Les Dragons et les Veilleurs
Hanzo avançait tranquillement à travers la place. Nul besoin d’être discret : il ne portait aucune arme et savait que la police ne le recherchait pas.
Tout autour de lui se trouvait un paisible quartier d’habitation. C’était un début de soirée et la température était particulièrement agréable. Plusieurs personnes marchaient tranquillement dans les environs, profitant des espaces de verdure semés çà et là. D’autres allaient dans les nombreuses petites boutiques qui parsemaient la zone. Certains préféraient discuter et boire à la terrasse d’un bar, un établissement nommé « Le cerisier d’Hanamura ».
Hanzo passa dans une petite ruelle à côté du bar et escalada le mur de l’établissement. Il ne tarda pas à se retrouver sur le toit.
C’était le lieu de rendez-vous donné par son frère. Mais Genji n’était pas encore là. Pour patienter, Hanzo s’accouda à la balustrade, contemplant le quartier en contrebas. Ses pensées se mirent à vagabonder…
*Il y a vingt ans*
Hanzo regardait le sol pour éviter de marcher sur un des nombreux déchets qui recouvraient la rue. Un rat passa à côté de lui et le ninja porta instinctivement sa main vers un des poignards cachés dans ses vêtements.
- Nerveux, cousin ? demanda une voix féminine, jeune et un brin moqueuse.
- Pas du tout, répondit Hanzo.
Son interlocutrice partit sur un léger rire. C’était une femme légèrement plus âgée que lui. Ses cheveux noirs, qu’elle portait en une courte queue de cheval, ses yeux marrons et la forme de son visage la désignaient comme une Shimada. Il s’agissait de Kazue, la fille cadette de Masaru.
- Ne t’inquiète pas, poursuivit-elle. Entre oncle Sojiro, Sayu et moi, tu ne risques absolument rien.
- Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Sayu, réagit Sayuri, qui se tenait juste à côté.
Déjà à cette époque, elle arborait un crâne rasé et une musculature impressionnante.
- Je n’ai pas peur, dit pour sa part Hanzo.
- Il n’y a aucune honte à avoir peur devant l’inconnu ou face à un lieu dangereux, déclara très calmement Sojiro. Tant que cela ne te fait pas agir de manière stupide.
- Oui, père.
Ils étaient tous les quatre habillés de vêtement de ville. Kazue avait un sweat à capuche complété d'un jean qui la faisait apparaître jeune et détendue. Ses deux cousins portaient des chemises et des pantalons beaucoup plus formels, qui leur donnait un style artificiel. Sojiro s’habillait de manière similaire mais de façon plus adéquate.
- Le lieu de rendez-vous est ici, déclara le père d’Hanzo en s’arrêtant.
« Ici » désignait une ruelle jouxtant un bar. L’endroit était sale, mal éclairés, avec des murs bardés de tags grossiers et un sol couvert de détritus.
Une demi-douzaine de personne arrivèrent du côté opposé aux Shimadas. C’était des criminels de bas étage, vêtus de vêtements de récupération et armés de petits calibres de mauvaise qualité. L’une d’entre eux se dégageait du lot. Elle avait plus d’assurance, était vêtue de marque de contrefaçon et arborait un revolver de bonne facture. Ce fut elle qui prit la parole.
- Bonsoir m’sieur dit-elle respectueusement. Toujours sympa de vous voir.
- Bonsoir, répondit Sojiro, d’un ton très formel. Permettez-moi de vous présenter mon fils Hanzo.
L’intéressé fit un bref signe de tête.
- C’est à lui que vous aurez affaire à partir de ce jour, poursuivit Sojiro.
- Très bien, m’sieur.
- Montrez- moi donc ce que vous avez trouvé ce mois-ci.
La femme fit signe à un des criminels derrière elle. Celui-ci apporta une valise qu’il ouvrit, présentant son contenu à Sojiro. Il y avait là de nombreux biens de valeur de petite taille : bijoux, objets de haute technologie, montres de luxe…
- Je vous en donnerai huit cent soixante-dix-sept mille yens, dit Sojiro, après avoir examiné le contenu.
A ces paroles, Hanzo perçu une certaine tension dans le groupe d’en face : crispations des mains, gestes vers leurs armes, rapides regards de colère. Mais les paroles de son père semblaient catégoriques. La femme les reçut comme telles, se contentant de hocher la tête en faisant un sourire crispé.
Sojiro lui donna la somme dite et prit la valise, qu’il confia à Sayuri. Ensuite les deux groupes se séparèrent.
- Père, dit Hanzo. La valeur de ces biens s’approche des dix millions de yen.
- C’est le cas.
- Alors pourquoi pouvons-nous les acheter si peu cher ?
- Réussir à vendre des biens volés sans attirer l’attention de la police est difficile. Cela exige des contacts et des compétences que ce petit gang n’a pas. Contrairement à nous.
- Vous ne trouvez pas que vous abusez quand même un peu de la situation mon oncle ? demanda Kazue.
- Surveille ton langage quand tu parles au chef de clan ! réagit Sayuri.
- Quoi ? J’ai le droit de demander.
- Les puissants exploiteront toujours les plus faibles, répondit Sojiro, fataliste. Si ce n’est pas nous qui le faisons, d’autres s’en occuperont à notre place
- Et si vous les payiez juste mieux, mon oncle ?
- Nous perdrions de l’argent, ce qui nous affaiblirait. Nos rivaux ne manqueraient pas de l’exploiter. Le monde du crime est violent et cruel, Kazue. Il faut l’accepter et s’adapter. J’ai dû le faire à l’âge d’Hanzo. C’est son tour désormais.
- Je le ferai aussi père.
- Donc on ne peut rien faire, mon oncle ?
- Non. La triste vérité est que cet endroit restera un lieu de misère. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi.
Ils marchèrent quelques minutes encore. Puis, soudainement, un jeune homme surgit de derrière une poubelle, pointant un pistolet de mauvaise qualité vers le père d’Hanzo. Mais ce dernier avait perçu le bruit du mouvement. Il dégagea un poignard dissimulé dans une de ses manches et le projeta vers la gorge de l’agresseur. La lame s’y enfonça sans un bruit, faisant brusquement tomber l’assaillant. Le tout avait duré moins d’une seconde.
Hanzo s’approcha du corps. Le garçon était vêtu de misérables guenilles. Il était chétif, avec des traces évidentes de malnutrition. Mais surtout, il avait à peine quinze ans.
- Quelle folie ! s’exclama-t-il. Vous attaquez ici, en plein cœur de notre territoire. Et à cet âge…
- Je savais qu’il y avait des gens sacrément stupides mais là c’est vrai que ça va loin, rajouta Kazue.
- Qu’est-ce qui lui a pris ? demanda Hanzo.
- Le désespoir. Et la haine, répondit Sojiro.
Tout en parlant il s’approcha à son tour du corps, le regardant tristement.
- Notre mainmise sur ce quartier et les activités que nous y pratiquons-nous font détester par certains, poussant à ce genre d’action.
Il se tourna vers son fils.
- Maintenant Hanzo, c’est toi qui y sera confronté.
- Je suis prêt, mon père.
- Je n’en doute pas une seule seconde.
- Mon oncle, vous n’auriez pas pu viser la main qui tenait l’arme plutôt que la gorge ? demanda Kazue.
Sayuri soupira bruyamment.
- Nous en revenons à ce que je t’ai dit précédemment sur la faiblesse. Et puis…
Sojiro désigna le pistolet du garçon.
- …qui décide de vivre par les armes…
Sa main se porta à son propre poignard, qu’il dégagea d’un mouvement sec.
- …mourra par les armes.
Il se retourna pour faire face à son fils et à ses nièces.
- C’est le cas également pour nous quatre. Cela aussi vous devez le comprendre. Accepter que la mort puisse vous prendre à tout instant.
Hanzo contempla pendant quelque seconde le cadavre sur le sol.
- Je comprends, dit-il.
- Bien.
Sojiro se retourna et fit signe aux autres de le suivre.
- C’est une bonne chose que tu aies pu voir cela, Hanzo. Tu n’en seras que mieux préparé à tes responsabilités ici.
- Sayu et moi on fera en sorte que ça se passe bien, ajouta Kazue.
Cette fois, sa sœur ne réagit même pas.
- Je suis heureux de savoir mon fils si bien protégé, dit Sojiro, en s’autorisant son premier sourire.
Les shimadas quittèrent le quartier. Ce faisant, ils passèrent juste devant le bar. Au passage, Hanzo pu apercevoir son nom. « Le cerisier d’Hanamura ».
*Aujourd’hui*
- Tu es en avance.
Entendant la voix de son frère, Hanzo se retourna.
- J’ai toujours été le plus rapide de nous deux, répondit-il.
- Je ne suis pas trop sûr que ce soit toujours le cas aujourd’hui.
Hanzo rit.
- C’est vrai, dit-il.
Genji avança jusque devant Hanzo et reprit la parole, d’un ton beaucoup plus sérieux :
- Mon frère, je dois te le demander avant toute autre chose : as-tu passé un accord avec Talon ?
Hanzo était étonné que son frère aborde ce sujet. Était-il au courant de sa rencontre avec Widowmaker ? Mais qu’importe. Cela n’avait aucune importance.
- Non. Ils m’en ont proposé un mais je l’ai refusé.
Genji acquiesça doucement. Puis il s’approcha de la balustrade et s’accouda à son tour, observant la place en contrebas.
- Tu te souviens de la première fois où tu es venu ici ? Demanda-t-il.
- Oui. C’était aussi la première fois que j’ai vu père tuer.
- Kazue m’avait raconté ce qui s’est passé. À l’époque je pensais qu’elle racontait des mensonges pour se moquer de moi.
- Tu étais naïf.
- C’est vrai.
Hanzo s’accouda de nouveau à la balustrade.
- Pourquoi as-tu voulu que nous nous rencontrions ici ?
- Pour te convaincre que rien n’est impossible.
Hanzo haussa les sourcils.
- Père était persuadé que le monde dans lequel il vivait était immuable. Que ce quartier serait toujours un bouge infect où une poignée de désespérés devraient voler des riches pour ensuite revendre leur butin à des criminels pire qu’eux. Mais un jour, certain ont décidé qu’ils pourraient en être autrement. Que tout cela pourrait changer, en mieux. Et ils ont réussi.
Ces paroles semèrent le trouble chez Hanzo. Pour lui, l’histoire de la chute de son clan se résumait à une attaque extérieure, qui avait tué des membres de sa famille et détruit leur fortune. Il n’avait jamais réfléchi aux autres conséquences de ces événements.
- Mon souhait le plus cher, Hanzo, poursuivit-Genji, serait que tu te délivres de la prison dans laquelle tu t’es enfermé. Les traditions, le clan, ton devoir d’héritier…toute ces choses que tu laisses décider de ta vie à ta place.
- Tu recommences encore avec cela ! s’exclama Hanzo en agitant sa main de manière agacé. Je te l’ai déjà dit : ce sont nos traditions qui nous définissent. Père a juste fait une exception avec toi et c’était une terrible erreur !
- Et pourquoi nos traditions te définissent-elles ?
- Parce que…
Hanzo se coupa en milieu de phrase. Il venait juste de comprendre que son petit frère l’avait piégé.
-…il en a toujours été ainsi, compléta-t-il néanmoins, d’une voix beaucoup moins assurée.
- Comme la pauvreté de ce quartier ? demanda Genji en montrant la jolie place en contrebas.
Hanzo poussa un soupir bruyant.
- De toute manière ça n’a aucune importance. Il ne s’agit pas seulement de suivre les traditions. Mon désir est de recréer le clan et d’être à sa tête.
- Je craignais que tu dises cela.
- Quelle importance Genji ? Je ne t’obligerai jamais à nous rejoindre. Tu es libre. Comme père le souhaitais.
- Le problème, mon frère, est qu’Overwatch prévoit de nouveau d’attaquer le clan.
Hanzo se retourna brusquement pour faire face à Genji, pointant un doigt accusateur vers ce dernier.
- Et tu vas les aider de nouveau, c’est ça ? Mes informateurs m’ont dit que tu les avais accompagnés à Paris ! Vas-tu encore trahir ta famille, Genji ?!
- Non, mon frère. Plus jamais je ne combattrai les miens.
Il y eut une seconde de silence. Hanzo regardait toujours fixement Genji. Puis, lentement, il abaissa son doigt et reprit sa position précédente.
- Je te crois, dit-il.
- Merci, Hanzo.
- Overwatch n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. Je ne suis pas inquiet.
- Tu devrais. Il y a toujours parmi eux certains des meilleurs combattants de cette planète. Des spécialistes des frappes éclairs, capable d’intervenir rapidement n’importe où sur Terre et de repartir dès leur tâche accomplie. Tu n’as rien de comparable à leur opposer.
Hanzo dû admettre que son frère avait raison. Winston, Tracer, Reinhard, Torbjörn… C’étaient des légendes vivantes. Lui pouvait se mesurer à eux. Peut-être également Sayuri, avec un meilleur équipement. Mais les autres membres du clan…c’étaient des assassins furtifs, des espions, des infiltrateurs. Pas des combattant d’élite.
- Beaucoup de membres de notre famille mourraient en cas d’affrontement, lui dit Genji, comme s’il lisait dans ses pensées.
- Que veux-tu donc que je fasse alors ?!
- Tu le sais très bien.
Renoncer à cette vie. A tout ce que pour quoi il avait été formé, tout ce qu’il aurait pu être, tout ce qu’il pouvait devenir. Mais aussi, tout se qu’avait été son père, et son père avant lui. Un abysse insondable semblait s’ouvrir devant Hanzo alors qu’il ne faisait qu’envisager cette possibilité.
- C’est cela ou tout perdre, lui dit Genji, qui semblait encore une fois entrer dans son esprit.
Hanzo soupira.
- Je ne peux répondre maintenant, dit-il.
- Je comprends, mon frère. J’espère que tu prendras la bonne décision.
Ils échangèrent des salutations et se séparèrent. Hanzo rentra dans la nouvelle demeure de son clan et s’isola dans ses appartements. Il avait besoin de solitude.
Mais on ne la lui accorda guère. Un messager vint lui apporter une lettre. Hanzo lut le document en une traite. Il hésita quelques secondes, puis s’équipa de son arc et d’un carquois avant de sortir de nouveau.
Une dizaine de minute lui suffirent pour rejoindre le lieu de rendez-vous. Cette ruelle était bien mieux éclairée que la dernière fois. Il pouvait ainsi contempler toute la froide beauté de Widowmaker, déjà présente. L’assassine affichait un sourire satisfait, qui lui donnait un air profondément arrogant.
- Pourquoi demandez-vous cette rencontre ? attaqua de suite Hanzo. J’ai déjà dit que je ne voulais pas accepter votre offre.
- Et j’ai dit que nous trouverions de quoi te faire changer d’avis, répondit-elle.
Tout en parlant, Widowmaker sortit une tablette de données de sa sacoche, qu’elle tendit à Hanzo. Ce dernier la prit, dubitatif, avant de la regarder.
Il changea vite d’expression en voyant les premières lignes, qu’il se mit à lire avec grand intérêt. Puis, Hanzo écarquilla soudainement les yeux. Avant de les recentrer brusquement, tout en serrant son poing.
- Cela ne restera pas impuni ! s’exclama-t-il.
Il releva brusquement la tête.
- J’accepte votre offre, dit Hanzo. Les Shimadas feront allégeance à Talon. Et ensemble nous détruirons ce qu’il reste d’Overwatch.