Le Poids de nos Erreurs
Ana secoua doucement l'épaule de Gérard, le réveillant.
- Hum ? Quoi ? marmonna-t-il.
- Nous sommes arrivés.
Ils avaient voyagé de nombreuses heures depuis que Gérard avait « acheté » le camion. Ana en avait profité pour dormir un peu. Puis, elle avait pris le volant pour que Gérard puisse faire de même. L'espion lui avait bien sûr indiqué comment atteindre leur destination.
Les fugitifs étaient maintenant dans une banlieue pavillonnaire de Bordeaux, devant une grande résidence. La nuit était tombée depuis longtemps. Mais pourtant, l'endroit était toujours allumé.
Gérard sortit du camion, s'approcha de la porte et appuya sur la sonnette. Un discret « ting tong » se fit entendre. Puis il y eut des bruits de pas et quelqu'un ouvrit la porte.
- Ça alors ! Monsieur Lacroix ! Je pensais que vous étiez mort !
La personne qui venait de parler était un omnic, habillé d'une tenue de scientifique.
- Cela me fait très plaisir de vous revoir ! ajouta-t-il d'un ton enthousiasme.
- Moi aussi T15, dit Gérard. Je ne voudrais pas être malpoli, mais nous avons un blessé grave qui a besoin de ton attention.
- Oh ! Amenez-le vite dans mon laboratoire ! Je vais voir ce que je peux faire pour lui.
Aidé d'Ana, Gérard transporta Morrison dans le laboratoire de T15. L'omnic eut quelques exclamations de surprise en découvrant l'identité des deux vétérans (« Ça alors, vous aussi vous êtes vivants ! »). Mais il ne posa pas de question. Une fois Morrison installé, Gérard et Ana se retrouvèrent à attendre dans un salon.
- Je ne m'attendais pas à trouver des fauteuils chez un omnic, dit Ana. Ce n'est pas comme s'ils avaient besoin de s'asseoir.
- T15 reçoit souvent des visiteurs humains, répondit Gérard.
- Comment l'as-tu connu ? Es-tu sûr qu'il est fiable ?
- De l'époque où je manœuvrais pour faire passer la loi sur les réfugiés omnics. C'est un des premiers qui fut admis en France. Rien que pour cela, je suis sûr qu'il est fiable. Mais je pourrais aussi te dire que c'est quelqu'un de très généreux, qui a dédié sa vie à comprendre les humains. T15 espère qu'ainsi, il pourra réduire la haine qu'ils ont pour les omnic et vice versa. C'est aussi pour cela qu'il est devenu médecin.
Ana hocha la tête et n'ajouta rien. Sa dernière conversation avec Gérard lui avait coupé l'envie de parler.
Une demi-heure passa. Puis T15 revint les voir.
- J'ai fait ce que j'ai pu pour votre ami, dit-il. Mais…
Il détourna la tête.
- Mais ? demanda Ana.
- Je ne peux pas le sortir de se coma. Personne ne le peut. La médecine moderne en est incapable.
Ana tâcha de rester concentré. De retenir la tristesse qui l'assaillait.
- Est-ce qu'il y a une chance qu'il en sorte un jour ?
- Au mieux, pas avant plusieurs mois. Au pire, jamais.
Cette fois, Ana ne put se retenir de pleurer.
La rencontre avec sa fille, les révélations de Gérard, et maintenant ça. C'était trop pour elle.
- Je suis désolé, ajouta T15.
- Nous devrions aller ailleurs, dit Gérard.
Ils sortirent tous les deux de la pièce, laissant Ana seule avec son chagrin.
Elle put pleurer tout son soûl, sans craindre le regard d'autrui. Ana tâcha de se remémorer les bons moments. Avec Fariha. Avec Jack. Avec tous les autres d'Overwatch. Mais c'était trop douloureux. Alors elle préféra ne penser à rien.
Au bout d'un moment, elle ne saurait dire combien de temps, Ana retrouva son calme. Elle chercha alors où était les deux autres.
Il lui fallut une minute pour trouver T15. L'omnic était dans son laboratoire, occupé à regarder un écran représentant un cerveau humain.
- Où est Gérard ? demanda Ana.
- Là-dedans, dit T15.
Il lui montra une espèce de boîte blanche, de la forme d'une silhouette humaine et assez grande pour en contenir une. Au-dessus, se trouvaient nombre d'appareils médicaux, dont Ana ne connaissait pas l'usage.
- Qu'est-ce que vous êtes en train de lui faire ? questionna Ana.
- Oh et bien, je…
Le reste de ses paroles fut constitué d'un baratin médical, utilisant nombre de mots et d'expressions très techniques qu'Ana ne connaissait pas. Tout ce qu'elle arriva à comprendre, c'est que cela concernait le cerveau.
- Le but, l'interrompit-elle. Dites-moi juste à quoi ça va servir.
- Eh… je pense qu'il vous l'expliquera mieux lui-même.
Résignée, bien qu'énervée de ce coup en douce de Gérard, Ana retourna dans le salon pour attendre.
Une heure plus tard, l'espion sortit du laboratoire.
- Qu'est-ce que c'était que cette opération, Gérard ? demanda de suite Ana.
- Et bien… tu sais que j'ai étudié la neuroscience pendant les six ans que j'ai passé dans cette base de l'ONU.
- Oui. J'ai vu les livres dans ta bibliothèque. Et alors ?
- Tu sais aussi que j'ai eu accès pendant longtemps aux technologies de Talon, pour les transmettre à Bianca.
- Tu m'as raconté ça hier. Donc oui je m'en souviens !
- Il se trouve que j'ai découvert un moyen d'empêcher Talon de me faire… ce qu'ils ont fait à Amélie…
- De te laver le cerveau ?
- Oui. Cela coûte affreusement cher. T15 a dû utiliser tout son stock de certains produits, que je lui ai remboursé. Mais ça devrait marcher. Et sans effets secondaires.
- Mais si Talon ne peut pas t'obliger à leur être loyal alors…
- Ils me tueront. Le virus sera toujours actif, avec la possibilité d'être récupéré par quelqu'un d'autre. Mais cela sera toujours moins risqué pour eux que de m'avoir en vie, avec la possibilité que je sois libéré un jour.
Ana n'ajouta rien. Elle comprenait le choix de Gérard. Plutôt mourir que d'être transformé en monstre.
- Je vais contacter l'administration de l'ONU pour qu'ils me mettent en sécurité, reprit Gérard. Avec un peu de chance, ils arriveront à me retrouver avant Talon. Quant à toi… je suppose que tu vas retrouver Winston.
- Comment ? Tu dois toujours me mener à ces preuves Gérard ! J'attends de connaître toute la vérité.
- Ana, c'était lui qui voulait ça. Et maintenant…
- Et maintenant cela repose sur nous deux. Tu le lui dois.
- Cela ne te causera que davantage de souffrances.
- Mieux vaut souffrir en connaissant la vérité que vivre heureux dans le mensonge.
Gérard soupira.
- D'accord… mais que faisons-nous pour le commandant ? Nous n'allons quand même pas le transporter avec nous. Et ce serait trop dangereux de le laisser avec T15. Si Talon ou la BDI le retrouve…
- Envois un message à Winston pour lui dire de venir le chercher. Il saura le protéger.
Gérard hocha la tête avant de s'exécuter. Puis, le duo dit au revoir à T15, avant de reprendre la route.
0*0*0
Genji ouvrit les yeux.
Il avait assez attendu maintenant. Le moment était venu de passer à l'action.
Sa traque de Gérard l'avait amené jusque à la maison de T15. Genji aurait pu attaquer là-bas. Mais il connaissait la réputation de l'omnic et ne voulait pas lui causer de problèmes. Alors il s'était caché dans le camion et avait attendu. Jusque à maintenant.
Il faisait toujours nuit dehors. Le véhicule avançait sur une route déserte, située au milieu d'une zone industriel qui l'était tout autant.
Sans un bruit, Genji se déplaça vers l'arrière du camion, dégaina son sabre et creva un des pneus. Puis il retourna se cacher.
Cinq minutes plus tard, le camion s'arrêta et une personne s'approcha du pneu crevé. Genji reconnut une silhouette féminine. Il attendit qu'elle soit proche, avant d'attaquer.
À la surprise de Genji, la femme arriva non seulement à entendre son attaque, mais aussi à l'esquiver. Elle était décidément très douée.
La femme dirigea sa main vers un pistolet à sa ceinture tout en reculant mais Genji chargea. Son adversaire tenta d'esquiver mais elle fut trop lente, et se prit le poing du cyborg en plein ventre.
Non loin, Genji entendit l'autre porte du camion s'ouvrir tandis que quelqu'un approchait rapidement. Au même instant, la femme sortit son pistolet, un lance-seringue, et tira.
Rapide comme l'éclair, Genji dégaina son sabre et l'utilisa pour renvoyer le projectile. La seringue toucha la femme au ventre, la faisant s'effondrer. Un léger ronflement se fit alors entendre.
La troisième personne arriva à ce moment-là. Genji se tourna dans sa direction.
- Gérard, dit-il.
L'espion s'arrêta net. Il ne fit pas un geste pour se défendre, pas un pour tenter de fuir. À la place, il regardait calmement le cyborg.
- Genji, répondit-il.
- Votre costume est déchiré, fit remarquer le Shimada.
Gérard eut un rire jaune.
- Je pense que tu es venu pour autre chose que discuter de l'état de ma garde-robe.
La rage qui habitait Genji le poussait à dégainer son sabre et à l'enfoncer dans le cœur de Gérard. Mais le reste de lui-même voulait d'abord comprendre.
- Vous avez tué mon père.
L'espion baissa la tête.
- Oui. Je… je dirais bien qu'il le méritait. Que ses crimes le justifiaient. Mais à la vérité, je savais très bien qu'il était juste victime du poids des traditions. Si ta famille l'avait laissé faire, il aurait mené une autre vie.
Il conclut sombrement :
- Être un héritier est parfois une malédiction. Toi et ton frère en savez quelque chose.
Ses paroles troublèrent Genji. Il s'était attendu à ce que Gérard défende ses actes. Qu'il évoque leurs bienfaits sur les populations qui vivaient sous la coupe des Shimada. Qu'il renvoie le clan à ses crimes. Pas qu'il… dise ce genre de chose.
Mais cela n'apaisait pas sa rage pour autant.
- Vous avez forcé Hanzo à m'attaquer.
- Forcé ? Non. Je ne fais pas du contrôle mental Genji. Ce que ton frère t'a infligé est quelque chose qu'il aurait très bien pu faire sans aucune influence extérieure.
Même s'il n'en avait pas envie, Genji était forcé d'admettre que Gérard avait raison. Il connaissait Hanzo. Son comportement sanguin. Son sens du devoir exacerbé. Son obsession pour l'honneur…
- A la vérité, poursuivit Gérard. Je n'étais même pas sûr que cela serait le résultat de mes manœuvres. Mes autres hypothèses incluaient que ton frère refuse la tutelle des anciens et les affronte, ou que ton oncle tente de prendre le pouvoir. Mais il n'en reste pas moins que sans mes actes, ton frère ne t'aurait pas attaqué ce soir-là. Il est même parfaitement probable que vous ayez pu passer le reste de votre vie sans jamais vous battre.
Les paroles de l'espion firent redoubler la rage de Genji.
- Vous l'avez laissé me mutiler, alors que vous aviez le pouvoir de l'arrêter !
- Oui, dit simplement Gérard.
- Vous m'avez regardé souffrir sans sourciller, alors que Jesse vous suppliait d'intervenir !
- C'était juste une posture… Au fond de moi, j'étais autant déchiré que l'était McCree. Mais j'avais déjà montré trop de faiblesse devant Gabriel et Bianca. Ces deux-là ne sont pas des tendres. Ils ne m'auraient pas respecté si je n'étais pas resté calme. Enfin… cela n'excuse en rien mon inaction.
Non cela n'excusait rien. Genji avait envie d'en finir maintenant. Mais il lui restait une question.
- Pourquoi n'êtes-vous pas juste aller me voir pour demander mon aide ? Je vous aurais soutenu, si j'avais su l'ampleur des crimes de ma famille.
Gérard eu un soupir triste.
- Maintenant que je te connais, commença-t-il, je sais que c'est vrai. Mais…
Il s'interrompit soudainement.
- Est-ce que tu te souviens, Genji, de ce que tu as ressenti après ton combat contre ton frère ? Quand tu as réalisé que toute ta vie passée avait disparu, perdue à tout jamais ? Ce goût amer dans ta bouche. Cette brûlure à la poitrine. Et toi qui souhaites que cela cesse… et n'arrive plus jamais.
Les plus mauvais souvenirs de Genji lui revinrent en mémoire. Et ils étaient toujours aussi douloureux.
- Bien sûr que je m'en souviens !
- J'ai connu cela aussi. Lorsque les services secrets m'ont renvoyé et m'ont dénoncé comme un traître. Tout ce que j'avais bâti avait disparu du jour au lendemain. Les idoles que je révérais me méprisaient à tout jamais. Je ne voulais plus jamais revivre ça.
Il marqua une courte pause avant de reprendre :
- Lorsque j'ai débuté mon opération conte les Shimada, je n'étais pas sûr de ta réaction au cas où je te dirais la vérité. J'étais tourmenté par le poison du « si ». Si tu étais trop attaché à ta vie confortable pour admettre les crimes qui le permettait, si tu prévenais ton père, s'il te croyait… Toute l'opération aurait pu être compromise. J'aurais de nouveau vu mes efforts réduits à néant et sentit le goût amer de la défaite. Alors j'ai préféré ne prendre aucun risque… et il est tellement plus sûr de miser sur la colère et la soif de pouvoir.
Genji ne répondit rien. Les raisons avancées par Gérard ne justifiaient en aucun cas ses crimes. Mais le cyborg ne pouvait s'empêcher de le comprendre. C'était tellement humain de chercher à éviter la souffrance… même au prix de celles des autres.
- Je tentais de me dire que je faisais ça pour une bonne cause, poursuivit Gérard. Que je pourrai utiliser le pouvoir que j'obtiendrai pour créer un monde dix fois meilleurs. Que toi et ta famille méritiez un traitement aussi impitoyable… Rien que des mensonges… Je ne voulais pas admettre que je sacrifiais mes idéaux… par peur.
Seul le silence suivit ses paroles. Genji n'avait plus rien à dire. Il dégaina son sabre.
- Allez, finissons-en, dit Gérard. Mieux vaut mourir de ta main que de celle de Talon ou de la BDI.
Genji se précipita en avant. La seule réaction de l'espion fut de fermer les yeux. La lame du sabre s'arrêta devant sa gorge.
Le cyborg avait du mal à croire que tout cela était vrai. Gérard était un maître en tromperie. Il devait y avoir prévu un tour.
Genji avança la lame de son sabre d'un demi-centimètre. Une goutte de sang apparut. Gérard frissonna.
- Fais cela vite, dit-il. S'il te plaît.
Toute la rage que ressentait Genji ne demandait plus qu'à s'exprimer. C'était enfin l'occasion de se venger pour ses mutilations. Pour toutes les souffrances que son corps brisé lui avait fait subir.
- Vous ne méritez pas que je vous épargne, dit le cyborg.
- Non, c'est vrai.
Il suffisait d'avancer le sabre encore un peu… et il aurait satisfait sa colère.
Mais il ne laisserait pas cette rage le consumer.
- Alors faites en sorte de le mériter.
Genji rengaina son sabre.
Gérard ouvrit les yeux, totalement stupéfait.
Sans un mot, Genji tourna les talons et partit.
Il avait renoncé à la vengeance.