Fantômes du passé
Jack s’approcha de sa co-équipière, tenant un objet caché par ses deux mains.
- Comment vas-tu ? demanda-t-il, d’un ton moins rugueux que d’habitude.
Ana se tenait allongée sur un matelas, un large oreiller derrière sa tête et une serviette humide sur le front. Elle offrit un sourire amical à Morrison.
- Bien, étant donné les circonstances. Mon masque a absorbé le gros de l’impact et je me suis injecté des nanites médicales tous de suite après avoir été touchée. Cela a permis d’éviter le pire. Mais je vais quand même avoir besoin de repos. Cette technologie a des limites.
Ils se trouvaient tous les deux dans un petit appartement loué à un hôtel clandestin, le genre d’établissement qui ne pose pas de question à ses clients. Ana et Jack avaient posé leurs équipements militaires ainsi que leurs masques. Celui d’Ana avait été brisé en deux par le tir de Widowmaker.
- Et de ton côté ? Tu as manqué la fille, n’est-ce pas ?
- Gabriel est arrivé avant moi et l’a fait fuir. Mais j’ai pu régler son compte à ce traître. Rien que pour ça, ce combat en valait le coup.
- Tu es sûr qu’il est mort ?
- Après un impact direct de trois roquettes, je ne vois pas comment il aurait pu survivre.
- Etant donné ce qu’il est devenu, qu’il soit encore de ce monde ne me surprendrait pas.
- Notre priorité reste de retrouver cette Hai Yin.
- Cela ne devrait pas être trop compliqué. Cette vie de chasseur de prime nous a rendus plutôt habiles pour pister quelqu’un dans une ville.
Amari porta son regard vers la fenêtre en prenant une expression plus soucieuse :
- Je suis plus inquiète par le fait que j’ai raté mon tir. Ça ne m’était pas arrivé depuis…je ne me souviens même plus en fait.
- Tu as continué de pratiquer pendant ta période de…disparition ?
Ana se retint de grimacer. Il lui était difficile de penser à ces six années, lors desquelles elle s’était faite passer pour morte aux yeux du monde…et de ses plus proches amis.
- Non, pas vraiment, dit-elle.
- Cela a dû te rouiller. Avec cela, il n’est pas étonnant que tu rates un tir si difficile.
- Oui…j’espère que c’est bien la bonne explication.
Morrison ne répondit pas et Ana continua de regarder la fenêtre. Ils restèrent silencieux une poignée de secondes. Puis finalement Jack reprit la parole :
- Je t’ai fait du thé, dit-il en révélant l’objet contenu dans ses mains.
Cela fit apparaître un sourire ravi sur le visage d’Ana :
- C’est vraiment très gentil de ta part, Jack. Merci.
L’ancien commandant servit une tasse du liquide à sa co-équipière qui la prit délicatement avant d’en boire une gorgée.
- Hum…pas mal, commenta-t-elle d’un ton expert. Mais tu as une bonne marge de progrès.
- Tu m’apprendras lors de notre prochaine pause.
- Il n’y a jamais de pause avec toi, Jack, répliqua Ana, amusée. Nous passons notre temps à courir d’une fusillade à une autre. Et quand nous nous arrêtons, c’est que l’un d’entre nous est trop blessé pour apprendre quelque chose à l’autre.
- Que veux-tu ? Le travail d’un soldat n’est jamais terminé.
Amari ne répondit rien et but une autre gorgée de thé.
- D’ailleurs Ana…c’est vrai que nous n’avons pas eu beaucoup l’occasion de parler depuis que nous nous sommes retrouvés.
- Et comment !
- Est-ce que tu serais prête à m’en dire plus sur les raisons qui t’ont poussé à te cacher pendant six ans en prétendant être morte ?
Le ton de Morrison exprimait une certaine incompréhension ainsi qu’une légère pointe de reproche. Cette fois, Ana ne put se retenir de grimacer. La honte la faisait souffrir, comme un poignard enfoncé dans son ventre. Elle ne pouvait même pas regarder Jack dans les yeux.
- Après mon échec…commença-t-elle, lorsque je n’ai pu empêcher Widowmaker de prendre la vie de deux nos agents…ainsi que mon œil, j’ai pensé que mon temps était fini. Que c’était le moment de laisser une nouvelle génération prendre le relai.
Elle s’était montrée si faible…et cela avait coûté tellement cher à ceux qu’elle aimait.
- Et pourquoi es-tu revenue ?
Ana réussit à se reprendre et à lever la tête.
- Le monde n’a cessé de se détériorer depuis la chute d’Overwatch. A un moment cela m’est devenu insupportable. Je ne pouvais pas rester sans rien faire…alors j’ai repris les armes.
Et cette fois, elle ne sera pas absente quand son ami aura besoin d’aide. Ana se l’était juré.
Jack hocha la tête. Son expression était restée stoïque durant les explications de sa coéquipière.
- Comme je l’ai dit, commenta-t-il, le travail d’un soldat n’est jamais terminé.
* *
*
- En tentant de recréer Overwatch vous avez violé le Petras Act et êtes devenus des hors-la- loi. Je ne devrais même pas vous parler.
- Allons capitaine, dit Winston. Vous savez que nous sommes les gentils ! Nous avons déjà affronté ceux qui ont attaqué votre compagnie. Et nous les avons vaincus.
Le leader d’Overwatch se trouvait dans le cockpit d’un imposant appareil de transport. Juste à côté de lui se tenait Tracer, assise dans le siège du pilote et occupée à manœuvrer l’engin. Enfin, en face du gorille se trouvait un écran de communication sur lequel on pouvait voir l’image du capitaine chargé de la sécurité de Hai Yin. Ce dernier était alité, vêtu d’une blouse d’hôpital et portait une attelle.
- Tout ce que nous voulons c’est aider, renchérit le scientifique.
- Protéger cette jeune femme est la responsabilité de ma compagnie.
- Mon chou, commença Tracer. Employez un tas de soldats en position défensive cela ne marche pas contre Talon : ils sont bien trop mobiles. Vous serez à chaque fois victime d’une diversion puis d’une infiltration.
- Sans aide, vos chances d’être pris en défaut une fois encore sont de 83%, enchaîna Winston. Or nous savons que les troupes d’élite de votre pays sont actuellement toutes occupées à gérer la deuxième Crise Omnium. Nous sommes les meilleurs renforts que vous pouvez espérer.
Le capitaine ferma les yeux. Il semblait hésitant. Il y eut quelques secondes de silence.
- Nous laisser prendre la main permettra également d’épargner la vie de vos soldats, ajouta Winston.
Cet ultime argument fit mouche :
- Très bien. Je vais vous laisser en charge de la protection de Hai Yin le temps que nous puissions la cacher de manière sûre.
- Vous avez un plan pour ça ? demanda Winston avec enthousiasme.
- Oui. Il semble que l’ONU ait gardé sous sa gestion certains centres secrets d’Overwatch destinés à cacher des témoins clés ou des informateurs compromis. Leurs technologies de brouillage est la plus avancée au monde. Mon gouvernement négocie pour faire admettre Hai Yin dans une de ces bases. Quand ce sera fait, elle devrait être en sécurité. Mais il va falloir encore un peu de temps pour finir les discussions et organiser le voyage.
- Nous nous chargerons de la garder en vie aussi longtemps qu’il le faudra.
- Je vais vous envoyer les coordonnées d’un point de rendez-vous avec Hai et l’escouade que je lui ai détaché. Ensuite ce sera à vous de jouer. Ne me faites pas regretter ce choix…s’il-vous-plaît.
- Ce ne sera pas le cas, dit Winston avec optimisme. Nous vous le promettons.
La transmission s’arrêta là et le visage du capitaine fut remplacé par celui d’Etienne.
- Ça s’est plutôt bien passé, dit le français.
- Effectivement, dit Winston. Merci de nous avoir trouvé le moyen de le contacter ainsi que les autres informations.
- C’est mon travail, dit le français avec bonne humeur. A vous de faire le vôtre, maintenant, ajouta-t-il avec un clin d’œil.
- Combien de temps avant l’atterrissage ? demanda ensuite le scientifique à Tracer.
- Environ vingt minutes, mon chou.
- Parfait ! Assez pour une pause repas.
Il se dirigea vers la salle principale du transporteur et commença à fouiller dans les cassiers qui s’y trouvaient. Tracer activa un chronomètre sur l’avion de bord en pouffant tous bas tandis qu’Etienne souriait plus largement.
- Mais…où est-il donc ? demanda Winston. J’étais pourtant certain d’avoir rangé ici un pot de beurre de cacahuètes.
Tracer fit de gros effort et parvient à ne pas rire plus fort.
- Aurais-je oublié de le prendre ? Je l’ai pourtant mis dans ma liste de choses à faire.
Un éclair de compréhension passa alors sur son visage.
- Lena…est-ce que tu as encore caché mon beurre de cacahuètes ?
Tracer arrêta le chronomètre avant de finalement exploser de rire. Winston remonta dans le cockpit.
- Alors, combien de temps ? demanda Etienne.
- Quinze secondes et trois dixièmes, lui dit Tracer d’une voix joyeuse.
- Mince ! Tu gagnes cette manche, la rosbif.
- La prochaine tournée est pour toi, froggy, lui répliqua la pilote avec un clin d’œil.
- Quelqu’un pourrait m’expliquer ce qui se passe ? demanda Winston.
- Etienne et moi avons parié sur le temps que tu mettrais à te rendre compte que je t’avais fait une farce, dit Lena en pouffant.
Tout en parlant elle ouvrit un des compartiments de stockage près d’elle et en sortit un pot contenant une pâte brunâtre, qu’elle lança vers son co-équipier. Ce dernier l’attrapa au vol.
- Vraiment Winston, commença Etienne. Après toutes ces années à Overwatch, il te faut encore quinze secondes pour comprendre que c’est sa faute si quelque chose a disparu ?
- Après le Petras Act, je suis resté seul pendant plusieurs années, répondit l’intéressé en ouvrant le pot. Je suppose que ça m’a fait perdre quelques habitudes.
Il prit une grappe de bananes dans un autre casier, enleva la peau d’une d’entre elle, plongea le fruit dans le pot et se mit à le manger.
- Mais il faut aussi dire que votre notion de l’humour est particulièrement difficile à comprendre et bourrée d’illogismes.
Cela fit rire ses deux interlocuteurs. Winston haussa un sourcil, puis finalement ne dit rien et continua de manger.
Il avait beau avoir passé toute sa vie avec eux, il ne comprenait pas encore totalement les humains. Mais ce n’était pas grave. Il les aimait et n’avait rien besoin de plus.
* *
*
- Donc, la cible s’est enfuie et tu as été vaincu ? demanda Amélie d’une voix doucereuse.
Reaper poussa un grognement agacé :
- Comment se fait-il que tu sois encore dans cet état-là ? Notre dernier combat remonte à plusieurs heures.
- J’ai tiré une balle dans la tête d’Ana Amari juste après qu’elle m’ait ratée, prouvant ainsi ma supériorité sur elle. Cela seul suffit à me mettre de bonne humeur pour longtemps.
Et la vieille femme lui avait rappelé des souvenirs liés à Gérard, chargés d’émotion, sans que cela n’active son blocage cérébral. Toutefois, ce n’était pas le genre de détail qu’Amélie avait envie de partager avec quiconque.
Elle et le mercenaire se trouvaient à bord d’un transport de Talon, juste devant une table. Cette dernière affichait une carte holographique représentant la ville.
- Oui, admit finalement Reaper. Mais ce n’est pas un échec. J’ai découvert que la fille n’avait pas les données. Elle les a cachées à la tour de Lijang. De plus, je sais maintenant que Morrison est ici. Le connaissant, il recherche sans doute la même chose que nous.
- Hum, hum. La tour de Lijang est un complexe gigantesque comptant plusieurs dizaines d’étages. Cela fait beaucoup d’endroits à fouiller.
- Nous n’aurons pas à tout examiner. Il faut juste chercher dans les endroits où cette fille est allée.
- Et comment saurons-nous où elle est allée ?
- En tant qu’employée d'Enki Corporation, elle s’est fait injecter un traqueur qui piste et enregistre ses déplacements avant qu’ils soient envoyés à ses supérieurs.
- Hooo…je commence à comprendre. Nous allons aller dans les bureaux d’Enki et récupérons les données de leurs traqueurs.
- Exactement. Les informations sur les traqueurs de leurs plus hauts membres sont cachées aux mêmes endroits que les données top secrètes : inaccessibles pour nous. Mais celle d’une employée intermédiaire sont stockées dans des endroit bien moins défendu. Enki investit plus d’argent pour protéger les schémas de ses appareils que pour défendre les données de ses employés.
- Et une fois ces dernières en notre possession, nous saurons alors précisément à quel endroit de la tour de Lijang cette Hai Yin est allée. Il nous suffira alors de fouiller ces endroits jusqu'à retrouver les données. Un bon plan. Là, je te reconnais mieux, finit Amélie, une légère pointe d’admiration dans la voix.
Elle avança vers la carte et la fit zoomer vers la tour de Lijang.
- Le complexe est bien gardé. Notre intrusion sera forcément repérée. Les deux idiots que nous avons affrontés risquent de revenir à la charge. Il y en aura peut-être même d’autres.
- Tant mieux. Cela me donnera l’occasion de retirer quelques noms de ma liste, dit Reaper, sinistre.
- Je sais que la vengeance est une très douce sensation. Mais n’oublie pas que ces données passent avant tout le reste.
- Accomplir la mission est toujours ma priorité.
- Bien…une dernière chose, Reaper.
Le regard d’Amélie se durcit et elle déclara d’une voix glaciale :
- N’évoque plus jamais devant moi la mort de Gérard.
La sombre silhouette resta silencieuse une poignée de secondes.
- D’accord, dit-il.
Dans sa voix, on sentait une certaine forme de respect envers l’assassine. C’était cela qui semblait l’avoir convaincu de répondre favorablement.
- Et toi, ne me parle plus jamais de ce qui m’est arrivé, ajouta-t-il.
Un sourire apparut sur le visage d’Amélie.
- Nous avons un accord, dit-elle d’une voix douce.
- Remettons-nous au travail. Il y a une mission à finir.