Fantômes du passé
Hai jeta un regard nerveux derrière son épaule.
Elle se trouvait dans une salle d’attente de commissariat. La seule autre personne présente était une policière en faction devant la porte. Mais sa présence ne suffisait pas à rassurer la lanceuse d’alerte.
Un autre policier entra dans la salle et se dirigea vers l’ancienne employée d’Enki.
- Mademoiselle, le commissaire va vous recevoir.
Hai se leva en hochant la tête et suivit l’homme. Ils arrivèrent dans une salle nue, avec juste une table, quatre chaises et un miroir sans tain. Le genre de pièce qui devait servir pour les dépositions ou les interrogatoires.
Le commissaire était déjà sur place, assis devant une tasse de café. C’était un homme âgé, légèrement enrobé, qui arborait un air affable mais un peu fatigué. Dans d’autres circonstances, il aurait pu paraître sympathique à Hai. Actuellement, elle pensait juste qu’il n’avait pas la carrure pour gérer une telle affaire. Mais elle n’avait pas vraiment le choix.
- Bonsoir mademoiselle, commença poliment le commissaire. Prenez donc une chaise.
- Bonsoir monsieur, dit Hai en s’asseyant.
- Est-ce que vous voulez une tasse de café ?
- Eh…oui volontiers. Merci.
Le commissaire fit un signe à un autre agent qui s’éclipsa discrètement.
- Donc…vous voudriez rapporter un crime c’est ça ?
- Pas exactement. Je voudrais échanger contre une protection policière des informations pouvant prouver de nombreux crimes commis par Enki Corporation.
- Votre ancien employeur n’est-ce-pas ? Vous savez qu’ils ont engagé des poursuites contre vous pour avoir rompu votre charte de confidentialité ?
- Cela ne m ‘étonne pas. Mais je vous garantis que ce sont eux les criminels dans l’affaire, et pas moi.
A ce moment, l’agent entra dans la salle et donna un gobelet de café à Hai. Cette dernière le remercia et but aussitôt une petite gorgée du liquide. Pendant ce temps, le commissaire lui posait une autre question :
- Cela fait plusieurs jours que cette affaire dure. Pourquoi ne pas être venue nous voir plus tôt ?
- Je voulais diffuser mes preuves sur internet. Je pensais qu’une fois qu’elles seraient publiques, Enki n’aurait plus de raison de s’en prendre physiquement à moi…que cela garantirait ma sécurité.
- Mais ?
- Mais les données ont une sécurité qui empêche cela. Il est possible de les lire localement mais dès qu’elle se trouvent sur l’internet, elles se détruisent d’elles-mêmes. J’ai passé les derniers jours à tenter de désactiver cette protection. Mais je n’ai pas pu…c’est au-delà de mes compétences.
- C’est pour ça que vous êtes venue nous voir ?
- Cela et parce que je suis traquée. Des individus suspects ont plusieurs fois approché de l’endroit où je logeais. J’ai réussi à leur échapper jusque-là car je bougeais en permanence. Mais mon avance se réduit. Le problème c’est qu’Enki connaît ma localisation exacte en temps réel.
En prononçant ces paroles, elle lança un regard nerveux derrière elle, vers la porte d’entrée.
- Pardon ?
- A partir du moment où l’on atteint un certain rang dans l’entreprise, on nous insère dans le corps un nano-traqueur qui nous localise en permanence. Une mesure de sécurité, soi-disant… Et la machine est d’une taille moléculaire : impossible à retirer sauf pour les meilleurs chirurgiens du monde.
- Bon, dit le commissaire en se levant. Je pense que nous avons fait le tour. Cette affaire me dépasse clairement. Je vais appelez mes supérieurs pour leur transmettre votre offre. C’est tout ce que je peux faire, mademoiselle.
Hai hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris et retourna dans la salle d’attente.
Plusieurs heures passèrent. Hai n’osait ouvrir un magazine ou sortir son portable pour passer le temps. Elle ne put tenir éloigner le sommeil que grâce à de forte quantités de café, qui lui furent gracieusement offertes par les agents locaux.
Puis elle eut une immense frayeur lorsqu’elle vit plusieurs camions d’un vert militaire pénétrer dans la cour du commissariat. Ne tardèrent pas à en descendre plusieurs dizaines de soldats. Hai se calma un peu lorsqu’elle vit qu’ils portaient l’uniforme de l’armée chinoise.
Le commissaire sortit dans la cour de son bâtiment, affichant une mine totalement ébahie devant le spectacle qui se montrait à lui. Il se dirigea vers l’officier le plus gradé avec qui il se mit à discuter. Cela dura moins d’une minute.
Les deux entrèrent ensuite dans le commissariat.
- On quitte le bâtiment, dit le commissaire, toujours ébahi, aux agents de police.
Ceux-ci affichèrent des expressions surprises. Il y eut quelques demandes d’explications et discussions, mais à la fin, ils finirent par obtempérer.
Hai ne suivit toutefois pas cette conversation car l’officier en charge, un capitaine, s’était approché d’elle pour discuter :
- Mademoiselle Yin ? demanda-t-il poliment.
L’homme était âgé, cela se voyait surtout à ses rides car il était chauve. Mais il était musclé et portait quelques cicatrices. Il avait tout du vétéran endurci.
- C’est moi. Eh…qu’est-ce qui se passe ?
- Le gouvernement a accepté votre offre, dit l’officier d’un ton rassurant. Ils m’ont envoyé avec ma compagnie vous protéger.
Hai lança un regard à l’extérieur. Des soldats commençaient à installer des sacs de sable dans la cour pour former des barricades. D’autres étaient en train de décharger une mitrailleuse lourde.
- Tout…tout ce monde juste pour moi ?
- Lors de mon très court briefing, il a été expliqué que vos données contiennent des schémas techniques dont la valeur se chiffrerait en dizaines de milliard de yens. Cela pourrait attirer l’attention de personnes malveillantes…et puissantes.
La lanceuse d’alerte se mit à frissonner à ces paroles.
- Qu'il y a-t-il, mademoiselle ?
- Après que j’aie tenté de diffuser les données la première fois, le directeur d’Enki m’a appelé. Il m’a dit que ce que j’avais récupéré allait attirer sur moi l’attention des pires individus de la Terre. Je pensais qu’il exagérait pour me faire peur, mais maintenant que vous me dites ça…ces paroles étaient vrai n’est-ce pas ?
- Ne vous inquiétez pas. J’ai combattu avec Overwatch durant la Crise des Omniums. Quant aux soldats de ma compagnie, ils sont compétents et bien entraînés. Nous vous protégerons. Je vous le jure.
Hai se détendit légèrement à ses paroles. Le capitaine lui, sortit de sa poche une petite oreillette qu’il tendit à la jeune femme.
- Mettez ça. Je pourrai ainsi vous contacter, et vice versa, si nous venions à être séparés.
La lanceuse d’alerte hocha la tête et s’équipa de l’objet.
- Maintenant vous devriez trouvez un endroit où dormir un peu, dit le capitaine. Rien qu’à votre tête je peux dire que vous manquez cruellement de sommeil.
- Avant, il y a quelque chose que je dois vous dire sur les données…
**
*
Amélie laissa tomber son fusil de sa main droite, avant de le rattraper de la gauche. Elle répéta le même processus dans le sens inverse. Et encore une fois.
Elle s’ennuyait.
Il ne s’était passé que quelques heures depuis que Widowmaker avait exécuté sa dernière cible. Les émotions provoquées par cet événement l’habitaient encore. Mais comme Amélie se trouvait dans un transport aérien, elle n’avait rien à faire et cela commençait à lui peser.
Juste en face se trouvait Reaper. La sinistre et massive silhouette se tenait immobile, les bras croisés. Il aurait été possible de le confondre avec une statue.
Il y avait aussi quelques sbires de Talon dans le transport, mais Amélie les considérait comme négligeables.
- Qu’est-ce qu’on ressent avec un corps comme le tien ? demanda-t-elle finalement à Reaper d’une voix doucereuse.
Le masque se tourna dans sa direction.
- Rien, répondit la voix grave de Reaper.
Amélie leva un sourcil, surprise.
- Froid, chaleur, faim, satiété, désir sexuel…toutes les sensations physiques me sont désormais inconnues. Il n’y a qu’une seule exception : la souffrance.
- Cela sonne terriblement ennuyeux, dit Widowmaker d’un ton badin.
- Mais je peux encore ressentir les émotions de l’esprit. La sensation de puissance quand on tue, la satisfaction de voir un plan réussir ou la joie d’accomplir une vengeance. Il ne me reste plus que ça.
Il marqua une pause dans son discours avant de demander :
- Et toi, qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as dû tuer ton mari ? Qu’est-ce que cela fait d’assassiner l’homme que l’on aime ?
Amélie écarquilla légèrement les yeux. La question l’avait prise par surprise et la troublait.
- Ce fut dur, dit-elle d’une voix confuse. Il n’avait rien fait qui méritait une vengeance de ma part. Encore moins un acte aussi définitif. J’arrivais à le contrôler, il ne me fallait rien de plus.
Son expression devient horrifiée :
- Je n’aurais pas dû…commença-t-elle.
Puis brusquement elle ferma les yeux et grimaça, semblant ressentir une vive douleur. Ses deux mains se portèrent à sa tête tandis qu’elle fermait les yeux.
Quand elle les rouvrit, son visage était devenu inexpressif.
- …mais les ennemis de Talon doivent être éliminés, dit-elle d’une voix froide comme la glace.
Reaper ricana.
- Je préfère quand tu es comme ça, dit-il. Cela rend la mission plus facile.
Amélie ne répondit pas. Il était inutile de parler si cela ne servait pas directement les objectifs de Talon.
Le reste du voyage se passa dans le silence. Puis, les premiers rapports de leurs informateurs arrivèrent.
- Hum…débuta Reaper. La cible est retranchée dans un commissariat et protégée par une compagnie d’infanterie. Ce sera facile, ajouta-t-il en ricanant légèrement.
- Quel est le plan ? demanda Widowmaker.
- Nos forces lanceront un assaut frontal de diversion. Tu en profiteras pour prendre une position de tir optimale et moi pour m’infiltrer à l’intérieur. Ensuite, ta visière nous permettra de repérer la cible. Je m’occuperai de l’atteindre et de récupérer les données. Entre-temps…amuse-toi autant que tu veux. Cela devrait attirer l’attention.
Amélie hocha simplement la tête.
Ils sortirent de leur transport. On était en plein milieu d’une nuit sans lune. Seules les étoiles donnaient un peu de lumière.
Widowmaker activa son grappin et commença à se déplacer de toit en toit. D’en haut, elle pouvait voir les agents de Talon qui se déployaient et avançaient vers le commissariat. Reaper avait disparu de son champ de vision.
Amélie atteignit le point le plus lointain où elle pouvait aller sans risque de se faire repérer. Il ne lui restait plus qu’à attendre le début de l’attaque.
Celle-ci intervint lorsque les sbires de Talon lancèrent plusieurs grenades contre les positions tenues par les soldats chinois. Les terroristes avaient profité du camouflage offert par leurs armures noires et de la vision nocturne conférée par leurs casques pour lancer une attaque surprise. Associé à leurs meilleurs armement et entraînement, cela leur permit de briser la première ligne de défense ennemie.
Mais les soldats ne se laissèrent pas démonter pour autant. Les plus en avant battirent en retraite de manière organisée, couverts par leur seconde ligne de défense. Le feu de celle-ci, notamment celui des mitrailleuses lourdes, eut tôt fait de stopper l’avancée des agents de Talon.
Une contre-attaque fut alors lancée. Menés par leur capitaine, des soldats jusque-là cachés lancèrent une attaque de flanc contre les terroristes. Surpris de cette manœuvre, les agents de Talon durent refluer, laissant plusieurs morts sur le terrain. Il semblait que le nombre, l’organisation et les meilleures tactiques des chinois leur permettrait de gagner cette bataille.
Mais tout cela n’était qu’une diversion. Pendant que les combats avaient lieu, Amélie avait gagné une position en hauteur, lui donnant le meilleur point de vue possible. En temps normal, elle se serait fait repérer. Mais grâce à leur plan, ses ennemis n’avaient pas encore noté sa présence.
De là-haut, elle put voir un petit amas de brume noirâtre, d’à peu près la taille d’un homme, se déplacer dans la cour du commissariat, profitant de la noirceur de la nuit et des combats en cours pour ne pas être repéré. Reaper était en train d’infiltrer les lignes ennemies.
Widowmaker activa sa visière et l’abaissa. Cet outil technologique lui permettait de bénéficier d’une vision thermique, mais son autonomie était limitée.
Amélie n’eut toutefois pas besoin de beaucoup de temps pour repérer dans une pièce isolée une jeune femme au physique banal, qui semblait nerveuse et terrifiée par les combats en cours.
- Civil repéré, potentiellement notre cible, dit-elle d’une voix glaciale dans son communicateur. Deuxième étage, couloir de gauche, troisième salle.
- Reçu, répondit la sinistre voix de Reaper. Nous passons à l’étape suivante du plan.
La forme brumeuse s’était cachée derrière un pilier. Puis, de derrière ce dernier, surgit Reaper, avançant à toute vitesse vers la porte du commissariat. Deux soldats gardaient l’entrée. Ils pointèrent frénétiquement leurs armes vers le mercenaire. Mais Reaper, réagissant à une vitesse surhumaine, les abattit en premier, chacun d’un seul tir de ces massif fusil à pompe.
Puis il pénétra dans le bâtiment.
Avec un sourire joyeux, Amélie transforma son arme en fusil de précision. Puis elle pointa le canon vers un des servants d’une mitrailleuse et tira. Avant même que le corps touche le sol, Widowmaker avait tiré une deuxième fois, abattant un soldat de l’autre mitrailleuse. Les deux armes cessèrent instantanément de tirer et les agents de Talon en profitèrent pour reprendre leur attaque.
- Un chef d’œuvre, commenta l’assassine.
Les soldats n’étaient pas idiots. Ils avaient deviné d’où était venue l’attaque et s’étaient mis à couvert en conséquence, tout en envoyant des tirs de suppression à la position de la snipeuse.
Mais c’était exactement pour ça que Talon avait équipé Widowmaker d’un grappin. Elle avait bougé dès la fin de son deuxième tir. Amélie prit une seconde pour observer avec un regarde amusé les salves contre son ancienne position.
Puis elle se remit en position de tir. Un sourire mauvais apparut sur son visage quand elle pressa une nouvelle fois sur la détente.
* *
*
- Qu’est-ce que tu vois ? demanda Morrison d’un ton concentré.
- Une compagnie de soldats chinois est en train d’affronter une force de Talon qui prend d’assaut ce commissariat, répondit sa co-équipière, qui observait le tout grâce à la lunette de son fusil de précision.
- Donc, la lanceuse d’alerte doit être à l’intérieur. Nos contacts ne nous ont pas menti.
Dès la fin de leur rencontre avec la receleuse, Jack et Ana c’étaient rendus en Chine, ne prenant même pas le temps d’examiner les fragments de données récupérés. Puis, ils avaient fait appel à certains informateurs de leurs connaissances, ce qui leur avait permis de remonter la trace de Hai jusqu’au commissariat et d’arriver au moment de l’attaque.
Soudain le bruit d’un tir de fusil de précision se fit entendre. Ana déplaça son regard vers l’origine du coup de feu.
- Elle est ici ! s’exclama-t-elle.
- Qui ?
- Widowmaker. La psychopathe qui a tué tant de nos agents et m’a pris un œil.
Ana ne pouvait masquer la colère dans sa voix. Le souvenir de l’ancien affrontement lui revint en mémoire. La douleur d’infliger la mort, la tristesse des pertes, la honte de l’échec. Et ce sentiment d’inutilité…
- Elle est en train de massacrer ces soldats. Il faut que je l’arrête ! Cette fois je n’hésiterai pas…
Ana ne fuirait pas ce combat. Plus jamais.
- Va y, dit Morrison. Je me charge de retrouver cette Hai Yin. Sois prudente.
L’égyptienne eut un petit gloussement amusé :
- Et c’est toi qui me dit ça ?
Les deux se séparèrent. Morrison fonça vers le flanc du commissariat. Plusieurs fenêtres se trouvaient face à lui mais leur accès était bloqué par des barreaux.
Ce n’était toutefois pas le genre de chose à arrêter Soldat 76. Il pointa son arme vers la fenêtre la plus proche et tira une salve de ses roquettes. Acier et verre furent remplacés par un trou fumant.
Jack se mit immédiatement à escalader le mur. Mais quelques soldats, alerter par le bruit, arrivèrent au niveau du sol.
En voyant Soldat 76, ils se mirent immédiatement à lui tirer dessus. Mais le vétéran était trop rapide et il réussit à passer par la fenêtre sans subir une égratignure.
De son côté, Ana s’approcha prudemment du champ de bataille, se cachant dans les ombres. Elle attendit que Widowmaker tire une nouvelle fois. Lorsque cela fut fait, l’ancienne capitaine put repérer l’assassine de Talon et braquer son arme vers elle. Cette dernière avait déjà commencé à changer de position, via son grappin.
Ana suivit le mouvement de son arme. Elle attendit que Widowmaker atterrisse, retint sa respiration et tira.
Une seringue partie de son arme à toute vitesse, parcourut la distance entre les deux snipeuses…et alla se loger dans un mur.
- Non ! ne put s’empêcher de crier Ana.
En moins d’une seconde, Widowmaker se retourna dans la direction d’Ana, pointa son arme vers elle et riposta.
La balle toucha Ana en pleine tête, au milieu de son masque.