Nouvelles d'Overwatch
Lorsque Gabriel se leva, toutes les conversations se turent, tandis que les regards se tournèrent vers lui. Son commando savait qu’il se préparait à faire un discours, événement suffisamment rare pour susciter leur attention.
Ils se trouvaient dans la soute d’un avion, envoyé par l’état-major pour les transporter près du pont. Le dit-avions contenait assez de munitions et de matériel pour que le commando refasse ses stocks. En fait, il transportait même de l’équipement non inclus dans leur dotation de base. Gabriel supposait que l’avions avait été détourné en urgence. Comme eux. En tout cas, le capitaine avait demandé un inventaire complet des stocks. Autant voire si quelque chose pouvait servir.
- On va évoquer l’éléphant dans la pièce, dès maintenant débuta Gabriel. Oui, j’ai ordonné à Jaime d’attaquer le bastion en sachant que le craztoast allait surement le tuer.
Quelques murmures se répandirent dans la soute, avant de disparaitre quand le capitaine reprit la parole.
- J’aurais préféré que Jaime survive. C’était un bon soldat. Mais il fallait une diversion venant de son côté pour détruire ce foutue générateur. Alors je m’excuserais pas. Et si c’était à refaire, je le referais.
Et j’aurais probablement très bientôt à le refaire, pensa-t-il.
- On est en guerre, poursuivit Gabriel, d’un ton encore plus dur. Si on veut la gagner, il faut que chacun d’entre vous soit prêt à mourir pour accomplir la mission.
D’ailleurs, on va bientôt probablement tous mourir pour en accomplir une nouvelle, se retient-il de dire.
- Si vous vous en sentez pas capable, alors demandez un transfert dans une autre unité.
A supposer que vous soyez encore vivant pour le faire.
Son discours terminé, Gabriel retourna à sa place. Les discussions reprirent, à voix basse. Mais il n’eut pas l’occasion de les écouter. Everly allât s’asseoir à côté de lui. Il leva un sourcil interrogateur vers elle.
- Je ne comprend pas, débuta-telle à voix basse. Pourquoi as-tu tenté tout seul de détruire le générateur au lieu de nous demander d’attaquer en même temps ?
- Parce que si ça avait raté, le bastion aurait pu tuer plus de monde. Et si ça avait réussi, l’explosion aurait pu tuer plus de monde. Autant limiter les pertes.
- Alors pourquoi toi ?
- Parce que je suis le meilleur au lancer de grenade.
Et qu’importe si cela le mettait en danger. La mission devait réussir à n’importe quel prix. Même sa propre vie.
Everly dû le comprendre, car elle ne fit pas de remarque supplémentaire. Un court silence s’installa.
- A quel point la mission se présente mal ? demanda-t-elle finalement.
- Pas regardé le briefing ? grogna Gabriel.
- Si. Mais tu sais mieux lire entre les lignes.
- On a pas de reconnaissance, pas de soutien aérien ou de diversion. L’ennemi est plus nombreux et a eu le temps de fortifier la zone. Probable que les craztoast s’attendent à une attaque, ce qui veut dire qu’on aura pas non plus la surprise. En bref, on nous envoie en catastrophe en priant pour un miracle.
- Mais on est pas totalement seuls, répondit Everly. Il y a un peloton de conscrit qui tient une des rives du ponts. Avec leur…
- Parce que tu crois qu’ils seront encore là ? l’interrompit Gabriel. Après avoir été attaqué par une compagnie d’omnics ? Tss. Ces lâches ont dû s’enfuir au premier coup de feu.
- L’état-major n’a rien dit sur eux, insista Everly.
- Parce qu’ils prennent pour acquis que le peloton s’est enfuit. C’est pas comme si les conscrits valaient grand-chose…
La médiocrité des appelés était devenue un fait acquis parmi les anciens soldats professionnels. Ils reprochaient aux conscrits leurs manque de discipline, de volonté, de professionnalisme et, par-dessus tout, de courage.
La vérité, c’est que le peuple avait oublié comment agir en soldat. Les Républicains disaient que la faute revenait à l’esprit d’individualisme, aux critiques contre la nation, qui diminuait le patriotisme, et de l’assistanat, qui affaiblissait les citoyens. De leurs côtés, les Démocrates accusaient l’égoïsme de la société capitaliste et l’épidémie d’obésité causé par la malbouffe. Certains experts militaires disaient que l’entraînement des conscrits était tout simplement trop court. Il est vrai qu’à cause des défaites successives, le gouvernement avait mobilisé très rapidement les premières levées de conscrit. Trop rapidement selon certains.
- Sans doute, répondit Everly.
Le silence s’installa. La conversation aurait dû s’arrêter là. Pourtant, la lieutenante restait assise à côté de Gabriel.
- Quoi ? finit par demander ce dernier.
- Juste…je m’inquiète. Pour toi.
Everly marqua une courte hésitation, avant d’ajouter :
- T’étais pas comme ça avant. Je me souviens d’une époque où tu plaisantais avec les autres, souriais et…étais de bonne humeur quoi.
- Et moi je me souviens d’une époque où t’étais moins chiante, répondit-il sèchement.
- Ok ok, répondit-elle précipitamment. Je voulais pas t’embêter. Je te laisse tranquille.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Everly partie parler à d’autres membres du commando.
Gabriel savait qu’elle disait vrai. Oh, il avait toujours eu un côté sombre. Cet aspect froid et pragmatique, qui lui permettait d’atteindre son objectif, quel qu’en soit le prix. Il fallait bien ça pour survivre dans les rues de Los Angeles.
Mais ce n’était qu’une facette de sa personnalité. Et pas celle qu’il préférait montrer. Gabriel aimait se montrer jovial et plaisantin. Se trouver dans une bonne ambiance, à côté d’amis, anciens ou nouveaux.
Et il ne voulait pas admettre que la guerre, cette guerre, avait fait disparaître ce côté-là. Effacer sa joie de vivre, pour ne plus laisser que cet homme, froid et calculateur. Le soldat. Non. L’officier.
Car comment se montrer joyeux, alors que des robot tueurs massacraient des villes entières ? A quoi bon sympathiser avec des hommes à qu’il faudra ordonner de se suicider ? Où trouver le temps de plaisanter, quand la mission occupait toute votre esprit ?
Peut-être que si Gabriel avait été plus âgé, il aurait pu trouver des réponses à ces questions. Mais, tout capitaine qu’il était, et malgré son talent, il restait un jeune homme, qui contrôlait mal ses émotions.
Autour de lui, les conversations continuaient. Gabriel les entendait beaucoup mieux maintenant que lui-même ne parlait pas.
- Les craztoast ont pris Boston, disait un des soldats. Toute une armée est sortie de l’Atlantique et à submergé la garnison.
- Parait que seule la moitié de la population a pu être évacué, ajouta une autre. Les autres sont à la merci des Exterminateurs.
- Merde ! J’ai une cousine là-bas. Est-ce qu’on sait si l’état-major compte reprendre la ville ?
- Parce que tu crois que quelqu’un ici sait ce que prévoit l’état-major ? se moqua Mateo en rigolant.
- Jamais l’état-major attaquera, débuta un autre, une intonation sombre dans la voix. Tout ce qu’on fait, c’est reculer. Le pays est juste en train de perdre cette fichue guerre.
- Il faut qu’on tienne le temps que l’économie et la population soient pleinement mobilisés, intervient Everly. La production d’arme a triplé depuis le début de la guerre et sera au quadruple le mois prochain. A côté de ça, il y a encore des millions de citoyens mobilisables, en attente d’entraînement.
- Inutile de me sortir la propagande, lieutenante.
- Ce n’est pas de la propagande. C’est la vérité.
- Mais d’où ils sortent tous ces omnics ? demanda une autre soldate. J’veux dire, les Omniums en produisent vraiment autant ?
- Parait qu’ils ont construit tous un tas d’îles artificielles dans les océans, répondit quelqu’un. Et planté dessus pleins d’usines.
- Et le minerais ? Ils l’obtiennent comment ?
- Mines sous-marines. Ou butin de guerre.
- Faudrait juste envoyer une bombe atomique sur chacune de ces îles. Et sur les Omniums.
- La présidente a essayé, juste après les défaites. Parait que ça a marché pour certaines îles. Mais pour les autres, et les Omniums, y’avaient des contre-mesures. Les missiles nucléaires auraient tous été détruit à haute-altitude.
- Putain, les craztoast ont toujours un coup d’avance !
- Ouai. Y’a qu’à voir les nouveaux modèles qu’ils sortent. Le temps que la mobilisation se fasse, ils seront invincibles.
- Nous aussi on sort de nouveau truc. Tenez, j’ai même entendu des rumeurs comme quoi y’aurait un projet de supersoldats.
- Des supersoldats ? répéta Mateo. Sérieusement ?! Ha ha ha. N’importe quoi ! Tu devrais pas croire tout ce qu’on raconte.
C’est à ce moment qu’on apporta à Gabriel l’inventaire de l’équipement transporté par l’avion. Il se désintéressa de la conversation pour l’étudier. Le capitaine nota avec satisfaction la présence de plusieurs armes lourdes. Voilà qui leur sera très utile.
L’avion atterrit peu de temps après. Il déposa le commando à quelques kilomètres de leur objectif. Deux raisons expliquaient cela. Déjà, la zone autours du pont consistait en une épaisse forêt, impropre à un atterrissage. Ensuite, en agissant ainsi, l’avion n’entrerait pas dans la portée des radars omnics. Ces derniers ne sauront donc pas qu’une nouvelle unité était arrivée sur le terrain. Les craztoast s’attendaient déjà à une attaque. Autant ne pas leur indiquer quand elle aura lieux.
Le reste du chemin devrait se faire à pied. Facile. Marcher vite, sans s’épuiser, était la spécialité des commandos. Le test d’entré dans leur programme d’entraînement consistait en une marche de plusieurs kilomètres, à réaliser en temps limité. Chaque journée d’entraînement comportait une marche. Certaines y était même entièrement dédiées. Et qu’y avait-il dans « l’examen final » ? Bingo ! Une marche. En temps limité.
Bien sûr, ils apprenaient aussi d’autres truc, comme le tir, le travail en équipé, l’escalade, la natation, la discrétion, l’entretient des armes… Mais il y avait une raison pour laquelle la marche tenait un rôle aussi important. En vérité, un commando passait plus de temps à marcher qu’à combattre. Avions, hélicoptères, camions et transports blindés avaient leurs limites : vulnérabilités, difficulté d’usage sur certains terrains et, surtout, manque de discrétion. Si on voulait une approche silencieuse, il fallait marcher.
Le trajet d’aujourd’hui était une broutille. A peine six heures, en forêt. Gabriel profita de cette facilité pour charger davantage ces soldats. Normalement, ils n’emportaient que de l’équipement léger, pour éviter de se fatiguer. Mais aujourd’hui, leur commando allait attaquer une position bien défendue. Il leur faudrait des plus gros canons. Le capitaine équipa ses soldats de fusils plus lourds, de quelques lance-missiles et même d’un canon léger, démontable. Il en transporta lui-même quelques munitions. C’est que ces machins pesaient leur poids !
Le reste du trajet se fit en silence. Ils étaient en zone de guerre désormais. Plus de place pour le bavardage. Cela n’empêchait pas de profiter des lieux. La forêt était agréable. Suffisamment espacé pour laisser passer de la lumière et ne pas gêner leur avancer. Suffisamment touffue pour paraître authentique. Quelques oiseaux chantaient. Ils virent même passer une poigné d’écureuils et de lapins. Et l’air…ah ! L’air était pur et frais. Gabriel appréciait. Sa vie à Los Angeles ne lui avait pas vraiment montré le meilleur côté des villes.
Arrivé à une heure de l’objectif, Gabriel fit cesser la marche, posa son stock de munition et partie en reconnaissance, prenant une demi-douzaine de soldat avec lui, dont Mateo. Avoir deux des officiers supérieurs risquant leur vie en éclaireurs aurait fait hurler les formateurs de Gabriel. Mais ce dernier préférait agir ainsi. Il voulait voir lui-même le terrain et qu’au moins un de ses lieutenants le voit aussi. Les cartes étaient utiles. Mais elles avaient leurs limites.
Ils ne tardèrent pas à apercevoir le pont. Il s’agissait d’une structure tout ce qu’il y a de plus banale, mélange de métal et de béton. Epais, robuste, fiable, mais disgracieux. Il surmontait un profond ravin, qui plongeait sur une quinzaine de mètre, au fond duquel se trouvait une petite rivière. Gabriel sortie sa longue vu et se mit à examiner les alentours.
Sur cette rive se trouvait l’endroit où stationnait le peloton de conscrit. Un poste de fortification classique. Plusieurs barricades en métal et sac de sable formaient un périmètre défensif, qui, outre protéger l’accès au pont, gardait une demi-douzaine de tentes et un petit dépôt temporaire. Il y avait même un mat à drapeau. Les craztoast n’avaient d’ailleurs pas retiré la bannière étoilée. Forcément, ils s’en…
Attendez une minute.
C’était une silhouette humaine, ça !
Un soldat US plus précisément. Conscrit. A son poste de garde, comme il devrait l’être. Gabriel examina plus attentivement le poste et repéra trois autres sentinelles, comme prévu par le protocole, et un quatuor de conscrits en train de jouer aux cartes, l’air sombre.
- Lieutenant, vous voyez ce que je vois ? demanda-t-il à Mateo.
- Affirmatif capitaine. Il semble que ces putains de conscrit tiennent toujours cette rive.
- Allons leur parler.
Prenant grand soin de rester visible, et laissant son arme pointée vers le sol, Gabriel s’approcha prudemment, suivit de ses soldats.
La sentinelle eut un geste de surprise en les voyant apparaitre, qui se transforma en hoquet de joie.
- Les gars ! On a des renforts ! cria-t-il derrière lui.
Cela provoqua du mouvement, les autres conscrits se précipitant vers lui. A l’exception des autres sentinelles, qui restaient à leur poste, constata Gabriel, agréablement surpris.
- Vous êtes que six ? demanda la garde, déçue.
- C’est moi qui pose les questions, soldat, lui répondit Gabriel.
- Eh, oui capitaine, se reprit la conscrit, désolé, capitaine.
Tout en parlant, Gabriel examina le poste fortifié. Ce peloton disposait encore de ses armes lourdes de dotation, soient deux autocanons et cinq lance-missiles, tous pointé vers l’autre rive. Et ils avaient servi, comme en témoignait les carcasses de craztoast qui parsemaient le pont. Gabriel repéra plusieurs dizaines de Nettoyeurs et…quatre Bastions.
Evidemment, c’était plus facile de détruire ces saloperies lorsqu’elles venaient vers vous, plutôt que l’inverse. Spécialement lorsque on avait des autocanons et des lance-missiles.
Le fait important était la répartition. Qu’il y ait plus de Nettoyeurs que de Bastion indiquait que les omnics utilisaient une de leurs unités de secondes mains. Normalement, ce genre de force s’occupait de traquer les civils, là où leurs unités de combat comportait uniquement des Bastions. Les craztoast avaient dû penser qu’une telle force vaincrait aisément un petit peloton. Visiblement, ils s’étaient trompés.
Mais les omnics ne s’était pas laissé faire pour autant. De multiples impacts de balles recouvraient les barricades et sac de sables. Et un quart des conscrits que Gabriel voyait étaient blessés. Ça allait de superficiel à sérieux. Même les indemnes portaient les stigmates du combat : poussières, saleté et trace de fumé. Sans compter que le peloton ne lui paraissait pas à pleine effectif. Un dixième manquait. Mais surtout, il ne voyait ni officier, ni sous-officier.
Arrivé à quelques mètres de lui, les conscrits s’étaient arrêtés. Ils paraissaient intimidés. Sans doute son grade de capitaine, plus son uniforme d’une unité d’élite. Bon…et son expression aussi. Probablement. Gabriel savait qu’il paraissait parfois intimidant.
- Au rapport, demanda le capitaine à la foule en face de lui.
Il y eut un mouvement d’hésitation. Personne n’osait lui faire face. Puis, quelqu’un s’avança. C’était un beau jeune homme, blond aux yeux bleus, à la mâchoire carrée et qui rendait particulièrement bien dans son uniforme. Il aurait encore été plus séduisant, n’aurait été la poussière et la saleté sur ses vêtements, auquel il fallait ajouter un air particulièrement coincé.
- Deuxième classe Morrison, au rapport ! dit-il en se mettant au garde à vous.