Cicatrices
Six jours s'était écoulés. Shanks restait souvent avec moi, et quand il devait s'absenter, pour des raisons que je ne connaissais pas, c'était le gorille -Ben- qui prenait le relais. Ils ne me parlait pas forcément, et j'en était contente. Je n'aimais pas parler, puis rester dans mon coin était mon occupation favorite depuis un bon bout de temps. Mais je me sentais bien avec eux, leur présence avait quelque chose de rassurant. Je passais mes journées sur la proue du navire, qui était une tête de loup, magnifiquemet sculptée, il fallait l'avouer. C'était calme, il n'y avait aucun bruit, mis à part le claquement de l'eau sur la coque du bateau, et quelques mouettes qui passaient parfois au dessus de nous.
J'étais en meilleure santé aussi depuis que j'étais avec eux. J'avais repris les cinq kilos que j'avais perdu et je faisais un peu de sport, quand l'envie m'en prenait. Ma peau s'était foncée, preuve que le soleil devenait de nouveau un ami. Mais, je n'avais pas arrêté l'alcool. J'avais vite trouvé leur petite réserve, et j'avais calculé que je pouvais tenir environ vingt jours. C'était déjà pas mal, enfin, à la prochaine escale, j'irai faire le plein, et c'était tout. Tous les soirs, je finissais ivre, non sans en avoir honte, mais c'était mon seul échappatoire. Et tous les matins, je me réveillais dans mon lit, avec le fameux mal de crâne qui était devenu habituel. Personne n'en parlait, et je ne leur posait pas de question sur ma téléportation de la proue à mon lit.
________
J'étais arrivée à la moitié de la bouteille. C'était du rhum. J'avais déjà la tête qui tournait, douce douleur.
"-Tu comptes vraiment finir une bouteille tous les soirs?"
Je me retourna, non sans difficultés, la bouteille à la main, vers Shanks.
"- Qu'est ce que ça peux te faire de toute façon..", bredouillais-je.
Il éclata de rire.
"-Alors comme ça, quand tu es bourrée, tu me tutoies. Interéssant.
-Mais qu'est ce que ça peut te faire!" répétais-je, rouge de confusion.
Il me regarda, et attendit. Comme la dernière fois. J'avais l'impression qu'il m'analysait, qu'il essayait de me cerner.
"- Pourquoi une jeune femme se noie dans l'alcool comme ça?"murmura -t-il, comme s'il se posait la question.
Un sourire, des cheveux noirs légèrement ondu..
Non! Je ne pouvais pas y penser, je ne devais pas. J'avais fais un pas en avant, et bien qu'il soit, certes, microscopique, je ne voulais pas reculer, je n'en avais plus envie. De toute façon, je n'avais plus envie de rien.
La bouteille éclata. Je l'avais serré trop fort, sans m'en rendre compte. J'avais du rhum partout, et des bouts de verre étaient venu se loger dans ma main, mais ça ne faisait pas mal, sûrement grâce à l'alcool. Shanks avait les yeux écarquillés. Quant à moi, j'avais les yeux rivés sur ma main, devenue rouge et poisseuse.
Du sang partout, un trou béant dans la poitri...
Non! Sans que je le veuille, ne pouvant plus me contrôler, les larmes me montèrent aux yeux et commencèrent à couler sur mes joues. Shanks s'approcha doucement de moi, puis, une seconde après, j'étais sur son épaule, tel un sac à patate. J'essayais malgré tout de maîtriser mes sanglots. Ne jamais pleurer! C'était une règle dans mon monde. On ne peut pas pleurer, et encore moins devant quelqu'un que l'on connaît à peine.
Me tirant de mes pensées, je remarqua que Shanks m'avait amené dans une petite pièce. Il y avait des armoires partout, si bien qu'on ne voyait plus les murs. Sur une petite étagère, il y avait toutes sortes de plantes et de bandages.J'en supposa donc que c'était l'infirmerie. Il m'allongea sur un lit, au centre de la pièce, qui s'avèrait être une table d'auscultation. Il avait ensuite prit une petite pincette.
"-Regarde ailleurs si tu veux."
Je lui avait fait "non" de la tête, ne voulant pas parler d'une voix rauque, victime de mes larmes.
Il commença alors, à extraire, avec une douceur infinie, les morceaux de verre sombres. Je regardais le spectacle avec attention. Je n'avais pas mal, j'avais déjà connu mille fois pire, et la douleur qui régnait dans ma tête et mon coeur, ne pouvait être comparée à cette douleur minime. Il prenait son temps, si bien qu'il passa près d'une demie-heure, penché sur ma pauvre main.
"-Pourquoi, le premier jour, Ben était étonné que je ne le connaisse pas? lui demandais-je dans un murmure, pendant qu'il déroulait le bandage.
-J'étais moi même étonné que tu ne nous connaisse pas, à vrai dire, commença -t-il, enroulant ma main dans la bande. Ce n'est pas histoire de se vanter, mais on a une petite notoriété dans le milieu, et on est souvent reconnu par les habitants des îles que l'on accoste. On a sûrement du prendre la grosse tête."
Ses derniers mots étaient accompagnés d'un rire, mais son expression était vite redevenue sérieuse.
"-J'espère qu'un jour tu me diras ce qu'il s'est passé", dit-il après quelques longues secondes de silence.
Il venait de finir ses soins, et donc sortit de la pièce. Quant à moi, j'avais décidé d'aller dans ma chambre, j'avais assez embarrassé Shanks pour ce soir.
________
Je m'étais réveillée en catastrophe avec un marteau piqueur dans le crâne. Encore un cauchemar. Je n'en pouvais plus, j'avais des souvenirs de lui partout, qui m'harcelaient sans cesse, assauts sur assauts.Je ne pouvais pas rester assise dans mon lit en attendant de trouver un sommeil qui serait tout, sauf reposant. Je m'étais donc levée et habillée. Enfin, habillée était un grand mot, j'avais juste mis un boxer et un gros gilet, que Ben m'avait gentillement donné. A pieds nus, j'étais sorti de ma chambre sans bruits, ne voulant pas réveiller Shanks et le gorille.
Arrivée sur le pont, je me rendis compte que l'on était en pleine nuit. C'était beau, la nuit. Le noir avait le même pouvoir que Ben sur moi, il me reposait, me calmait, me faisait probablement oublier un peu. Je m'étais mise, comme à mon habitude, sur la proue, me calant dans la gueule du loup. J'allais m'assoupir quand j'entendis soudain un grand fracas vers l'arrière du navire. J'avais donc quitté mon refuge en courant vers le bruit.
Si le navire de Shanks était grand, celui devant moi était énorme. Et il était beau, avec une jolie proue à tête de dragon noir. Sur la grande voile, il y avait un emblème; une tête de pirate, toute simple, avec trois cicatrices? Comme Shanks..?Sans m'en rendre compte, quelqu'un s'était approché de moi, et m'entourait maintenant des ses deux bras mince.
"-Je suis là maintenant, ça va aller ma grande."
Cette voix douce et réconfortante, cette odeur citronnée, cette main dans mes cheveux emmêlés.
Mes larmes ne se firent pas prier.