Overwatch - Crossroads

Chapitre 3 : ANGELA

14763 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/08/2020 15:25

- Bienvenue dans cette édition spéciale sur Atlas News consacrée à l’audition d’un témoin majeur par la commission d’enquête de l’Organisation des Nations Unies dans le cadre des affaires de l’organisation Overwatch. Je suis Sarah Ginsburg et pour cette édition spéciale, je suis accompagnée par Jud Johnson. Bienvenue Jud.


- Je vous remercie, Sarah. Des mois après la destruction du quartier général de l’organisation Overwatch, l’enquête lancée par la commission de l’ONU arrive enfin à un tournant avec l’audition de l’ancienne cheffe de la recherche médicale : le Docteur Angela Ziegler.


- Le Docteur Ziegler doit comparaitre dans quelques minutes devant la commission d’enquête au siège des Nations Unies. Sur place, Blair Clarke couvre la situation pour Atlas News.


- Oui, Sarah. C’est ici en plein New-York au Siège de l’ONU que la commission d’enquête va entendre le Docteur Angela Ziegler sur les activités d’Overwatch. Elle faisait partie des plus hauts gradés de l’organisation et suite à l’explosion du quartier général de Zurich, bon nombre d’entre eux ont disparus ou sont présumés morts. Depuis l’entrée en vigueur du Petras Act le mois dernier, la plupart des anciens agents d’Overwatch sont sous le feu des projecteurs. Et pourtant, c’est la première fois qu’une personne aussi haut placée dans la hiérarchie d’Overwatch témoigne publiquement sur les agissements de l’organisation militaire. Il est cependant impossible aux journalistes et aux chaines de poser leur caméra dans la salle d’audience. Les Nations Unies ont mis en place leur propre système de retransmission de l’audience qui va débuter dans quelques instants.


- En effet, Blair, on bascule directement sur les images de l’audience et nous nous retrouvons après pour le débriefing.


***

 

ANGELA


La salle d’audience s’apparentait à une arène. Depuis une dizaine de minutes, depuis qu’elle s’était installée à sa table, elle avait parcouru du regard la pièce où allait se dérouler ce spectacle terriblement désuet. C’était une grande salle aux murs de bois vernis, éclairée par un dispositif de lumières artificielles aux appliques de différentes couleurs qui devaient rendre la salle d’audience bien moins solennelle, mais qui lui évoquait bien plus un patchwork de mauvais goût. A sa gauche et à sa droite, des rangées de sièges alignés l’encerclaient, surplombés de balcons qui s’étalaient en gradins. La vue devait être parfaite de là-haut, elle se sentait terriblement épiée des quatre coins de la salle, sans compter les dizaines de personnes installées dans son dos, au premier rang pour le show qui allait bientôt débuter. Toute l’attention se portait sur elle. L’assistance murmurait et discutait à voix basse et ses piaillements l’irritaient au plus haut point.


Face à elle, une large table attendait que les membres de la commission prennent place. Sept sièges vides dont les noms des occupants trônaient dans des cadres bien visibles des drones-caméras disséminés aux quatre coins de la salle. Les sphères volantes flottaient au-dessus de leurs têtes, pivotant sur elles-mêmes, scrutant de leurs objectifs chaque coin et recoin de l’auditoire qu’ils parcouraient lentement dans un étrange ballet, prêtes à capter tout ce qui allait se dérouler dans cette pièce. Tout avait été bien planifié, les spectateurs devaient en avoir pour leur argent.


L’audience serait traduite dans toutes les langues. Derrière les sièges de la commission, le mur de la salle était percé par de nombreuses fenêtres ou s’affairaient les traducteurs et les interprètes qui allaient retranscrire au mieux les échanges. Contrairement à l’atmosphère anxiogène de la salle d’audience, les deux étages dédiés à la traduction semblaient en agitation totale : des silhouettes passaient d’un étage à un autre, disparaissaient d’une rangée de fenêtres pour réapparaitre de l’autre côté, des personnes se levaient tandis que d’autres prenaient leur place. Elle resta longtemps à observer leurs mouvements qui lui évoquaient l’agitation constante des couloirs d’un hôpital. Angela se revit, quelques années auparavant, jeune docteur, chef de la chirurgie d’un hôpital de sa Suisse natale, avant qu’une nuée de vrombissements ne la ramène au présent.


Tel un essaim, les drones-caméras avaient filer vers le fond de la pièce où une porte venait de s’ouvrir. Les membres de la commission d’enquête, suivis de leurs assistants, pénétrèrent dans la salle d’audience. Alors qu’ils rejoignaient la tribune centrale, Angela ouvrit le bouchon de la bouteille d’eau qui avait été placé pour son usage et but une lampée avant de la reposer auprès du stylo et du tas de feuille blanches disposés minutieusement sur la table.


Les membres de la commission s’installèrent, puis leurs assistants s’agglutinèrent autour d’eux pour leur présenter les classeurs et les dossiers d’enquête, certains vérifièrent que les micros étaient branchés et fonctionnels. Quatre femmes et trois hommes, tous représentaient leurs Etats au sein de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies et s’étaient constitués comme la commission qui devait découvrir la vérité autour de la destruction du Quartier Général d’Overwatch.


Cependant rien ne garantissait que la vérité serait obtenue au bout du processus. La seule certitude, c’est que les conclusions de leur enquête seraient gravées dans le marbre. Et Angela savait qu’au sein de la commission, certains membres faisaient preuve d’un grand zèle dans la décrédibilisation d’Overwatch, dont le chef ladite commission : le représentant des Etats-Unis, William Petras.


Le représentant américain affichait un sourire complaisant alors qu’il prenait place sur le siège central de la commission. Un homme d’une soixantaine d’années aux cheveux poivre et sel dont le visage semblait marqué par les aléas du temps. Cependant ses yeux sombres étaient toujours vifs et alertes alors qu’il examinait l’assemblée et ses comparses commissionnaires.


Angela put enfin mettre des visages sur les noms qui les dévisageaient depuis son entrée dans la salle d’audience. Le représentant coréen, Bong Yun-Gi, murmurait quelque chose à l’oreille de la représentante tunisienne, Ezra Zourhlal. De l’autre côté de la table, Rogelio Jimenez, mexicain de nationalité, caressait son épaisse barbe en parcourant un dossier tandis que sa voisine, l’italienne Agostina Di Maria, était affairée sur son holomobile. William Petras était encadré par deux femmes : une blonde au teint blafard, aux traits sérieux, voire glaciaux et une femme noire élancée, à la chevelure grise et courte qui se faisait servir un verre d’eau par son assistant. La représentante norvégienne et la représentante sénégalaise semblaient les antipodes l’une de l’autre. Helga Streng était austère là où Muskeba Diarra apparaissait comme chaleureuse. Angela ressentit ces impressions lorsque les deux représentantes posèrent leurs regards sur elle. Helga Streng, de son air hautain, l’observait de haut en bas tout en triant les dossiers de l’enquête tandis que Muskeba Diarra la dévisageait et ce depuis qu’elle avait pris place, les mains jointes sur son menton.


L’attention que lui portèrent les deux représentantes mit mal à l’aise Angela qui ne put savoir laquelle des deux allait la cuisiner avec le plus d’acharnement. Elle avait du mal à discerner si leurs attitudes dissimulaient des faux semblants, si les deux femmes jouaient un rôle à moins qu’il n’y ait aucune hypocrisie dans leur démarche respective. Les yeux gris et froids de la trentenaire norvégienne s’opposaient aux pupilles brunes et apaisées de la quinquagénaire sénégalaise et l’estomac d’Angela se noua.


Maintenant que la commission d’enquête était rassemblée, il était temps pour le maitre de cérémonie d’ouvrir le bal. C’est alors que William Petras prit la parole. Après avoir réajusté ses lunettes bleues sur son nez, il croisa le regard d’Angela et sembla s’adresser à l’assemblée derrière elle :


- Bien, il est inutile de faire retarder cette audience plus longuement.


Ses yeux gris revirent sur Angela et un sourire rassurant s’étira sur son visage.


- Tout d’abord, je vous remercie d’être venue, Docteur Ziegler. Au nom de cette commission d’enquête, je vous remercie pour votre aide, qui, j’en suis certain, sera déterminante pour nous aider à lever le voile sur ces terribles évènements.


Angela resta impassible. Les drones-caméras la zieutaient et la jaugeaient de leurs sombres objectifs. Chacune de ses expressions serait disséquée à la loupe par les journalistes, les éditorialistes et les chroniqueurs de tout média. Petras savait y mettre les formes, il était à l’aise devant les caméras.


- Pouvez-vous vous lever, s’il vous plait ? demanda Petras.


Angela s’exécuta, sans broncher et réajusta le bouton de sa veste, tout en levant sa main droite.


- Pouvez-vous jurer, devant cette commission, de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ?


- Je le jure.


Un serment futile pour une situation toute aussi futile. Cela n’avait aucun sens pour elle. La commission n’avait que faire de son témoignage. Tous les agents d’Overwatch, en tout cas ceux qui ne s’étaient pas cachés aux autorités, avaient été minutieusement interrogés et questionnés depuis l’explosion du Quartier Général. Angela n’y avait pas échappé, et de toute manière elle n’avait rien à cacher.


Cependant, l’Organisation des Nations Unies n’avait pas réussi à retrouver les têtes pensantes de l’organisation, disparues ou présumées mortes. De ce fait, Angela dut trinquer pour les autres. C’était l’une des seules membres haut placés qu’ils avaient réussi à appréhender et, à contrecœur, elle avait dû participer à cette farce. La commission et les enquêteurs avaient suggéré de faire témoigner Torbjörn à sa place mais après une entrevue musclée avec l’ingénieur, ils s’étaient ravisés. Ce fut le seul réconfort qu’eut Angela à cet instant.


- Bien, pouvez-vous vous présenter devant la commission d’enquête, je vous prie ? fit Petras.


- Je suis le Docteur Angela Ziegler, diplômée de la Faculté de médecine de l’Université de Zurich et ancienne cheffe de la recherche médicale de l’organisation Overwatch.


- Quand êtes-vous entrée dans l’organisation ? enchaina Petras en tournant les pages des dossiers sous ses yeux.


- Quelques années après mon doctorat. Six ans plus exactement, si je ne me trompe pas, répondit simplement Angela. Je venais de prendre un poste de cheffe de la chirurgie dans un hôpital de la banlieue de Zurich et je venais d’arrêter l’enseignement à l’université pour me concentrer exclusivement sur la chirurgie et la recherche. Et c’est à ce moment-là que l’organisation m’a contactée.


- Par quel biais exactement vous a-t-elle contactée ? fit Helga Streng, la représentante norvégienne, d’une voix glaciale.


- Par le biais de son commandant, Jack Morrison, répondit simplement Angela en insistant sur le nom de l’ancien leader d’Overwatch. Il avait jeté un coup d’œil sur mes travaux en nanotechnologie et considérait que je pouvais apporter beaucoup au service de recherche et de développement d’Overwatch.


- Ce n’était pas la première fois que vous rencontriez, Morrison, je me trompe ? demanda Petras en levant les yeux de ses documents.


Angela sut aussitôt où le représentant américain voulait l’emmener.


- Non. Je l’avais déjà rencontré à quelques reprises lorsque …


- Dans quel contexte ? s’enquit Helga Streng.


- J’allais y venir…, répondit Angela qui ne cacha pas son agacement. Le Quartier Général d’Overwatch se situait non loin de Zurich, où je poursuivais mes études, et je connaissais un de ses membres car il était un ami de longue date de ma famille.


- Vous parlez bien de Torbjörn Lindholm ? demanda Rogelio Jimenez d’une voix caverneuse.


- C’est exact. C’était un ami de mes parents. Il se remettait de graves blessures et entamait une lourde rééducation à la suite d’une greffe de prothèse et je suis venu plusieurs fois au Quartier Général de l’organisation pour suivre ses progrès et son rétablissement. 


Rogelio Jimenez retourna une page de son dossier et du coin de l’œil, Angela crut apercevoir un cliché. Une photo, qu’elle n’aurait cru revoir dans cette situation bien précise, et pourtant elle faisait partie intégrante de l’enquête. 


- Ce cliché a bien été pris au cours d’une de vos visites ?


Aussitôt que William Petras eut prononcé sa phrase, une image holographique du cliché fut projetée juste au-dessus des membres de la commission, aux yeux de toute l’assemblée et des drones-caméras qui s’agglutinèrent autour de l’image pour en obtenir le meilleur angle.


La photo demeurait telle qu’elle s’en était souvenue. Un groupe de personnes prenait la pose, rien de très extraordinaire même s’il s’agissait de légendes : Jack Morrison, un sourire en coin, trônait au centre, entouré par Ana Amari et Wilhelm Reinhardt, ce dernier s’étant légèrement accroupi pour rentrer dans le cadre. La tireuse d’élite égyptienne avait les mains posées sur les épaules de sa fille, Fareeha, dont les manières enfantines et candides semblaient bien peu à leur place au milieu de ces adultes affirmés. Dans l’ombre des Amari, dissimulé sous une capuche, Gabriel Reyes affichait un air grave, contrastant avec la joie ambiante du cliché. Même Jesse McCree, son comparse de Blackwatch, semblait se mêler bien plus aisément à l’euphorie de la photo. Au premier plan, Torbjörn dévisageait le photographe en croisant les bras, dévoilant sa prothèse mécanique de bras gauche nouvellement acquise, aux côtés d’une femme blonde toute souriante qui faisait le V de la victoire avec sa main droite.


L’allégresse de l’Angela du passé semblait bien lointaine pour celle du présent. Pourtant tout lui revint en tête au beau milieu de cette salle d’audience. Ce jour-là, Torbjörn effectuait les dernières batteries de tests physiques et moteurs afin de pouvoir reprendre ses activités au sein de l’organisation. Angela avait insisté pour être présente, même si l’ingénieur le lui avait formellement interdit, et elle avait dû batailler pour qu’il arrête d’essayer de l’en dissuader. Mais elle ne fut pas la seule à assister à ces épreuves, Morrison et Reinhardt, en sortant d’un briefing de mission, s’étaient décidés à venir encourager leur camarade, bientôt rejoints par Ana et sa fille, qui avaient eu la même idée. Pour compléter l’assistance, Reyes et McCree s’étaient également joints à eux alors qu’ils passaient tous deux non loin des salles de rééducation. Torbjörn avait eu un véritable public pour ses examens finaux.


L’ingénieur avait juré dans sa barbe à chaque coup d’œil dans la salle d’observation, où il put voir la mine enjouée de Reinhardt qui exultait, motivant son frère d’armes, et les rictus moqueurs de McCree. Morrison et Reyes avaient observé sans broncher, tout comme la jeune Fareeha, tandis qu’Ana et Angela lui avaient offert quelques cris d’encouragement. Torbjörn avait bien réussi ses tests et Morrison avait proposer d’immortaliser ça pour célébrer la fin de la convalescence de l’ingénieur. Celui-ci avait refusé vivement, Angela se souvenait que la convalescence avait rendu Torbjörn encore plus acariâtre et bourru. Il désirait en finir avec tout ce cirque de rééducation et retourner travailler. Angela avait dû le convaincre - aidé par un Reinhardt qui semblait apaiser l’entêtement de l’ingénieur - pour le faire apparaitre sur la photo.


Et le résultat était maintenant dévoilé aux yeux de tous. Angela contempla son reflet du passé et l’envia longuement. Ses temps et ses moments plus simples étaient distants désormais. Cette photographie évoquait une autre époque, une époque de héros et de victoires. Aujourd’hui, Angela, mélancolique, ne pouvait regarder ce cliché sans penser aux échecs, aux morts, et aux légendes déchues.


- C’est exact, répondit Angela.


- Et quels étaient vos rapports avec Morrison ?


La question provenait de Muskeba Diarra, qui la jaugeait derrière de petites lunettes supportées par une fine chaine de métal, tout en affichant un sourire intéressé.


- Mes rapports avec Morrison étaient avant tout professionnels, ajouta Angela. Il avait apprécié mes recherches et en conséquence m’avait offert un emploi. Ma proximité avec l’ingénieur Lindholm l’a peut-être aiguillé à se tourner vers moi mais il ne m’a jamais fait croire que c’était le cas.


- Et malheureusement, il n’est plus là non plus pour le confirmer, conclut Muskeba d’un ton calme.


Angela acquiesça sans rien ajouter. La représentante sénégalaise remit ses lunettes sur son nez pour se replonger dans ses dossiers alors que William Petras et Helga Streng échangèrent un regard.


- Docteur Ziegler, l’interpella Streng. Jack Morrison vous a placé à la tête de la recherche médicale et en tant que commandant, il était donc votre unique supérieur hiérarchique au sein d’Overwatch ?


- C’est bien cela, je ne devais répondre qu’à lui. Cependant j’avais une très grande liberté au sein de l’organisation dans tout ce qui touchait à mon domaine.

Helga Streng marqua un temps de pause ce qui permit à l’essaim de drones-caméras de se repositionner dans la salle d’audience.

 

- Et quelles étaient vos appréhensions vis-à-vis de Jack Morrison ? En tant qu’individu et en tant que commandant ?


Angela savait ce que la commission voulait entendre, et elle n’avait aucune raison de lui mentir. Elle avait déjà répondu à cette question dans une salle d’interrogatoire entourée par des agents gouvernementaux. Les membres de la commission avaient assurément la retranscription de ces échanges dans leurs dossiers d’enquête et se contentaient simplement de jouer cette farce pour avoir de belles images à montrer au public.


Jack Morrison était mort et Angela n’appréciait pas le mensonge. Son père exécrait le mensonge et lui avait enseigné, dès son plus jeune âge, qu’il n’y avait parmi les maux rien de plus vil que le mensonge. Il lui répétait souvent : La vérité finit toujours par se découvrir, alors mentir n’est qu’une perte de temps. Jack Morrison était mort et n’avait laissé aucune famille derrière lui. Angela n’allait pas embellir la réalité et se contenterait d’être sincère. Ce qu’elle dirait n’allait porter tort à personne, sauf aux morts.


- Jack Morrison était un militaire de formation, commença Angela. En cela, lui et moi étions très différents. Il était zélé, droit et pragmatique : un soldat en somme. Pour ma part, en tant que médecin, je me suis toujours opposée à l’usage de la force pour résoudre les conflits, d’où mes réticences à rejoindre une organisation crée pour répondre à une menace armée, par la force armée. Pourtant, Morrison m’a invité à les rejoindre en plaidant que l’organisation avait changé et désirait se tourner vers la recherche scientifique et améliorer les avancées médicales.


- Et donc, c’est ce qui vous a poussé à rejoindre Overwatch ? questionna la représentante italienne, prenant la parole pour la première fois.


Angela se surprit à se remémorer ce que le commandant Morrison lui avait annoncé au cours de leur entretien, il y a des années de cela :


- Docteur Ziegler, je dois vous avouer que j’ai bien lu votre papier mais que je n’ai pas compris grand-chose…. Je suis un militaire et je ne suis pas suffisamment à l’aise avec tout ce qui est scientifique…. Et pourtant tout le monde me vante votre travail et je pense que vous auriez votre place à Overwatch…. Je sais que cela ne vous plait pas de devoir travailler avec des militaires mais tout comme vous, maintenant que la Guerre des Omnium est finie, je pense à l’avenir et je souhaite que personne ne souffre comme nous avons souffert. Aujourd’hui, j’ai plus besoin de médecins dans mes rangs que de soldats. On ne peut pas guérir quelqu’un avec des balles….


- Jack Morrison et moi étions de milieux différents, répondit Angela, mais nous souhaitions, avant tout, protéger des vies. La Crise des Omnium nous avait profondément marqués : lui en tant que soldat et moi en tant qu’orpheline de guerre…. Les moyens d’Overwatch m’ont permis de faire des avancées qui étaient presque inimaginables au sein d’hôpitaux universitaires ou de laboratoires de recherches. En cela, je suis très reconnaissante de l’opportunité que m’a offerte Jack Morrison et Overwatch. Cependant, au fur et à mesure que les années passèrent et que moi et mon équipe poursuivions nos travaux de recherche, j’ai constaté que l’organisation n’hésitait pas à partager nos avancées et à utiliser nos découvertes afin d’étendre son arsenal de guerre. Et ce, sans mon accord.


- Quand avez-vous découvert qu’Overwatch utilisait ces découvertes à vos dépends ? fit le représentant coréen.


- Avec l’incident de Venise et les révélations sur Blackwatch…, avoua Angela.


Elle fut aux premières loges pour assister au sourire satisfait de William Petras. Une vague de murmures parcourut la salle et les drones-caméras s’agitèrent pour capter les bruits de la salle.


- Ce que vous essayez de nous dire, Docteur Ziegler, répliqua Petras, c’est que vous ignoriez l’existence de Blackwatch, malgré votre place dans la hiérarchie de l’organisation ?


La question n’était pas anodine et Angela crut discerner du sarcasme dans le ton de Petras. L’incident de Venise avait mis Overwatch sous le feu des critiques. La division des opérations clandestines d’Overwatch avait été compromise, révélée aux yeux de tous, même au sein de sa propre organisation mère. A l’époque, Angela s’était sentie trahie. Elle avait rejoint Overwatch pour préserver la paix et protéger les faibles et elle venait de découvrir avec stupeur que l’organisation s’était octroyée le droit d’intervenir et d’agir au sein d’Etats souverains et ce en violation de tous les traités internationaux.


Elle avait eu du mal à encaisser l’hypocrisie de sa situation. Au cours des années, elle pensait avoir combattu les oppresseurs et les despotes, or en réalité, elle les armait, les soignait et leur fournissait la technologie et les avancées scientifiques nécessaires pour assouvir leur soif de pouvoir.


Angela avait eu des mots avec Jack Morrison. Apprendre que Blackwatch avait sa propre section médicale et scientifique – indépendante de la sienne – l’avait rendue furieuse. De plus, elle avait eu connaissance qu’une généticienne controversée avait pris la tête de cette section et ce dans le plus grand secret. A cinq reprises, elle avait posé sa lettre de démission sur le bureau de Morrison. Le commandant d’Overwatch, s’était alors confondu en excuses et l’avait convaincu que cela ne se reproduirait plus et qu’il avait mésestimé la capacité de Gabriel Reyes à gérer cette organisation clandestine. Depuis, leurs rapports s’étaient dégradés. La proximité, qu’ils avaient entretenu depuis son recrutement, avait disparu derrière un formalisme adapté à leurs rapports de travail. Jack Morrison avait dû se contenter de ça car Angela n’avait pas oublié ce manquement à sa parole et elle lui rappelait fréquemment.


- Non. J’ai découvert l’existence de Blackwatch comme tout le monde. Avoua-t-elle sans sourciller. Jack Morrison était le seul au courant au sein d’Overwatch et, disons que je lui ai fait part de mes profonds désaccords.


- Pouvez-vous être plus précise ? l’interpella Helga Streng. Sur quels points étiez-vous en désaccord ?


Angela demeura silencieuse sous le regard froid et appuyé de la norvégienne, cherchant ses mots.


- Eh bien…. Je me suis sentie trahie par Morrison et les personnes à la tête de Blackwatch : Gabriel Reyes, Gérard Lacroix. J’ai été frappée de profondes désillusions sur le devenir d’Overwatch, sur ses objectifs de paix et de progrès. Ce n’était pas l’organisation à laquelle je souhaitais appartenir. Je comptais sauver des vies mais je ne voulais pas que mes découvertes servent à détruire des vies. J’ai donné ma démission au commandant à plusieurs reprises mais celui-ci a constamment refusé. Il m’a retenu par tous les moyens au sein de l’équipe et je me suis dès lors montrée beaucoup plus méfiante envers la hiérarchie.


Les drones-caméras l’entouraient alors qu’elle terminait sa tirade. Angela vit que le représentant américain acquiesçait calmement à ses propos comme un professeur heureux qu’un élève récite parfaitement sa leçon.


- Et pour Gabriel Reyes ? L’ancien commandant de Blackwatch, demanda Jimenez en montrant l’homme encapuchonné de la photographie derrière lui. Quelles étaient vos relations avec lui ?


- Elles étaient bien moins familières qu’avec le commandant Morrison. Gabriel Reyes était un homme taciturne et austère. Morrison et lui étaient des compagnons d’armes depuis des années, mais ils étaient très différents. J’avais des affinités avec le commandant Morrison mais aucune avec le commandant Reyes. De toute manière, lorsque j’ai été recruté au sein d’Overwatch, il dirigeait déjà la branche clandestine de l’organisation et je n’ai donc jamais été sous ses ordres. 


Rogelio Jimenez se raclât la gorge, et se tourna vers Petras qui embraya sur la question suivante :


- De nombreux agents d’Overwatch nous ont parlé de tensions entre Morrison et Reyes ? Est-ce que vous pouvez nous le confirmer ?


- Oui, je peux vous le confirmer. J’ai assisté à des rencontres tendues et des échanges houleux. Au sein de l’organisation, on disait que cela avait commencé après l’incident de Venise et la suspension d’activités de Blackwatch.


- D’autres sources parlent de l’éviction de Gabriel Reyes en tant que commandant d’Overwatch, au bénéfice de Morrison, comme l’élément déclencheur de leur mésentente, contredit Ezra Zourhlal. Était-ce également le cas ?


- Je n’étais pas encore arrivé au sein d’Overwatch à cette époque je ne peux pas vous l’infirmer ni le confirmer, reprit Angela. Cependant, on peut supposer qu’à ce moment-là, Reyes avait dû prendre le commandement de Blackwatch et n’avait plus rien à envier à Morrison. Et lorsqu’on lui retira son os à ronger, l’amertume de Reyes envers Morrison se développa et les échanges entre les deux devinrent très compliqués.


- Parlez-nous de ces échanges, Docteur Ziegler, je vous prie, demanda sèchement Helga Streng.


Les souvenirs d’Angela étaient flous sur ce point. Ces derniers mois, les disputes de Gabriel et Jack s’étaient ancrées dans le quotidien de l’organisation et beaucoup avaient préféré les ignorer pour se concentrer sur leur travail et leurs différentes assignations.


- Je me souviens que la plupart des échanges concernaient la gestion de l’organisation. Gabriel Reyes ruminait dans son coin et en voulait à la Terre entière. On l’avait suspendu, on lui avait retiré son jouet et il était décrié dans tous les médias donc Reyes s’était attelé à s’immiscer dans les affaires de Morrison, tout en critiquant ses méthodes de commandement. A certains briefings de mission, il s’installait comme simple spectateur et ce dans le seul but de remettre en cause les plans d’attaques et les stratégies approuvés par Morrison. Le commandant Morrison réagissait mal aux remarques de Reyes et n’hésitait pas à lui rappeler ses propres erreurs au sein de Blackwatch ce qui ne faisait qu’envenimer les choses. J’ai été témoin de ces briefings et on m’a rapporté que ce genre d’échanges entre les deux hommes étaient bien plus fréquents qu’il n’y paraissait.


- Les témoignages que nous avons rassemblés vont également dans ce sens, ajouta Muskeba Diarra avec un sourire. Un proverbe de chez moi dit : « Qui se sent seul doit rejoindre le troupeau… »


La remarque de la représentante sénégalaise intrigua les membres de la commission qui se tournèrent vers elle dans un élan incrédule auquel Muskeba Diarra réagit par une nonchalance non dissimulée.


- Je vous remercie pour votre apport, représentante Diarra, poursuivit William Petras. Tout ce qui ressort de ces témoignages, c’est qu’au sein d’Overwatch existait un combat de coqs. Et que ces coqs se battaient pour un tas de fumier.


Contrairement à celle de Diarra, la remarque de Petras fit mouche et de légers rires parcoururent la salle d’audience tandis que de fins sourires apparurent sur les visages. Cela déplut à Angela. Il y a quelques années, personne n’aurait ainsi dénigré Jack Morrison ou Gabriel Reyes. Lors de la Crise des Omnium, ils avaient été portés aux nues comme les sauveurs de l’humanité contre la menace omniaque, en même temps qu’Overwatch Les temps avaient changé et leurs manquements avaient assombris leurs succès, entrainant l’organisation dans leur chute. Angela ne pouvait nier les échecs et les erreurs des deux commandants mais cette attaque de Petras contre eux, et Overwatch, était très mesquine, surtout envers les morts. Rien d’étonnant après tout, les considérations de cet homme s’arrêtaient lorsque celles-ci constituaient un obstacle pour ses ambitions politiques. Angela espérait qu’il dormait bien sur ses deux oreilles la nuit car Morrison et Reyes pourraient bien décider de revenir le hanter.


- Evitons de digresser, rappela à l’ordre William Petras. Docteur Ziegler, nos témoignages parlent du fait que les relations entre Reyes et Morrison s’étaient subitement dégradées et ce depuis quelques mois. Pouvez-vous confirmer ces témoignages ?


Angela soupira longuement en refermant la bouteille avec laquelle elle s’était servi un verre. Sa gorge était sèche.


- Oui. Je peux le confirmer, se contenta-t-elle de répondre avant de boire une gorgée d’eau.


Les membres de la commission la dévisagèrent avec insistance.


- Pourriez-vous nous éclairer, Docteur Ziegler ? Notamment sur les raisons de ces dégradations récentes ?


- Cela est en lien avec disparition d’Ana Ama… du Capitaine Ana Amari.


- Qui est également sur cette photo, ajouta Streng.


Angela accorda un léger coup d’œil à l’Egyptienne qui trônait victorieuse sur le cliché, encadrant sa fille unique et ses compagnons d’armes.


- Oui, répondit Angela. La Capitaine Amari faisait partie des membres fondateurs d’Overwatch tout comme Reyes et Morrison. Ils ont combattu ensemble durant de longues années, ils étaient frères d’armes, si je peux utiliser cette expression.


Angela crut discerner un gloussement amusé de Muskeba Diarra mais n’y prêta que peu d’attention.


- La Capitaine Amari a disparu au cours d’une mission de sauvetage contre une organisation armée hostile en Pologne et nous n’avons jamais pu retrouver son corps.


Angela se rappela ce jour précis où l’équipe d’intervention de Morrison était revenue de ladite mission : les mines graves et endeuillées des membres de l’aéronef, les yeux rouges et dingues de Jack, la rage rauque et désespérée de Gabriel.


- Après la disparition de la Capitaine Amari, la plupart des membres de l’organisation ont réalisé à quel point elle jouait un rôle important dans la relation entre Morrison et Reyes. Elle savait les temporiser et calmer les tensions entre eux. En réalité, tout le monde à Overwatch a souffert de la disparition du Capitaine Amari. Elle était appréciée de tous. C’était une instructrice dure mais juste, une commandante rigoureuse mais proche de ses subordonnées, une collègue dévouée et empathique. Et pour Jack et Gabriel…. Après sa disparition, plus rien ne les empêchait de s’entredéchirer.


Tout cela ne serait pas arrivé sous mon commandement ! Les paroles revenaient à Angela. C’est entièrement ta faute ! Tu es le seul et l’unique responsable ! Elle enfouit ses souvenirs au plus profond de son esprit et s’efforça de ne plus y songer.


- Vous semblez encore affectée par la disparition de la capitaine Amari, Docteur Ziegler, fit remarquer Muskeba Diarra.


Angela releva la tête vers la représentante sénégalaise dont les yeux scrutaient le médecin derrière ses lunettes rondes.


- Overwatch n’a plus jamais été la même après sa mort, expliqua-t-elle. Elle connaissait tout le monde et tout le monde la connaissait. Sur le terrain, son nom de code était « Maman Ourse ». C’était une figure maternelle.


Une pause s’installa dans la salle d’audience alors que l’image d’Ana Amari sur la photographie semblait sourire à l’assemblée, comme le portrait d’un défunt à une oraison funèbre.


- Nul ne sait ce qu'est de pleurer avant d'avoir perdu sa mère….


Sans regarder les membres de la commission, Angela sut qu’il s’agissait d’un autre proverbe de la représentante sénégalaise. Il était très juste et Overwatch avait pleuré la Capitaine Amari qui était morte en soldate comme elle avait toujours vécue. Angela songea qu’elle aurait été terriblement affectée d’apprendre la chute d’Overwatch. Et pour Fareeha…. Elle avait dû faire son deuil et avancer.


- Poursuivons, invita William Petras d’une voix claire.


Le représentant américain tourna les pages de son dossier et se racla la gorge.


- Docteur Ziegler, pensez-vous que l’animosité entre Jack Morrison et Gabriel Reyes ait poussé ce dernier à agir contre l’organisation ?


Petras venait de terminer le prélude de son spectacle et maintenant débutait le véritable show. 


- Non, j’en doute sérieusement, répondit Angela. Gabriel Reyes avait de profonds ressentiments contre sa mise à pied et contre Jack Morrison mais il n’aurait jamais pu s’attaquer à l’organisation.


Sur ce point, Angela n’alla pas plus dans les détails. Elle savait qu’elle n’avait pas la réponse à cette question et que les preuves présentées par la commission allaient en partie prouver le contraire. Mais elle n’arrivait pas à reconnaitre cette version des évènements qui allait à l’encontre de ce qu’elle avait vécu au sein d’Overwatch. Elle n’imaginait pas Reyes aller aussi loin. Même ses récents conflits avec l’organisation ne justifiaient pas de telles représailles.


- Pourtant, nous avons des images et des enregistrements, répliqua Agostina Di Maria, qui prouvent bien que, le jour de l’attentat contre le quartier général d’Overwatch, Gabriel Reyes avait attaqué l’organisation de l’intérieur. Pouvons-nous voir les clichés de vidéosurveillance que nous avons pu récupérer malgré la destruction du site ?


Les images holographiques apparurent derrière la commission et Angela put apercevoir à nouveau les preuves de la commission d’enquête. Elle avait déjà pu les observer lorsqu’on les lui avait présentés lors de son interrogatoire individuel. On y voyait des hommes cagoulés, portant des uniformes de sécurité d’Overwatch, équipés d’armes de poing et de fusils d’assaut, dans les couloirs du quartier général à Zurich. Ils semblaient en situation de combat, prêts à abattre toute personne qui leur ferait obstacle. Cela se déduisait par les corps étendus au sol qu’on pouvait voir sur les photos. Puis il y avait la silhouette encapuchonnée qui sortait du lot, qu’on apercevait sur certains clichés et qui semblait mener le groupe. Par son équipement et ses armes, tout portait à croire qu’il s’agissait de Gabriel Reyes, même si aucun cliché ne leur permettait de véritablement distinguer le visage sous la capuche.


- Le meneur du groupe d’assaut porte la tenue de Blackwatch, tout à fait identique à celle des agents de l’incident de Venise, particulièrement à celle de Gabriel Reyes. On notera aussi que celui-ci possède deux fusils à pompe, ce qui correspond aux armes utilisées par Reyes dans le cadre de ses opérations de terrain, ce qui est vérifiable via les rapports de mission d’Overwatch. Ce faisceau d’indices désigne Gabriel Reyes comme le meneur du groupe d’assaut, responsable de la destruction du quartier général. Quant aux autres membres de l’équipe d’assaut, rien ne nous permet de les identifier clairement. A l’instar de Reyes, leurs corps n’ont pas été retrouvés.


- Docteur Ziegler, reprit Petras à la suite de l’intervention de la représentante italienne. Je comprends que votre affiliation avec l’organisation peut affecter votre point de vue mais l’implication de Reyes dans la destruction du quartier général de Zurich est, aujourd’hui, indéniable.


Il y a joué un rôle, concéda intérieurement Angela, mais il n’était surement pas seul derrière cette opération. Cet attentat avait été minutieusement préparé, alors que l’effectif de la base était réduit. Reyes et son équipe avaient frappé au bon moment alors que la défense de la base était la plus vulnérable. De plus, la destruction totale de la base laissait suggérer que des charges explosives avaient été placées à des endroits stratégiques du quartier général. Ainsi si la puissance des explosions n’avait pas détruit la base, cela avait grandement fragilisé les installations, entrainant directement son total effondrement. Cette précision trahissait la théorie d’un agent ennemi à l’intérieur d’Overwatch et Gabriel Reyes était le coupable tout désigné. Mais pour Angela, c’était une version bien trop simple qui avait pour unique avantage de corroborer le point de vue biaisé de William Petras : Overwatch s’était effondrée sur elle-même, rongée par des conflits internes et par la soif de pouvoir dévorante de ses hauts-gradés.


- Cet enregistrement audio atteste bien que Reyes menait cette attaque, appuya Agostina Di Maria. Pouvons-nous entendre l’enregistrement ?


Une volée de balles résonna dans la salle d’audience ce qui en surprit plus d’un. C’était un son peu commun, Angela aperçut des gens sursauter autour d’elle. Elle était dorénavant habituée aux coups de feu et au bruit des fusillades mais cela n’empêcha pas un frisson de parcourir son échine.


- Intrus au niveau du secteur 7G ! fit une voix entrecoupée de grésillements. Ils portent des uniformes d’Overwatch ! Demande de ren….


Un claquement sec tonna, suivi d’une autre nuée de tirs et d’une voix plus lointaine et grave qui résonna à travers la salle :


- On avance ! On a déjà perdu suffisamment de temps !


Angela reconnut le timbre sombre de Gabriel avant qu’une nouvelle volée de balles fit écho dans la salle.


- Bougez-vous ! On doit rejoindre les étages inférieurs ! ordonna à nouveau Reyes alors que le son de sa voix disparaissait sous les hurlements des balles.


De nouveaux échanges de tirs resonnèrent puis s’interrompirent soudainement ramenant le silence dans la salle d’audience.


- Nos témoignages, poursuivit Petras, identifient clairement la seconde voix de cet enregistrement comme Gabriel Reyes. Pouvez-vous le confirmer, Docteur Ziegler ?


- Oui c’est bien la voix de Gabriel Reyes, répondit Angela. Cela ne prouve rien néanmoins.


- Vous semblez vous contredire, Docteur Ziegler, fit remarquer William Petras d’un sourire sarcastique. Vous considérez qu’il est fortement improbable que Reyes puisse attaquer Overwatch et néanmoins vous reconnaissez les preuves accablantes à son encontre. Votre incertitude laisse cette commission plus que perplexe….


Tout comme lors de son interrogatoire, elle s’était contentée de répondre sincèrement. Elle mettait un point d’honneur à rester juste sur ces questions. Petras n’arriverait pas à lui faire reconnaitre la pleine responsabilité de Reyes, celui-ci n’étant même plus en mesure de se défendre. La destruction du quartier général de Zurich avait été une tragédie, et beaucoup de ses amis et collègues avaient péri au cours de l’incident. Même si tout semblait accuser Reyes, Angela était convaincue que cela était bien plus complexe que ça. Tout comme les autres, la destruction du quartier général était encore un mystère. Et ceux qui avaient les réponses étaient morts ou disparus. Angela pensa que quelque part la veuve de Reyes et son enfant regardait l’audience en ce moment. Elle ne désirait pas que ce dernier se souvienne de son père comme un terroriste.


- Je ne me contredis pas, dit sèchement Angela. Je souhaite juste appuyer que malgré les preuves rassemblées par la commission, la responsabilité de Reyes ne peut qu’être suggérée et qu’il y a énormément de zones d’ombres concernant la destruction du quartier général.


- C’est le but de cette commission d’enquête, répondit William Petras ironiquement. Nous cherchons à déterminer les causes et les responsables de ce tragique évènement. Vous avez sciemment décidé d’aider cette commission, Docteur Ziegler.


- Et je l’ai fait, reprit immédiatement Angela d’un ton posé. Je n’étais pas présente à Zurich le jour de l’incident. Cependant, notre propre enquête laisse suggérer que des charges ont été placés à des endroits stratégiques de la base de Zurich pour fragiliser ses structures mais surtout pour faire un maximum de dégâts, dans les réserves de carburants ou bien dans les systèmes d’alimentation électrique.


- Overwatch a déjà fait face à des attaques terroristes par le passé, nota Helga Streng.


- Comme à Oslo ou à Rome, ajouta Agostina Di Maria, ce qui a entrainé d’importantes pertes dans vos rangs ainsi que des dommages collatéraux regrettables….


- Overwatch avait beaucoup d’ennemis, expliqua Petras, autant en son sein qu’à l’extérieur. Il est cependant regrettable que des individus comme Gabriel Reyes ait décidé de se la jouer « Œil pour œil, dent pour dent ». Je crois que ce proverbe là, tout le monde le connait.


Sur sa remarque qu’il considérait pertinente, Petras jeta un coup d’œil à Muskeba Diarra, qui semblait totalement indifférente à son trait d’humour.


- À la suite de ce qui s’est déroulé à Rome, Reyes a décidé de faire justice soi-même et a donc assassiné Antonio Bartalotti avec les moyens qui lui ont été octroyé par Blackwatch, en violant la souveraineté de l’Italie, en outrepassant ses droits et en bafouant l’ensemble de ses devoirs.


La voix de Petras se répercuta aux quatre coins de la salle et l’orateur profita d’une pause pour reprendre son souffle.


- Alors Docteur Ziegler, lorsque vous avancez que Gabriel Reyes ne serait pas capable de s’attaquer à Overwatch alors que tout semble indiquer le contraire - les charges placées à des endroits critiques de la base, les uniformes de sécurité, le système de surveillance piratée – sachez que je n’y crois pas une seule seconde.


Angela sentit la suffisance dans les propos de Petras alors que la foule reprit ses discussions à voix basse.


- Vous m’avez demandé de témoigner et c’est que j’ai fait. Répondit-elle mettant fin au tumulte des murmures dans son dos. Je n’ai eu qu’une vision limitée des relations qui se sont noués au plus haut rang de l’organisation. Beaucoup de choses m’ont échappé et beaucoup d’inconnus demeurent concernant la destruction du quartier général de Zurich. Et je doute que cette commission puisse arriver à un résultat satisfaisant sans l’intervention d’un témoin clef.


- Lequel, Docteur Ziegler ? coupa Petras.


Sa réponse ne se fit pas attendre.


- Gabriel Reyes.


Les discussions de la foule reprirent alors qu’Angela et Petras se jaugeaient du regard. Elle n’en démordait pas et elle n’allait pas docilement se laisser faire. Aux côtés de Petras, Angela crut apercevoir un sourire non dissimulé se dessiner sur les lèvres de Muskeba Diarra.


- Vous m’avez permis de témoigner et d’éclaircir ce qui aurait causé la destruction du quartier général de Zurich mais finalement, c’est toute la chute d’Overwatch qu’on essaie d’autopsier. Et malheureusement pour ceux qui veulent des réponses concrètes, je n’en ai aucune. Tout ce que je peux vous donner, c’est vous donner ma vérité, et c’est ce qui m’a poussé à témoigner auprès de la commission d’enquête. La vérité, c’est ce qu’Overwatch devait aux gens du monde entier, mais elle s’est fourvoyée dans des non-dits et s’est égarée aux delà de ses propres limites. Overwatch a perdu ce qu’elle était à ses origines et tout le monde devrait savoir pourquoi. Soit on joue selon les règles, soit on ne vaut pas mieux que ceux que l’on combat. La vérité c’est tout ce que je peux vous donner. C’est ce que mérite mes collègues, ceux qui ont disparu et ceux qui comme moi devront vivre jusqu’au bout.


Le silence s’installa dans la salle alors que la réplique d’Angela vint à son terme. Les membres de la commission restèrent de marbre sauf William Petras dont la bouche forma un discret sourire en coin.  Le spectacle de William Petras avait été bien calibré et Angela s’était tenue à sa partition, pour la plupart des questions. Elle s’était permise certains écarts mais Petras l’avait rapidement ramené vers sur le chemin qu’il avait tracé pour l’audition. Angela avait rempli sa part du marché et sans trahir ce qu’elle considérait comme sa vérité et Petras avait eu ce qu’il désirait.


Depuis des années, le représentant américain voulait le démantèlement d’Overwatch et avait bataillé pour dénoncer les erreurs et les abus de pouvoir de l’organisation. Finalement, sur ce point, Angela et lui étaient sur la même longueur d’onde. Ils reconnaissaient qu’Overwatch avait outrepassé ses objectifs premiers et avait dépassé ses propres limites devenant une menace pour l’équilibre des forces du monde. En cela, Angela avait été fort utile pour William Petras, elle allait dans son sens. Mais Petras voyait dans cette dénonciation un moyen d’affirmer sa supériorité et son influence alors qu’Angela y voyait une leçon pour les générations futures, une erreur à ne pas reproduire. C’est pour cela qu’elle souhaitait avoir le dernier mot et contrecarrer Petras.


Angela soupira longuement et retira ses lunettes. D’un geste lent, elle prit une gorgée d’eau alors qu’en face d’elle, les membres de la commission débattaient à mi-voix, faisant attention qu’aucun de leurs micros ne fasse ébruiter leurs conversations.


- Je pense qu’il est inutile d’aller plus loin sur ce point, annonça Petras à l’assemblée.


Angela sentit un poids se libérer de sa poitrine. Elle était enfin libérée de cette charge.


- Avant cela, Docteur Ziegler, j’ai une dernière remarque. Une dernière question plutôt.


Elle se figea un instant pour observer William Petras dont le visage se mua en une moue moqueuse. Angela sentit un frisson remonter dans son dos.


- Précédemment, vous avez dit que votre appartenance à Overwatch provenait d’abord de votre envie de sauver des vies et non de les détruire. Est-ce bien exact ?


Elle se sentit soudainement prise au dépourvu, ignorant où le représentant désirait l’emmener. Petras s’écartait de sa propre partition.


- C’est exact, répondit-elle simplement.


- Il y a quelques instants, vous disiez – je vous cite – soit on joue selon les règles, soit on ne vaut pas mieux que ceux que l’on combat.


Petras se délectait de l’intonation de chacun de ses mots tandis qu’à ses côtés Helga Streng venait de croiser les bras sur sa poitrine et offrit à l’assemblée un premier sourire, ce qui fit comprendre à Angela que quelque chose n’allait pas. Elle parcourut les visages des autres membres de la commission, Rogelio Jimenez se frottait lentement la barbe et Agostina Di Maria replaçait ses lunettes sur son front où se débattaient ses mèches noires et ses yeux pincés se posèrent sur elle, comme un rapace sur sa proie. La représentante sénégalaise, le représentant coréen et la représentante tunisienne se détachaient de l’attitude du reste de la commission. La tunisienne Zourhlal s’était replongée dans son dossier d’enquête, indifférente à ce qui se passait autour d’elle. Le visage de Bong Yung-Gi trahissait une certaine gêne là où les traits de Muskeba Diarra dévoilaient son agacement.


- Vous dénoncez la politique interventionniste d’Overwatch, reprit Petras, et notamment les nombreuses opérations totalement hors la loi et non autorisées de l’organisation. Cependant, Docteur Ziegler, vous avez, vous-même, participé à ces interventions illégales.


Et le piège se referma sur elle.


- Oui, j’ai participé à de telles opérations, répondit sincèrement Angela.


- Je trouve cela assez paradoxal de votre part, Docteur Ziegler, voire hypocrite de dénoncer les excès d’Overwatch alors que, par votre implication dans ces opérations, vous avez cautionné ces pratiques illégales. Par exemple, vous aviez participé à une opération clandestine, sous l’égide d’Overwatch de plus, alors même que Blackwatch avait été suspendu et que, comme vous l’avez dit auparavant, vous étiez devenue sceptique vis-à-vis de l’organisation. Il s’agissait d’intervenir sur le territoire britannique lors du soulèvement du Secteur Zéro. Dans les archives d’Overwatch, nous avons pu retrouver des clichés qui attestent de votre présence sur place.


Les images apparurent dans le dos de la commission et les drones-caméras se ruèrent dessus. Ils s’agissaient de photos prises sur le vif, montrant des combats de rue au sein d’un Londres ravagé par le chaos et les flammes. Sur les photos, Angela reconnut la jeune Lena, Torbjörn et Reinhardt qui affrontaient des hordes d’omniaques. C’était la première fois que la jeune anglaise allait sur le terrain en tant qu’agent d’Overwatch et Angela se souvint que le commandant Morrison lui avait demandé de veiller sur celle qui s’identifierait plus tard sous le nom de code « Tracer ». Elle était également présente sur les clichés, survolant le champ de bataille dans son armure Valkyrie équipée de son Caducée, tous deux issus de sa propre invention. Angela ignorait comment la commission avait réuni ces photographies, elle ne les avait jamais vu auparavant. Un autre cliché d’elle la montrait armée tirant sur un omniaque. La photo était peu flatteuse et laissait suggérer qu’Angela attaquait délibérément l’omniaque, or elle savait qu’au cours de cette mission, elle n’avait utilisé son arme que pour se défendre. Les autres membres de son équipe avaient été le fer de lance et elle les avait soutenu et soigné comme elle l’avait toujours fait sur le terrain.


- C’était une mission, certes ordonnée contre l’avis du Premier Ministre Britannique, expliqua Angela tout en conservant son calme, mais elle avait pour but de sauver des vies civiles. De nombreux individus vivaient sous l’emprise du Secteur Zéro, sans soins médicaux, sans nourriture, de plus les omniaques du Secteur Zéro avaient pris en otage la maire de Londres ainsi que Tekhartha Mondatta et d’autres officiels de la ville. Le gouvernement britannique était dans l’incapacité d’agir. Alors face à cela, alors que le bilan en pertes s’alourdissait, le commandant Morrison a pris la décision d’envoyer une équipe sur place pour sauver les otages, offrir les premiers soins aux plus vulnérables et créer une zone d’évacuation des civils.


- Cela restait une opération parfaitement illégale, portant atteinte à la souveraineté de la Grande-Bretagne, affirma Rogelio Jimenez. Overwatch a outrepassé ses droits, Docteur Ziegler.


- Pour sauver des vies, Monsieur Jimenez, insista Angela. Vous n’avez qu’à observer le nombre de morts lors du soulèvement du Secteur Zéro, si nous étions intervenus plus tôt, des victimes auraient été épargnées. Sur ce point, je soutiens que si Overwatch n’était pas intervenue, le soulèvement se serait étendu au reste du pays, voire au reste du continent européen, provoquant des milliers de morts et encore bien plus de blessés. Car c’est pour cela qu’Overwatch a vu le jour, pour aider et protéger les innocents.


- C’est un point de vue, Docteur Ziegler, poursuivit William Petras de manière insidieuse, mais du point de vue de la commission, il s’agissait quand même d’une enfreinte à la loi, un précédent, qui a poussé Overwatch à continuer d’agir sans réel garde-fou, comme ce fut le cas à Singapour.


D’autres images remplacèrent celles de Londres pour dévoiler une avenue de la métropole asiatique en véritable théâtre de guerre. Ces clichés semblaient avoir été pris par des passants qui avaient assistés à l’attaque. Les photos étaient parfois floues, de mauvaise qualité ou mal cadrées. Sur des carcasses de véhicules, trônait la silhouette d’un homme grand au torse nu, musclé et optimisé technologiquement. En contrebas, Winston, Lena et Genji lui faisaient face, prêts à en découdre. Angela pensa à ces anciens coéquipiers. Est-ce qu’ils la regardaient en ce moment ? Tracer était surement rentrée en Grande-Bretagne mais elle n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait Winston et Genji. Elle espérait que le scientifique avait trouvé un endroit où il pourrait continuer ses recherches, tandis que pour le japonais, elle lui souhaitait un endroit paisible où il pourrait trouver un peu de sérénité, jusqu’à leur prochaine rencontre. 


A la Havane, ils avaient réussi à capturer Maximilien, un membre éminent de la Griffe et ils avaient réussi à trouver un accord avec lui. Angela avait mené cette mission et elle s’était tenue au rôle de négociatrice mais elle n’avait pas foncièrement apprécié de conclure un marché avec un criminel comme Maximilien. Il n’était qu’un intermédiaire au sein de l’organisation criminelle, son argent sale finançait les opérations et les actions illégales de la Griffe. Evidemment, ses mains n’étaient pas entachées de sang mais les nombreux agents qu’il avait à sa solde n’étaient pas aussi innocents. Et pourtant, au travers de l’accord avec Maximilien, Overwatch entendait atteindre une personne bien plus essentielle à l’organisation de la Griffe : Akande Ogundimu, reconnu dans le monde entier sous le nom de « Doomfist ».


Les informations données par Maximilien les avaient menés sur la piste d’Ogundimu à Singapour mais le temps leur manquait. Le commandant Morrison voulait absolument éviter que Doomfist s’échappe et avait passé outre les procédures préliminaires à une telle intervention de capture. Tracer, Winston, Genji et elle avaient été envoyés dans la précipitation pour appréhender l’un des haut-gradés de la Griffe et cela s’était déroulé dans des circonstances bien regrettables.


Comme le montraient les clichés et les vidéos, l’affrontement avait été inévitable. Akande Ogundimu s’était montré fidèle à sa réputation et avait fermement résisté à son arrestation. Dans un coin des projections, Angela vit Genji voler à travers les vitres d’un building alors que Tracer continuait de mitrailler Doomfist. Ailleurs, une voiturette fila vers l’objectif d’une caméra alors qu’au loin, on distinguait le criminel aux prises avec les agents d’Overwatch. Angela apparut enfin à l’image apportant les premiers soins à une famille refugiée dans un restaurant, tout en gardant un œil sur le combat qui se déroulait dans la rue. Une déflagration souffla les vitres du restaurant et Angela protégea la famille avec les ailes de son armure Valkyrie.


Un quartier entier de Singapour avait été ravagé. L’arrestation de Doomfist s’était accompagnée de nombreuses victimes collatérales, surtout lors du baroud d’honneur du criminel qui, après avoir neutralisé Tracer et Genji, s’était confronté en combat singulier avec le gorille de l’équipe. Dans un déchainement de force et de violence, Winston et Doomfist s’étaient livrés à un pugilat sauvage qui s’était conclu avec la victoire du scientifique d’Overwatch. Cependant, malgré la réussite de la mission, celle-ci était amère aux vues du nombre de blessés et de morts.


- Il s’agit encore là d’une intervention illégale, fit Petras en présentant les images dans son dos, ordonnée par le commandant Morrison visant à capturer le criminel Akande Ogundimu, connu sur le nom de Doomfist. Docteur Ziegler, quel était l’intérêt de cette mission ? Protéger des vies ? De ce que nous avons vu, c’est la population de Singapour qui a payé le prix de l’excès d’orgueil d’Overwatch.


- Des erreurs ont été commises, répondit Angela. Je suis tout à fait d’accord avec la commission. Cette opération de capture aurait pu être mieux encadrée et ce avec le soutien des autorités singapouriennes, mais le commandement en a, malheureusement, décidé autrement.


- Pourquoi ne pas avoir contesté cet ordre de mission ? questionna Helga Streng.


- J’ai émis des réserves auprès de Morrison mais il avançait que la capture de Doomfist permettrait de freiner les activités de la Griffe et allait donc sauver d’autres vies. Je me suis rallié à cette idée mais les conséquences de l’opération m’ont parue bien disproportionnées même pour l’arrestation d’un individu comme Ogundimu.


- Pourtant pour Morrison, la fin justifiait les moyens, maugréa Helga Streng. Et l’arrestation d’Ogundimu n’a en aucun cas stoppé ou enrayé les actions de la Griffe.


- Si la finalité est de protéger, de soigner les individus et d’éviter des morts inutiles, fit Angela, alors je suis en partie d’accord avec cela.


Les membres de la commission se muèrent dans un silence, Angela crut apercevoir un rictus se dessiner sur les lèvres de la représentante sénégalaise.


- Il semblerait, Docteur Ziegler, siffla William Petras, que bien que vous le niiez, vous ressemblez bien plus aux Commandants Reyes et Morrison que vous le pensez, vous obéissez aux ordres, vous agissez au-delà des règles et des conventions nationales et internationales. Vous avez agi comme un brave petit soldat.


Certains membres de la commission s’accordèrent un léger rire, ainsi que d’autres membres de l’assemblée. La moue suffisante qu’affichait Petras agaça Angela au plus haut-point mais elle dut se faire une raison. Il avait ébréché sa défense pour la mettre devant ses contradictions et rien que pour cela, il s’en vanterait. Elle avait répondu sincèrement en faisant preuve d’honnêteté mais cela n’avait que peu d’importance pour Petras. Elle avait offert à la commission sa version des faits, la plus transparente possible et il était inutile d’insister. Elle ne pouvait enrayer cette machine qui désirait avant tout détruite tout ce qui restait d’Overwatch et de son symbole.


- C’est votre point de vue, conclut-elle avec solennité, j’ai agi comme tout médecin l’aurait fait, pas comme un soldat.


Angela sentit les yeux gris de William Petras la jauger. Elle en avait terminé sur cette dernière réplique. Il avait obtenu le spectacle médiatique qu’il désirait, il avait lâchement accablé les morts, et il ne l’humilierait pas plus longtemps.


- Avez-vous autre chose à ajouter, Docteur Ziegler ? demanda-t-il.


Angela ne répondit pas, lançant un regard de défi au représentant américain, lui signifiant que la mascarade était terminée. Petras attendit quelques secondes pour la médecin puisse lui répondre, puis devant son silence, il mit un terme à sa représentation.


- L’audience est officiellement terminée. Merci encore, Docteur Ziegler, pour votre aide indéfectible auprès de la commission.


Sur ces mots, il se leva suivit des autres membres de la commission et leurs assistants pour disparaitre dans la salle voisine. L’assistance avait brisé son silence religieux et discutait dans une cacophonie sonore. Angela resta assise quelques minutes, et tenta de faire disparaitre, avec un verre d’eau, le goût amer qu’elle avait dans la bouche.

 

***

La messe était dite.


Angela observa en contrebas la dernière représentation de la journée. Les médias amassés sur l’esplanade du Siège des Nations-Unies étaient à l’écoute de William Petras qui intervenait auprès de la presse. Il devait donner son ressenti des échanges dans cette affaire aux journalistes tout en répétant les mêmes tirades et formulations rhétoriques bien propre à sa personne. Il offrirait sa version synthétique et biaisée de l’audience et c’est bien la sienne qui resterait dans toutes les mémoires.


Angela se désintéressa de ce qui se déroulait bien des étages plus bas et se détourna de la fenêtre. À la suite de l’audition, le représentant suisse l’avait invité à venir attendre son chauffeur dans les bureaux de sa délégation. Il lui avait expliqué que cela lui permettrait d’éviter d’avoir à subir les questions des journalistes et les objectifs intrusifs des drones-caméras. Ces derniers n’avaient pas accès aux espaces privés du siège des Nations-Unies. Elle avait poliment accepté qu’il la guide jusqu’aux étages supérieurs mais une fois à l’intérieur des bureaux, le représentant suisse l’avait informé qu’il avait une réunion de dernière minute et l’avait laissé seule. Cela faisait plus d’une vingtaine de minutes qu’il était parti et qu’elle n’avait aucune nouvelle de son chauffeur.


Angela se réinstalla sur le siège où le représentant l’avait invité à prendre ses aises et reprit une gorgée d’eau dans la bouteille qu’on lui avait fournie pour l’audience. Elle passa sa main sous ses lunettes et se frotta longuement les yeux avant de ressortir son holomobile pour guetter un message de son chauffeur. Cependant, l’image qui émana du petit appareil lui notifia qu’elle n’avait toujours rien reçue. Elle reposa l’appareil sur le bureau du représentant et tourna son regard vers les grandes baies vitrées qui donnaient sur le cœur même de Manhattan. La figure imposante du New Chrysler Building écrasait le panorama des différents immeubles et buildings du quartier parmi lesquels se trouvaient de nombreuses ambassades et consulats d’Etats siégeant aux Nations Unies. Au loin dans un ciel orangé, le soleil descendait au niveau de la flèche du gratte-ciel et Angela réalisa que depuis l’Hudson, les reflets du soleil sur les arches du New Chrysler Building devaient être magnifiques. Elle resta quelques instants à observer ce tableau urbain, alors que l’environnement new-yorkais grondait au dehors.


Un léger son émana de son holomobile et elle s’empressa de le récupérer. C’était un message d’un numéro qu’elle ne connaissait pas, surement son chauffeur. Elle l’ouvrit et découvrit un bref texte de quelques lignes.


Quelle prestation. Tu as presque réussi à me faire tirer les larmes des yeux. Sache que mon offre tient toujours. Tu sais où me trouver.


M.


Dépitée, Angela reposa l’holomobile sur le bureau et tenta de chasser de son esprit les idées noires que lui évoquait son interlocutrice. Elle aurait certainement dû être à ses côtés aujourd’hui, assise face à la commission d’enquête à affronter les questions de Petras et des autres. Son appartenance à Blackwatch avait entrainé à la chute d’Overwatch. D’une manière ou d’une autre, Angela en était convaincue. Elle savait des choses qui auraient mérité d’être entendues aujourd’hui. Cependant, cette vipère s’était rendue inaccessible et surtout intouchable. Son intégrité scientifique demeurait intacte et elle avait rejoint une caste de haut-placés dans le domaine de la recherche qui dirigeait une ville à la pointe de la technologie et de la science au Moyen-Orient. Mais Angela n’avait rien à faire avec eux et surtout pas avec elle.


Elle soupira longuement et ferma les yeux. Qu’est-ce qui pouvait bien retarder son chauffeur ? Comme convenu, il devait la récupérer à l’un des étages du parking souterrain du siège de l’ONU, de manière à ce que personne ne puisse la voir sortir du bâtiment. Elle ne supporterait pas à nouveau le regard des caméras.

Elle se sentait terriblement éreintée après cette journée qui lui paraissait interminable. Elle avait pensé qu’après l’audition, elle se sentirait libérée, plus légère mais cela n’était pas le cas. Quelque chose lui nouait l’estomac sans qu’elle ne sache quoi exactement. Peut-être était-ce le dernier message qu’elle avait reçu la perturbait ? Peut-être était-ce l’accumulation de toutes les angoisses récentes liées à l’audition. Ou bien peut-être qu’elle serait plus rassurée et détendue lorsqu’elle rentrerait à l’hôtel ? Non, cela irait bien mieux si elle était de nouveau chez elle, dans sa Suisse natale.


Mais pour y faire quoi ? songea-t-elle. Depuis le démantèlement d’Overwatch, elle s’était démenée à aller proposer ses services aux plus grands hôpitaux du monde mais elle s’était heurtée à de la réticence et à de la méfiance. Les chefs des services ne désiraient pas la voir intégrer leurs rangs. Ils considéraient que la présence d’une ancienne haut-gradée d’Overwatch puisse renvoyer une mauvaise image de leur service. Certains craignaient qu’Angela puisse attirer une trop grande attention de la presse et que cela puisse perturber les soins des patients et l’efficacité des services. Les centres et les labos de recherche lui avaient aussi fermé leurs portes pour des raisons plus ou moins similaires. L’aura comme l’opprobre d’Overwatch lui collait à la peau. Même ses anciens et lointains collègues suisses semblaient hésitants lorsqu’elle leur suggérait qu’elle voudrait retrouver les salles d’opération et les couloirs des hôpitaux.


Angela ne se voyait pas rester chez elle à ne rien faire, surtout que maintenant qu’elle venait de s’ouvrir à la folie médiatique, celle-ci allait la garder à l’œil et surveillerait ses moindres faits et gestes. Son foyer deviendrait alors sa prison et elle n’aurait qu’à croiser les doigts en espérant que le temps fasse son effet et qu’on oublie cette maudite audition et jusqu’à l’existence même d’Overwatch.


- Docteur Ziegler ?


Angela rouvrit les yeux et aperçut un jeune homme à lunettes en costume bleu marine qui lui souriait depuis le seuil de la porte du bureau.


- Pardonnez-moi de vous déranger, Docteur Ziegler, dit-il d’un ton solennel.


- Vous ne me dérangez pas, répondit Angela qui se leva de sa chaise.


- Je suis Assane Keïta, je suis membre de la représentation sénégalaise aux Nations Unies, annonça le jeune homme en tendant sa main. Madame Diarra aimerait vous parler.


Angela, perplexe, resta immobile un instant avant de serrer la main du dénommé Keïta.


- Qu’est-ce que me veut la représentante ? demanda-t-elle quelque peu méfiante.


- Madame Diarra vous l’expliquera bien mieux que moi, répondit Assane Keïta sans perdre son sourire.


- Je suis navré mais je crains que je n’aie pas de temps à vous accorder, répliqua Angela. Mon chauffeur ne devait pas tarder à arriver… Je n’aimerais pas le faire attendre.


- Tout semble indiquer… qu’il n’est pas encore arrivé …, appuya Assane Keïta. Cela ne sera pas long, Docteur Ziegler, je peux vous l’assurer.


Angela étouffa un soupir de fatigue et envisagea de répondre non à l’invitation. L’assistant ne démordait pas malgré les réticences de la suisse et elle sentait qu’il continuerait d’insister jusqu’à ce qu’elle cède, et ce en affichant toujours le même sourire courtois.


- Bien, bien, fit-elle en récupérant son holomobile, son manteau et son porte-documents. Je vous suis. Mais il faudra prévenir le représentant suisse que j’ai dû partir, je ne veux pas être impolie vu qu’il m’a autorisé à rester ici.


- Ne vous en faites pas, Docteur Ziegler, le rassura Assane. Je me chargerais de lui transmettre au plus vite.


Ils sortirent tous deux des bureaux de la délégation suisse et l’assistant l’invita à la suivre.


- J’espère que ce n’est pas trop loin, fit remarquer Angela. Je risque de me perdre ici…


- Nulle inquiétude, assura Assane alors qu’ils dépassaient la troisième porte du couloir. Nous sommes déjà arrivés.


Angela aperçut sur la porte le drapeau vert, jaune et rouge, orné de l’étoile verte à cinq branches en son centre. Assane Keïta l’ouvrit et l’invita à entrer.

Elle déboucha sur un espace de travail vide avec plusieurs bureaux répartis à divers endroits de la pièce. Assane Keïta referma derrière eux et la dirigea vers une porte callée entre deux armoires remplies de dossier. Sans frapper, il ouvrit la porte du bureau.


- Elle est ici, madame.


Angela, restée en retrait, ne vit pas l’intérieur du bureau mais l’ouverture de la porte avait laissé échapper une âpre odeur de cigarette qui lui gratta la gorge. D’un geste, Assane lui proposa de la débarrasser de ses affaires, elle lui confia son manteau et son porte-documents puis elle entra.


Muskeba Diarra l’attendait, une cigarette aux lèvres, installé à son bureau. Contrairement à l’audience, elle ne portait plus ses lunettes et Angela sentit ses yeux gris la percer dès son arrivée dans la pièce. Néanmoins, elle l’accueillit avec un large sourire, à l’instar de son assistant.


- Docteur Ziegler, je vous en prie, asseyez-vous.


Angela prit place face à la représentante tandis que dans son dos, Assane accrocha son manteau au mur et déposa son porte-documents sur une chaise adjacente avant de sortir de la pièce et de refermer la porte derrière lui, les laissant seules.


- Une cigarette, Docteur Ziegler ?


- Non, merci je ne fume pas, répondit Angela en se raclant la gorge.


La pièce semblait baigner dans la fumée. Les stores avaient été descendus sur les grandes baies vitrées du bureau, lui donnant un aspect lugubre et austère. En plus de cela, l’odeur incommodait Angela au plus haut-point et la fumée lui piquait les yeux. Elle regretta soudainement d’avoir accepté l’invitation.


- Puis-je savoir pourquoi vous souhaitiez me parler ? s’impatienta Angela.


Muskeba Diarra écrasa sa cigarette dans un cendrier et posa ses mains jointes sur la table.


- Tout d’abord en préambule, et parce que je sais que quelqu’un doit le faire, commença Diarra. Je suis sincèrement désolée pour la mascarade qui s’est déroulée toute à l’heure au cours de l’audience. Je ne pense pas que ça vous aidera à mieux dormir la nuit mais la commission d’enquête est divisée en deux factions, celle de William Petras qui a voulu le démantèlement d’Overwatch et celle des autres, plus hétéroclite, qui reste partagée sur le rôle de l’organisation. Or, Petras a tout fait pour que la seconde n’intervienne pas aujourd’hui….


- Inutile de s’excuser, je savais à quoi m’attendre, coupa Angela amère. Petras avait préparé les questions et j’ai donné les réponses qu’il souhaitait mais il s’est éloigné de la partition et ça dans le seul but de me piéger.


- Tous les membres de la commission étaient au courant du dernier acte prévu par Petras. Je regrette vraiment de ne pas être intervenu.


- Pourquoi ne pas l’avoir fait ?


- Parce que William Petras a tout fait pour que cette audience se déroule comme il l’avait prévu, expliqua Muskeba Diarra. Il a fait des pressions à tous les membres de la commission d’enquête, enfin sauf à ceux qui étaient déjà acquis à sa cause comme le représentant mexicain Jimenez et l’italienne Di Maria. Petras a implicitement annoncé que la commission d’enquête se devait de fonctionner comme une seule voix : la sienne. Lors des séances de travail, il s’est rarement montré conciliant avec les voix dissonantes. Personne n’a osé le remettre en cause, le représentant américain est un homme influent aux Nations-Unies, il est de notoriété qu’il faut éviter de lui déplaire. Un proverbe par chez moi dit : L'homme affamé ne connaît ni loi ni respect.


- Et vous ? Quelle était votre position sur le sujet ? demanda Angela curieuse.


- J’étais partagée. J’aurais souhaité que la commission d’enquête soit plus modérée. Surtout avec des personnes comme Helga Streng comme membre, cette femme est sur la même longueur d’onde que William Petras, et je dirais même qu’elle est parfaitement inflexible. S’il n’avait pas joué sa carte maitresse à la fin de l’audience, je peux vous assurer qu’elle aurait réussi à vous piéger d’une manière ou d’une autre.


- Cela n’a plus d’importance désormais, voulut conclure Angela. William Petras voulait la mort d’Overwatch, il l’a finalement obtenu. Je lui ai offert son triomphe en direct sur tous les chaines du monde.


- Heureusement que vous restez optimiste, fit Muskeba Diarra en plaisantant.


- J’essaie de l’être, répondit Angela d’un ton sombre.


C’était une défaite amère. Elle n’aurait jamais dû accepter de participer à cette farce mais il était bien trop tard pour avoir des regrets. Pourtant qu’allaient penser ses anciens compagnons d’Overwatch ? Qu’auraient pensé Gabriel, Jack et Ana de tout ceci ? Elle préféra ne pas y penser.


- Oublions cette histoire, balaya Muskeba Diarra. Je ne vous ai pas invité ici pour vous parler d’Overwatch mais pour parler de vous.


- De moi ?


- Oui, de vous, répliqua Muskeba Diarra avec un large sourire. Je souhaitais vous rencontrer. Par ailleurs, c’est l’une des raisons qui ont fait que je me suis imposée pour participer directement à votre audition auprès de William Petras. Et je suis heureuse de voir que je ne me suis pas trompée. Quels sont vos projets actuels, Docteur Ziegler ?


- Mes projets ? s’interrogea-t-elle à haute-voix. Eh bien…


- Tout de même, Docteur Ziegler, fit Muskeba Diarra en passant la main dans sa chevelure grise courte. Une pointure de la recherche et de la médecine telle que vous, vous devriez être courtisée par tout le monde.


Une grimace gênée fendit le visage angélique de la suisse puis se transforma en mimique douce-amère.


- Malheureusement la situation n’est pas aussi plaisante, répondit-elle.


- Votre engagement reste le même qu’au sein d’Overwatch : protéger et sauver des vies. N’est-ce pas ?


- Bien évidemment.


Muskeba Diarra sortit une nouvelle cigarette de son paquet et l’alluma avec son briquet rudimentaire.


- Je pense que nous nous ressemblons Docteur Ziegler, commença Muskeba Diarra. J’ai été infirmière lors de la Crise des Omnium. J’ai servi et appris sur le terrain et je suis fier de ce que j’ai accompli au cours de ses années, des vies que j’ai pu sauver. Qu’on soit médecin ou infirmier, tout est simple pour nous, notre objectif unique : préserver la vie. Les soldats, comme votre Morrison, ils sèment la mort et nous, on la combat.


Muskeba porta la cigarette à ses lèvres et expulsa une volute de fumée dans les airs.


- Petras peut bien se targuer d’avoir réussi à démanteler Overwatch mais cela ne sert que ses propres intérêts. Les mauvaises langues se noient toujours dans leurs crachats. On ne peut rien espérer de cet homme et vous valez mieux que lui. Overwatch n’est plus pourtant les conflits continuent et les combattants sont toujours aussi nombreux. Et les faibles souffrent et continueront de souffrir car personne ne se soucie d’eux. William Petras n’en a que faire de tout ça, il a grandi dans une famille de notables de Long Island, il a fréquenté toutes les grandes écoles et les clubs d’étudiants huppés tout ça pour se lancer dans une carrière politique vaine et intéressée comme beaucoup avant lui. Il raconte, à qui veut l’entendre, qu’il a combattu dans le Vermont avec les forces civiles. Mais ce sont des mensonges, il a passé toute la Crise des Omniaques retranché dans sa villa familiale en Floride. Après cela, il a réalisé qu’une carrière aux Nations Unies lui apporterait le plus de prestige et il a usé de toute son influence pour arriver à ses fins. Cet homme n’a aucune conscience de la valeur d’une vie et de ce qui pourrait nous animer, vous et moi.


Angela écouta silencieusement la représentante sénégalaise dont la voix trahissait une colère enfouie. Elle tira à nouveau sur sa cigarette et expira longuement.


- Que voulez-vous de moi ? demanda finalement Angela.


- Je n’attends pas quelque chose de vous, Docteur Ziegler, répondit Muskeba Diarra. C’est vous que je veux.


- C’est … c’est la première fois qu’on me dit ça, fit Angela avec un rire nerveux.


- Au-delà de mon rôle de représentante du Sénégal ici, je gère plusieurs organisations non-gouvernementales spécialisées dans l’humanitaire et qui interviennent dans différents contextes : théâtre de guerre, protection des populations civiles, ravitaillement et approvisionnement des populations vulnérables, premiers soins aux populations sinistrés par des catastrophes naturelles, et cætera, et cætera. Votre expérience en centre hospitalier et vos années de service au sein d’Overwatch font de vous la candidate idéale. Et je pense, en effet, que vous auriez largement votre place parmi nous. Si cela vous convient, évidemment.


Angela, prise au dépourvu, passa la main devant sa bouche pensive. Maintenant qu’elle avait entendu la proposition de la représentante, elle sentit un nouveau piège se refermer sur elle mais celui-ci lui paraissait bien moins pénible.


- Bien entendu, je ne souhaite pas que vous reviviez les mêmes désillusions que lorsque vous étiez à Overwatch, poursuivit Muskeba Diarra. Je souhaite vous laisser une très grande autonomie et que vous formiez les agents et personnels médicaux sur le terrain. Nous ne faisons usage des armes qu’en dernière nécessité et ce uniquement pour nous protéger ou pour protéger nos patients. Nous sommes des médecins, pas des soldats. Après tout, on ne peut pas guérir quelqu’un avec des balles….


Angela releva la tête à l’énoncé de cette phrase et croisa les pupilles grises de la représentante sénégalaise qui n’avaient pas perdu en intensité. Cette audition avait définitivement signé la fin d’Overwatch. Elle avait défendu l’organisation et prôné ses valeurs autrefois mais celles-ci lui semblaient bien lointaines maintenant. Elle se devait donc de tourner cette page de sa vie et se battre pour ce qu’elle croyait, afin d’être à nouveau sincère avec elle-même.


- J’accepte votre proposition, à condition que je puisse travailler selon mes règles, insista Angela.


Un rictus se dessina sur le visage de Muskeba Diarra avant qu’elle ne se mette à rire.


- J’y veillerais personnellement, Docteur Ziegler. Je n’en attendais pas moins de vous.


Elles passèrent les prochaines minutes à discuter des formalités et de détails concernant le nouvel emploi d’Angela puis cette dernière reçut le message de son chauffeur lui indiquant qu’il allait bientôt arriver au parking des Nations Unies et qu’il se trouvait juste au pied de l’immeuble. Angela lui répondit qu’il n’avait aucune raison de rentrer dans le parking et qu’elle viendrait à sa rencontre au niveau de l’esplanade. Elle salua la représentante et son assistant, récupéra son manteau et son porte documents avant de rejoindre l’ascenseur.


Alors qu’elle entra dans la cabine, elle constata que ses maux de ventre avaient disparu. Tout comme ses incertitudes. A son arrivée au grand hall des Nations Unies, les derniers journalistes restants la prirent d’assaut, les questions fusaient et les drones-caméras orbitaient autour d’elle mais Angela n’en avait que faire.


- Docteur Ziegler ! Quel est votre ressenti à la suite de votre audience ?


- Avez-vous quelque chose à répondre aux dernières déclarations de William Petras ?


- Docteur Ziegler ! Avez-vous encore des contacts avec d’autres membres d’Overwatch ?


Angela continua d’avancer sans se laisser distraire par la nébuleuse d’individus et de drones qui l’entouraient. Son pas était léger et rapide, et les journalistes devaient suivre sa cadence. Elle s’échappa du hall pour rejoindre l’extérieur et d’une nouvelle vague de personnes et de drones se joignit à la masse.


- Témoigneriez-vous à nouveau si la commission d’enquête vous le demande ?


- Que suggériez-vous au nouveau maire de Londres qui doit faire face à de nouvelles émeutes omniaques ?


- Pensez-vous que la Griffe reste une menace importante malgré l’emprisonnement de Doomfist ?


Elle traversa l’esplanade toujours à la même allure. D’un coup d’œil, elle avait identifié la voiture de son chauffeur qui l’attendait sur une voie réservée aux dignitaires. La cohorte de journalistes continuait de la suivre mais Angela conservait son calme olympien alors qu’on l’accablait de questions.


- Tekhartha Mondatta a exprimé son désir de vous rencontrer, est-ce qu’un rendez-vous est prévu ?


- Plusieurs théories affirment que Gabriel Reyes et Jack Morrison sont toujours en vie, y croyez-vous ?


- Blair Clarke pour Atlas News ! Quels sont vos projets dorénavant, Docteur Ziegler ?


Angela venait d’atteindre l’auto où son chauffeur lui tenait la portière. Elle se retourna vers les journalistes et les caméras-drones qui restèrent accrochés à ses lèvres :


- Je pense que je vais continuer faire ce pourquoi je suis devenu médecin : sauver des vies.


Sur cette sortie de scène, Angela entra dans la voiture et son chauffeur ferma la portière derrière elle. Par la suite, Angela vit les silhouettes des journalistes s’agglutiner autour du véhicule. Mais ils furent rapidement écartés par le chauffeur. Ce dernier prit place au volant et l’automobile s’échappa de la masse médiatique qui l’encerclait pour rejoindre le grand axe qui longeait l’East River.


Bercée par le bruit des propulseurs de l’auto, Angela observa les reflets du soleil sur le fleuve, repensant à cette trop longue journée, qui était enfin arrivée à son terme avec une issue plus que satisfaisante pour elle.


La page de sa vie à Overwatch s’était tournée de la pire des manières mais elle maintenant un nouveau pan de sa vie s’ouvrait à elle. Il était inutile d’avoir des regrets pour l’instant. Elle avait dit ce qui devait être dit en son âme et conscience et c’était la seule chose positive qu’elle pouvait ressortir de cette audience.


Alors que les flots de l’East River défilaient devant ses yeux, Angela se remémora un vieil adage suisse que son père aimait souvent lui répéter :


« Fais de la vérité ton appui, et de l’honnêteté ton auréole ».

 

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