Tombés du ciel

Chapitre 2 : Tombée du ciel

2501 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/05/2017 13:20

L’air froid fouette ton visage et ton corps tout entier. Le rêve que tu viens de faire était des plus réalistes et angoissants, tes muscles en sont encore tout engourdis. Tu attends un peu avant d’ouvrir les yeux, vaseuse, te disant que tu as dû t’endormir sur un banc... mais ne sentant pas la surface dure dans ton dos, tu ouvres enfin un œil et… rien ?! Soudain en proie à une immense panique, tu brasses l’air de tes mains, cherchant désespérément une prise qui pourrait freiner ta chute. Car oui, il retourne bien de ça : tu es en train de tomber. Tu le sens maintenant, dans ta tête, mais plus précisément dans tes tripes. C'est comme si tu étais en voiture et que tu dévalais une pente à pleine vitesse : ton cœur fait la holà et ce qui se trouve à l'intérieur de ton abdomen twiste à peindre haleine. C’est un cauchemar, tu vas te réveiller… ! Dans l’alerte, tu te mets à hurler, ne sachant trop où poser le regard. Au-dessus le ciel, interminablement bleu ; en-dessous la mer, houleuse, dangereuse, se rapprochant un peu plus à chaque seconde. L’espace d’un instant, tu te rappelles de la voix de ton professeur de physique qui te dit : « de cette hauteur, l’impact avec la surface de l’eau est mortel ». Tu chasses cette pensée en gesticulant de plus belle, comme si ça pouvait arranger la situation d’une quelconque manière. Tes cris se perdent dans le vent. Ce n’est pas possible, c’est même totalement irrationnel… il y a deux minutes tu poussais une porte avec le nom de ton frère gravé dessus et maintenant, tu tombes du ciel !? Pourtant tu peux sentir les bourrasques gifler ton visage et glisser entre tes doigts, presque tranchantes… non, il n’y a aucun moyen que ça se termine comme ça !

À mesure que la mer se rapproche, tu peux entendre au loin des mouettes qui jacassent, le bruit des vagues qui s’entrechoquent et, plus loin encore, il te semble distinguer des cris d’effroi… ça y est, tu divagues, signe que tu vas bientôt te réveiller. Félicitations : alors que tu es sur la corde raide, prête à faire le grand plongeon, tu as presque réussi à te persuader que tu es la victime innocente d’une nouvelle paralysie du sommeil bien plus virulente que d’habitude. De toute manière c'est soit la mort, soit un rêve. Ça ne peut être la mort, pas aujourd'hui. Il faut que ce soit un rêve ; non, c'est un rêve. Malgré tout, tu fermes les yeux avant l’impact et tous tes muscles se raidissent… tu avais déjà entendu quelque part que lors d'un accident, il ne fallait pas se tendre, que cela évitait bien des blessures dues au choc. Tu sais maintenant que c'est une réaction naturelle du corps... et qu'est-ce que tu n'aurais pas donné pour être ivre. Lorsque tu l'atteins enfin, l’eau fait l’effet du béton : ton professeur avait raison. Une douleur cinglante traverse ton corps de part en parts. La basse température de l'eau anesthésie tes jambes en un temps record et le sel brûle tes pupilles. En dépit de l'eau qui t'entoure, tu sens une larme, chaude, s'échapper de ton œil. Donc, tout ceci n'était pas un rêve... la porte, la chute, la mer... et tu ne sauras jamais comment le nom de ton frère s'est retrouvé là, mêlé à cette histoire de fou.

Ça y est, c’est la fin. Tu vas mourir ici, dans l’immensité de l’océan, d’une mort que tu ne souhaiterais à personne. Noyée, puis dévorée par un quelconque monstre marin de passage. On ne retrouvera certainement jamais tes ossements, tu n'auras pas droit à une sépulture décente. Pas plus que Swan, au final. C'est dur de l'admettre, mais ce n'est peut-être pas plus mal. Un faible sourire fend ton visage. Paralysée par la collision, alors que tu commences à perdre connaissance et que tes poumons s'emplissent d’eau salée, tu as le temps d’apercevoir à travers l’obscurité des fonds marins vers lesquels tu te laisses porter, une silhouette ondulant jusqu'à toi, une main qui se tend…

Néant.


***


Lorsque tu retrouves enfin tes esprits, un sursaut te fait te redresser et tu constates avec soulagement que tu te trouves dans un lit tout ce qu’il y a de plus banal. Dans la pénombre, tu te rallonges en murmurant pour toi-même « ce n’était qu’un rêve, un putain de mauvais rêve, rien de plus, j'en étais sûre… » et tandis que tes yeux font mine de se refermer, une petite voix fluette t’extirpe de cette nouvelle rêverie.


« Ah, tu es réveillée ! » fait la petite voix à l’autre bout de la pièce.


Tu te raidis d’un coup et fais semblant de dormir, serrant très fort tes paupières l’une contre l’autre par peur de découvrir qui se cache dans l’ombre à t’observer. À peine audible, tu entends deux tous petits pieds s’approcher avec précaution du lit dans lequel tu te trouves. Ta main crispée tire un peu plus la couette par-dessus ton visage et après une seconde d’hésitation la curiosité l'emporte : tu entrouvres à peine un œil… grâce à la lumière blême qui filtre par l’encadrement de la porte, tu distingues une toute petite ombre près de toi. Un enfant ? Cela expliquerait le son de sa voix. Quelque peu rassurée, tu desserres l’étreinte que tu exerçais sur le couvre-lit alors qu'une ampoule s’allume tout près de ton visage. Soudainement tout devient rouge et tu te souviens de ce que te disait ton frère avant d’aller te coucher, lorsque tu avais peur :


« Je laisse cette loupiote allumée et, lorsque tu sens que tu as peur, tourne ton visage vers elle. Essaie ! Tu vois le rouge dans tes yeux ?

- Oui ?

- C’est le sang qui coule dans tes veines, ça veut dire que tout va bien, que tu es plus vivante que jamais et tant que tu vois du rouge, les monstres ne peuvent pas t’atteindre. C’est ton voile de protection magique, d’accord ? »


Au début tu trouvais ça un peu effrayant de te dire que tu voyais ton propre sang mais, avec les années, c’était devenu un moyen de surmonter tes angoisses par un biais complètement rationnel. Un bon point déjà : tu n’es pas morte et rien ne va t'arriver. Alors avec tout le courage dont tu es capable et après une grande inspiration, tu ouvres les yeux sur ce qui te semblait être un enfant…


« BWAAAAAH !!! » hurles-tu en découvrant ton vis-à-vis.


La créature face à toi fait de même et recule précipitamment se cacher derrière la porte d’entrée. Ce n’est pas un enfant, pas un nain non plus… tu n’arrives pas vraiment à établir quoi, mais cette… chose… n’est sans aucun doute pas humaine ! C'est... poilu. Et même pire… ‘ça’ vient de parler !


« Qui êtes-vous ?! Qu’est-ce que vous me voulez ?! Laissez-moi partir !! » articules-tu non sans peine tout en palpant le mur derrière toi à la recherche d’une arme potentielle, bien que la chose n’ait pas l’air agressive.


Tu sens ton sang tambouriner dans tes tempes, tes mains tremblent mais tu n’es pas au bout de tes surprises car de l’autre côté du mur déjà une autre voix s’élève… celle d’un homme, plus âgé cette fois.


« Oï, oï, Chopper, c’est pas bien de faire peur aux invités !

- Mais… mais c’est elle qui s’est mise à hurler !

- Alors comme ça on est sortie de son sommeil de plomb, la belle aux bois dormants ? »


La tête de l’inconnu apparaît dans l’angle de la porte pendant qu’il prononce ces mots. Tu laisses échapper un soupir de soulagement à sa vue : ce n’est pas un autre monstre inhumain et, bien qu’étrange quand même de par son nez métallique, il a l’air parfaitement normal. Ou du moins, en apparences en tout cas. Il se baisse pour entrer dans la pièce et c’était sans compter ta réaction à la vue de son corps gigantesque… presqu’irréel et… robotique ?! Il est l’archétype, après l’animal parlant, de la chose la plus improbable qui t’ait été donnée de voir : l’homme fait un bon deux mètres de haut, quasiment autant de large, des cheveux bleus en bataille coiffés en une banane qui te fait penser à Elvis et un corps de catcheur professionnel malgré les jointures qui transparaissent de ses articulations. En guise de vêtement : un slip. Juste un slip…

Ta réponse ne se fait pas attendre :


« Hiiiiiii ! Mais qu’est-ce qui ne va pas chez vous, à la fin ?! 

- De quoi tu parles, femme-oiseau ? répond le robot avec la plus grande nonchalance du monde.

- Femme-oiseau ?! Est-ce que vous vous êtes regardés, sérieusement ?!

- Moi, je suis un renne ! argumente la petite créature toujours cachée.

- Et moi je suis Franky, qu’on appelle aussi Cyborg Franky !

- ET MOI JE SUIS LA REINE D’ANGLETERRRE ! » aboies-tu sur eux, comme pour faire disparaître la réalité qui s’offre à tes yeux. 


C'en est trop, tu craques : c'est à n'y rien comprendre ! Ta respiration saccadée leur indique que tu n'es pas très loin de la crise de nerfs. Le regard vif et attentif au moindre de leurs mouvements, tu passes du renne au cyborg, du cyborg au renne. Les deux êtres se regardent d’un air interrogateur, puis tout à coup le petit renne s’avance rapidement vers toi et s’agenouille devant le lit, tête baissée et mains sur les genoux... ou plutôt, sabots sur les genoux. Dans un soubresaut, tu interprètes ce geste comme étant une marque de respect bien que tu n’en saisisses pas le but. Profitant du fait qu’il soit dans la lumière de la lampe, tu prends quelques secondes pour le détailler : à première vue, on dirait une grosse peluche qui aurait d’ailleurs pu atterrir sur ton lit, en temps normaux. Tu te demandes ce qui est le plus dérangeant : le petit nez bleu pointant vers le sol, le haut-de-forme rouge qui laisse sortir ses deux petits bois duveteux, l’unique bermuda qu'il porte en guise de vêtement ou… le fait qu’il puisse s’adresser à toi comme le commun des mortels, te comprendre et être compris ? En d’autres circonstances tu aurais pu trouver ça mignon, mais l’enchaînement des événements te fait voir la chose d’un tout autre œil et tu commences à te demander si, à tout hasard, tu n’aurais pas été droguée. Te sortant de tes songes, le dénommé Chopper s’abaisse un peu plus et s’excuse auprès de toi :


« D-désolé votre Majesté, c’est que nous ne connaissons pas votre pays… »


De mieux en mieux… tu ne peux refréner un rictus au bord de tes lèvres accompagné d'un rire nerveux. En te redressant sur le lit avec peine, tu prends sur toi pour détendre un tant soit peu tes muscles. Après tout, ils n’ont pas l’air de vouloir te faire du mal… plus calme, tu reprends :


« N-non, ce n’est pas ce que je voulais dire, je ne suis pas vraiment reine, c’est une expression pour…

- Bla, bla, bla, réplique le robot Franky, peu importe qui tu es, ce que nous voulons savoir c’est où tu comptais aller, comme ça, en volant ? C’est dangereux, tu sais !

- Je… je ne sais pas… je crois que je suis tombée à travers une porte… lui avoues-tu en baissant le regard. »


Tu t’attendais à un rire, un ricanement ou même des regards hébétés face à cette réalité que tu trouves toi-même ridicule mais les deux gus arborent une toute autre expression, plutôt inquisitrice, voire intéressée. Avant même que tu ne puisses t’expliquer davantage ou qu’ils te posent la moindre question, une voix adolescente résonne dans le couloir :


« Une porte dans le ciel ?! J’veux y aller !! »


Puis peu de temps après cette intervention, un jeune homme sûrement à peine moins âgé que toi fait son apparition entre les deux autres. Il se tient fièrement sur ses deux jambes, mains sur les hanches, un large sourire collé aux lèvres. Tu prends le temps de le détailler ; il a l’air plus humain que les deux autres, ça c’est clair. Deux cicatrices se démarquent des nombreuses qu'il arbore et attirent ton attention : l’une souligne son œil gauche et l’autre, en forme de X, s’étend sur tout son torse. Tu dois t'avouer que cette dernière est plutôt impressionnante, tu n'en as jamais vu de telles et elle te fiche un peu les jetons. Ses yeux, ronds comme des billes, t’observent quant à eux avec l’éclat qui brille habituellement dans ceux des jeunes enfants. Il porte une chemise rouge à manches courtes et un bermuda en jean qui fut autrefois un pantalon, rapiécé, ainsi qu’un chapeau de paille posé allègrement sur sa tignasse foncée en bataille ; « il ressemble à un personnage de dessin animé… » penses-tu en regardant les trois énergumènes tour à tour. « En fait, ils ressemblent tous à des personnages de dessin animé. »


« Je suis Monkey D. Luffy, et je deviendrai le Roi des Pirates ! te lance-t-il en souriant de toutes ses dents. Et toi, t’es qui ? »


Arquant un sourcil à cette annonce surréaliste, tu concentres tous tes efforts pour lui répondre de la manière la plus simple qui soit.


« Je… je m’appelle ___ et je suis une simple étudiante qui n'a jamais demandé à se retrouver ici… pouvez-vous me dire où nous sommes, maintenant que les présentations sont faites… ? »


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