Overwatch - Crossroads

Chapitre 4 : L'HERITIER

9412 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/08/2020 14:56

Voici le 4e chapitre de cette fiction qui est arrivé assez rapidement et je ne suis pas mécontent de pouvoir vous l’apporter aussi vite. C’est un chapitre que j’avais en tête depuis fort longtemps et qui me permet de souffler un peu.


Les chapitres de Jack, Winston et Angela avaient cette tonalité nostalgique avec Overwatch, et donc on pouvait retrouver un peu le même schéma et disons que ce chapitre 4 me permet de briser un peu le moule.


J’espère que ce chapitre vous plaira et que vous n’hésiterez pas à laisser un commentaire ! Merci à Etsukazu pour sa relecture ainsi qu’à ceux qui commentent la fiction.


Bonne lecture !



***

L’HÉRITIER

 

Singapour n’était plus la même. Sous ses yeux, la cité, qu’il avait autrefois visité étant enfant, ne ressemblait en rien à celle de ses souvenirs. Les buildings et les gratte-ciels s’étaient multipliés tels de gigantesques doigts qui s’affrontaient pour atteindre le ciel violacé, étouffant, par leur démesure, les bâtiments à leurs pieds. Ces géants de verre et de métal s’étendaient autour du quartier des affaires, et il en était de même pour le centre-ville historique de la cité-état qui ployait sous leur ombre. En un peu de plus de dix ans, le cœur de Singapour avait été refaçonné comme la plupart des mégalopoles asiatiques. La « ville-jardin » avait vu bon nombre de ses parcs naturels disparaitre pour être remplacés par des immeubles de logements ou des hôtels grande luxe.


La ville avait été dénaturée. Les immeubles aux contours de néons colorés, surplombés d’images holographiques de produits dérisoires, trahissaient l’ancienne vie de la cité et la faisait ressembler à n’importe quelle ville d’Asie. Les façades de ces buildings faisaient défiler de lumineuses et bruyantes images publicitaires, faisant l’éloge d’un soda, d’une marque de céréales, ou bien d’une célébrité locale qu’il ne reconnaissait pas. Sur le pan d’un immeuble, il vit une créature animée, à corps de lion et queue de poisson, faire de la publicité pour une grande enseigne de restauration rapide. Il se souvenait de l’histoire que lui avait raconté son père concernant cette créature et son lien avec Singapour. Un ancien prince, qui avait fui sa cité attaquée par un royaume voisin, s’était arrêté sur cette île où il avait rencontré une créature étrange, qu’il prit pour un lion. Par la suite, il avait décidé d’établir une ville à l’endroit précis où il avait croisé la route de ce lion. Selon les légendes, telles furent les origines de Singapour, la « ville du lion ».


La cité-état s’était, au fil des années, enorgueillie de cet héritage. En véritable carrefour maritime, entre l’Occident et l’Orient, elle avait érigé comme emblème une créature mi-lion mi-poisson : le Merlion. Ainsi à l’embouchure du fleuve Singapour, trônait une statue de pierre blanche d’un lion affublé d’écailles et d’une queue de poisson, crachant un long filet d’eau dans la baie. Cette créature deviendrait l’emblème de la ville et la représenterait dans le monde entier. Un symbole teinté de tradition et d’histoire dans une cité moderne en communion avec ces origines. Mais aujourd’hui, le Merlion, l’animal légendaire et emblématique de Singapour, avait été transformé en une vulgaire mascotte publicitaire, idée malavisée issue de l’esprit avide de cadres ambitieux en quête de profits.


Sur le pan d’un immeuble, il aperçut la version animée et folle du Merlion secouer une canette de Nano Cola, puis l’ouvrir pour déverser le liquide sur l’enseigne, dévoilant le nom de la marque de soda et de l’endroit le plus proche où l’on pouvait s’en procurer. D’immenses dirigeables à son effigie, parsemaient le ciel de la ville, affichant sur leur grotesque ventre des écrans diffusant des programmes et autres messages à caractère informatifs ou publicitaires. Ce genre de pratiques se retrouvait partout dans son Japon natal, mais il n’aurait jamais pensé que Singapour puisse s’abaisser à ce niveau, jusqu’à perdre sa propre identité. En tout cas, c’était l’image de la ville dont il se rappelait, celle que son père lui avait fait miroiter lorsqu’ils s’y étaient rendus tous les deux pour un voyage d’affaires.


Les affaires de son père l’amenaient souvent à voyager et depuis qu’il était suffisamment grand pour apprendre et comprendre, il se devait de l’accompagner. En tant qu’héritier, il reprendrait les activités de son père à sa mort et il avait été formé, éduqué et entrainé dans ce seul but. Ainsi lorsque son père devait rencontrer plusieurs de ses partenaires financiers à Singapour, il était tenu de participer à toutes les réunions et à tous les échanges. Son père était quelqu’un de très traditionnel, il respectait les us et les coutumes de ses pairs. De ce fait, chaque entretien avec ses partenaires s’accompagnait de longs rituels et de cérémonies solennelles qui visaient à réaffirmer sa place comme chef de clan et les liens profonds qu’il entretenait avec ses subordonnés. Il se souvenait des longues heures passées à assister silencieusement à ces échanges aux côtés de son père où celui-ci recevait tous les hommages et les révérences.


Lors de ces évènements, il avait toujours senti les regard lourds et inquisiteurs des autres membres du clan qui le jaugeaient et l’observaient, scrutant chacune de ses postures, chacun de ses expressions. Son père lui avait imposé d’adopter une stature droite et orgueilleuse, semblable à la sienne : celle d’un dragon qui n’a que faire des sifflements des serpents. Au-delà de sa formation, sa participation aux réunions du clan avait également un autre but : dissuader les membres téméraires qui voudraient s’en prendre au chef de clan. S’il devait arriver malheur à Sojiro Shimada, inutile pour eux d’espérer prendre la tête du clan car il aurait laissé derrière un héritier, façonné et modelé pour devenir un homme de la même trempe : un chef autoritaire juste et implacable. Il s’était attelé à cette tâche jusqu’au bout, suivant la voie tracée par son père et par les anciens du clan. Tout le contraire de son petit frère.


Sojiro s’était montré exigeant et sans concession avec lui. Il aurait espéré qu’il en fut de même pour Genji. Son petit frère avait été éduqué et entrainé dans les arts martiaux notamment le kenjutsu. Tout comme lui, on lui avait appris le fonctionnement du clan, ses mécanismes, ses forces et ses faiblesses, dans l’espoir qu’il puisse l’épauler dans sa tâche lorsque leur père ne serait plus. Mais depuis bien longtemps, il avait su qu’il ne pourrait pas compter sur lui. Genji était indiscipliné, arrogant et irréfléchi, et ce depuis l’enfance.


Bien des années auparavant, lors de cette visite à Singapour, il avait accompagné son père lors de ses réunions mais Genji n’en avait fait qu’à sa tête. Il disait qu’il ne voulait pas venir aux réunions, qu’il refuserait de rester aussi longtemps assis à ne rien faire, qu’il voulait voir les jardins de la ville dont on lui avait tant parlé. Son père l’avait menacé avec des sanctions mais son petit frère était un véritable entêté. Furieux et lassé par les caprices de son fils cadet, Sojiro avait donné à Genji deux hommes de main, deux chaperons qui l’accompagneraient en ville et répondraient à tous ses excès. Cependant, il avait été puni. Pendant des mois, il avait dû nettoyer le sanctuaire familial de fond en comble. Néanmoins, il se souvint du sourire victorieux de son petit frère ce jour-là. Genji avait obtenu ce qu’il voulait. Il avait passé toute la journée à visiter Singapour, à parcourir les jardins, à manger des glaces et des pâtisseries alors que ; lui, avait dû supporter les interminables réunions de son père. Le soir venu, son frère lui avait raconté toutes ses aventures dans la ville du lion et il avait écouté avec un masque d’indifférence, dissimulant son amertume. Les années étaient passées et le poids des responsabilités avait lourdement pesé sur ses épaules tandis que son frère s’était conforté dans sa vanité, son insouciance et ses caprices. Désormais, il était futile de se remémorer ces temps passés. Le chemin d’Hanzo l’avait à nouveau mené à Singapour où une nouvelle tâche l’attendait.


Du haut de l’immeuble sur lequel il se tenait, Hanzo avait une vue imprenable sur Marina Bay et ses hôtels de luxe ainsi que sur les penthouses qui se trouvaient au sommet de certains buildings. Un seul en particulier l’intéressait. Une tour à l’architecture postmoderne bien moins tape à l’œil que les immeubles environnants, aux façades épurées et constituées de verre. Tout en haut du bâtiment, se trouvait un appartement faste, englobant les trois derniers étages du building. Une large terrasse parsemée de plantes exotiques, de chaises longues et d’une piscine qui surplombait le vide. Rien de très surprenant en réalité. Hanzo n’avait qu’à regarder autour de lui, au sommet de chaque immeuble, il pouvait voir des logements similaires. Pourtant celui qu’il observait semblait bien trop commun au milieu de cette masse d’appartements. D’un coup d’œil, en comparaison avec les penthouses alentour, cet appartement de luxe n’avait rien d’extraordinaire ou de remarquable et pourtant c’était là toute l’ingéniosité de la ruse.


Hanzo sortit une paire de jumelles et scruta le logement ciblé. Après avoir longuement parcouru du regard le toit de l’immeuble et sa terrasse, il se figea sur un large coffre qui devait renfermer le tableau électrique du penthouse ainsi que l’alimentation de son système de sécurité. Il extirpa de son carquois une flèche qui se démarquait de ses autres projectiles. Son tube était plus large que les autres et proche de sa pointe se trouvait un brouilleur électrique dont le voyant rouge clignotait faiblement. D’un geste assuré, il encocha la flèche et banda son arc. Il stoppa sa respiration et fit le vide en lui, se fermant aux bruits de la ville qui grondaient autour de lui. Ses yeux se posèrent sur sa cible. Il n’aurait pas de seconde chance. Il sentit le vent caresser sa nuque et ses bras tendus. Il était un archer accompli et de ce fait, il savait comment parfaitement ajuster ses tirs en fonction de la puissance et de la direction du vent. Il s’était tant entrainé dans cet art que toutes ces choses étaient dorénavant innées. Il décocha sa flèche et à sa trajectoire, il sut qu’il avait visé juste.


L’arrêt des lumières de veille de la terrasse le lui prouva. A partir de cet instant, le temps était compté. Hanzo récupéra au sol une flèche à laquelle était accrochée un long câble dont il avait noué l’autre extrémité à la base d’une antenne proche. Toujours avec autant d’aplomb, il porta cette flèche à son arc et tendit avec force la corde. La flèche siffla dans les airs, suivie du câble qui serpenta au-dessus de la rue. La pointe de la flèche se planta non loin du coffre contenant le tableau électrique et sans perdre de temps, Hanzo rejoignit l’antenne pour tirer sur le câble afin qu’il soit le plus raide possible.


D’un lourd appui sur la corde, il constata que cela devrait être amplement suffisant pour lui permettre de traverser l’écart entre les deux immeubles. Il resserra les sangles de son carquois et remonta la fermeture éclair de sa veste jusqu’à son cou. Il passa son arc au-dessus du câble et s’accrocha à chaque extrémité puis prenant de l’élan, il sauta.


Son arc glissa le long du câble dans un bourdonnement qui aurait alerté les plus vigilants, mais l’agitation de la ville et les ronflements des véhicules en contrebas l’éclipsaient totalement. Hanzo se permit de jeter un coup d’œil dans le vide. Les lumières et les néons de Singapour, illuminant les avenues et les rues, juraient avec la relative obscurité dans laquelle évoluaient les toits des immeubles et des résidences. Alors qu’il se rapprochait rapidement de son objectif, il renforça son emprise sur son arc et s’apprêta à lâcher prise dès qu’il arriverait à portée. En quelques secondes, il se laissa tomber sur le toit de l’appartement, se réceptionnant avec une roulade.


Sans s’attarder, Hanzo se dirigea ensuite vers le coffret contenant le tableau électrique. Il y aperçut sa flèche qui avait percé le flan du conteneur. Il n’eut aucun mal à ouvrir la porte de l’armoire électrique, forçant la serrure avec une fine mais solide lame. Une fois la porte du coffre ouverte, il se retrouva devant un dédale de fils, de boitiers électriques et de fusibles. Il devait repérer l’alimentation du système de sécurité et cela fut bien plus facile qu’il ne l’aurait pensé. C’était un boitier bien caché, situé dans un coin du coffre, qui avait été ajouté bien plus tard à l’ensemble du tableau. Hanzo examina le boitier d’alimentation et passa ses mains entre les interstices pour y chercher les fils électriques. Une fois qu’il les eut trouvés, il prit soin de les sectionner un à un afin de neutraliser complétement le dispositif.


Il referma la porte du coffre et récupéra la flèche équipée du brouilleur électrique qui avait coupé l’alimentation générale. Son voyant luisait faiblement d’un éclat rouge. Hanzo tâta le brouilleur et trouva son interrupteur. Il s’interrompit un instant et appuya sur le bouton. Comme il l’espérait, les lumières de la terrasse se rallumèrent à l’étage inférieur. L’électricité semblait circuler à nouveau dans l’appartement mais il devait s’assurer que ce n’était pas le cas du système de sécurité. Hanzo fit lentement quelques pas sur le toit, le doigt toujours sur l’interrupteur du brouilleur. Sa posture était celle d’un tigre aux aguets. L’archer se détendit alors qu’aucune alarme ne se fit entendre. Il était commun pour des appartements luxueux comme celui-ci d’avoir des systèmes de sécurité dernier cri qui identifiaient toutes les menaces potentielles contre le propriétaire et ses biens. S’il n’avait pas pris cette précaution d’utiliser le brouilleur avant de rejoindre le penthouse, dès son arrivée sur le toit, les capteurs l’auraient repéré et activé l’alarme et tout cela aurait été vain. Or, Hanzo était très méticuleux et il ne regrettait pas d’avoir acheté cet équipement au marché noir de Singapour.


Tout en espérant qu’il s’agirait du dernier obstacle devant lui, Hanzo se laissa tomber sur la terrasse, non loin de la piscine, dont les lueurs projetaient des reflets bleutés sur les murs. Il évita soigneusement de se dévoiler à la lumière et s’approcha des baies vitrées. Il savait que l’appartement serait vide et que son occupant ne reviendrait pas avant plusieurs heures. Hanzo examina le verrou de la baie et constata qu’il s’agissait d’une fermeture électronique, alignée sur l’ensemble des fonctionnalités de l’appartement connectées entre elles. Une technologie nec plus ultra qui permettait au propriétaire d’un tel logement de contrôler tous les aspects de son foyer, notamment sa sureté. Cependant cette avancée n’avait pas empêché les voleurs et les cambrioleurs de trouver une parade et Hanzo avait su solliciter les bonnes personnes. Il sortit d’une poche de sa veste un autre gadget qui faisait partie de ses achats clandestins : une clé de déverrouillage. L’archer colla la clé contre le pan de la porte, à l’endroit exact où, de l’autre côté, se trouvait le verrou. Il actionna le bouton de la clé et après quelques secondes il entendit un cliquetis, signifiant que le verrou de la porte venait de se désactiver. Délicatement, il ouvrit la porte de la baie vitrée et pénétra dans le penthouse. 


L’intérieur de l’appartement correspondait exactement à ce qu’on pouvait attendre d’un tel logement. La pièce dans laquelle il venait de pénétrer - le séjour, a première vue - était vaste, tout en longueur et englobait la majorité de l’appartement. A son autre extrémité, surplombé d’un imposant lustre, une large table de marbre était encadrée par une dizaine de chaises, sur laquelle reposait un plateau de bois verni où il pouvait distinguer de la verrerie de luxe ainsi des bouteilles d’alcool. Proche de lui, de amples sofas de cuir blanc se faisaient face, séparés d’une table basse transparente moderne, et au-dessus de l’un d’eux, Hanzo présupposa que se trouvait un écran holographique qui prenait presque l’intégralité du pan du mur.


L’archer avança à tâtons dans cet appartement plongé dans l’obscurité. Seules les lueurs blafardes des néons et des lumières des immeubles alentour lui permettaient de distinguer ce qui se trouvait autour de lui. Pour le reste, il se fiait à ses instincts. Hanzo arriva à une première porte, il découvrit la cuisine. De ce qu’il pouvait voir, elle ressemblait à n’importe quelle cuisine qu’on pouvait apercevoir dans les publicités et les holovids. Il ne trouva rien sur les plans de travail, rien au niveau de l’évier. Tout paraissait intact, comme si l’occupant de l’appartement n’utilisait pas cette pièce. Connaissant l’individu, Hanzo songea qu’il ne devait pas cuisinier et qu’il se reposait assurément sur un de ses laquais pour exécuter cette tâche, quand il ne sortait pas pour manger à l’extérieur. Ce qui était précisément la raison de son absence ce soir. Les heures et les minutes affichées par les appareils électroménagers rappelèrent à Hanzo qu’il n’avait pas de temps à perdre et il poursuivit son exploration.


Il longea une commode aux allures baroque sur laquelle il aperçut des vases de riche facture dont l’aspect lui rappela les antiquités que possédaient son père. Avec plus de lumière, il aurait surement pu voir les nuances de couleur qui parsemaient les deux ouvrages ainsi que les motifs de flore et de faune qui étaient représentés. Hanzo distingua une statuette placée à côté d’une lampe sur un guéridon richement décoré. Elle représentait un duo de dragons entrelacé, dont les queues s’enroulaient du socle et ce jusqu’au sommet où les créatures se faisaient face. Les serpents légendaires semblaient s’affronter dans un duel titanesque, à moins qu’il ne s’agisse d’une dance. Hanzo détourna son attention de l’objet et entra dans ce qui paraissait être la chambre principale.


Un lit bien trop large occupait l’espace de la chambre, étouffé par de nombreux oreillers et coussins et d’un couvre-lit kitsch. A sa droite, une grande baie vitrée offrait à l’occupant un panorama sur le centre-ville de Singapour et ses immeubles aux divers néons. Il n’y avait rien d’intéressant de prime abord, jusqu’à ce qu’Hanzo aperçoive un escalier dans un coin de la pièce qui menait à un étage inférieur. A pas de loup, il descendit les marches pour déboucher sur un nouveau couloir et donc de nouvelles portes. Une première porte ouvrait sur la salle de bain, la seconde sur le dressing mais Hanzo, suivant son intuition, se dirigea vers la dernière.


En ouvrant la porte, il découvrit un bureau ainsi que les rayons d’une bibliothèque qui s’étendaient sur deux pans de la pièce. Contre un mur, il vit une console d’ordinateur et Hanzo sut qu’il avait trouvé ce qu’il était venu chercher. Il se plaça devant la console et appuya sur le bouton d’alimentation. Un clavier holographique apparut sous ses mains et trois holo-écrans s’affichèrent devant lui, éclairant la pièce d’une lueur bleutée. L’écran central dévoila une fenêtre d’identification demandant un mot de passe à l’utilisateur. Hanzo n’allait pas s’évertuer à essayer de décortiquer ce code, il s’était montré à nouveau très prévoyant. Il extirpa de son sac à dos un petit appareil, semblable à une soucoupe, et le plaça sur la console. Le dispositif s’alluma et des commandes holographiques apparurent sur le dessus de l’outil. Sa visite au marché noir avait été tout sauf fortuite.


Il pianota les commandes de son dispositif et lança le piratage de l’ordinateur. Cet outil de hacker allait lui permettre de passer outre les systèmes de sécurité de l’ordinateur et de récupérer toutes les informations nécessaires pour passer outre les barrières informatiques. Mais avant cela, le dispositif avait besoin de temps. Hanzo s’éloigna de la console de l’ordinateur et examina les dossiers et les documents étalés sur le bureau. Il n’y trouva rien de significatif : des lettres de remerciement en japonais de la part d’un client, des impressions de facture et des contrats de vente de biens immobiliers. Cela correspondait bien au vieil homme de vouloir se reposer sur des moyens de communication traditionnels alors que le monde entier s’était tourné vers le numérique. Au bout du bureau, Hanzo distingua une photo dans un cadre. Il le saisit délicatement et grâce à la lumière des écrans d’ordinateur, il put entrevoir le cliché. Un vieil homme siégeait sur une chaise, sous un cerisier en fleurs. L’homme se tenait fièrement soutenue par sa canne aux côtés d’une statue de kirin qui semblait dévisager celui qui prenait le cliché. Ses cheveux clairsemés étaient blancs comme la neige et ses rides avaient marqués son visage, tout comme les années. Il avait beau paraitre orgueilleux sur cette photographie mais Hanzo savait que l’homme tentait de dissimuler son âge trop avancé, notamment la fébrilité de ses jambes. Il l’avait toujours connu avec une canne, même lorsqu’il était enfant.


Un changement sur l’écran de l’ordinateur attira son attention. Le dispositif de piratage avait rempli sa tâche, permettant à l’archer d’accéder à ce qu’il recherchait. L’interface de l’ordinateur s’offrait à lui et il ne savait pas où commencer. A chaque dossier qu’il souhaitait ouvrir, une nouvelle demande d’authentification apparaissait mais l’outil de piratage avait moissonné toutes les données d’identification de l’appareil et de ce fait, chacune des demandes fut outrepassée et Hanzo navigua librement parmi les dossiers. On l’avait formé également dans la pratique du piratage informatique. Ce n’était pas son domaine de prédilection mais dans le monde actuel, il ne fallait pas être laissé sur la touche concernant les nouvelles technologies. Même son père l’avait compris.


Les minutes passèrent alors qu’Hanzo parcouraient les dossiers de l’ordinateur. Au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans ses méandres, il découvrait une nouvelle information ou un sous-dossier qui le poussait à prolonger encore plus loin son exploration. Le propriétaire de l’ordinateur n’aurait bientôt plus de secrets pour lui et c’était bien le but initial d’Hanzo. Finalement tout se déroulait comme prévu, et cela devrait continuer ainsi jusqu’à que l’occupant de l’appartement rentre chez lui.

 

***


Près d’une heure plus tard, les portes de l’ascenseur privé qui menait au penthouse s’ouvrirent. La lumière blafarde de l’ascenseur projeta deux longues ombres dans le hall d’entrée. La première était lente et sinueuse tandis que la seconde était plus vivace. Les portes de l’ascenseur se refermèrent et les ombres disparurent. Le lustre du hall d’entrée s’illumina et il put distinguer précisément les silhouettes des deux individus. Le vieil homme à la canne était bien de retour chez lui. Il entendait les claquements de sa canne sur le sol à chacun de ses pas. L’autre semblait être une femme, aux vues de son apparence, du tailleur et de la robe qu’elle portait.


- Merci, Yatsuko. dit l’homme en japonais alors que la femme lui retirait sa veste. Vous pouvez disposer.


- Vous ne souhaitez pas que je reste avec vous ? demanda-t-elle toujours en langue nippone.


- Non, je n’ai pas cœur à cela ce soir. Je souhaite simplement dormir. Vous pouvez rentrer chez vous.


La femme en tailleur s’inclina respectueusement et s’exécuta. L’ascenseur ouvrit à nouveau ses portes et elle disparut, laissant le vieillard seul. Celui-ci éteignit les lumières du hall et d’un pas languissant entra dans le séjour, s’appuyant continuellement sur sa canne. Il s’arrêta devant un guéridon et activa l’interrupteur d’une lampe dont la lumière éclaira une infime partie de la pièce. Hanzo demeurait toujours caché. La lumière n’était pas assez éclatante pour qu’il puisse le repérer. Le vieil homme se dirigea ensuite vers la grande table de marbre où il prit quelques instants pour se servir un verre d’alcool, qu’il but lentement. Puis, il se figea et Hanzo le vit se tendre comme un félin aux aguets. Il se retourna et scruta la pièce longuement avant de reprendre une nouvelle gorgée, et toujours de son pas lourd et trainant, soutenu par sa canne, il rejoignit un fauteuil en cuir, déposant son verre sur une table adjacente.


- Je n’avais pas espéré recevoir des visites, ce soir, annonça-t-il à haute voix en s’affalant dans le creux du siège.


Il venait de parler en japonais. Il savait qu’il n’était pas seul. Malgré les années, ses sens ne s’étaient pas estompés.


- Bonsoir, Munen, répondit solennellement Hanzo en se dévoilant.


Il scruta le visage du vieillard, cherchant à entrevoir de la crainte, de l’étonnement ou bien même de la satisfaction. Mais le visage de Munen resta de marbre : aucune crispation, aucune grimace ne trahissait ses états d’âme. Cela n’était pas étonnant venant d’un ancien du Clan Shimada. Enfant, Hanzo les avait vu comme des figures d’autorité imperturbables et inamovibles, à l’image de son père.


- Cela faisait bien longtemps, Hanzo, déclara Munen d’un ton mélancolique. Bien trop longtemps…


- Cinq années, si je ne me trompe pas, répondit l’archer en se rapprochant de l’ancien, contournant le mobilier.


Les yeux de Munen étaient fatigués, accablés par le temps et pourtant Hanzo les sentit le jauger.


- Tu as changé, Hanzo.


- Et toi, tu es toujours le même.


Le vieillard sembla se détendre et un sourire se dessina sur son visage.


- Après toutes ces années, pourquoi es-tu venu ici ce soir ?


Hanzo ne répondit pas immédiatement, ne quittant pas le vieil homme des yeux. Il se porta vers la fenêtre où il observa le trafic en contrebas.


- Je suis traqué, Munen.


- Traqué ? demanda-t-il en s’appuyant sur sa canne.


Hanzo poursuivit en s’éloignant de la fenêtre :


- Un homme a essayé de me tuer à Bangkok : un chasseur de têtes connu en Asie du Sud-Est. Malheureusement pour lui, il n’était pas de taille contre moi mais cela m’a rendu suspicieux. Lorsque deux omniaques assassins m’ont attaqué à Hong-Kong, le doute ne m’était plus permis. On a mis une prime sur ma tête.


- C’est regrettable, déclara Munen indifférent. Mais en quoi est-ce que cela explique ton intrusion chez moi à une heure si avancée ?


- Je suis venu chercher refuge et surtout je suis venu te demander ton aide pour trouver ceux qui cherchent à me nuire.


Hanzo plongea son regard dans celui de Munen espérant y discerner quelque émotion.


- Comment as-tu réussi à me retrouver ? se contenta de demanda le vieil homme.


L’archer sourit à la remarque et alla se placer en face de l’ancien.


- Les années n’ont pas affecté mes connaissances et mes compétences tout comme toi tu n’as pas perdu ton sens des affaires. Comme vous me l’avez appris autrefois, j’ai simplement identifié des activités clandestines et criminelles dans lesquelles tu étais mêlé de près ou de loin. Ta sphère d’influence est immense mais j’ai pu regrouper un certain nombre d’organisations que tu avais à ta botte. Les trouver fut ardu mais une fois que ce fut fait, remonter la piste jusqu’à toi a été plus qu’aisé.


Hanzo perçut qu’à mesure qu’il continuait son explication, Munen se tendait peu à peu. Ses mains sur sa canne paraissaient tremblotantes.


- Il a bien fallu que quelqu’un maintienne et protège les activités de notre organisation après ton départ, rétorqua sèchement le vieil homme. L’Empire des Shimada n’existe plus mais nous avons veillé à ce que nos œuvres et celles de ton père ne disparaissent pas avec lui.


Hanzo reconnut le ton réprobateur de son ancien professeur. Une inflexibilité et une fermeté qui avaient fait de lui l’homme qu’il était aujourd’hui. Les anciens du clan Shimada provenaient tous du même moule, façonnés et modelés comme une entité sage et expérimentée pour guider le chef de clan dans sa tâche. Mais de tous, Munen était le plus stoïque, le plus sévère et le plus zélé.


- Tu as abandonné le clan à l’heure où nous avions le plus besoin d’un chef, reprit Munen. Tu as abandonné tout ce pour quoi tes ainés et tes ancêtres se sont battus. Lorsque Overwatch a démantelé nos activités, les Anciens ont tout fait pour préserver ce qui devait être préservé. L’Empire des Shimada n’existe plus mais ses vestiges demeurent toujours, et ce grâce à nous. Tu devrais être reconnaissant pour ce que nous avons accompli.


Les mains de Munen se crispaient sur sa canne et Hanzo affronta les yeux accusateurs du vieil homme sans lui répondre. Quelques secondes passèrent avant que son ancien professeur ne soupire longuement de fatigue.


- Je t’aiderais, dit-il à mi-voix, en souvenir de Sojiro.


- Comme tu es miséricordieux.


Sa pique déplut à l’ancien. Il ne le montra pas mais Munen était mécontent. Il abhorrait l’insolence et Hanzo se souvenait de ses punitions lorsqu’il était enfant.


- Je serais curieux de savoir ce que tu as fait au cours de tes années d’errance, demanda Munen d’un ton inquisiteur, et surtout ce qui t’aurait mérité d’avoir ta tête mise à prix.


Hanzo dépassa le fauteuil où se tenait le vieil homme et rejoignit la table de marbre, pour observer les bouteilles d’alcool disposées là. Munen avait une bonne collection de whiskies provenant du Japon et Hanzo se servit sans retenue.


- Comme tu l’as dit, j’ai erré longuement et j’ai mis mes compétences au service du plus offrant.


- Le travail de mercenaire est indigne d’un Shimada, siffla Munen en récupérant son verre sur la table pour boire une nouvelle gorgée.


- Pourtant, il faut bien manger.


- Et néanmoins tu viens me quémander de l’aide lorsque ta vie est en danger. Un homme qui souhaite vivre par l’épée doit s’attendre à périr par l’épée. Ce n’était pas ce que nous attendions de toi lorsque nous t’avions formé. Et surtout, nous t’avons connu moins couard.


Hanzo ignora cette provocation. Le vieil homme avait la langue acérée et il ne lui restait plus que son venin comme unique moyen de défense.


- Il n’est pas encore trop tard pour revenir sur le droit chemin, Hanzo, dit Munen de manière impérieuse. Tu peux encore réclamer la place qui est la tienne. Tu peux compter sur moi pour t’y aider, comme autrefois, et tu pourras enfin accomplir la volonté de Sojiro et rétablir l’honneur du clan Shimada.


Cette pensée lui traversa l’esprit. Il se rappela son père et de ses histoires de guerriers légendaires méritant tous les honneurs. Des héros valeureux et sans torts dont les actions étaient toujours guidées par leur sens du devoir et de la justice. Son frère adorait les légendes que leur racontaient leur père. En grandissant, Hanzo avait compris que de tels modèles représentaient un idéal impossible à atteindre. Lorsqu’on l’avait confronté à ce choix, avait-il accompli son devoir ? Cela avait-il finalement préservé l’honneur du clan ? Les évènements lui avaient prouvé le contraire mais aujourd’hui, il avait bien l’intention de se faire justice.


- J’ai pris ma décision, il y a longtemps, répliqua Hanzo. Il est inutile de revenir sur le passé.


L’archer s’étonna de voir une grimace de dédain sur le visage de Munen.


- Libre à toi de rester emprisonné par tes certitudes, pesta-il en se levant de son siège.


Hanzo l’observa se mouvoir difficilement et se diriger machinalement vers sa chambre, lui tournant le dos.


- Maintenant laisse-moi, ordonna le vieillard. La nuit est suffisamment avancée et j’ai besoin de repos. Reviens demain et nous discuterons de comment nous règlerons ton problème.


Avant qu’il ne fasse un pas de plus, Hanzo le stoppa, posant une main ferme sur l’épaule osseuse de Munen.


- Je n’en ai pas encore fini.


Le vieillard ne broncha pas et balaya la main de l’archer de son épaule avant de se retourner pour mieux le toiser de ses yeux sombres. La bouche du Munen se tordit en une moue de défi.


- Eh bien ? siffla-t-il entre ses dents. Qu’attends-tu ? Dis ce que tu as à dire et épargne-moi tes effronteries. Les printemps me sont bien trop précieux désormais pour que je perde mon temps avec toi et tu en as vécu beaucoup trop pour continuer à jouer le rôle de jeune coq arrogant. D’ailleurs, ce rôle était bien plus l’apanage de ton frère.


Ainsi c’était maintenant au tour du vieil homme de le provoquer et en sentant une colère sourde monter en lui, Hanzo sut que cela avait fait effet. Pourtant il se devait de se contrôler et de demeurer en position de force. Il avait l’avantage et devait le conserver.


- Je ne suis pas venu uniquement me cacher ici. J’ai réussi à remonter la piste de ces assassins et je pense que tu as tout intérêt à écouter ce que j’ai découvert.


Le visage de Munen se renfrogna et il continua d’affronter Hanzo du regard, jusqu’à ce qu’il se détache de l’archer.


- Soit, maugréa-t-il en rejoignant son fauteuil. Je t’écoute.


Munen s’installa et posa ses paumes sur sa canne, attentif et tout ouïe. Son visage abimé par les années avait repris ses traits orgueilleux tandis que ses yeux suffisants ne le quittaient plus. Maintenant qu’il avait toute l’attention de l’Ancien, Hanzo envisagea de faire durer le plaisir.


- Avant de poursuivre, permets-moi de me resservir un rafraichissement. Ma gorge est à nouveau sèche.


Alors qu’il passait devant le propriétaire de l’appartement pour atteindre la table et les précieuses bouteilles, il crut entendre un soupir d’agacement s’échapper des lèvres de Munen. Il remplit néanmoins rapidement son verre pour retourner auprès du vieillard. Il souhaitait le garder à l’œil et il redoutait que le vieux singe ait toujours un tour dans sa manche.


- Je n’ai pas réussi à retrouver le commanditaire, mais j’ai pu remonter à un intermédiaire, commença Hanzo. Pas pour le premier assassin, malheureusement. Il s’est vidé de son sang, bien avant que je puisse le questionner. Pour les deux omniaques, j’ai été bien plus chanceux. Un humain peut oublier, mais pas une machine et la mémoire des omniaques m’a mené jusqu’à un individu peu recommandable à Macao. Un homme du milieu, comme tu en as déjà vu des centaines : discret, organisé et sociable. Le genre d’individu qui pour chaque demande, crée une centaine d’offres, et pour chaque question a toutes les réponses à portée. Et cet homme était très loquace. On l’avait chargé de trouver quelqu’un de suffisamment compétent pour m’assassiner et à deux reprises, celui-ci avait réussi à trouver de parfaits candidats. Enfin ça, c’est ce qu’il pensait.


L’archer s’arrêta quelques secondes pour prendre une gorgée de whiskey. Comme au kabuki, il fallait toujours travailler ses effets et Hanzo s’en délectait.


- Il m’a redirigé vers le propriétaire de plusieurs boites de nuit à Macao. Un notable prisé par la jeunesse dorée de la ville pour ses soirées arrosées, et révéré par les criminels les plus abjects pour être le plus grand trafiquant d’êtres humains de la région. En remontant sa piste, j’ai pu me rendre compte à quel point les activités de cet homme étaient diverses : trafic de stupéfiants, trafic d’armes, trafic d’organes, trafic d’omniaques, proxénétisme, recel. Cet homme se nommait Fèn Tǔ. Est-ce que tu as déjà entendu parler de lui ?


Munen le dévisageait avec ses yeux sombres. Hanzo laissa au vieil homme quelques secondes pour répondre mais devant son mutisme, il poursuivit son récit :


- J’ai longuement questionné ce Fèn Tǔ, et il a reconnu qu’il n’était qu’un subordonné au sein d’une organisation plus vaste et que cet ordre d’assassinat à mon encontre ne provenait pas de lui mais de bien plus haut. J’aurais aimé lui faire avouer le nom du commanditaire mais en bon chien loyal, il n’a pas cédé. Néanmoins, avec ce qu’il m’avait dit, j’ai pu poursuivre mes recherches. Car vois-tu, un homme comme ce Fèn Tǔ, aux vues de ses nombreuses activités, devait engranger d’importantes sommes d’argent qu’il devait bien sûr réinvestir dans des activités bien plus … propres. C’est le béaba pour toute personne désirant former une organisation criminelle. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre ça. Ainsi, tous les bénéfices de ses activités étaient redistribués ou placés dans des sociétés écrans ou réinvestis. Il s’était acheté des bars, des restaurants, des discothèques sur toute la côte, de la Mer de Chine Méridionale jusqu’au Golfe de Thaïlande, ainsi que des immeubles et des logements au Vietnam et au Cambodge. Et la plupart des profits de ses activités légales, en plus de ses autres revenus impropres, il les réinvestissait dans des sociétés d’import-export situées à Kuala Lumpur, Malacca et ici même, à Singapour.


D’une traite, Hanzo termina son verre et le déposa sur le guéridon où se trouvait la statue des dragons entremêlés qui lui apparut plus distinctement, éclairé par la lumière du séjour. Cela lui évoqua le souvenir d’une histoire que son père lui racontait : la geste de deux dragons, deux frères. Il laissa cette pensée divaguer, préférant se focaliser sur ce pourquoi il était venu.


- A Kuala Lumpur, tout comme à Malacca, j’ai cherché à déterminer qui se cachait derrière ces entreprises. Et après consultation des registres de ces sociétés, j’ai pu les relier à quatre comptes bancaires disséminés dans plusieurs banques en Asie, en Afrique et en Europe. L’un d’entre elles est à Londres, une autre à Numbani et les deux dernières se trouvent respectivement à Tokyo et à Singapour. J’ai préféré me concentrer sur les banques à ma portée : Tokyo et Singapour. Tu serais surpris de savoir à quel point il est aisé d’outrepasser les dispositifs de sécurité des banques, que ce soit pour y entrer ou pour accéder à leurs systèmes informatiques. Il suffit principalement d’avoir les bons outils et j’ai toujours des contacts au sein de la pègre tokyoïte. Et beaucoup me doivent des faveurs.


Hanzo venait de traverser le séjour de long en large et le silence de Munen devenait de plus en plus pesant. Le vieil homme était-il mort d’ennui ?


- Le compte de la banque tokyoïte m’a appris que son propriétaire avait d’immenses ressources et qu’il en avait fait bon usage. J’ai pu y retrouver des transactions liées aux sociétés d’import-export ainsi qu’à des entreprises de manutention ou des sociétés de services, surement d’autres leurres pour blanchir son argent sale. Il avait fait l’acquisition de plusieurs résidences aux quatre coins de la planète : un appartement à New-York, un autre à Paris ainsi qu’à Numbani et puis un dernier récemment acheté à Singapour. Grâce à ces informations, il n’a pas été difficile d’identifier et de trouver les adresses de ces appartements. Et je dois reconnaitre que cet homme n’est pas un vulgaire criminel qui étale sa fortune, car malgré ses ressources, les appartements qu’ils avaient acquis n’étaient pas vraiment de haut de gamme, plutôt des logements accessibles à des nouveaux riches ou bien de jeunes chefs d’entreprise. C’est rusé, ainsi il n’attire pas trop l’attention autour de lui. Et plus il reste discret, moins il risque que l’on se plonge dans ses affaires. Après cela, je suis arrivé à Singapour, il y a deux jours exactement. Je suis entré par effraction dans la banque et j’ai pu y consulter les informations de son compte pour y constater des échanges et des transactions similaires. Je n’avais plus vraiment le choix, il fallait que je visite son appartement afin d’enquêter. Je m’y suis donc rendu en espérant trouver des réponses à mes questions, dont l’une d’entre elle qui n’arrivait pas à sortir de mon esprit.


Hanzo avait rejoint Munen et l’archer plongea ses yeux dans les pupilles de son ancien professeur.


- Pourquoi avoir commandité mon assassinat, Munen ?


Le vieillard ne broncha pas. Était-il mort de peur ? Était-il terrifié ? Non, et c’était en partie ce qui l’exaspérait. Munen était toujours muré dans son silence et affichait un faciès de défi et d’inflexibilité. Pourtant, il ne s’était pas défendu, laissant Hanzo parler et parler, comme si cela n’avait plus aucune importance désormais. Son mutisme confirmait son implication et ne faisait qu'exacerber l'irritation d'Hanzo. Il espérait que le vieil homme ne s’abaisserait pas à répondre avec de piètres mensonges. Finalement, un rictus apparut aux commissures des lèvres de Munen.


- Il est rassurant de voir que tu n’as pas oublié ce que nous t’avons appris.


- Réponds à ma question.


Munen se renfonça dans son fauteuil, posant sa canne sur ses genoux.


- Je ne t’ai jamais dissimulé mes raisons, expliqua-t-il. Tu as déshonoré le Clan Shimada, mettant à bas tout ce qu’avait construit le Conseil des Anciens…


- C’était l’Empire de mon père. Pas le vôtre.


- Mais c’est nous qui l’avons préservé, rétorqua Munen en frappant le sol avec sa canne. Nous l’avons rebâti quasiment à partir de rien pendant que tu te morfondais.


- Vous vous l’êtes partagé comme des charognards, tu veux dire, ajouta Hanzo en s’éloignant du vieil homme. Et par quels moyens l’avez-vous rebâti ? En vous associant avec d’infects individus comme ce Fèn Tǔ ? Mon père n’aurait jamais permis cela, il ne se serait pas abaissé à collaborer avec des ordures de leur genre.


- Mais Sojiro n’est plus et son héritier n’a pas été à la hauteur pour lui succéder, malgré tous les espoirs qu’il portait en lui. Le Conseil des Anciens a pris les décisions adaptées pour perpétuer les activités du clan et en aucun cas, nous ne te laisserons récupérer ce que tu as sciemment abandonné. Tu as perdu tous tes droits sur cet héritage.


Le vieillard n’en démordait pas et cela le faisait enrager.


- Vous avez été suffisamment clair sur ce point ! J’ai piraté ton ordinateur et j’ai pu accéder à tes nombreuses conversations avec les autres membres du Conseil. En tout cas, ce qu’il en reste. Tu n’as pas hésité à éliminer tes rivaux au sein des Anciens et ce pour mieux te départager les restes avec les autres. Et je faisais partie des cibles à éliminer et pour prouver ta bonne foi, tu as décidé de t’en occuper personnellement et pourtant tu ne t’es pas sali les mains. Pour un homme qui juge tant par l’honneur, tu es terriblement abject.


Munen resta insensible à cette énième provocations alors qu’Hanzo arriva derrière un des canapés du séjour. Son regard se porta sur la statuette des dragons, il lui parut voir leurs yeux briller d’une lueur rouge.


- Le Conseil a toujours su prendre les décisions adéquates pour le bien du clan et les a toujours pleinement assumés. Contrairement à toi, incapable d’assumer les conséquences de tes actes. A croire que nous nous trompions. Que nous avions placé nos espoirs dans le mauvais frère. Avec les années, je réalise que Genji aurait fait un meilleur chef de …


Hanzo ne l’avait pas laissé terminer sa phrase. Il venait de récupérer son arc dissimulé sous le canapé. L’archer observa le visage du vieil homme réagir à la flèche qu’il venait de décocher dans son épaule. Son air de défi se transforma en une façade de surprise amère, ce qui satisfit pleinement Hanzo.


- Je t’interdis de prononcer son nom, siffla-t-il entre ses dents.


Lâchant sa canne, Munen porta son bras libre à la flèche pour tenter de se libérer mais elle s’était enfoncée trop profondément dans sa chair, et dans le fauteuil. Il haletait, ses lèvres tremblaient.


- C’est … exactement ce que je disais, dit le vieil homme en reprenant son souffle. Incapable d’assumer ses propres décisions. Tu as tué ton frère mais tu n’avais pas les épaules pour supporter un tel fardeau.


Hanzo s’approcha de lui, une flèche encochée à son arc. La mascarade était terminée et Munen le savait très bien. 


- Vous m’avez poussé à prendre des sanctions vis-à-vis de mon frère, car vous redoutiez qu’il se retourne contre le clan, déclara Hanzo. Vous vouliez qu’il disparaisse et j’ai été assez naïf pour suivre votre voie.


Munen transpirait à grosses gouttes. Un large sourire se dessina sur ses traits défigurés par la douleur.


- C’est ce dont tu es persuadé ? fit-il en laissant échapper un ricanement clair. Ce n’est pas nous qui avons porté le coup final. Tu es le seul à blâmer. On m’avait rapporté que ton œuvre sur ton frère n’était pas celle d’un épéiste mais celle d’un boucher. Que t’as dit Genji pour qu’il mérite une mort aussi douloureuse ?


Une seconde flèche vint lui transpercer l’avant-bras, le clouant à l’accoudoir.


- Je t’ai dit de ne pas prononcer son nom.


Des larmes apparurent aux coins des yeux de Munen pourtant il continuait de sourire.


- Tu es tombé encore plus bas que je ne le pensais…, répondit-il. Ma mort ne t’apportera rien. Mon fantôme te poursuivra, tout comme ceux de Genji et de Sojiro.


Une troisième flèche se ficha dans l’aine du vieillard qui étouffa un hurlement de souffrance. Il fallut quelques secondes pour qu’apparaisse une teinte rouge sur l’assise du fauteuil qui ne tarda pas à couler à ses pieds.


- Mon frère et mon père sont mon fardeau. Mais toi tu ne l’es pas, fit Hanzo en s’abaissant au niveau de Munen. Je dois vivre avec les erreurs de mon passé mais il est hors de question que je permette aux Anciens de profiter de l’héritage des Shimada. Si je n’ai pas fait honneur à mon père en tant que chef de clan, alors je dois au moins lui rendre justice en ne laissant pas son héritage entre les mains de chiens tel que toi.


Maintenant, c’était le corps entier de Munen qui tremblait. Les doigts de son bras cloué à l’accoudoir du fauteuil se tordaient. Les larmes coulaient sur ses joues et son sourire s’évapora en une moue de colère. Le vieil homme regardait autour de lui, guettant les portes de l’ascenseur, comme s’il s’attendait à voir quelqu’un apparaitre.


- Personne ne viendra te sauver, j’ai coupé les systèmes de sécurité. Je t’ai vu appuyer à de nombreuses reprises sur un bouton dissimulé sur ta canne mais tes hommes ne viendront pas. Tu meurs ce soir, Munen.


- C’est comme ça que tu entends t’en tirer ? grommela Munen. Tu n’es rien... Une cause perdue ! Il n’y a plus aucun espoir pour toi. Tu ne mérites pas cet héritage.


- J’ai déjà vidé tes comptes, répliqua Hanzo. Ton ordinateur avait toutes les données nécessaires pour y parvenir et grâce à mes outils de piratage, j’ai pu m’en donner à cœur joie. J’ai également eu accès à de nombreuses informations compromettantes qui pourraient mettre ton organisation en fâcheuse posture si les autorités venaient à mettre la main dessus.


La bouche de Munen se crispa de douleur et de rage mais alors qu’Hanzo espérait que cela lui offrirait une certaine satisfaction, cela ne fut pas le cas. Sa traque avait été longue et fastidieuse et au fil de sa chasse, il s’était imaginé retrouver le commanditaire de la mise à prix de sa tête et le faire payer. Découvrir qu’il s’agissait d’un ancien du clan Shimada, d’un ancien professeur, avait rendu la chose plus amère mais cela l’avait rendu encore plus déterminé.


- Personne ne profitera de ton héritage, Munen. Je m’en chargerais personnellement.


La colère qui l’animait s’était apaisée pour laisser place à une profonde indifférence. Maintenant qu’il était arrivé au bout de son règlement de compte avec le vieillard, il ne se sentait pas pleinement satisfait. Poursuivre le supplice n’y changerait rien. De toute manière, il en avait fini.


- Les autres Anciens… Ils sauront que c’est toi, balbutia Munen alors qu’un filet de sang perlait aux commissures de ses lèvres. Ils enverront des assassins te traquer et à la fin, tout ce que tu as accompli aura été vain…


Hanzo s’éloigna du fauteuil où agonisait Munen pour rejoindre la baie vitrée du penthouse qui donnait sur la terrasse. Attaché à la poignée de la baie, se trouvait le câble de la tyrolienne qui lui avait permis de traverser la rue.


- Je les trouverais avant et ils tomberont comme toi, répondit Hanzo en jetant un dernier regard par-dessus son épaule vers son ancien professeur.


L’aspect grotesque du corps de Munen, aux portes de la mort, affalé dans son fauteuil était terriblement pathétique. Hanzo se surprit à ressentir certains regrets devant ce triste tableau. Les choses auraient dû tourner autrement. 


- Reviens ici ! ordonna Munen en rassemblant ses dernières forces, crachant du sang sur sa tunique. Accorde-moi une mort honorable ! Si tu as encore une once de respect pour moi, reviens m’achever !


Autrefois, Hanzo s’était posé comme principe de ne jamais faire souffrir inutilement. Il se remémora un corps étendu, la pluie battante, une flaque d’eau pourpre et du sang sur ses mains. Hanzo enfouit ces pensées au plus profond de lui. Il était resté fidèle à ce principe, jusqu’à Genji. Il n’allait pas offrir un tel privilège à Munen.


- La vie n’est pas comme les vieilles histoires que vous nous racontiez, enfant. Seules les personnes honorables méritent de mourir d’une mort rapide et noble. Or nous ne sommes pas des hommes honorables.


Hanzo accorda un dernier coup d’œil à Munen dont le visage se figea, puis sa tête s’affaissa sur son épaule pour ne plus bouger. L’archer enroula le câble autour de sa main et le saisit fermement, ensuite il prit son élan et sauta dans le vide afin de rejoindre les toits des autres immeubles en contrebas. Puis, il disparut dans la nuit.


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Hanzo est vraiment intéressant comme personnage. Il est à la fois fier, mélancolique et imperturbable. J’ai vraiment apprécié écrire sur lui tout comme je suis très impatient d’aborder Genji. La dynamique des frères Shimada est vraiment passionnante et j’espère qu’on en verra plus dans Overwatch 2. Je croise les doigts.


Pour le prochain personnage, je l’ai mis de côté depuis trop longtemps et j’ai favorisé Hanzo et Angela avant lui. Mais je compte me rattraper avec le chapitre 5 qui j’espère vous plaira tout autant.


Merci à Etsukazu pour sa relecture et ses conseils et j'espère vivement que ce chapitre vous a plu. En tout cas, n’hésitez pas à me laisser votre avis ou un commentaire, cela a un effet euphorisant sur l’auteur.


Portez-vous bien et à bientôt pour la suite !


 

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