Les Dragons et les Veilleurs
- J’ai reçu beaucoup de vœux de rétablissement à ton intention, dit Etienne à Reinhard. J’ai regroupé le tout sur cette tablette, finit-il en tendant l’objet en question.
- Merci mon ami, dit le vétéran en prenant l’objet.
Un jour avait passé depuis l’opération à Paris. Reinhard avait pleinement repris conscience mais il devait s’appuyer sur une béquille pour marcher. La technologie médicale avait ses limites.
Les deux hommes étaient dans la base de Gibraltar, à la salle de briefing. À leurs côtés se trouvaient tous les autres agents ayant participé à l’opération.
- Est-ce que nous avons maintenant tous les détails sur ce qui s’est passé ? demanda Winston.
- Oui, dit Etienne. Quand il a appris votre arrivée, Reaper a fait battre en retraite ses forces. Il a abandonné le terrain aux passe-murailles afin qu’ils atteignent l’appartement en même temps que vous. Puis votre affrontement a donné à Sombra le temps qu’il fallait pour pirater les archives.
- Et elles contiennent quoi au juste ces fichues archives ? demanda Torbjörn.
- Toutes les informations que Gérard voulait conserver pour lui seul. Même moi je ne pouvais pas les consulter. Athéna et nos meilleurs informaticiens travaillent dessus mais il va nous falloir du temps pour y accéder et savoir ce que Sombra a obtenu.
- Elle a dit que ça concerne mon frère, déclara Genji. Quelque chose qui l’intéresserait.
Les paroles de la hackeuse avait fait naître un début d’inquiétude en lui. Mais sa formation auprès de Shambali lui permettait de rester calme. Il enquêterait sur ce sujet pour apaiser ses craintes. D’ici là, avoir peur ne lui servirait à rien.
- Mes agents soupçonnaient Hanzo d’avoir rencontré Widowmaker il y a peu, dit Etienne. Peut-être est-ce lui qui a demandé cette intervention.
- Je parlerai avec Hanzo pour tirer cela au clair, répondit Genji.
- Et tu penses vraiment qu’il serait prêt à t’avouer qu’il complote avec Talon ?
- Hanzo ne ment jamais à sa famille.
Etienne sembla dubitatif mais n’ajouta rien.
- Je tiens à m’excuser une fois encore, dit Winston à Mercy. J’aurais dû t’écouter. La tactique est décidément une science bien moins facile à pratiquer que la physique.
- Tu voulais aider et c’est ce qui est le plus important. Mais il ne faut plus que tu fasses la même erreur. Et surtout, acceptes le fait que tu ne puisses pas tout régler à coup de canon.
- Je vais intégrer cela, docteur. Chaque jour est une occasion d’apprendre.
Le sujet ayant ainsi été clos, cela permit à Genji d’enchaîner sur autre chose :
- J’aimerais consulter les informations que tu as obtenu sur les activités de mon frère, demanda-t-il à Etienne.
Ce dernier interrogea Winston du regard. Le scientifique hocha la tête.
- Je te montrerai, dit le français.
Aucun autre sujet ne fut évoqué. La réunion fut déclarée terminée et chacun s'en alla à ses occupations.
Genji se mit à consulter les rapports sur Hanzo. Compte-rendus financiers, observations de terrain, rapports d’informateurs… Il y avait quantité de données, venant de sources très diverses. Elles montraient toutes que son frère n’avait pas ménagé sa peine pour rebâtir l’empire des Shimada.
Cela attristait Genji. Dans un élan d’optimisme, il avait espéré que les paroles d’Hanzo, lorsqu’il disait vouloir recréer le clan, étaient de celles lancées à la va-vite, sous le coup de l’émotion. Il n’en était rien. Le convaincre de revenir sur ses actes allait être particulièrement ardu.
La diplomatie n’avait jamais été son fort. Trouver des arguments serait difficile. Mais il aurait tout le temps du voyage pour y réfléchir. En attendant, Genji avait envie de revoir la docteure Ziegler.
En questionnant le personnel de la base, il apprit qu’elle se trouvait dans le laboratoire. Mais alors qu’il approchait, il entendit une conversation. Ne désirant pas s’imposer de manière impolie, il se mit à l’écart, attendant le bon moment pour se manifester.
- Angela, Tracer et moi voulions aussi nous excuser de ne pas t’avoir fait confiance, dit Mei.
- Désolée doc, ajouta Lena. C’est vrai qu’il faudrait que j’arrête de foncer autant dans le tas sans réfléchir.
- Merci à vous deux, répondit la docteure. Je suis contente que vous ayez pris conscience de cette erreur. Cela me donne de l’espoir pour le futur.
Il y ut un silence dans la salle. Genji en profita pour avancer, il était presque en vue des trois femmes quand Angela reprit la parole.
- Allons, nous n’allons pas rester plantées là à nous regarder d’un air gêné. Discutons de quelque chose de joyeux !
- Comme quoi ? demanda Mei.
- Ce qui se passe entre vous et Genji, doc ! s’exclama Tracer.
Le cyborg s’arrêta net, toujours hors de vue. La politesse aurait pourtant voulu qu’il se manifeste maintenant ou au moins qu’il s’écarte. Mais des émotions étranges, qu’il n’avait jamais ressenties avant, le paralysèrent et le firent rester sur place.
- Qu’est-ce que tu entends par là, Lena ? demanda Angela.
- Allons…vous vous envoyez des lettres, vous lui offrez des chocolats…il y a quelque chose, non ?
La docteure eut un léger rire.
- Tu te fais des histoires. Genji est le patient qui a été victime des plus graves blessures que j'aie jamais eu à traiter. Donc je garde un œil sur lui pour m’assurer qu’il va bien, autant physiquement que mentalement. C’est tout.
- Pourtant vous semblez plutôt bien l’aimer, insista Tracer. Et vice-versa.
- C’est vrai que j’apprécie beaucoup ce que Genji est devenu. Il a énormément mûri depuis ses débuts à Overwatch. Peut-être que dans d’autres circonstances…
Angela reste silencieuse une petite seconde, avant de secouer la tête.
- Mais c’est impossible vu ce qu’il est devenu, dit-elle.
Il sembla à Genji qu’une pointe glacée c’était enfoncée dans son cœur.
- Doc ! s’exclama Tracer. Vous devriez savoir que ce genre de chose ne compte pas !
- Lena, je sais que tu es très progressiste sur la question et c’est ton droit. Mais je te demande de respecter mon point de vue.
Genji se concentra sur sa respiration, apaisant son esprit via les techniques que les Shambalis lui avaient apprises. Le froid reflua de son corps tandis qu’il regagnait en lucidité.
Il était déçu. Mais les déceptions faisaient partie de la vie et il fallait l’accepter. Genji n’en voulait pas au docteure Ziegler. Comment aurait-il pu, après ce qu’il avait lui-même tenté de s’infliger ?
*Il y a sept ans*
Les shurikens de Genji s’abattirent sur l’unité bastion, réduisant sa tête en un amas de débris métallique.
Une série d’explosions se fit entendre sur la gauche du ninja et il se retourna.
Une pluie d’obus, de missiles et d’autre projectiles s’abattait sur le bouclier de Reinhard. Derrière le champ de force du croisé se trouvaient deux personnes. La première était Jagna, la lieutenante d’Overwatch avec qui Genji avait autrefois affronté les Shimadas. L’autre était un homme, grand, charismatique, athlétique, superbe avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds. C’était Jack Morrison, le commandant d’Overwatch.
Plusieurs années avaient passé depuis la destruction de l’empire criminel des Shimadas. Cet événement n’avait pas comblé le vide que Genji ressentait. Pas plus qu’aucun autre. Ne voyant pas à quoi il pourrait consacrer sa vie, le cyborg était resté avec ses sauveurs. Il avait été affecté à BlackWatch, même s’il lui arrivait de participer à des missions officiels, comme maintenant.
- Lieutenante, neutralisez les jambes, je me charge de l’armement ! ordonna Morrison. Genji, Winston, couvrez les flancs et restez en retrait. Cet omnic pourrait tous nous tuer en quelques secondes !
L’omnic en question était une gigantesque machine de cinq mètres de haut, bardée de canons, de lance-missiles et de mitrailleuses. C’était un marcheur lourd, le modèle qui précédait juste les titans en termes de puissance de feu. Et il se tenait juste en face de Reinhard.
L’escouade d’Overwatch se trouvait sur un ancien champ de bataille où autrefois les armées européennes avaient affronté les omnics. Tout autour d’eux ne se trouvaient que cratères, bâtiments en ruine ou épaves de machines de guerres.
À l’époque de la bataille, un habile hackeur avait réussi à désactiver, via un virus, une poignée d’automates. Puis les omnics avaient contré le virus, sans toutefois parvenir à réanimer les leurs. Jusqu'à aujourd’hui.
Car les omnics piratés étaient soudainement sortis de leur sommeil avant de se mettre à réparer et à réactiver d’autres d’entre eux, suscitant une réaction immédiate d’Overwatch.
- Voyons ce que valent ces munitions perce-blindage, dit Morrison en tirant de son fusil d’assaut.
Les balles traversèrent l’armure de l’omnic comme du papier, provoquant quelques bruits d’explosion. Le commandant avait touché un point critique, neutralisant un tiers de l’armement du marcheur.
L’omnic commença à reculer mais Jagna utilisa son arme, un lance-grenade, pour endommager une de ses jambes, stoppant le marcheur dans son mouvement.
Un peu plus loin, Winston finissait d’achever une unité bastion, grillant les circuits de la machine via son canon tesla. Deux autres automates étaient déjà au sol. Le combat n’avait pas laissé le scientifique indemne mais Mercy était déjà auprès de lui.
- Gardez la formation ! ordonna le commandant. Nous en avons presque fini.
Une nouvelle rafale de son arme mit hors service un autre tiers de l’armement du marcheur. Au même moment, Jagna finissait de détruire une des jambes de l’omnic. Genji observait le tout en retrait, suivant les ordres de Morrison.
Puis un autre marcheur lourd surgit soudainement devant lui.
L’omnic avait profité de la carcasse d’un titan mort pour approcher sans être repéré, les fracas du combat couvrant le bruit de son déplacement. Il se trouvait maintenant juste en face du cyborg, dominant celui-ci de toute sa hauteur et, surtout, pointant ses armes vers lui.
Genji sauta vers le marcheur. Tout en se faisant, il incanta et dégaina sa lame du dragon.
C’était le minuscule cyborg contre le gigantesque omnic. Un sabre contre une batterie d’artillerie. Et pendant un instant, ce fut une vision magnifique.
Puis le marcheur se mit à faire feu. Une pluie d’obus et de roquettes s’abattit sur Genji.
Ce dernier tenta de dévier l’attaque de son sabre. Mais c’était une chose de renvoyer une balle pesant quelques grammes. C’en était une autre de renvoyer un missile d’une tonne. Le projectile explosa au contact de la lame et Genji s’écrasa au sol.
- Bon sang ! cria Morrison. Reinhard ! poursuivit-il en pointant le premier marcheur du doigt.
Tandis que le croisé chargeait, le commandant se précipita en face de l’omnic qui venait d’abattre Genji. Le marcheur pointa la majorité de ses armes dans sa direction, une partie restant dirigée contre le cyborg.
Genji savait qu’il ne survivrait pas à un deuxième impact. Il tenta de se relever, en vain. L’explosion, puis la chute, l’avaient totalement sonné.
La machine fit feu. Une seconde avant, Jagna saisit le corps de Genji et le dégagea, évitant de justesse les explosions des tirs. Morrison avait de son côté, d’une rafale de son fusil, neutralisé les armes pointées sur lui.
Le commandant fonçait vers le marcheur. L’omnic concentra alors toute sa puissance de feu sur lui. Mais Morrison courrait à une vitesse surhumaine, lui permettant d’esquiver les premiers tirs. Puis il réagit une seconde trop tard et fut pris dans le souffle d’une explosion.
La moitié de l’armure du commandant était carbonisée et de sérieuses brûlures apparaissaient sur sa peau.
Mais, faisant fi de la douleur, Morrison se leva et se remit à courir, ne tardant pas à arriver juste sous la machine. Il pointa son fusil d’assaut vers le ventre de l’omnic puis tira. Les balles perce-armure s’enfoncèrent vers un point vital et le marcheur fut mis hors service.
Le coup d’éclat du commandant marqua la fin du combat, l’autre omnic ayant déjà été neutralisé par le marteau de Reinhard et le canon de Winston. Il y eut une seconde de silence.
- Mais qu’est-ce qui t’a pris, bon sang ?! hurla Morrison à Genji.
Son cri fut suivi d’une grimace de douleur et il fit instinctivement un geste vers ses blessures.
Mercy atterrit gracieusement à côté de lui, ses ailes d’énergie se repliant alors qu’elle se posait.
- Évitez de bouger, dit-elle à Morrison, tout en le soignant.
Genji se releva lentement et difficilement, aidé par une Jagna déjà debout. Puis il resta silencieux, tête basse, évitant le regard du commandant.
- Attaquer seul un marcheur lourd est une folie, reprit ce dernier, plus calme.
- Vous avez fait exactement la même chose, lui fit remarquer Angela.
- Un de mes hommes était en danger ! réagit vivement Morrison, tout en se tournant.
Cela provoqua une nouvelle grimace de douleur.
- Je vous ai dit de ne pas bouger, répéta Mercy.
Plus lentement, le commandant se retourna vers Genji.
- N’auraient été Jagna et moi, tu serais mort.
- Ce n’est pas comme si cela avait beaucoup d’importance, répondit enfin le cyborg, d’une voix triste et lasse.
- Genji ! s’exclama Mercy.
- Qu’est-ce que tu me racontes là ? répondit Morrison. Si tu meurs, c’est un agent en moins pour protéger l’équipe. Et sur le terrain, rien ne compte plus que la survie de tes co-équipiers.
Il y eut un petit silence.
- C’est compris ? demanda Morrison.
- Compris, commandant, dit Genji.
A ces paroles, Angela fronça les sourcils en regardant le cyborg. Mais cette réponse parut satisfaire Morrison.
- Nous procéderons à une dernière vérification avant de partir, dit-il. Nous allons patrouiller par paire, en ne s’éloignant pas plus de cinquante mètres les uns des autres. Détruisez tous les omnics qui vous paraissent encore capables de fonctionner, qu’ils soient actifs ou non.
Ceci dit, il commença à former les paires.
- Merci de m’avoir sauvé, lieutenante, dit Genji à Jagna.
- Tu as entendu le commandant, hein ? Rien ne compte plus que la survie de tes co-équipiers. Ça vaut aussi pour toi, gamin.
Puis Jack mit en paire le cyborg avec Winston. Les deux partirent explorer le champ de bataille. Ils ne tardèrent pas à trouver une unité bastion intacte. Elle s’était mise en veille lorsque l’escouade originale d’Overwatch avait détruit les centres de commandement omnic, désactivant des armées entières en une poignée de batailles. Mais maintenant il était à craindre que d’autre automates la réactivent. Pour empêcher cela, Genji détruisit rapidement le bastion.
- Je suis plus proche de ces machines que d’un humain, pensa-t-il, en voyant les morceaux de l’omnic.
Il se rendit compte qu'il avait parlé à voix haute lorsque Winston lui répondit :
- Allons, Genji ne dit pas de chose pareille, déclara le scientifique. S'il est vrai que, statistiquement, la majorité de ton corps est désormais une machine, tu restes, de base, un humain !
Il y eut un silence de quelques secondes. Puis Winston afficha soudainement une expression gênée.
- Euh…enfin, d'un autre côté le corps humain est une machine, bredouilla-t-il. Métal, chair...quelle différence ?
- La différence c'est que nous naissons fait de chair et que la majorité est faite ainsi. Ce corps de métal fait de moi un paria.
- Ha, he, oui...ce n'est pas faux.
Gêné, le scientifique préféra rester silencieux. Il s'approcha d'une autre unité bastion qui ne semblait pas trop endommagée et entreprit de la démolir méticuleusement.
L’escouade resta encore quelques heures sur l’ancien champ de bataille. Les agents rencontrèrent une poignée d’omnics militaires. Mais aucun n’était aussi dangereux que les deux marcheurs lourds et ils en vinrent facilement à bout.
Une fois de retour dans le transport aérien, Genji ne fut pas surpris de voir la docteure Ziegler s’approcher de lui. Morrison avait également commencé à bouger mais s’était arrêté en voyant Mercy prendre les devants. Reinhard ne tarda pas à entraîner le commandant dans un récit, très théâtral, d’une de ses anciennes missions.
- Pourquoi avez-vous attaqué ce marcheur lourd, Genji ? demanda Angela. Vous devriez savoir que seulement Morrison avait l’expérience et l’armement nécessaire pour abattre seul un de ces monstres.
- Je suppose que j’ai surestimé mes capacités.
- Surestimer ses capacités, c’est penser atteindre une cible avec vos shurikens, puis échouer. Foncer tout seul sur une machine à tuer capable d’anéantir un char en quelques secondes…cela traduit plutôt des envies de suicide.
Le cyborg resta silencieux.
- Genji, puis-je vous aider en quoi que ce soit ? demanda Angela.
- Je…je ne sais pas. La vérité c’est que je ne sais même pas ce que je veux réellement.
- Il y a de très bons psychologues parmi le personnel médical d’Overwatch.
- Je vais y penser, docteure. Merci, ajouta-t-il plus tardivement.
Angela lui fit un sourire poli et s’écarta. Genji remarqua que le commandant allait immédiatement lui parler. Les bruits de leur conversation lui parvinrent mais il n’y prêta pas attention. Il préférait se concentrer sur ses émotions.
Il n’eut pas le temps de réfléchir durant le rapide trajet vers la Suisse. Genji dut ensuite consacrer son attention aux tâches classiques qui suivaient une mission : remise des armes à l’armurerie, débriefing et inspection médicale.
Puis Genji put rejoindre ses quartiers et se concentrer sur lui-même. Avait-il tenté de se suicider ? Il était persuadé que non. Mais si le docteure Ziegler et le commandant Morrison pensait qu’il y avait un problème, cela devait être le cas. Genji avait appris depuis longtemps que sa vision seule ne pouvait lui apporter l’entière vérité. Sinon il n’aurait jamais été aveugle aussi longtemps aux crimes de sa famille.
Donc il avait un problème. Quel était sa nature ?
Se poser la question était l’étape difficile. Une fois cela fait, il lui fut étonnamment facile de répondre. Il n’était plus rien, voilà le problème. Les mutilations qu’il avait subies lui avait volé sa vie passée. Genji avait tenté de compenser cette perte par la vengeance, remplissant le vide qu’il ressentait de rage et de haine. Mais ce n’était pas sa nature et il n’avait pu suivre cette voie. Et depuis qu’il l’avait abandonnée, il ne lui restait plus rien.
Maintenant, comment surmonter cette crise ? Il envisagea un instant d’accepter l’offre d’Angela. Mais il abandonna vite cette idée. Son problème était trop grand. Un psychologue pouvait soigner une personnalité blessée. Pas lui en créer une nouvelle. Ou peut-être était-ce les restes de son ancien orgueil qui parlaient ?
Que faire alors ? Il réfléchit à plusieurs possibilités. Sans rien trouver. Le sommeil finit par le gagner et Genji décida de dormir. La nuit portait conseil.
Le lendemain, Genji sut ce qu’il allait faire.
Il se rendit au bureau du commandant Morrison. Son corps cybernétique faisait qu’il avait besoin de moins d’heures de sommeil. Aussi le soleil venait à peine de se lever et les couloirs du quartier général étaient quasiment déserts.
Genji se résolut à attendre. Cela était difficile, rempli du désir d’agir qu’il était. Mais heureusement Morrison était aussi un lève-tôt.
- Bonjour agent, dit-il en arrivant devant son bureau. J’ai l’impression que vous voulez me parler ?
- Bonjour commandant. C’est le cas.
- Allons-y alors.
Ils entrèrent dans la pièce. C’était avant tout un lieu simple et fonctionnel. Mais de discrètes décorations lui donnaient un peu de vie : symboles d’Overwatch ou de l’armée américaine, décorations et récompenses décernées à Morrison ainsi que quelques photos du commandant avec d’autres personnes.
- J’aimerais vous demander l’autorisation de quitter Overwatch, déclara Genji.
Morrison resta très calme.
- Pourquoi voulez-vous partir ?
- J’aimerais voyager. Je pense que cela pourrait m’aider à retrouver un but. À remplacer ce que j’ai perdu.
- Bien. Face à un problème, il ne faut jamais se morfondre dans l’inaction. Mais pourquoi veux-tu mon autorisation ?
- J’ai une immense dette envers Overwatch. Vous m’avez sauvé la vie, donné ce corps…et permis de me racheter. Je ne pense pas avoir le droit de partir sans votre accord.
- Tu avais passé un marché avec Overwatch et tu l’as honoré en nous informant sur les crimes des Shimada. Maintenant, tu es libre de faire ce que tu souhaites.
- Merci, commandant.
Genji eut droit à une vision rare : celle de Morrison souriant.
- Tu as servi avec honneur. Je n’ose imaginer la difficulté que cela doit être de combattre les siens. J’espère ne jamais y être confronté. Désormais, tu as le droit de prendre du temps pour toi. Dieu sait que tu en as besoin.
Maintenant qu’elle avait disparu, Genji constatait à quel point Morrison dressait une barrière entre ses agents et lui-même, pour leur cacher combien il les aimait.
- Il me semble que tu donnais tout ton salaire à des humanitaires ?
- Oui, commandant.
- Hum, il doit y avoir moyen de te donner une prime de départ. J’en discuterai avec la comptabilité.
Tout en parlant, Morrison prit une des tablettes de données sur son bureau.
- Je vais aussi rédiger un ordre pour qu’Overwatch te cède la propriété de ton équipement et de tes armes, dit-il.
- Vous êtes sûr ? demanda Genji. Cela pourrait inquiéter beaucoup de monde de savoir qu’un être aussi dangereux que moi parcourt le monde armé.
- Je crois au droit de chacun de posséder une arme, répondit Morrison. Et c’est encore plus nécessaire pour toi. Un idiot un peu trop zélé pourrait te confondre avec un omnic militaire et t’attaquer.
Il tapota sur la tablette, puis la tendit à Genji.
- Tiens, donne cela à l’armurerie.
- Encore une fois, merci commandant.
Genji se leva, ainsi que Morrison et ils se serrèrent la main avec beaucoup de respect.
- Pouvez-vous expliquer aux autres ma décision et leur transmettre mes respects ?
- Je le ferai. Mais tu devrais aller toi-même dire au revoir à la docteure Ziegler avant ton départ. Cela la rassurerait. Et je pense qu’elle apprécierais.
- Vous avez raison.
Morrison lui sourit.
- Prends soin de toi, fils.
- Au revoir, commandant.
Genji quitta la pièce. Il se dirigea vers la section médicale, où travaillait Angela. Il était plein d’énergie et de détermination.
Mais lentement, son élan retomba tandis que le poison du doute s’insinuait dans son esprit. Et si Angela n’était pas d’accord avec sa décision ? Le fait qu’il n’ait pas suivit son conseil ne risquait-il pas de la contrarier ? L’approbation de Morrison ne signifiait rien, les deux étaient souvent en désaccord.
Un long frisson commença à parcourir Genji. Si elle était déçue de son comportement ? Ou pire : en colère ? Pourrait-il affronter la désapprobation de cette personne qui lui avait sauvé la vie, qu’il estimait tant ?
Genji resta immobile dans le couloir pendant une bonne minute.
Puis il se détourna et rejoignit ses quartiers. Il ne lui fallut qu’une poignée de minutes pour rassembler ses affaires et quitter le bâtiment.
*Aujourd’hui*
Genji ne put retenir un soupir en pensant à ses hésitations d’alors. Il n’avait recontacté la docteure Ziegler que bien des années plus tard, après que l'enseignement des Shambali lui ait permis de trouver la paix intérieure. Dès sa première lettre, il avait présenté des excuses pour être resté silencieux si longtemps. Elle ne lui avait jamais rien reproché. Mais Genji savait que certaines blessures pouvaient être cachées.
Avait-il autrefois manqué une occasion ? Peut-être. Ou peut-être cela n’aurait-il rien changé.
Genji se détourna du laboratoire. Le temps était venu de retrouver son frère.
Il jeta un regard derrière lui avant de partir.