Overwatch : Recall

Chapitre 7 : Nous sommes tous des soldats

7640 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/05/2020 18:00

 

Précédemment : Hakim a réussi à s’enfuir, et il confie l’arme qu’il transportait à une chauffeuse qui s’avère être une espionne alliée de Georges Chillwell, agent du gouvernement. Ana a réussi à s’enfuir et se trouve dans la demeure d’un dénommée Amset qui semble être son amant. Pendant ce temps, Jack semble bientôt arriver au point de rassemblement, au contraire de Torbjörn, toujours aux prises avec ses assaillants.     

 

Elle l’entendit avant de le voir. La furtivité n’avait jamais été son fort, mais Jack compensait aisément avec sa puissance de feu. Ce dernier ouvrit la porte sans toquer en soufflant comme un buffle et sourit faiblement en les voyant lover sur le canapé. Il avait son gros fusil posé en équilibre sur l’épaule et qu’il tenait par la crosse comme si elle ne pesait pas une soixantaine de kilo en réalité, et sa veste en cuir dans l’autre.  


— Bonsoir, messieurs dames ! 

— Tu n’amènes personne avec toi, j’espère ? railla-t-elle 

— Moi, non, répondit-il, avant de montrer du menton son amant. 


Ana fit les présentations entre les deux hommes et alla chercher quelque chose de fort après que Jack lui ait demander si elle n’avait pas un “remontant”. Alors qu’elle ouvrait le tiroir d’un meuble dans la cuisine pour prendre un plateau, elle revit les tâches de sang sur le débardeur blanc de Jack, ainsi que son regard devenu si sombre avec le temps, eux qui abritaient des yeux bleus si cristallins. Elle croyait avoir aperçu ce regard lors de l’incident de “Crackhead School”, pendant la guerre contre les Omniums.  


“Crackhead School” désignait la prise d’otage d’une petite fille Omnium adoptée par un riche couple adepte des idéologies de l’évolutionarisme [1] par un adolescent endoctriné par un groupe terroriste anti-Omnics originaire d’Irlande qui sévissait toujours, les Héphaïstiens[2]. Ça avait été l’une de leurs missions la plus éthiquement éprouvante pour toutes les thématiques qu’elle soulevait, et l’une qui entacha le plus l’organisation. Chose inévitable, comme n’avait cessé de le rappeler Gabriel. Il n’y aurait pas pu y avoir de bonne fin à cette histoire. 

L’adolescent était au bord du toit d’un appartement à trois étages où il avait vécu avec ses parents décédés depuis peu. Son oncle et sa tante étaient dans la rue en contrebas, aux côtés d’agents d’Overwatch tel que Angela ou Gabriel qui étaient là au moment des faits. L’atmosphère était encore pleine de la poussière soulevée par les affrontements entre les Omnics qui avaient réquisitionnés le quartier la semaine d’avant, et des cratères un peu partout sur la route compliquaient encore la circulation des véhicules de premier secours. Les boutiques de quartier étaient toujours fer Après la construction d’un camp de fortune destiné aux victimes de la guerre qu’ils avaient délivré, et après un petit round d’observation de quelques jours, Overwatch avait décidé de lever les voiles et de rentrer à la base. Mais Matéo, l’adolescent, avait eu d’autres plans : A quelques kilomètres de son HLM d’enfance se trouvait un quartier de résidence aux maisons individuelles et plutôt discrètes. Cependant, un magazine people dévoilé qu’un riche couple s’y était installé avant les vacances, peu avant que son quartier ne soit assiégé. Personne n’en était encore sûr à ce moment, mais on considérait qu’il avait planifié son raid alors qu’il était terré chez lui, à l’abri des attaque Omnics.  

Il tenait la jeune fille dans ses bras, et il lui avait déjà arraché ses deux jambes, de sorte à ce qu’elle ne s’échappe pas de sa chambre où elle était restée cloîtrée deux à trois jours, ainsi que sa carte son pour que personne ne l’entende. L’enfant se débattait tant bien que mal, une expression tendue et pleine d’angoisse qui encore aujourd’hui hantait Jack. Ce dernier se tenait sur le toit devant Matéo, à une dizaine de mètres de sa position.  


— Reculez-vous ! avait hurler le petit garçon, dont la voix qui muait était noyée d’une haine trop importante pour son âge.  

— Du calme ! Tu t’appelles Matéo, c’est ça ? Je ne vous veux pas de mal, ni à toi, ni à la petite ! 

— Eh bien moi, je lui veux du mal ! avait-t-il l’adolescent en faisant mine de laisser tomber son otage. 


Sous la surprise, le cœur de Jack sembla exploser dans sa cage thoracique. Sa bouche s’ouvrit sans ouvrir un son, n’aspirant que de l’air en plus comme s’il allait besoin de réserves pour ce qui était sur le point de se passer, et mit la main à sa ceinture, vers le petit pistolet qui reposait dans son holster, mais il ne se passa rien. Son cœur battait toujours la chamade, et la petite fille était toujours dans les bras fins de Matéo, avec un canon pointé sur la tempe métallique.  


— Vous alliez me tuer, n’est-ce-pas ? avait-il ricaner, avec un sang-froid qui fit frissonner le soldat.  

— Ne dis pas de bêtises, avait réussi à dire Jack d’une traite, en élevant la voix pour cacher son malaise. Qu’est-ce qu’à bien pu te faire cette petite ? 

— Ses parents sont des activistes anti-humains ! 

— Mais elle n’est coupable de rien, Matéo !  


Jack avait essayé de s’avancer encore un peu, prudemment. Chaque pas était bien trop court, mais constituait une étape si importante.  


— N’approchez pas ! avait beuglé Matéo en faisant mine d’appuyer sur la détente. 


Le soldat déglutit difficilement et leva les bras en signe de reddition. Sans cesser de fixer le garçon des yeux de la manière la moins analytique et la plus paternaliste possible, il essayait de le faire revenir vers le bon sens mais avait le pressentiment que Matéo s’était fait une idée. Le pauvre petit avait perdu son père et sa mère pendant “CrackheadSchool”. Sa mère avait été tuée par une balle perdue, alors que la conscience de son père avait été aspirée devant lui et transmise à un Omniums tueur. Il avait alors failli être tué par son propre sang, mais avait réussi à s’échapper. Une expérience traumatisante que vivait beaucoup d’enfants, trop pour qu’on s’occupe psychologiquement de chacun d’eux, ce qui créait des cas à parts comme Matéo : Seul, froid, méthodique, prêt à en finir à tout moment pour satisfaire son désir de vengeance. Si la guerre créait des héros, elle concevait aussi son lot de monstres.  


— Si vous approchez, je jette le micro-ondes, c’est bien compris ? 

— Elle a un nom, lui avait rappelé Jack en pinçant les lèvres. Elle a un nom, des sentiments, des pensées positives et négatives tout comme n’importe quel être humain. Et en ce moment, elle a peur ! 

— C’est un programme avait-il haineusement craché, les yeux plus noirs de rage que ses cheveux en bataille. Elle ne fait que simuler les humains, mais il n’y a ni âme, ni chair dans cette boîte de métal ! 

— Tu ignores tout ce qu’ils sont réellement !  


Jack s’était avancé subrepticement tout en continuant de parler. La vue du terroriste au bord du gouffre, avec Elodie, la petite fille, qui était au-dessus du vide alors que la silhouette mince de Matéo était balayée par un vent fort lui donnait la nausée.  


— S’il y a la guerre aujourd’hui, c’est parce qu’une partie d’entre eux en a marre de se faire mépriser par des gens comme toi, Matéo !  

— Mensonges avait-il vociférer d’une voix qui avait surpris Angela, avait-elle retransmis à Ana. Leurs actes de rébellion sont apparus car ils voulaient prendre le dessus sur les humains et tous nous éradiquer ! Ou alors vous voulez dire que je suis le responsable, hein ? C’est à cause de moi tous ces morts, mon père, ma mère, mes voisins, mon meilleur ami ? Leurs attaques, c’était pour se venger de l’ancien moi, celui qui n’avait rien fait de sa vie, et qui se foutait de savoir s’il parlait à de la chair ou à du métal ? 

— Ce... ce n’est pas ce que j’ai dit... ! 


Pas une seconde d’hésitation, pas un clignement d’yeux trahissant sa surprise, pas de regard perdu dans le vide un court instant trahissant sa réflexion, ou un relâchement de la gâchette qui aurait pu exprimer ses doutes. A 16 ans, lui qui n’avait probablement jamais voyagé, ni fait l’amour, ni bu ni fumé, lui qui avait tout aux plus trois poils sous le menton, des baskets usés et un hoodie trop grand parlait avec toute la conviction du soldat le plus entraîné. Et Jack savait les reconnaître. C’est peut-être à cet instant-là qu’il avait compris le dénouement. 


— Et elle alors ? avait-il rebondit maladroitement. Elle fait partie de ceux qui veulent dominer le monde ? Ce n’est pas en attaquant des innocents qu’on obtient gain de cause ! 

— C’est pourtant ce que fait le gouvernement ! avait-il sourit d’une voix plus douce. Les caïds à la récré qui frappent les plus petits, les pays qui attaquent les plus faibles...

Au final, c’est dans notre nature, non ? Si je veux que mes actions fassent du bruit, j’ai qu’à prendre exemple... ! 

— Matéo, avait alors hurlé son oncle, excédé, écoute, jette cette machine et n’en parlons plus, d’accord ? 

— Ta vie ne vaut pas celle de cette petite fille ! avait renchéri sa tante. 

— Vous n’aidez vraiment pas, là, était intervenu Angela d’une voix ferme. 

— Vous savez quoi m’sieur Morrison ? avait alors hurlé Matéo, les yeux soudain larmoyants, et les joues rouges de colère. Faisons un pari ! Je vais trouer la cervelle du micro-ondes, et si je vois des larmes couler des yeux de ses parents, comme les miens quand mes parents sont morts, alors vous aurez eu raison ! 


Jack resta interdit. Depuis, il avait baissé ses mains, et de l’intérieur de son poignet, il caressa inconsciemment son holster.  


— C’est la fin, avait pressenti Gabriel d’un ton lointain sous le regard interrogatif d’Angela.  


Alors que l’oncle et la tante du petit le poussait au pire, Jack, toujours trop loin, voyait devant ses yeux le pire se réalisait. La petite s’agitait de plus en plus, mais pas Matéo. Son poing reposé sur la gâchette se serra brusquement, et une fraction de secondes, Jack Morrison dégaina sans viser, en priant pour qu’il ait touché une cible, et si oui la bonne. Lorsqu’il regarda, c’est comme si la balle dans son pistolet avait attendu avec impatience d’être lancée, sachant parfaitement où elle devait atterrir. A l’image d’un grossier bindi, le front de Matéo s’était orné d’un troisième œil rouge sombre, presque noir, apparut si lentement que son corps semblait ne pas avoir fait le rapprochement. Ce dernier était resté immobile, debout. Ses joues étaient encore rouges, mais ses lèvres avaient arrêté d’être serrés, et ses yeux toujours larmoyants étaient désormais vides et regardaient le ciel d’un air vitreux. Ces quelques secondes hors du temps permirent à Jack à la vitesse surhumaine que lui conférait son sérum de supersoldat, de rattraper juste à temps les deux enfants.  

L’oncle et la tante furent placés en cellule psychologique, mais pas le soldat si important aux missions qui allaient suivre. Jack se demanderait encore longtemps comment il avait pu prier que sa balle transperce un enfant. Pour le couple riche et célèbre, tout était bien qui finissait bien, mais aux yeux de l’opinion, Overwatch affichait clairement une tendance plus évolutionnariste qu’humaniste et cela gênait un groupuscule de personnes qui allait augmenter avec le temps. Un voile s’était définitivement posé sur les yeux des agents d’Overwatch, et de Jack en particulier, qui s’était noirci de plus en plus avec le temps.  


Ana remplit le plateau de bières et autres apéritifs. Pendant six ans, elle s’était efforcée de faire le tri entre ce dont elle voulait se rappeler et ce qu’elle voulait oublier et cette histoire en particulier, bien qu’elle ne fût pas là quand ça s’était passé, continuait de la hanter. Le message de Winston, le retour de Léna, Jack, Torbjörn... tout ça n’avait rien arrangé, et elle se rappelait avec regret qu’ils avaient souvent dû être aussi cruels que ceux qu’ils avaient combattus. Lorsqu'elle repartit dans le salon, elle vit que Jack était parti prendre une douche rapide. Il avait déjà sympathisé avec Amset qui lui avait proposé de de lui prêter quelques habits plutôt que de rester avec ceux imbibés de sang et de sueur dans lesquels il s’était présenté. 

Lorsque le soldat américain revint, avec sur les épaules un qamis sombre ils s’assirent tous à une table et parlèrent avec courtoisie. A sa grande joie, les deux hommes semblaient s’entendre. Alors que la stéréo diffusait un mix de musiques relaxantes mélangées de jazz et de samples hip-hop douces, l’atmosphère se détendait de plus en plus entre les protagonistes, de sorte qu’Ana avait l’impression de participer à ces apéros typiquement français, où on parlait de tout et de rien en préchauffant son estomac pour le plat principal. Ce dernier devait arriver bientôt sous la forme de sujets de discussions plus importants que les petits riens dont ils parlaient sur le bout de la langue.  

On était arrivé ç une heure tardive de la nuit maintenant, Torbjörn ne donnait toujours pas de signes de vie, et les langues se déliaient sous l’effet de l’alcool. Ana revenait tout juste de la cuisine où elle avait lancé une infusion. L’air était frais, mais la musique et la liqueur réchauffaient leurs cœurs et donnait à Ana le courage nécessaire pour aborder ce qu’allait lui demander Jack : 


— Tu sais Ana... Je comprendrais que tu ne veuilles pas aborder le sujet mais... J’aimerais vraiment savoir ce que tu as fait pendant ces sept longues années d’absence. Et comme as-tu rencontré Amset ? 


Elle lui lança un regard subreptice. Amset hocha de la tête en signe d’encouragement. L’égyptienne prit une gorgée d’alcool et regarda de nouveau son amant, plus tendrement cette fois, comme si Jack n’existait plus.  


— En fait, nos deux histoires sont liées, commença-t-elle avec un sourire qu’Amset lui rendit, lui aussi propulsé plusieurs années en arrière. Tu te rappelles de cette mission où j’ai soi-disant été tuée, en Irak. Un sniper faisait pression sur notre équipe. Quelques-uns avaient réussi à fuir, et malgré ton ordre de battre en retraite, j’étais restée en arrière, bien déterminée à m’assurer qu’il ne puisse plus sévir. 


Elle marqua une pause, mais Jack ne profita que pour hocher légèrement la tête, signe qu’il l’écoutait religieusement. 


— On avait perdu Bayless, Al-Farouk, Laura, Art, et je n’arrivais toujours pas à trouver le bon angle pour le mettre hors d’état de nuire. Chercher ne prit pas beaucoup de temps, cependant, et bientôt, j’avais un de leurs membres dans mon viseur avec leur casque si caractéristique, dans un intervalle très étroite et le vent qui se levait. Mon tir a éraflé son casque et sa peau qui s'avérait bleu pâle. Mais malgré sa pigmentation nouvelle et sa maigreur, je pourrai parier l’œil qui me reste que c’était Amélie, Jack.  

EIle n’eut pas la réaction attendue ; Jack haussa simplement les sourcils, avant de baisser la tête et de se passer la main sur son visage jusque dans ses cheveux blancs et déjà décoiffés qu’il semblait essayer d’arracher, désabusé. Manifestement, il en savait plus qu’elle et avait toujours soupçonné cette éventualité. Décidément, elle n’aurait pas aimé être dans sa tête. Ce qui ne lui empêcha pas, curieuse comme elle l’était, de savoir s’il était au courant de ce fait.  


— Qu’Amélie avait changé de fusil d’épaule ? lui répondit-il dans un soupir. Eh bien, j’ai longtemps enquêté de mon côté et je le soupçonnais de plus en plus. En tout cas, aujourd'hui, c’est sûr, elle nous a bel et bien trahis, hein ? Tu peux continuer.  

— Ma surprise lui as permis de répliquer. Ma balle a frôlé sa tempe et quasi-pulvérisé la mienne. Je me rappelle alors avoir été impressionné par la vitesse et la précision de son tir alors que je la tenais en joue. Je n’ai encore jamais revu un tel sang-froid. Il fallait être un robot pour faire ce qu’elle a fait, l’inverse total de la Amélie qu’on avait connu. 

— Il faut croire qu’elle a joué un rôle tout ce temps... soupira-t-il. 

— Tu sais bien que non, répliqua-t-elle doucement. Quand on a été en relation avec une mauvaise personne pendant plusieurs années et qu’elle vient à partir, on se rend compte de tous ces moments qui auraient dû nous aiguiller et qu’on a choisi de ne pas calculer au nom de l’amour. Seulement là, même après l’avoir vu dans le camp adverse, je n’arrive pas à croire qu'elle ait porté un masque. Elle aimait réellement Gérard, et Overwatch ! 


Jack haussa les épaules, dépassé. Elle crut qu’il allait dire quelque chose, que des années de mutisme dues à des années de justicier solitaire le forcerait à faire exploser toute sa frustration, mais au contraire, le soldat ne semblait pas disposé à parler. Alors Ana continua : 


— Je me suis évanouie, et lorsque je me suis réveillée...  


 

******* 


 

Elle avait l’impression que son champ de vision s’était considérablement réduit, comme si elle regardait de l’autre bout d’un tunnel. Il s’élargir lentement mais les alentours restaient troubles. Elle ne pouvait voir qu’un fond beige clair qui devait correspondre au plafond d’une maison. Soudain, une tête avenante apparu dans son champ de vision, et à défaut de pouvoir crier, son cœur battit une fois puissamment dans sa cage thoracique comme s’il voulait s’en échapper. Il avait une peau basanée, et un rictus tordait ses fines lèvres, cerclés de courts poils colorés poivre et sel, comme ses longs cheveux bouclés et décoiffés qui lui donnait l’impression d’avoir roulé pendant des kilomètres au volant d’une décapotable. Alors que sa vue revenait pas à pas, son odorat revenait timidement, elle pouvait sentir l’odeur envahissante des oignons frits mélangés à de la sauve tomate. Son estomac s'agitait sans que personne ne l’ait interpellé, excité à l’idée de déguster un bon kochan. 


— Vous ne perdez pas le nord, hein ? s'enquit l’homme avec un sourire. Ana, c’est ça ? Moi, c’est Amset. 

— Ana ? répondit-elle dans un souffle, perplexe. 


Elle avait les lèvres et la gorge sèches, une haleine fétide et une douleur insupportable à l’œil droit. Ana eut l’impression de basculer dans un puits sans fonds avec sa question. Sa main se referma dans le vide, comme si elle essayait de rattraper quelque chose qui lui échappait. Ses yeux s’écarquillèrent d’épouvante et se mit à pivoter nerveusement d’un bout à l’autre du visage d’Amset, complètement désemparée. Son anxiété grandissante se muait en crise de panique, mais elle mourra dans l’œuf au moment où Amset lui sourit avec délicatesse en posant sa main sur mon épaule.  


— C’est bien ce que je pensais, émit-il alors que son sourire devenait une moue pensive.  


Un bloc-notes qu’il tenait en main apparut dans le champ de vision d’Ana.  


— Amnésie, murmura-t-il en écrivant dessus. Très bien.  


Elle était trop dans les vapes pour réagir ou même réfléchir à ce qu’il disait. Ana se sentait comme un légume. Un légume qui avait sacrément faim, en témoignait son estomac de plus en plus bruyant. Le sourire d’Amset réapparut tandis qu’il ouvrait un tiroir à côté d’elle, un sourire qui, avec l’assurance de sa voix et de ses gestes, tendait à la faire respirer plus librement. Elle avait un milliard de questions, mais ne voulait en poser aucune. Pour l’instant, elle voulait bien le laisser encore la gérer come il semblait l’avoir fait depuis un bon bout de temps, manger, et dormir dans ce lit chaud et confortable le plus longtemps possible, loin de tout problème extérieur. En effet, la tireuse d’élite était peut-être victime d’amnésie, pour une raison ou une autre, elle n’avait aucune envie de sortir d’ici.  


— Bon, je crois avoir entendu que vous aviez faim ! Je reviens tout de suite.  


 

******* 


 

— Cela explique l’absence de nouvelles, comprit Jack. Tu as eu de la chance de t’en tirer avec seulement ça. 

— C’est ce qu’Amset ne cessait de me dire pour me rassurer et m’encourager. La balle aurait pu m’enlever un bout de cerveau, et je ne me serais plus jamais relevée... 

— Comment l’avez-vous trouvé ? s'enquit Jack en pivotant la tête vers Amset.  

— J’étais dans une maison derrière le bâtiment où elle était. Lorsque la guerre a éclaté, j’ai dû fermer mon cabinet, abandonner mes patients et me réfugier avec ma famille en croisant les doigts pour que ça cesse : Deux grands garçons, une jeune fille et a femme. Malheureusement, tout allait de pire en pire... Et même si on s’était entêté au début, on a vite compris qu’on ne pourrait pas rester. 


Il s’arrêta, comme essoufflé, le regard vitreux et son verre d’alcool toujours dans ses mains crispées.  


— Tu n’as pas besoin de revivre tout ça, Amset... intervint Ana. 

— En effet, je ne veux pas... 

— Non, c’est bon, trancha-t-il. J’en ai besoin. C’est bien de parler des fois. Mieux que d’écrire sans cesse en tout cas... ! 


Il continuait de regarder un point invisible au-dessus d’eux, cherchant un puits sans fond de courage qui lui permettrait de commencer et de finir son histoire sans avoir la gorge nouée. Mais comme aurait répliqué sa mère, le puits était en lui. 


— Elle s’appelait Noémie. Ma femme. Amjad était mon plus grand, puis Saleh, et enfin Loubna, ma fille. Puis les Omniums sont arrivés et une organisation à profiter du bordel pour endoctriner des extrémistes... 

— La Griffe, grogna Jack. Ils n’étaient pas là que pour ça... ! 


Amset hocha la tête avec un rictus railleur. Il vida son verre d’un trait avec une grimace légère et se servit de nouveau dans la foulée.  


— C’est mon aînée qui m’a dit en premier ce qui me trottait dans la tête depuis un moment ; il fallait partir. J’étais d’accord, mais leur mère était gravement malade et alitée, tout déplacement avec elle devenait incroyablement risqué. J’y ai longtemps réfléchi, coincé entre les regards perdus de la petite et déterminés des grands, alors que je sentais ma femme me glisser entre les doigts. LE pire étant que nous étions coincés entre quatre murs, incapable ne serait-ce que d’ouvrir trop longtemps les fenêtres.  


Sa voix s’adoucissait de plus en plus, et il fallait un effort de concentration supplémentaire à Jack pour le comprendre, notamment à cause de son léger accent. Ana, elle, était édifiée. Elle ne connaissait que dans les grandes lignes ce qu’il s’était passé, mais n’avait jamais insisté pour qu’il revienne dessus, trouvant cela trop cruel. Et puis, elle ne tenait pas à s’infliger un aussi dur récit. 


— Même mon boulot de médecin à l’hôpital ne m’avait jamais stressé autant. Et pourtant, au début, c’était plutôt calme. J’étais en mesure de voir mes enfants, de m’occuper de ma femme, nous riions ensemble de nouveau... 


Il s’interrompit dans un soupir, voyant qu’il se faisait du mal.  


— Bref, lâcha-t-il brusquement. La seule solution était d’envoyer tous mes enfants s’enfuir de la capitale. Il y avait régulièrement des passeurs qui aidaient de gros groupes d'une trentaine de personnes à partir partout dans la ville. Ils faisaient payer, mais pas beaucoup, et ils argumentaient que c’était pour filtrer un peu la foule de gens qui leur demandaient leurs services. J'avais décidé de les suivre un peu plus tard avec leur mère pour la raison suivante ; l’amener avec les enfants réduisait considérablement nos chances de survies à tous. Mes deux fils avaient 24 et 21 ans, et pouvaient s’occuper de la petite qui en avait 14. Le jour après leur départ, une bombe a atterri dans le quartier. Mais pas n’importe quelle bombe. Une bombe chimique. Et il ne restait qu’un masque à gaz.  

Alors qu’Amset reprenait son souffle, un petit sourire triste vint torde ses lèvres, tandis que le visage de Jack se défaisait au fur et à mesure des secondes. 


— J’ai voulu lui donner, bien sûr, mais on savait tous les deux que c’était complètement stupide. Compréhensible, mais stupide. Je devais rester en vie, me disait-elle.


Retrouver les enfants, et s’éloigner le plus possible de la guerre. Elle ne m’a même pas fait promettre de protéger nos enfants. Je pense qu’elle voyait la cruauté de e demander cela alors que j’étais loin d’eux et ne pouvait rien faire. Elle était en train de mourir du gaz à petits feux devant moi, mais elle avait toujours son sourire. Elle était tellement forte. Je l’ai enterré dans le jardin le lendemain. J’aurais pu prendre une balle perdue, et honnêtement, je pense que ça ne m’aurait pas gêné d’en finir. La journée qui s’en est suivi, j’ai passé ma journée à prier et à l’honorer. Au-dessus de ma tête, j’entendais les cris, les balles, les hélicos... J’ai réussi à avoir un rendez-vous avec un passeur pour dans une semaine, et j’en ai profité pour me recueillir et continué de prier. Cela m’a plongé dans un état de concentration que je n’ai jamais retrouvé depuis. Le quartier était devenu plus calme, les coups de feu plus épars. 


— Overwatch était arrivé, comprit le soldat. 

— Vous étiez arrivé, acquiesça Amset en les regardant tous les deux. Ce calme relatif m’a permis d’entendre un cri de douleur lointain au-dessus de ma tête. Il allait bientôt faire nuit, et ça a été le calme plat jusqu’au soir. La guerre semblait être finie, mais je ne voulais pas y croire. Alors que j’allais dormir, j’ai réentendu la voix d’Ana. Elle n’était pas morte. Elle était toujours là-haut à crier pour qu’on vienne l’aider. Et pourtant, je n’avais toujours aucune intention d’y aller. C’est de croiser le portrait de ma femme sur le mur qui m’a fait réagir. J’étais en train de devenir un monstre à cause des drames qui m’arrivait, mais je n’en avais pas le droit. J’étais encore médecin, et je me suis alors promis que ma femme serait la première et la dernière personne que je laisserai mourir sans essayer. Alors j’y suis allé et j’ai fait mon job de médecin. Ana s’est réveillé le lendemain dans mon lit. J’avais fait la cuisine pour la première fois depuis longtemps. Affalée là, à la merci de qui pouvait la sauver, mais avec cette force dans le regard, elle me rappelait douloureusement Noémie. Quelques heures après, un agent d’Overwatch a glissé un papier sous ma porte pour me dire que la capitale était libre. 

— Mais Ana est resté avec vous ? 

— C’est ce qu’elle m’a supplié de faire, répondit Amset en haussant les épaules. Elle refusait catégoriquement que je vous la confie, elle se crispait au simple nom d’”Overwatch”. Alors, elle est venue avec moi. J’ai fait mes affaires, prit la voiture et rejoint mes enfants, mais l’un d’eux était mort. Mon aîné, ajouta-t-il d’une voix rauque, alors qu’une larme coulait sur sa joue. A cause d’un accident de voiture. Les deux autres étaient dans un véhicule différent. 

Il s’affala sur sa chaise, épuisé, et finit son verre après avoir essuyé ses joues. Ana ne prit pas la peine de le faire pour elle, et, les joues pleines de larmes, posa doucement la tête sur ses épaules et il l’enserra de son bras à con contact. Jack finit sa bouteille à son tour et ferma les yeux en écoutant un solo de jazz de Wes Montgomery. Il avait entendu beaucoup d’histoires comme cela pendant sa carrière de commandant-en-chef d’Overwatch, mais son cœur ne s’y faisait toujours pas.  

— Si vos enfants étaient restés, l’issue aurait pu être pire avec cette bombe chimique. Quant à l’accident, on ne peut rien y faire. Quant à votre femme, elle avait raison. Ne soyez pas trop dur envers vous.  

— Saleh me le dit régulièrement, même si la mort de sa mère l’a beaucoup affecté... C'est un homme en or, vous savez, sourit Amset. Il bosse dans une grosse compagnie, je ne sais pas si vous connaissez... Hélix International. Quant à ma fille, c’est elle qui m’a encouragée à refaire ma vie avec Ana. Elle voyait que nous nous entendions bien, que nous étions très proches. Quand j’ai retrouvé Loubna et Saleh, j’ai déposé Ana à l’hôpital. Je suis revenu la voir un mois plus tard, et elle ne se rappelait toujours de rien, sauf moi ! Je suis devenu son tuteur légal aux yeux de l’administration de l’hôpital et elle a pu sortir avec moi. Et c’est le début d’un long parcours pour qu’elle recouvre la mémoire peu à peu. Me concentrer sur son problème m’a aidé à digérer les miens. Pour ça et bien d’autres choses, son entrée dans ma vie a été une bénédiction.  


Jack eut un grand sourire. 


— Je suis content pour vous ! Et je comprends maintenant, ce qui te retient au final, Ana...  


Elle se redressa brusquement en essuyant maladroitement ses joues mouillées. 


— Jack... ! 

— Je ne te juge pas, assura-t-il. Je comprends parfaitement. J’aurais fait la même chose à ta place ! 

— Fait quoi donc ? s'enquit Amset, son regard pivotant de Jack à Ana. 

— Overwatch se reforme, lança alors Jack de but en blanc. Un agent a lancé un message de rappel et tous les agents ou presque sont en route pour rassembler l’équipe.  


Ce fut au tour d’Amset de se redresser, plus doucement que son amante qu’il se mit à fixer avec une moue pensive.  


— De quoi parle-t-il, Ana ? Overwatch... ? 

— … Est de retour, oui Amset, acquiesça-t-elle avec une moue gênée. 

— Et le Petras Act ? 

— C’est une manœuvre totalement illégale de notre part, répliqua Jack. 

— Et tu comptes y aller ?  

— N.… non, balbutia Ana. En fait, je suis toujours en train de réfléchir.  

— Réfléchir ? s'exclama-t-il. Mais depuis combien de temps es-tu au courant ? 


Pendant qu’ils parlaient, un bruit sifflant et aigu prenait de plus en plus d’ampleur. Tous regardèrent vers la cuisine, perplexe. 


— Le thé ! s'exclama Ana, soulagée de trouver une porte de sortie. Je reviens.  


Avant de partir, elle décocha un nouveau regard noir à Jack. Ce dernier se redressa sur sa chaise et interpella discrètement Amset qui semblait vouloir suivre Ana dans la cuisine. Il se pencha sur la table et l’invita à faire de même. 


— C’est vrai, ces histoires ? voulut s'assurer le médecin, effaré. 


Jack hocha la tête.  


— Et c’est pour ça que vous êtes revenus ? demanda-t-il de nouveau à voix basse, les yeux écarquillés.  

— Non, je la pensais morte. Mais maintenant que je l’ai retrouvé, je me disais qu’il était impossible de la laisser derrière moi. 

— Vous ne pouvez pas lui faire ça, refusa catégoriquement Amset. Vous ne savez pas comme elle a souffert. Elle a enfin trouvé un équilibre ici, et elle regrette sa vie d’avant. Ça fait des années qu’elle n’a pas touché à son Kinamura ! [2] 

— Elle était l’une des meilleurs snipers de la planète il y a quelques années, et de ce que j’ai vu depuis que je l’ai croisé, elle n’a rien perdu de sa vivacité, répondit Jack d’un ton qui ne souffrait aucune réplique. Je ne sais pas ce qu’elle vous a raconté, mais elle utilise encore son arme, et bien !  


Amset tourna la tête vers la porte entrouverte de la cuisine.  


— Elle m’a menti... ! Moi qui croyais qu’elle ne faisait que patrouiller ici et là en mémoire de son ancienne vie... ! 

— Elle a essayé de vous protéger. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que vous êtes plus fort que ça ! 

— Après tout ce que je vous ai raconté... Vous essayez quand même de lui faire reprendre les armes. 

— Votre histoire est horrible, mais sachez que des milliers d’autres personnes les vivent ou sont sur le point de les vivre. Le monde va mal, au cas où vous ne l’aviez pas remarqué ! On glisse peu à peu vers une quatrième guerre mondiale ! La dernière fois, Overwatch est arrivé au cours de la troisième, mais si on se bat suffisamment tôt, on pourra tuer dans l’œuf celle qui menace d’éclater ! 


Amset détourna le regard, le visage fermé, les sourcils froncés.  


—Je ne sais pas si je suis prêt. À la laisser partir, à revivre toute cette tension... 

— Je suis soldat depuis cinq décennies. J’ai poussé mon corps à travers toutes les limites connues et subies maintes tortures. En face de moi, j’ai eu des rois, des terroristes qui n’avaient plus rien à perdre, des hors-la-loi, des petites frappes, des hommes sur le point de se faire exécute... J’ai plongé mes yeux dans ceux de meurtriers, de brigands, de héros, de pères de familles, d’ados orphelins, de faiblards, de fous furieux, d’entrepreneurs chevronnés... Et quand je vous vois vous, je vois quelqu’un capable d’encaisser n’importe quoi. Je ne sais pas si c’est ce que vous avez vécu, ou bien si vous avez toujours été comme ça, mais c’est le sentiment que j’ai quand je vous regarde. Le monde va de nouveau avoir besoin de combattants, que vous le vouliez ou non. Cette fois, vous avez le pouvoir de décider si vous voulez en faire partie ou pas ! 


Amset le regarda un moment sans rien dire, puis fit “non” de la tête avant de se lever de table.  


— Non soldat, marmonna-t-il. C’est votre job de combattre. Moi, je suis médecin ; je ne fais que réparer les conséquences de vos actes. 


Il s’en alla vers l’escalier pour monter à l’étage. Pas touché le moins du monde par cette petite pique, Jack l’interpella avant qu’il ne monte les marches.  


— Nous sommes tous des soldats, désormais, sourit-t-il, d’un sourire crispé. 


Amset s’arrêta un moment, la main sur la rambarde, avant de monter deux à deux les marches et de rejoindre sa chambre. Quelques secondes plus tard, Ana revint dans le salon avec sur un plateau trois tasses de thés fumantes et une théière. Sa main droite était enroulée dans un bandage, chose que n’oublia pas de souligner un Jack perplexe avec un hochement de tête. 


— Je me suis brûlée, comme une idiote, lâcha-t-elle dans un souffle. Où est Amset ? ajouta-t-elle après avoir regardé autour d’elle. 


Pour seule réponse, Jack la regarda avec un sourire. Il finit ensuite sa bouteille de bière, et piocha dans les dernière cacahuètes du bol en verre devant lui. Un rap reposant des années 2010 faisait bouger sa tête d’avant en arrière sans qu’il s’en rende compte. 


— Jack, qu’est-ce que tu as fait ? s'enquit-elle alors d’un ton sec dans un soupir, en posant un peu sèchement le plateau, renversant un peu de thé brûlant au passage. 

—J’ai dit la vérité, pourquoi ? Clairement, ton mensonge allait grossir, grossir et lui éclater au visage sans qu’il soit prêt. J’ai tué toute tension dans l’œuf en jouant directement carte sur table et en le renvoyant face à ses propres responsabilités. Donc pas de disputes en vue. En fait, j’ai sauvé ton couple. Ne me remercie pas. 


Elle ne le détestait pas. Ana le connaissait suffisamment pour savoir que ce n’était pas un connard sans cœur. Cependant, elle haïssait quand il endossait ce rôle pour la soi-disant bonne cause. 


— Il y a une manière de dire les choses, Jack, rétorqua-t-elle en croisant les bras. C’était à moi de lui parler de quelque chose que je n’ai toujours pas décidé, soit dit en passant ! Ça ne te suffisait pas d’arriver ici et de bousculer la vie que je m’étais construite ? 

— Celle que tu t’es construite, précisément, reprit-il en hochant la tête. C’est un rêve, une bulle sur le point d’éclater. Je sais que tu as souffert d’amnésie, mais tu n’as quand même pas oublié que tu as laissé ta fille et son père derrière toi, quand même ? En tout cas, moi je n’ai pas de problèmes de mémoires, et la Ana dont je me rappelle n’était pas lâche au point de renier sa famille au nom d’une tranquillité factice... 


Elle voulut le gifler de toute la force de son âme mais se retint et mordit ses lèvres à la place. En effet il était doté d’une force surhumaine et ne sentirait rien de toute façon, ce qui n’était pas, comme en lui avait dit mainte fois, une bonne raison de s’acharner sur lui. A travers son regard, elle essaya cependant de lui faire ressentir tout le mépris qu’elle éprouvait pour son attitude.  


— Tu es bien placé pour parler de lâcheté, lâcha-t-elle les dents et les poings serrés. Toi aussi, tu es un revenant ! 

— Tu sais bien que je n’ai jamais quitté le champ de bataille, rétorqua doucement Jack. Et moi, je sais de mon côté que tu continues toujours d’être la justicière que j’ai toujours connue. Alors pourquoi essaies-tu tant de me faire croire que tu as abandonné le combat ? 

— Tu n’en as jamais eu marre d’avoir des morts sur la conscience, Jack ? murmura-t-elle suffisamment fort pour qu’il entende, d’un ton glacial. 


Jack poussa un soupir et s’affala de nouveau sur la chaise, un petit rictus aux lèvres, ses deux mains jointes derrière sa tête grisonnante. Ses bras musclés contrastaient avec son visage fatigué. Il était en un corps un soldat dans la force de l’âge et un riche retraité prêt à faire une séance de golf, un anachronisme qui ne cessait de la troubler depuis qu’elle l’avait croisé il y a quelques jours. Elle n’arrivait toujours pas à croire qu’il n’ait pas tourné la page, après toute ces années. Il avait pourtant des gens qu’il aimait, une en particulier. Même s’il n’avait pas de familles, comment avait-il pu rester un justicier solitaire tout ce temps, attendant tel un serpent le moment opportun pour se lever et attaquer ? 


— Où est Amset ? demanda-t-elle de nouveau d’une voix forte. 


Il montra l’étage du pouce et elle s’engagea dans la cage d’escalier. 


— Il y a une chambre d’amis au sous-sol, lui dit-elle avant d’accéder à l’étage supérieur.  


Sans attendre sa réponse, elle se dirigea vers la chambre qu’elle partageait avec Amset. Il était assis sur le lit, dos à elle. Le médecin se tourna en l’entendant rentrer, et au sourire qu’il lui lança, vit qu’il n’était ni triste ni en colère, ou qu’il le cachait sacrément bien. C’était un effort qu’elle appréciait, mais elle n’avait plus vingt ans, et n’avait plus peur de faire face à un homme qui montrait sa vulnérabilité. Au contraire, elle avait appris à l’apprécier et à y voir une preuve de force. Ce qui fit qu’elle accueillit parfaitement ce qu’il lui dit ensuite : 


— J’ai peur, énonça-t-il, non pas comme on révèle un secret, mais plutôt avec le même détachement que s’il parlait du temps dehors. J’ai peur que tout recommence.  


Lentement, elle s’approcha de lui. Elle enleva ses chaussures au bord du lit, et grimpa sur ce dernier à la manière d’un chat, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment proche de lui pour lui faire un bisou d’esquimau. 


— Que quoi recommence ? La guerre ? Les Omniums ? La Griffe ? 

— Tout... 

— La guerre reviendra, c’est sûr, murmura-t-elle en regardant au plus profond de ses yeux châtains. La dernière fois, elle nous est tombée sur la tête, mais cette fois... ! 

— On a la possibilité de prendre les devants, comprit-il avec une détermination qui la rassura. 


Ils se regardèrent longuement, de ses regards langoureux qui seuls les adolescents semblent capable de réaliser, avant que leurs lèvres ne se joignent avec tendresse. Il l’attrapa à la taille et la coucha sur le dos en l’accompagnant. Elle aimait se sentir enserrée, ne plus être maître de rien. Peut-être était-ce le contrecoup d’avoir été vice-commandant de la plus grande ONG de l’Histoire. Il continua de l’embrasser, jusqu’à ce que leurs corps et âmes ne se confondent et tombent d’épuisement au plus profond de la nuit égyptienne... 


 

 

[1] : mouvement d'acceptation des Omnics menée principalement par des humains, et qui considèrent que la naissance des Omnics signifie la mort de l'Homo Sapiens, et la naissance de l'Homo Modi. (du mot moderne).

[2] : Le nom de cette organisation vient du dieu Héphaïstos, dieu de la forge et de la métallurgie. Ils méprisent les Omnics qui restent à leurs yeux des inventions humaines, auxquels ils comptent bien mettre un terme...


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