L'inconnu du train Chicago - Los-Angeles
« Bien ! Nous reprendrons la correction du contrôle demain, d'ici là, je compte sur vous pour vous avancer un peu dessus, de sorte à ce qu'on ne perde pas de temps à la prochaine séance ! Bonne journée à vous tous ! »
Gabriel rassembla ses affaires tandis que les élèves qui n'étaient pas encore partis de l’amphithéâtre se hâtaient pour s'éclipser. Le Latino soupira longuement. C'est qu'être professeur d'espagnol dans un grand Lycée de Californie n'était pas tout les jours facile. Leur niveau était convenable, mais ils faisaient encore beaucoup trop d'erreurs bêtes, qui pourraient facilement être évitées si ses élèves daignaient à apprendre leurs leçons... D'autant plus que la Californie était un État frontalier du Mexique, logiquement, il devrait y avoir un petit groupe d'hispanisants ! Mais même le peu de Mexicains présents en classe parlait un espagnol digne de l'argot, voire pire si seulement un tel langage existait, et il leur fallait donc, comme les autres, apprendre les bases de la langue ibérique. Les jeunes adultes avaient eu contrôle juste avant les vacances scolaires, et Gabriel ne s'étaient pas dépêché de les corriger. Mais voilà que le temps l'avait rattrapé, et il avait dû faire cela en vitesse dans le train qui l'amenait depuis Chicago vers sa ville natale. Il n'avait pas eu le temps de profiter du voyage. Il avait tout de même plus de 90 copies à corriger, et dans ce train, il avait dû bien vider trois stylos rouges. Mais enfin, le calvaire était terminé ! Et après avoir montré les notes catastrophiques à ses élèves, il espérait bien pouvoir se reposer un peu. Ça tombe bien, au moment où il finissait de ranger ses feuilles de notes dans sa mallette, l'écran de son téléphone s'alluma, signe d'un message. Gabriel souriait avant même d'avoir vu le destinataire ou le contenu du message. Il savait déjà que c'était Jack Morrison. Il devait bien avouer que la détresse du blond l'avait interpellé. En plus, ils avaient été dans le même train ! Comment était-ce possible qu'il n'ait pas remarqué une petite bouille d'ange pareil ? Voilà maintenant quelques jours qu'ils se connaissaient, et ils avaient déjà échangés leur numéro de téléphone. Et aujourd'hui était un jour spécial pour Gabriel qui allait enfin rencontrer en personne le jeune journaliste. Ils s'étaient donné rendez-vous à un petit café de la ville à 18 h. Gabriel regarda sa montre et vit qu'il n'était que 16 h. Cela lui laissait donc le temps de rentrer chez lui pour se préparer. Avec un grand sourire, chose rare le connaissant, il se rendit dans son appartement qui se trouvait à seulement deux rues de son lieu de travail. Au moins, il n'avait pas à affronter le trafic monstrueux de Los-Angeles. Arrivant devant son immeuble, il se dit qu'il pouvait prendre les escaliers, pour une fois, étant donné qu'il n'était pas trop fatigué. Il monta donc les trois étages qui le menait sur le pas de sa porte, et il fut surpris de voir que l'appartement était déjà ouvert. Fronçant les sourcils, le professeur entra dans son appartement, prenant au passage, sur le meuble de l'entrée, un couteau qui était caché dans le premier tiroir. Depuis qu'il s'était fait cambrioler une première fois, il avait ses propres méthodes pour couper un intrus dans son élan. Du bruit se fit entendre dans la cuisine. S'y dirigeant à pas de loup, il se cacha derrière la porte, attendant patiemment que l'intrus sorte de la pièce. Et quand le bruit de pas se rapprocha de la porte...
« J'te tiens, fils de... Jess' ?! »
Gabriel s'était jeté sur l'intrus, l'avait plaqué au sol et menaçait la gorge de l'inconnu avec son couteau, avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait que de Jesse.
« Wow, on se calme ! J'ai rien fait ! »
« Mais qu'est-ce que tu fou ici ? Tu devrai être à l'école à cette heure-ci ! »
« Bah... C'est à dire que... »
« Ne me dit pas que tu as encore séché les cours parce que tu avais math... »
« Ah non, non ! C'est pas parce que j'avais math ! »
« Parce que tu avais anglais, alors ? »
« Non plus... »
« Ne me dit pas que... »
« Mais papà ! »
« Jesse Mccree, tu vas avoir de sacrés problèmes. J'accepte que tu passe tout ton week-end avec le japonais, mais de là à ce que tu fasse passer tes études en second plan pour sortir avec lui ! »
« Il n'est pas là ce week-end et je... »
« Je me fiche de savoir si Hanno est là ce week-end ou pas ! Tu n'as pas à faire ça ! »
« C'est Hanzo, pas Hanno. Et en plus on avait contrôle. J'avais pas révisé, autant ne pas y aller pour se taper une mauvaise note. »
« Je rêve. C'est ça, je suis en train de rêver. Tu es en train de me dire qu'en plus d'avoir séché les cours, c'était prémédité en prévision d'un contrôle ?! Allez, zou ! Dans ta chambre ! Consigné jusqu'à nouvel ordre. Et j’appellerai ton Lycée demain pour qu'ils te fassent rattraper le contrôle. D'ici là je te conseil d'apprendre ce que tu était sensé réviser ! »
« Mais pa-... »
« Non ! Je ne veux rien savoir. Tiens, pour la peine... »
Sur ses mots, Gabriel vint prendre le chapeau de cowboy fétiche que portait toujours Jesse.
« Confisqué ! Maintenant va travailler ! »
Le jeune garçon était tellement choqué de se voir enlever son chapeau qu'il ne sut même pas quoi répondre et parti se renfrogner dans sa chambre. Gabriel, quant à lui, se laissa tomber sur une chaise de la cuisine en soupira lourdement. Jesse Mccree n'était qu'un gamin des rues quand Gabriel l'avait trouvé. Alors tout jeune professeur à l'époque, il a pris l'enfant à peine âgé de huit ans sous son aile pour l'aider à avancer dans la vie. Au départ, accueillir le jeune garçon n'était que temporaire. Mais au fil du temps, le Latino découvrit une affection insoupçonnée pour cet enfant qu'il considérait maintenant comme son propre fils. Cependant, la vie de parent adoptif n'était pas toujours facile, surtout quand l'enfant en question à vécu la moitié de sa vie dans la débauche et la criminalité. Et parfois, les mauvaises habitudes de Jesse revenaient. Mais Gabriel avait confiance en lui, et son fils adoptif. Il avait signé les papiers d'adoption, il y a à peine deux ans, quand Jesse avait 14 ans. Il savait que ce gamin pourrait faire quelque chose de bien dans sa vie. Il suffit juste de lui donner une chance de prouver sa valeur... Mais l'heure n'était plus à penser à comment il en était arrivé là. Gabriel se releva de sa chaise et se dirigea vers la salle de bain pour une douche bien méritée, afin de se préparer pour son rendez-vous avec Jack. Il ne savait pas pourquoi, mais ça le mettait dans tous ses états. Il avait réellement envie de rencontrer ce jeune homme.
Une demi-heure plus tard, Gabriel était prêt. Habillé, coiffé, parfumé, il se dirigea vers la porte.
« T'as un rendez-vous galant ? »
« Ça ne te regarde pas, jeune homme. Ne me regarde pas du haut des escaliers comme ça et retourne dans ta chambre. Je te rappelle que tu as un contrôle à réviser. »
« Ça va... C'est qui ? J'le connais ? »
« Ne te mêle pas de ça, ingrat ! »
Sur ce, il referma la porte derrière lui, se parlant à lui-même.
« Mais quel sale gosse... »
Jack et lui s'étaient donné rendez-vous dans un bar du coin, après qu'ils se soient rendu compte qu'ils ne logeaient pas très loin l'un de l'autre. Arrivé en avance, Gabriel s'asseyait en attendant la venue du journaliste. Jack l'avait prévenu ce matin qu'il aurait du retard. Alors Gabriel prit une limonade en attendant son arrivée. Il n'était pas pressé, il avait tout son temps. Il n'avait plus aucune maudite copie à corriger, simplement quelques notes à rentrer sur le site internet de l'école dans laquelle il travaillait. Rien de bien urgent. Il eut le temps de finir sa boisson qu'il vit arriver un jeune homme blond courir dans sa direction. Gabriel faillit échapper son verre des mains. Wow, il était encore plus beau en vrai qu'en photo. Avaient-ils vraiment été dans le même train ? Comment aurait-il pu ne pas voir un rayon de soleil pareil ? Le pauvre Jack arriva complètement épuisé et essoufflé, bégayant pour faire une phrase correcte, entrecoupée de plusieurs inspirations.
« Je... Désolé... Du retard... Mais ma nièce... Enfin bref... Je suis Jack ! Tu... Es Gabriel ? »
Un grand sourire apparu sur les lèvres du professeur qui se leva de sa chaise pour saluer Jack.
« Appelle-moi Gabe. Et ne t'en fait pas, je n'ai pas attendu si longtemps. D'autant plus que tu m'avais prévenu. Allez, assis-toi ! »
Et Jack le fit volontiers avec un sourire maladroit. Tout deux commandèrent une simple bière pour commencer, avant que Gabriel ne se mette à parler.
« Alors comme ça on était dans le même train ? Ça me paraît presque impossible, je t'aurait forcément remarqué... »
« Ah ? Pourquoi ça ? » Fit Jack en portant sa bière à ses lèvres.
« Un Golden Boy dans ton genre, ça ne cours pas les rues ! »
Jack failli recracher le tout sur le visage du Latino, les yeux grands ouverts. Menaçant de s'étouffer, il se mit à tousser tout en se cognant le torse avec son poing serré.
« Heu... Je... M-Merci... Je suppose... »
Gabriel avait un sourire satisfait. Jack était vraiment quelqu'un de très intéressant. Et surtout de terriblement mignon. Cette entrevue serait beaucoup plus intéressante que prévue. Les deux hommes reprirent leur discussion normalement, partageant leurs expériences personnelles, blagues et rires. Petit à petit, ils apprirent un peu à se connaître, du moins mieux que sur les réseaux sociaux. Jack apprit très vite que Gabriel ne pouvait considérer de la nourriture comme « bonne » si elle n'était pas un minimum épicée tandis que Gabriel eut la surprise de voir que cet ancien soldat qui avait fait son service militaire avait peur des feux d'artifice et notamment du bruit qu'ils produisaient. Voilà maintenant une bonne heure qu'ils discutaient tous les deux gaiement, alors que le téléphone de Jack se mit à vibrer à plusieurs reprises, comme si quelqu'un cherchait absolument à attirer son attention par de nombreux messages. Jack, visiblement gêné, fit de son mieux pour éteindre discrètement son téléphone tout en essayant de suivre la discussion qu'il avait avec Gabriel. Ayant remarqué que quelque chose n'allait pas, Gabriel se stoppa dans sa tirade, et l'interrogea.
« Hey, Mec. Jackie. Tout vas bien ? »
Pris de panique, Jack, virant au rouge, mit son téléphone dans sa poche.
« C-C'est rien ! C'est... C'est juste quelqu'un sur Twitter... »
« Je ne sais pas qui est ce Quelqu'un, mais en tout cas ça n'as pas l'air de te faire plaisir de voir qu'il te parles. »
Jack baissa la tête, l'air penaud. Cette fois, s'en était trop. D'un geste vif, Gabriel lui pris son téléphone, et sachant bien qu'il ne pourrait pas le déverrouiller, lisait la partie de message visible sur l'écran verrouillé. Jack, qui n'avait rien vu venir, fit de son mieux pour essayer de le récupérer.
« Gabe, rends-moi ça ! Ne t'en mêle pas, s'il te plaît, je... »
Jack s'arrêta de parler quand il vit la mine déconfite de Gabriel qui lisait la partie de message visible. Jack, honteux, trouva soudainement un grand intérêt à ses pieds.
« Jackie... Depuis combien de temps ça dure ?... »
« Depuis le Tweet je suppose... »
Gabriel avait l'air abasourdi. Pire, même, il semblait en pleine remise en question. Il était avachi sur sa chaise, le dossier le maintenant tant bien que mal droit.
« Jackie, c'est grave ce qui se passe. Ça s'appelle du harcèlement, en plus d'être de l'homophobie. »
« Ce n'est pas bien grave, c'est juste... »
« Comment ça, ce n'est pas bien grave ?! Jack ! Ce connard te harcèle, et toi, tu vas le laisser faire ? Non. Déverrouille-moi ce truc. Vite. »
Vu le ton autoritaire qu'avait employé le professeur, il valait mieux lui obéir sans broncher. Une fois le téléphone déverrouillé, Gabriel semblait écrire quelque chose au harceleur, les sourcils froncés, et concentré sur ce qu'il écrivait. Au bout d'un moment, Gabriel lui rendit son téléphone.
« Voilà. Et si il continue, tu vas chez les flics. Je t'y accompagne même si tu veux. »
« P-Pourquoi tu fais tout ça ?... Je veux dire... C'est gentil mais on ne se connaît pas vraiment et... »
« Ça n'as rien à voir, Jack. Ce genre de harcèlement est puni par la loi. Je sais ce que ça fait, j'ai reçu les mêmes insultes la première fois que j'ai dit aux personnes de mon quartier que j'étais Gay. Mais il ne faut pas te laisser faire ! Surtout pas ! Ce serait leur donner raison ! Ces imbéciles ont simplement peur de ce que nous sommes, alors que nous voulons simplement vivre notre vie normalement comme n'importe quel autre être humain aurait le droit de le faire. Et c'est cette peur qui les faits devenir violents. Mais on n'a pas besoin d'avoir une étiquette sur la tête, comme un gros panneau de signalisation fluorescent avec marqué « Je suis Gay » dessus pour se balader dans la rue. Je sais ce que c'est que de vouloir passer inaperçu par peur de ce que pourrait dire, ou faire les autres sur nous ! Mais la société évolue lentement. Peut-être qu'un jour nous auront les mêmes droits que les hétéros, qui eux, sont exactement comme nous. Il leur faudra du temps pour assimiler le fait que deux personnes du même sexe peuvent s'aimer. Un véritable amour, durable et prospère. Mais même si le temps n'est peut-être pas encore vraiment venu, il ne faut pas cesser de se battre. Promets-moi, Jack. Promets-moi que tu vas te battre pour toi aussi, être heureux. Tu mérites aussi d'être heureux. »
Gabriel ne savait pas s'il en avait trop fait ou pas avec son petit discours, mais au vu du visage de Jack rougissant, et des larmes qui pointèrent le bout de leur nez, cela avait dû marcher. Gabriel soupira longuement, se leva de sa chaise et alla prendre Jack dans ses bras, dans une étreinte bien méritée. Le blond s'était crispé quelques secondes avant de finalement se laisser aller à l'étreinte apaisante et rassurante. Gabriel passa ses mains dans le dos de Jack pour le caresser doucement afin de l’apaiser, et en profita pour mettre son menton sur la tête de Jack. Le journaliste enfouissait sa propre tête dans le cou de Gabriel, inspirant doucement l'odeur qui se dégageait de ce corps chaud. Une odeur qu'il n'était pas prêt d'oublier étant donné les vertus calmantes de celle-ci. Finalement, ce n'était vraiment pas une mauvaise idée que de le rencontrer.