda Ana.
- Oui, dit Gérard.
Il avait toujours la tête basse. Cela l’empêcha de remarquer l’expression de colère qui était apparu sur le visage d’Amélie. Ana, elle, ne l’avait pas manqué. Elle posa sa main près de son pistolet à seringue.
- J’ai ensuite fait ce que je faisais toujours pour oublier, reprit l’espion. Me plonger dans le travail. Bianca avait toujours quelques tâches à me fournir. Jusqu’au jour où…
*Il y a six ans*
- Reyes veut lancer un coup d’état à Overwatch et renversez Morrison ? répéta Gérard.
- Exactement ! lui répondit Bianca. Ce n’est pas géniale ?
Gérard ne répondit pas.
Les deux se trouvaient dans un bureau, qui, à en juger par les murs en béton et l’absence de fenêtre, se trouvait dans une base souterraine. Gérard avait retrouvé son style habituel, avec costume et fine moustache.
- Avec lui aux commandes, les choses iront beaucoup mieux, enchaina Bianca. Gabriel n’aura pas peur d’utiliser les moyens qu’il faut pour ramener l’ordre.
- Bien sûr, dit Gérard, avec un sourire poli.
- Une fois qu’il sera commandant, il devra être possible de te faire revenir au public, ajouta l’italienne.
- Ce serait tellement bien… J’avoue que mon petit confort me manque.
- Ha ha ha ! Enfin… Je suis contente de t’avoir sur ce coup-là. Ton aide nous sera précieuse. D’ailleurs, tient toi disponible. Je t’enverrais des dossiers dès que Gabriel m’aura contacté.
- Je serais prêt.
*Aujourd’hui*
- Tu ne vas quand même pas me dire que tu as aidé Gabriel ?! s’exclama Ana.
- Non. Je me suis enfuit dès le lendemain, pour aller avertir l’ONU. Mon évasion fut facile. Très facile. Trop facile…
*Il y a six ans*
Gérard se trouvait dans une salle d’interrogatoire, assis sur une chaise métallique, les mains menottés à une table juste en face de lui.
À l’autre bout de la table se trouvait une femme, vêtu d’habit de travail strict et arborant un air sérieux.
- Donc, commença-t-elle. Vous dites que Gabriel Reyes va bientôt trahir Jack Morrison et lancer une attaque contre lui ?
- Exactement.
- Et vous êtes venu nous prévenir ?
- C’est cela.
- Êtes-vous au courant qu’un affrontement entre les deux a déjà eu lieu au quartier général d’Overwatch, il y a trois jours de cela ?
Gérard écarquilla les yeux.
- Quoi ? Je…non…je ne savais. Que...qu’est-il arrivé au commandant ?
- Une explosion a ravagé le quartier général. Jack Morrison et Gabriel Reyes ont été tués.
L’espion ne répondit rien. Il fixa la table, le regard vide.
- Monsieur Lacroix, poursuivit la femme. De nombreux documents dans les archives de BlackWatch vous mentionnent comme donneur d’ordres ou collaborateur actif. Cela fait de vous un complice des crimes de cette organisation. Sans même parler de votre étrange…résurrection.
Toujours aucune réaction de Gérard.
- Toutefois, nous avons un accord à vous proposer. Si vous nous aider dans notre enquête sur Overwatch, vous bénéficierez du statut d’informateur, avec les protections et privilège qui vont avec.
L’espion redressa la tête, observant la femme pendant de longues secondes. Puis, il se mit à parler doucement.
- Pourquoi auriez-vous donc besoin de moi ? Si vous avez accès aux archives de Blackwatch, vous avez largement de quoi condamner tous ses membres… Oh… Attendez… Ce sont les autres que vous visez ?
Cette fois, ce fut la femme qui ne répondit pas.
- Vous n’avez pas pu trouver aucune preuve que Morrison ait été au courant des crimes de Reyes, enchaina Gérard. Aucune preuve que l’immense majorité de ses agents soient au courant. Et les partisans d’Overwatch utilisent cet argument pour demander à ce que l’organisation soit maintenu. Amputé de Blackwatch, davantage contrôlé…mais toujours là. Après tout, ils ont sauvé le monde. On peut bien leur accorder une deuxième chance, n’est-ce pas ? Que répondre à ça…
Le visage de la négociatrice resta impassible. Mais son index se mit à tapoter nerveusement la table.
- A moins d’avoir des preuves de faute commisses par des agents de Morrison et restées impunis, conclut Gérard. Là, il sera impossible de défendre Overwatch. Voilà pourquoi vous avez besoin de moi.
- Vous savez que je ne peux rien confirmer de tout ceci.
Gérard eut un rire jaune.
- Vous étiez au cœur de l’organisation pendant des années, reprit la femme. A planifiez des opérations et à récoler des renseignements. Si des abus ont été commis, vous devez le savoir.
- Et si je refuse de coopérer ?
- Nous devrons alors vous extrader dans votre pays d’origine pour que vous y soyez jugé.
- S’il vous plaît, ne me faites pas rire. Je sais trop de chose. Ils ne me laisseront jamais aller dans un tribunal. Je serais éliminé avant même que mon retour soit connu du public.
- Si vous craignez cela, vous n’avez qu’à accepter notre offre.
Gérard regarda les menottes à ses mains. Puis il tourna la tête vers les murs de la salle, avant de regarder ses chaussures.
- Nous ne vous demandons que la vérité, dit la femme.
L’espion fit revenir ses yeux sur elle.
- Soit, dit-il. Vous aurez votre vérité.
*Aujourd’hui*
- Je ne comprends pas, dit Ana. Bianca t’a dit qu’elle allait aider Gabriel deux jours après qu’il ait été déclaré mort ?
- Je suis persuadé que Bianca savait très bien comment je réagirais à ses paroles, répondit Gérard. Tout comme elle savait ce que l’ONU me demanderait...et quel serait ma réponse.
Ana mit quelques secondes à assembler toutes les pièces du puzzle. C’était difficile pour elle. De penser le pire de quelqu’un.
- Elle t’a manipulée pour que tu aides l’ONU à démanteler Overwatch, dit finalement l’égyptienne.
- Exactement.
- Et toi tu l’as fait...tu as donné les preuves à Petras pour qu’il fasse passer sa loi et détruise notre organisation. Tu m’avais pourtant juré ne pas être un traitre !
- Est-ce de la trahison Ana, que de rapporter des crimes à la justice ?
- Overwatch n’a jamais….
Elle s'arrêta au milieu de son exclamation.
Ana aurait aimé finir sa phrase. Pouvoir clamer haut et fort que ses agents c’étaient toujours comportés parfaitement. Que les quelques bavures commises avaient toujours été dûment sanctionné. Que chaque désobéissance ne visait qu'à sauver des innocents.
- Je t’avais dit que tu ne me croirais pas sans preuve, dit Gérard.
Le projecteur afficha enfin des images. Vidéos, photos, registre de décès, message…
- Je me souviens que lors de sa première opération, Genji a attaqué et tué six personnes, sans autorisation. Alors qu’il était sous tes ordres. Mais Jagna t’a caché ce crime. Elle pensait aussi me l'avoir caché. Bien sûr, j’étais au courant. Mais à quoi bon créer des problèmes ?
Ana vit des traces d’autres crimes, commis par ses agents. Des personnes en qui elle avait eu confiance, à qui elle aurait confié sa vie.
Certains avaient été couvert par des officiers de terrain. D’autres par Gabriel ou Bianca. Et certain directement par leurs auteurs.
Il n’y en avait qu’une petite minorité qui était cité. Mais cela n’offrait qu’un maigre réconfort à Ana.
- Overwatch était trop glorifiée, dit Gérard. Trop puissante. Trop sûr de son bon droit. Il était inévitable que des abus soient commis. J’en sais quelque chose…
Ana baissa la tête. Elle se sentais vide. Las. Vieille.
- Y’a-t-il eu seulement une conspiration ? demanda-t-elle.
- Quelqu’un a bien dû engager Bianca pour me pousser vers l’ONU…
- Ou pour faire exploser une bombe lorsque Jack et Gabriel était occupé à se battre.
- Oui. C’est le plus probable. Je te l’avais dit à l’époque. Overwatch était devenu gênante pour beaucoup trop de personnes puissantes.
- Et qu’a tu fais ensuite ? demanda Amélie.
Ana et Gérard se retournèrent vers elle. Il faut dire que la snipeuse avait été bien silencieuse pendant tout ce temps. Amélie en avait profité pour remettre son équipement.
- L’ONU a tenu parole et m’a abrité dans leur installation. Ils m’ont même retrouvés et ramenés Assistant.
- Donc, reprit Amélie, de la colère dans sa voix. Tu es resté caché tout ce temps, bien vivant, tranquille dans cette petite base secrète…
Elle s’approcha de lui, son fusil en main, tandis que Gérard se relevait en toute hâte.
- ...alors que j’étais réduite à l’état de marionnette ! lui hurla-t-elle dessus.
- Je t’en prie Amélie, pardonne-moi. Je...j’avais perdu tout espoir…
- Espèce de lâche ! Tu aurais pu m’aider ! Mais tu as préféré rester dans ton trou à te terrer ! Toi qui prétendait m’aimer !
Elle le frappa avec la crosse de son fusil. Gérard tomba au sol. Ana pointa son pistolet vers Amélie et tira, agissant encore plus rapidement qu’Assistant. Tout à sa rage, la snipeuse ne vit pas le tir arriver. Elle s’effondra à son tour.
Ana se leva prudemment pour s’approcher de Gérard.
- Tue moi, dit ce dernier. Je ne mérite pas de vivre.
- Tu sais quelle est la différence entre quelqu’un de lâche et de meurtris ? répondit Ana.
- Non…
- Un lâche se serait déjà tué lui-même. Il n’aurait pas attendu l’aide de quelqu’un. Toi, tu m’as suivi tout ce temps. Tu es resté vivant alors que tu as eu des dizaines d’occasion de te faire tuer. Mais à la place, tu as survécu et tu as tenu parole. C’est vrai, ton âme est meurtrie. Et tu n’es pas fier de toi. A raison. Tu as commis de lourdes fautes. Mais au fond, tu restes quelqu’un de bien.
Elle lui tendit la main.
- Alors ne compte pas sur moi pour te permettre de te défausser. Non. Je vais t’aider à te relever. Pour que tu puisses continuer de réparer tes erreurs.
Gérard prit la main et se releva.
À l’autre bout du hall, quelqu’un applaudis. Le duo tourna brusquement la tête.
- Quel beau discours, Ana ! Je m’en veux presque de briser ce moment. Presque.
C’était une voix féminine, qui parlait anglais avec un léger accent italien.