Amalya

Chapitre 23 : Chapitre 23: le Temps est un bon conseiller

3616 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:39

La traversée du lagon fut un peu plus longue que prévu. Dans un premier temps effrayés par Mahakala, les dauphins finirent par surpasser leur appréhension et vinrent nager autour d'Amalya qui s'accrocha à l'un deux, laissant ce dernier l'emmener où bon lui semblait. Un jeune dauphineau, plus vaillant que ses congénères, ou plus inconscient, se frotta contre le dragon, qui jeune lui aussi, s'amusa beaucoup de cette rencontre. Tous les deux nagèrent ventre contre ventre avant d'enchainer des sauts hors de l'eau. Ce spectacle inattendu et précieux fit frémir la jeune femme, exhaltée par l'insouciance que pouvait procurer l'existence. L'instant d'intimité prit fin quand cette soudaine fraternité entre espèce se dissout pour suivre sa propre voie. Une amitié de quelques minutes pouvait parfois être aussi intense et pleine de sens que celle de toute une vie.

Une fois arrivé sur la plage au pied du volcan, Amalya prit Mahakala dans ses bras et frotta son nez contre son museau. Ils n'avaient plus jamais réussi à communiquer ensemble depuis la défaite de Kaïdo, mais tout l'amour qu'ils se portaient comblait indéniablement l'absence de mots. L'animal glapit de joie et sauta sur lui même avant de regarder le sommet de l'île.

- Ok, allons-y !

La jungle était très dense sur la surface du volcan et semblait particulièrement vieille, Amalya en conclut qu'il était éteint depuis de nombreuses années. Après plusieurs heures de dénivelés, ils finirent par arriver au cratère où s'était accumulé suffisamment de précipitations pour former un lac d'une vingtaine de kilomètres de diamètre. De couleur verte, l'eau acide dégageait une forte odeur de soufre, ce qui obligea la jeune femme à masquer son visage avec son châle tandis que Mahakala respira de grandes bouffées avant de se jeter corps et âme dans le lac.

- NON ! Hurla-t-elle horrifiée.

Le dragon sortit sa tête hors de l'eau et cracha des jets verts avant de nager entre les remontées de bulles qui éclataient à la surface. Amalya se calma et sourit, son compagnon était décidemment pleins de surprises. Elle se retourna et observa le panorama qui s'offrait à elle. L'île était assez petite et le volcan devait faire à tout casser mille mètres de haut. Elle tourna son regard vers Hîleton Island et se demanda ce que pouvait bien faire l'équipage en ce moment même.

- Maka ! On va rapidement faire le tour de l'île puis on retourne à l'hôtel ! Je n'ai pas envie de me faire taper sur les doigts par le capitaine et puis de toute façon, il ne se passe rien ici, ces touristes disaient des conneries...

Sentant un courant d'air brûlant dans son dos, la pirate fit volte face lorsqu'elle vit avec stupeur le magma bouillonnant remplacer le lac scintillant. Le cratère ne faisait à présent que cinq cents mètres de diamètre et de fines coulées de lave visqueuse et lente s'en échappées. La peur la saisit au ventre quand elle comprit à travers l'aspect de la lave que le volcan était de type explosif et s'accentua lorsqu'elle sentit sous ses pieds un effroyable tremblement.

- MAHAKALAAAAA !! Hurla-t-elle bouleversée.

Le dragon jaillit de la surface du cratère et secoua violemment son corps pour enlever la lave avant de fondre sur Amalya qui s'était jetée sur le flanc du volcan gris dépourvu de végétation. La jeune femme courut à perdre haleine en manquant de tomber toutes les cinq secondes quand le moment si redouter fit une entrée fracassante. Une assourdissante explosion retentit, détruisant la face ouest du volcan et une onde de choc, suivit de nuées ardentes, s'apprêtèrent à tout dévaster sur leur passage lorsque le temps s'arrêta, figeant toute l'île afin qu'elle contemple sa propre fin.

Pétrifiée telle une statue de sel suspendue à vingt centimètres du sol, Amalya se rappela de ces stupides touristes et de leur histoire rocambolesque. Sur cette île, le Temps n'en faisait qu'à sa tête et avait le don d'être particulièrement malicieux. Ainsi, le visage tourné vers le pied du volcan qui semblait dorénavant bien plus loin, la pirate ne vit pas Mahakala juste derrière elle, figé également, prêt à l'attraper au vol.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le Temps avait décidé de ne pas arrêter le fil des pensées de la jeune femme qui eut donc tout le temps pour réfléchir à sa vie comme à sa mort prochaine. Quelle macabre sentiment de savoir que l'on va mourir dans la seconde quand celle-ci daigne montrer le bout de son nez. Ainsi, une minute, une heure ou peut-être l'éternité s'écoula dans son esprit qui ressassait chaque instant vécu jusqu'à aujourd'hui. Mon dieu que le temps fut long en cet instant figé.

Soudain, un léger bruissement se fit entendre puis une délicate brise poussiéreuse effleura sa peau. Reprenant progressivement possession de son corps, Amalya tourna sa tête vers l'arrière et vit son compagnon voler très lentement à sa rescousse, les deux pattes avant tendues vers elle. Un monstrueux nuage composé de cendres, de gaz et de pierres dévalait tout aussi tranquillement la pente, juste derrière eux.

"On est déjà morts", pensa-t-elle lorsque le Temps mit fin à son sinistre jeu et redevint normal. Le bruit assourdissant déchira ses tympans déjà mal en point et de petits projectiles entaillèrent sa peau quand Mahakala la saisit par les épaules puis la protégea de cet enfer en refermant ses ailes autour d'elle, en prenant soin de ne pas la toucher davantage. Déployant une énergie considérable pour sauver sa petite soeur, le dragon subit de plein fouet l'onde de choc qui percuta violemment son dos, les projetant tous les deux dans la forêt au centre de l'île.

Allongée sur un épais tapis de branches et de feuilles, Amalya rouvrit les yeux et vit son compagnon assis à ses côtés, les écailles rougeoyantes dégageant de la vapeur. Elle se redressa subitement et gémit de douleur. Le sang dégoulinant de ses oreilles, de graves brûlures au niveau des épaules et plus légères sur le corps lui rappelèrent l'éruption qui venait de se produire. Elle regarda tout autour d'elle la splendide jungle verdoyante puis le volcan aussi serein que lorsqu'ils étaient arrivés.

- Putain de merde, cassons nous d'ici !

Elle marcha fébrilement vers la plage quand non loin de là, quelque chose chuta d'entre les branches avant de terminer sa course enchevêtré dans les lianes. Amalya vit qu'il s'agissait d'une personne et courut à son secours lorsqu'à la vue de son visage, elle tomba à genoux et fut prise de tremblements incontrôlables.

- Non.....non..... Bégaya-t-elle tétanisée par le choc.

Cette île était décidemment très spéciale, comme si manipuler le temps à sa guise ne suffisait pas, elle se délectait des souffrances les plus enfouies de ces pauvres explorateurs venus chercher un petit coin de paradis.

- Ce n'est qu'un rêve.... Je dors dans ma chambre à Hîleton Hôtel.... Se rassura-t-elle en se frappant frénétiquement le crâne.

Après une minute de martelage crânien, elle regarda de nouveau le corps suspendu et gémit de désespoir. Le sang, les écorchures et les ecchymoses sur le doux visage de l'enfant lui furent insupportable. Pas n'importe quel enfant puisque celui ci était son petit frère adoptif Loan, lorsqu'il n'avait que 5 ans. Elle se souvint alors de la scène où elle l'avait poussé du haut d'une falaise pour se débarrasser de lui, il y a de cela dix sept ans. Elle leva les yeux vers le ciel et ne voyant aucune falaise, les reposa sur l'illusion de Loan qui semblait tellement réelle. Mais lorsqu'elle voulut détourner son regard pour fuir cette vision éprouvante, le temps se figea une fois de plus.

Ce n'est que bien plus tard, autour d'un feu sur une lointaine île céleste, qu'elle raconterai à son unique interlocuteur cette invraisemblable journée qui l'avait sans aucun doute profondément marqué. Pour cette vie et toutes les autres. Face à son spectateur attentif, elle jurerai que lors de ce face à face avec son petit frère agonisant, son coeur s'était arrêté de battre et que la douleur qui l'a foudroya était pire que la mort elle même.

Combien de temps s'était-il écoulé ? Elle n'en avait aucune idée. Mahakala l'avait ranimé en lui léchant la figure. Elle regarda tout autour d'elle à la recherche de l'illusion qui avait disparu. Elle rajouta à sa liste de blessures une grosse douleur à la poitrine et repartit en direction de la plage.

- Partons Maka.

Après une demi-heure de marche à travers la forêt - ne pouvant pas voler sur le dos du dragon qui était encore trop brûlant - Amalya vit une adolescente accroupie derrière un buisson. Il lui fallu moins de temps pour comprendre que cette nouvelle scène était un de ses souvenirs. A l'époque, le hasard avait voulu qu'elle intercepte une conversation qui ne lui était pas destinée entre William et Monkey D. Dragon. Mais cette fois-ci, la scène illusoire qui se déroulait devant elle ne s'arrêta pas à la limite de son souvenir. Elle continua simplement, lui montrant alors la suite de leur conversation qu'elle n'avait jamais entendu.

" Dragon, peu importe ce que vous m'offririez, jamais je ne vous laisserais ma fille. Amalya est pour moi l'enfant que je n'ai jamais eu, elle est plus importante que ma propre vie et toutes celles des hommes ici-bas. Sachez que je crois en elle. Le jour arrivera où elle vous démontrera à tous, pauvres misérables que vous êtes, que vous aviez tort à son sujet. Et j'espère être présent à ce moment là pour voir vos sales visages se décomposer de honte !"

Amalya regarda le souvenir disparaître et essuya ses joues recouvertes de larmes. Tandis qu'une brèche dans son coeur s'était ouverte pour la scène de Loan, une autre s'était refermée suite à celle de William.

*************

- Merde ! Elle est passée ou bordel !? Cria le coq debout sur une plage de Hîleton Island.

- Excusez nous monsieur, vous chercher quelqu'un ? Demandèrent deux touristes en train de bronzer.

- Oui, une femme grande et brune avec une créature noire assez flippante.

- Bien sûr, il y a une heure, elle est partie nager.

Le coq fixa le lagon quand il vit la tête d'Amalya sortir de l'eau, assise sur le dos de son dragon. Ce dernier passa devant le cuisinier pirate sans lui jeter un regard et amena la jeune femme jusque dans la chambre qu'elle lui indiquait. Elle ouvrit la porte sans prendre la peine de frapper et se laissa tomber, inconsciente, sur l'immense lit, sous le regard médusé de Doc qui lisait un journal. Mahakala fit de même et se vautra à côté d'elle. Ainsi, elle passa l'équivalent de six jours, sans dormir, sur l'île au volcan à revivre une multitude de souvenirs alors qu'il ne s'était écoulé qu'une heure pour l'équipage, sur Hîleton Island.

Une fois alerté par le coq, Shanks et quelques hommes rejoignirent le doc qui soignait les plaies d'Amalya.

- Qu'a-t-elle ? S'enquit immédiatement le capitaine, inquiet.

- Pratiquement que des brûlures à tous les degrés... Mais rien qui ne mette sa vie en péril ! Rassura-t-il.

- Yasopp, prends quelques hommes et tu me quadrilles l'île à la recherche de la marine !

- Capitaine, tu penses à Akainu ? Demanda Ben.

- Non, ses blessures ne correspondent pas à celles laissées par l'Amiral en Chef, répondit Yasopp en levant sa chemise pour montrer celle sur son ventre. Les brûlures d'Amalya sont trop nettes et pas assez profondes. Le pouvoir du magma d'Akainu fait vraiment de sale cicatrice !

- Elle a perdu du poids. A mon humble avis bien trop en l'espace de seulement une heure, rajouta le doc.

- Capitaine ? Elle nageait face au volcan.... Osa le coq, embêté.

Ben et Shanks se dévisagèrent aussitôt.

- Merde, la pauvre... Fit Ben exceptionnellement compatissant.

- J'ai oublié de la mettre en garde ! S'écria Shanks, les yeux écarquillés et une main sur la bouche.

- Le Gnomon n'a aucune pitié... Murmura le doc, dépité.

- Le gnoquoi ? Fit une petite voix fébrile.

Tous les yeux se tournèrent vers Amalya qui avait repris temporairement conscience. Le doc caressa ses cheveux tandis que Ben commença de succinctes explications.

- Gnomon. C'est le nom du volcan. Il s'agit d'un lieu hors de notre Temps qui décompose le passé, le présent et le futur pour le refaçonner à sa convenance. Lorsqu'une vie étrangère entre dans son périmètre, il s'approprie son temps et joue avec. Mais parfois, le Gnomon fait découvrir à son invité un événement qu'il n'a pas vu de ses yeux. On suppose qu'il est parfois capable de voler ces instants bien au delà de son propre périmètre.

- Je comprends mieux maintenant, murmura-t-elle en souriant avant de s'endormir.

- ... Regardez, elle sourit... Je n'ai pas le souvenir que l'on est sourit en revenant de cette fichu île, hein capitaine ? Demanda le doc en bordant Amalya.

- Non, il est clair que l'on en avait pas le coeur, ni la force d'ailleurs... Conclut Shanks.

***********

Dans l'obscurité la plus totale, et trimballée dans tout les sens par des courants tourbillonnants, la créature n'avait aucun repère et sentit les émotions négatives l'envahir petit à petit. D'abord la peur car elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait, puis la colère contre cette force qui se jouait d'elle et enfin l'envie de vengeance, qui lui permettrait de rendre la douleur qu'on lui infligeait.

" Je crois en elle ", dit une faible voix lointaine.

La créature tendit ce qui semblait être une oreille et n'entendant plus rien, douta alors d'elle même avant de sentir une esquisse de folie l'imprégner.

" Tu es la plus belle personne que j’ai rencontré ", fit une autre voix atténuée.

La créature retendit l'oreille, non, elle n'était pas folle. La lucidité prit le dessus sur la démence et elle nagea avec difficulté vers ses étranges sons qu'elle ne comprenait pas mais trouvait magnifique. Le courant tourbillonnant l'empêcha d'avancer davantage. C'est alors que la détermination naquit, lui donnant la force d'aller plus loin malgré l'obstacle.

" Je lui ai demandé que tu sois toujours heureuse ! "

Une fente s'ouvrit sur son visage lisse et s'étira tel un sourire. La créature tendit vers l'avant le moignon qui lui servait de main et nagea avec plus d'entrain.

" Je suis content que tu restes parmi nous princesse "

Des appendices apparurent sur son moignon qui devint une main. La créature se débarrassa petit à petit de ses émotions négatives tandis que son corps se transformait. Elle nagea encore plus vite quand une étrange sensation fourmilla dans son ventre. Quel bonheur que de ressentir ce sentiment d'affection ! Oui, elle en désirait encore plus et en donner autant.

" Si tu as besoin d’aide, je suis là "

Son visage traversa une surface lumineuse et émergea dans un monde d'une exquise chaleur. Ses paupières se soulevèrent et une lumière intense traversa ses iris jaunes. Les gouttes d'eau dégoulinant de ses cheveux carressaient avec tendresse son doux visage quand un dernier sentiment la submergea. La félicité était assurément le plus beau de tous.

********

Amalya se réveilla seule dans la chambre. Des larmes coulaient le long de ses joues sans interruption. Yasopp entra pour prendre la relève du doc qui était parti prendre l'air.

- Amalya ! Tu es réveillée ! Mais pourquoi tu pleures ? Tu as mal quelque part ? Demanda le pirate pris de panique.

La jeune femme pleura de plus belle en sanglotant comme un bébé. Finalement, elle réussit à placer une phrase entre ses gémissements et les hoquets:

- Je... Je.... Je suis heureuse ! Cria-t-elle avec la rage de vivre et de le crier haut et fort sur tout les toits du monde.

- Ca c'est bien dit poulette !! Moi aussi je suis heureux bordel !! Cria à son tour Yasopp prit d'une irrésistible envie d'exulter sa joie.

A la limite de l'hystérie, les deux pirates se fixèrent et éclatèrent de rire, désopilés par l'incongruité du moment. L'atmosphère redevenu normal, Yasopp l'aida à se lever. Grâce aux pommades à base d'écaille de Mahakala, ses brûlures avaient disparu et ses tympans percés se régénéraient rapidement.

L'équipage avait plié bagage, prêt à quitter l'île. Amalya récupéra ses affaires dans sa chambre et rejoignit le Red Force où les hommes embarquaient une cargaison de vivres. Ils levèrent les voiles et se réunirent derrière la pirate qui, debout sur le bastingage, faisait ses adieux au Gnomon.

- Je suis désolé Amalya, je ne t'ai pas prévenu sur les dangers du Gnomon... S'excusa le capitaine.

Les hommes attendirent qu'elle leur raconte ce qu'elle avait vécu mais elle garda pour elle cette douloureuse et précieuse expédition qui lui fit prendre une décision:

- Mes amis, j'aimerais beaucoup vous faire rencontrer mon grand père et mon petit frère.

- Avec plaisir ! Répondit Shanks au nom de tous, surpris mais content de savoir qu'elle avait une famille.

Le Gnomon était un véritable enfer pour ceux qui osaient s'y aventurer, mais il faut croire que pour certain, il se révélait être une source de bénédiction.

 

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