Nouvelles d'Overwatch
- Au repos, soldat, répondit Gabriel.
Morrison se détendit légèrement. Mais il garda son air coincé. Bigre, ce type était-il toujours comme ça ?
- Où sont vos officiers et sous-officier ? demanda Gabriel.
Le deuxième-classe baissa un peu la tête, une expression triste au visage. Il fit signe à Gabriel de le suivre. Ils firent quelques pas, suivit à distance par la foule de conscrits et les quelques commandos présents. Morrison les mena devant une file de cadavre, chacun pudiquement recouvert d’une bâche mortuaire. Gabriel repéra des galons de lieutenant sur l’un des corps.
- Un Traqueur omnic a contourné nos positions au début de l’affrontement, expliqua Morrison. Le temps que nous l’abattions, il avait tué la lieutenante et détruit nos communications.
Typique des Traqueurs songea Gabriel. Ils visaient les officiers en priorité.
- Et vos sergents ? demanda le capitaine. J’en vois un parmi les cadavres. Le second est mort aussi ?
Un éclat de colère apparut sur le visage de Morrison.
- Notre deuxième sergent a abandonné son poste. Suivant le règlement, nous l’avons appréhendé et placé aux arrêts.
- Vous avez…appréhendé votre sergent ? répéta Gabriel, n’arrivant pas totalement à masquer sa surprise.
- Oui, capitaine, répondit Morrison, reprenant son expression coincée. Il est enfermé ici, finit-il en montrant une tente du doigt.
Gabriel tendit l’oreille vers la dite-tente et perçut en effet un ronflement. Puis, il se mit à observer les conscrits.
Certains avaient des expressions honteuses. Une poignée, au contraire, affichait de la fierté. Mais la plupart regardaient Morrison avec un mélange de respect et de peur. Alors Gabriel comprit.
Ce « nous » de « nous avons appréhendé » était un « nous » de la modestie. Ou de la fausse modestie. « Nous » avaient juste regardé le sergent lâcher son arme et s’enfuir, sans doute prêt à l’imiter. Jusque à que Morrison « appréhende » le sergent.
Gabriel visualisait très bien la scène. Il imaginait le sergent, un type gras, le regard terrifié, les mains tremblantes, lâcher son arme et tourner les talons. Mais à peine a-t-il le temps de faire trois pas que le brave, et beau, Morrison l’arrête dans sa course d’un vif coup de crosse, avant de retourner son fusil contre les craztoasts.
Pas étonnant que ce peloton ait tenu la ligne là où les autres auraient fui.
- Parlez moi de cette attaque omnic, ordonna Gabriel à Morrison.
- Hier, à 21H12, une compagnie d’infanterie légère omnic s’est approché du pont et a engagé le combat avec notre peloton. Notre lieutenante a pu signaler l’attaque avant que nos communications ne soient détruites. Ensuite, nous avons combattu jusque à aujourd’hui 05H43, perdant 9% de notre effectif. Les omnics ont ensuite amorcé un mouvement de replis vers l’autre rive du pont et s’y trouvent toujours depuis. Nous estimons leur perte à environ 25% de leur compagnie.
- Donc, pas de renforts surpris de votre côté ? intervient Mateo. De soutien aérien imprévu ? Ou alors une défaillance chez l’ennemi peut être ?
Il ne croyait pas au récit de Morrison. Et, vu la lueur de colère dans son regard, ce dernier le comprit aussi.
- Non, lieutenant, répondit-il néanmoins, d’une voix disciplinée.
- Un peloton de conscrit contre une compagnie de craztoast ? Allons ! C’est juste pas possible !
Il y eut quelques murmures de colères parmi les conscrits. Morrison lui, choisit prudemment de ne pas répondre.
Gabriel lui, avait moins de doute que son lieutenant. Le peloton était retranché et bien armé. De leurs côtés, les omnics devaient traverser un pont, dont l’étroitesse annulait l’avantage du nombre.
Le vrai problème, c’était le moral et la discipline. Un peloton de conscrit typique n’avait jamais connu la guerre. Maintenant plonger les dans une situation de combat, avec les cris, la fumée, la poussière et le sang. Des omnics avancent devant vous, machines de mort que rien ne semble pouvoir arrêter. Pire encore, un Traqueur s’est infiltré derrière et tue votre lieutenante. A côté de vous, un de vos amis vient de se faire tuer d’une rafale au ventre. Son regard éberlué vous fixe de ses yeux morts.
Est-ce que vous penseriez toujours au devoir et à l’honneur dans ces conditions ? Ou la peur vous prendra-t-elle au ventre, vous poussant à fuir malgré votre serment devant le drapeau ?
La plupart des conscrits auraient fui. Sans doute les craztoasts comptaient-ils là-dessus. Mais la plupart des conscrits n’avaient pas dans leurs rangs un Morrison prêt à « appréhender » votre sergent, lorsque celui-ci fuyait.
Tout en réfléchissant, Gabriel se rapprocha des carcasses de Bastion, qu’il examina. Deux avaient été détruit par les autocanons. Un autre via des lance-missiles. Mais le quatrième ne portait que des impacts d’armes légères. Gabriel le pointa du doigts.
- Comment avez-vous détruit ce Bastion-là ? demanda-t-il à Morrison.
- Nous avons suivi le protocole comme définit par le manuel et employé un feu continu, répondit très sérieusement celui-ci.
Mateo éclata de rire, comme si Morrison avait dit une bonne blague. De la colère apparut de nouveau dans le regard de ce dernier. Mais il garda le silence.
De son côté, Gabriel se doutait ce « nous » était du même genre que le « nous avons appréhendé ». Morrison avait probablement hurlé aux autres soldats, ces derniers n’ayant sans doute jamais lu le manuel, de concentrer leurs tirs au même endroit que les siens, sans s’arrêter.
- Qui a eu l’idée d’employer le feu continu ? demanda le capitaine.
- C’était un travail d’équipe, répondit Morrison.
Gabriel eut un bruit amusé.
- Votre mère vous a-t-elle appris à ne jamais vous vanter, deuxième classe Morrison ? demanda-t-il, un brin moqueur.
Son interlocuteur eut une expression de surprise dans le regard.
- Oui capitaine, répondit-t-il néanmoins, parfait exemple du soldat discipliné.
Il fallut à Gabriel de gros effort pour ne pas éclater de rire à son tour. Ce n’était pas trop le moment. Il devait se concentrer sur sa mission.
La difficulté de cette dernière venait de diminuer d’un cran. De trois ou quatre crans en vérité. La résistance inespérée de ce peloton était une très bonne surprise. Le genre de surprise que Gabriel aimerait avoir plus souvent.
Premièrement, il avait plus de soldats pour accomplir sa mission. Bon, un peloton ce n’était pas grand-chose, mais ça pouvait faire la différence. Deuxièmement, il y avait moins de craztoast sur le terrain. 25% d’ennemi en moins, c’était énorme. Troisièmement, et le plus important, l’ennemi ne tenait qu’une seule des deux rives. Et ça, ça simplifiait tout.
La mission restait difficile. Surtout qu’il pouvait y avoir un tas d’imprévu : renfort ennemi, matériel qui déconne, erreurs dans leurs camps… Mais ce n’était plus une mission suicide. La majorité du commando pouvait s’en sortir en vie.
- Ok, écoutez-moi, tout le monde, commença Gabriel. Premièrement, je vais vous enlever une fausse idée de la tête : on est pas des renforts venus vous relever.
Stupeur, incompréhension et colères apparurent sur le visage des conscrits.
- L’état-major nous a ordonné de détruire ce pont, poursuivit Gabriel, imperturbable.
- Quoi ?! s’exclama une des conscrits. Mais on a donné notre sang pour le défendre ! Certains des nôtres en sont mort !
- Oh surprise, intervient Mateo. Il y a des morts à la guerre ! Qui l’eut cru !
Un des commandos de Gabriel ricana à cette remarque, tandis que la femme baissait la tête en rougissant.
- Non mais vous sortez d’où pour pleurnicher comme ça ? poursuivit Mateo vers la conscrite. D’une crèche ?
- Surveillez votre ton, lieutenant ! tonna Morrison.
Un silence suivit. Tout le monde regardait le blond avec des yeux stupéfait.
- J’ai du mal vous entendre, deuxième classe Morrison, débuta Mateo d’un ton froid. Qu’avez-vous dit ?
- De surveillez votre ton, répondit l’intéressé. Nous sommes tous des soldats et citoyens américains. Vous devez le respect à chacun d’entre nous !
- Mais pour qui tu te prends ?! s’exclama Matéo, énervé. Je suis lieutenant, d’une unité d’élite. J’ai abattu 73 craztoasts, ce qui est…
- Vous pourriez avoir abattu un Titan que ça ne changerait rien ! Le règlement stipule que les officiers doivent respecter leur subordonné et ne pas les humilier sans raison !
Bigre, pensa Gabriel. Ce type était couillu. Et un peu idiot. Si son conflit avec Mateo passait devant la hiérarchie, il se ferait punir à coup sûr. Les autres officiers privilégieraient toujours un des leurs devant un simple soldat, juste pour maintenir la discipline. Ce serait bien trop risqué si chaque deuxième classe pouvait contester un lieutenant. Et qu’importe les bonnes intentions du règlement…
Mais apparemment, ce n’était pas le genre de chose à affecter Morrison. Enfin, on parlait d’un type qui avait « appréhendé » son propre sergent après tout.
- Du calme Mateo, dit Gabriel en posant une main sur l’épaule de son lieutenant.
Ce dernier fut tellement surpris qu’il se calma effectivement. Gabriel ne l’avait jamais retenu avant.
- Une division d’omnic se dirige vers ce pont, poursuit le capitaine, à la conscrite qui avait protesté. Elle sera là demain. Est-ce que vous pensez pouvoir stopper une division d’omnic ?
- Non capitaine, répondit-elle, une lueur de peur dans les yeux.
- Leur artillerie seule nous tuerait tous, ajouta un autre.
- Tout à fait, confirma Gabriel. Donc on va détruire ce pont tant qu’il est encore temps. J’ai tous un commando, qui se trouve à une heure d’ici. Mais votre aide sera utile.
Il y eu de nouveau grognement de protestations.
- Capitaine, commença un conscrit, parlant d’un ton prudent et respectueux. On a subi une nuit d’enfer, à repousser vague après vague ces robots tueurs. Maintenant, on est tous fatigué. Et beaucoup sont blessé. Franchement, on sera plus une gêne qu’autre chose.
- Ça c’est à moi d’en décider, répondit Gabriel. Et là, je pense que là, vous serez utile.
- On a déjà fait notre part ! dit quelqu’un, caché dans la foule.
- Qui a parlé ?! demanda Mateo.
Personne ne lui répondit. Mais les conscrits firent bloc et lui jetèrent des regards noirs. Visiblement, Mateo ne s’était pas rendu populaire auprès d’eux.
- Les amis, dit Morrison en se tournant vers le reste du peloton. Il n’y a pas de « part », qui nous dispenserait. Oui, nous sommes fatigués, blessés, et nous sortons juste d’un combat infernal. Mais c’est le cas de millions d’autres. Même pas à travers ce pays. Non. À travers la planète entière.
Son ton se fit plus exalté, tandis qu’il poursuivait :
- Cette guerre, nous ne la faisons pas pour des ressources ou pour la gloire du pays. Nous ne la faisons même pas pour la liberté. Non. Nous nous battons pour quelque chose d’encore plus primordiale. Notre droit à la vie.
Il marqua une courte pause, avant de reprendre.
- Les omnics ne s’arrêteront pas avant de nous avoir exterminé. Alors nous ne devons pas nous arrêter avant de les vaincre. La seule autre alternative est la disparition de l’humanité.
Nouvelle pause. Ce type s’était-il entrainé à faire des discours ? se demanda Gabriel. Où ça lui venait tout seul ?
- C’est pour cela que, si on nous dit qu’on a besoin de nous au combat, alors nous devons combattre, aussi difficile que ce soit.
Un court silence suivit ces paroles. Ceux qui avaient apprécié le discours ne voulaient pas le manifester, par peur d’être ridicule. Mais ceux qui l’avaient trouvé ridicule n’osaient pas plus se manifester, par peur de paraitre comme des connards sans cœurs. Même Mateo gardait une expression neutre.
En tout cas, les conscrits ne se plaignaient plus. Cela suffisait à Gabriel.
- Bien, reprit celui-ci. Votre rôle dans le combat sera simple. Avec mon commando, je passerais sur l’autre rive. De là, nous attaquerons les omnics de deux côtés différents. Dès que le combat commencera, vous avancerez sur le pont pour ouvrir un troisième front. Comme ça, les craztoast seront totalement cernés.
- Et pendant ce temps, une de vos équipes placera des charges à la base du pont ? demanda Morrison.
- Exactement, confirma Gabriel. Notre seul but est d’occuper les omnics assez longtemps pour que mes expertes en démolitions fassent leur travail.
- Mais y’a aucun couvert sur le pont ! protesta un des conscrits. On se fera massacrer !
- Chacun d’entre nous portera un sac de sable. Ou alors, nous nous mettrons à deux pour porter une barricade, répondit Morrison. Ainsi, nous aurons nos couverts.
Il avait été plus rapide que lui d’une seconde, s’amusa Gabriel.
- On a plus d’officier pour nous mener à l’attaque, signala une autre conscrit.
- Oh ça…dit Gabriel.
Les regards se tournèrent vers lui, tandis qu’il faisait quelques pas vers les morts. Là, Gabriel dégrafa l’insignes de la lieutenante, retourna auprès de Morrison et lui agrafa l’insignes sur la manche.
- Voilà. Félicitation deuxième classe, vous êtes maintenant lieutenant.
Celui-ci plissa les yeux.
- Le règlement…commença-t-il.
- J’emmerde le règlement, l’interrompit Gabriel.
Il lui fallut ensuite faire un très, très, très gros effort pour ne pas éclater de rire devant l’expression outré de Morrison.
Bon sang, ce type était vraiment un cas à part. D’autant que ces protestations n’avaient aucun sens. Morrison deviendrait lieutenant avant la fin de l’année. Dès que Gabriel aura remis son rapport, le blondinet sera invité à un programme de formation d’officier. L’US Army avait trop besoin d’homme comme lui.
Même s’il mourrait, Gabriel était prêt à parier un bras que Morrison serait promu à titre posthume. Ça ne coutait rien à l’armée et ça ferait plaisir à la famille.
Mais bon, Gabriel avait besoin de ce type pour mener la mission à bien. Alors il fit un autre effort et lui expliqua :
- C’est juste pour la forme et le temps que dure cette mission, histoire que les autres aient un chef capable de mener l’assaut. Vous êtes toujours un deuxième classe. Je ne fais pas de promotion sauvage.
Rassuré, Morrison hocha la tête.
- Bien, reprit Gabriel. Passer moi votre oreillette, je vais la régler sur notre fréquence, histoire que je puisse vous dire quand attaquer.
Morrison lui passa l’oreillette.
- Au fait, c’est quoi votre prénom, boy-scout ? demanda Gabriel, tout en faisant les réglages.
- Jack. Et je ne suis plus chez les scouts.
Même lui dû comprendre qu’il avait fait une erreur, car il se mordit les lèvres. Quant à Gabriel, il ne retient pas son sourire moqueur.
- Voilà votre oreillette, Jack, dit le capitaine en lui rendant l’objet. Comptez entre trois et quatre heures avant l’attaque. Soyez prêt d’ici là.
- Oui, capitaine.
Ceci dit, les commandos repartirent.
Gabriel ordonna au reste de ses troupes de les rejoindre. Pendant ce temps, Mateo et lui étudièrent l’autre rive, cherchant deux endroits où traverser. Ils n’eurent aucun mal à le faire. Les omnics ne gardaient que les environs du pont.
Lorsque le reste du commando fut là, Gabriel répartie les troupes. Everly commanderait l’équipe de démolition et une escorte réduite, avec pour mission de poser les explosifs qui détruiraient le pont. Gabriel et Mateo mènerait chacun une équipe d’assaut, chargé de la diversion.
Ensuite, il fallut traverser. Un expert en escalade, aidé d’équipement spécialisé, s’occupa de descendre et remonter le ravin. Une fois sur l’autre rive, il y installa plusieurs câbles métalliques, qui firent office de pont de cordes. Transporter le matériel lourd fut un peu difficile et demanda plusieurs passages. Mais ils étaient des soldats d’élites et ce fut fait.
Mateo confirma que son équipe avait également réussi à traverser. Celle d’Everly était descendu au fond du ravin et installerait les charges au début de l’assaut.
Il ne restait donc plus qu’à commencer ce dernier.