Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 6 : Aux petits soins

2462 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 01:40

La douleur était presque trop supportable. Mes pensées se noyaient dans un épais brouillard blanc tandis que je tentais de serrer les poings, ou d'esquisser n'importe quel mouvement prouvant que j'étais réellement encore en vie. J'entendais ma respiration siffler, l'air traversant mon poumon et s'extirpant péniblement de ma bouche entrouverte.

Des ombres noires ondulaient dans mon champ de vision. Diverses voix me parvenaient, traversant le flou de mes pensées comme des flèches me perçant violemment les oreilles. La mort ressemblait-elle vraiment à ça ? Oh, tant pis. Cela valait toujours mieux que...

Que ?

Je ne me souvenais pas. J'avais beau tenter de reconstituer les événements, les pièces du puzzle s'éparpillaient, encore et encore.

"C'est bon", entendis-je quelqu'un dire, et j'eus l'extrême envie de lui crier de la fermer avant que je ne puisse plus supporter les vibrations du marteau-piqueur qui me vrillait le cerveau. Et puis merde, c'est bon ? Il osait sortir ça, alors que je ne savais même pas si j'étais vivant ou mort ? Bordel.

"Monsieur ? Vous m'entendez ?" s'enquit-il en me serrant la main.

Je regrettai amèrement de ne pas pouvoir lui broyer la sienne. Je ne pus même pas bouger le petit doigt.

"Il t'entend, Brett. Laisse-le se réveiller, maintenant. Il arrive."

Bon. OK. J'étais en vie. D'ailleurs, que m'était-il arrivé

Lorsque la purée de pois qui m'abrutissait se fut enfin assez diluée pour que je puisse y voir plus clair, et que j'eus retrouvé un contrôle partiel de mes membres, je tournai la tête vers les trois personnes qui s'affairaient autour de moi. Et merde, j'étais à l'hôpital. Des blouses blanches, des machines et une infecte odeur de produit d'entretien.

La dernière fois que je m'étais retrouvé là, c'était...

Je retrouvai mes esprits si violemment qu'une intense migraine se saisit de mon crâne. Je voulus m'asseoir sur mon lit, mais je n'en étais pas encore capable, m'agitant vainement sur le matelas.

Combien de temps j'ai dormi ? Combien de temps j'ai dormi ? 

"Holà, calmez-vous, monsieur Yellowspring. Vous êtes à l'hôpital, me murmura une grande asperge au teint mat et aux cheveux en bataille.

- Sans blague", s'écorcha ma gorge. 

Ma voix m'était à peine reconnaissable.

"Depuis quand ? poursuivis-je dans un râle encore plus étouffé.

- Depuis tout juste deux jours. Vous avez eu beaucoup de chance. Vous pourrez chaleureusement remercier votre fille de nous avoir appelés ! ajouta-t-il en me souriant amicalement.

- Hein ? lâchai-je, haussant un sourcil. 

- Votre fille nous a prévenus ! Kanra, c'est ça ?"

Alors là... Alors là...

"Monsieur Yellowspring, intervint le gamin que j'identifiai comme étant Brett, il faut vous reposer. Votre poumon a subi une quadruple perforation. De plus, vous avez été brûlé dans le dos et sur le crâne, au deuxième degré. Laissez votre corps vous en remettre plutôt que de vous agiter. Je vous conseillerais de dormir un peu."

Le rire totalement dépourvu d'humour que je laissai échapper réveilla ma blessure, m'arrachant une grimace de douleur. Les trois types se regardèrent, l'air inquiet. J'avais l'air d'un dingue, c'était certain.

"Dormir, hein ? Si vous saviez tout ce que je sais sur le sommeil...

- Dites-moi, votre fille m'a dit que...

- Brett, répéta l'asperge, laisse-le.

- Elle a dit quoi ? 

- Vous souvenez-vous de ce qui vous est arrivé ? voulut savoir le troisième gars, une véritable armoire à glace enserrée dans sa blouse.

- Non, répondis-je sans hésiter. Pourquoi ? Kanra vous a dit quelque chose ? Dites-le moi, je vous en prie.

- Brett, c'est pas le moment ! Tais-toi.

- Je me tape que ce soit le moment, intervins-je. Qu'est-ce que Kanra vous a dit ?

- Que vous vous étiez fait ça vous-même.

- Quoi ?"

Je me passai une main moite sur le visage. Qu'avait-elle osé leur dire ? Et par-dessus tout, comment pouvait-elle être au courant pour cette nuit ?

Etait-ce elle qui m'avait réveillé ?

"Je... je vois pas comment...

- Nous non plus, mais reposez-vous, m'interrompit l'asperge. Calmez-vous. Nous allons vous laisser, et nous reparlerons de tout ça plus tard."

Ils joignirent rapidement le geste à la parole, me laissant au bord de la panique. Complètement paumé, le Yellowspring.

Dans quelle situation m'avait-on fourré ?

Je laissai mon crâne s'enfoncer dans l'oreiller, regardant machinalement le dernier câble qui me traversait la main. J'éprouvais une furieuse envie d'arracher ce truc. Au lieu de quoi, je laissai mes pensées se diriger vers la dernière nuit dont je me souvenais. J'avais eu une sacrée chance, sur ce coup-là - comme lors de l'épisode de mes intestins. Sauf que cette fois, quelque chose m'avait tiré du sommeil.

Oh, peut-être n'était-ce qu'un grand rire qui avait retenti lors du zapping.

Tiens, ma télé est-elle intacte ?

Impossible de savoir quand je m'étais mis à rêver. Où m'étais-je réveillé ? Par terre ou sur mon canapé ?

Je laissai tomber mon bras libre sur mes yeux. Peut-être aurais-je préféré être mort, tiens.

J'attendis d'être suffisamment en forme pour m'asseoir, puis la douleur me força à me rallonger sur le dos, puis je me tournai, puis je revins à ma position initiale. Je n'avais aucune envie de rester là, couché sur ce foutu lit, coincé dans cette chambre aux murs trop clairs, et puis le boulot m'attendait au lycée.

Je restai immobile un quart d'heure avant de m'asseoir à nouveau. Tant pis pour ma blessure, j'en avais assez. J'avais envie d'aller aux toilettes.

Je décollai légèrement le pansement fixé sur le dos de ma main et retirai le câble sans trop réfléchir. Un minuscule geyser de sang tacha mes draps et ma blouse, m'arrachant du même coup un glapissement sous les protestations de ma peau trouée. Un liquide translucide se mit à goutter de la perfusion sur le carrelage. Sans doute était-ce de la morphine, un truc comme ça. Oh, merde, tant pis. 

J'avais juste envie de marcher un peu. Lorsque je me levai, le contact froid du carrelage sur ma peau fripée me fit presque mal. Une grimace sur le visage, les jambes flageolantes, j'avançai jusque à la porte de la chambre.

Fermée ? m'étonnai-je. Pourquoi ?

Je retentai de pousser le battant, j'écrasai la poignée. Ces cons m'avaient enfermé là !

Ils te croient dingue, Oliver. Ils pensent que tu t'es blessé toi-même, et peut-être bien qu'ils vont te transférer au département psychiatrique de l'hosto.

TA. GUEULE. 

Je jetai un oeil tremblotant à la fenêtre. La nuit traversait le grillage métallique en un assemblage de losanges d'encre. Aucune étoile ne luisait dans le ciel mort, drapé dans son linceul de nuages. Seul un lampadaire solitaire poussait faiblement la lumière hors de son ampoule, sur le parking. J'étais au troisième étage, estimai-je, et j'étais enfermé.

"Hé ! m'exclamai-je en frappant la porte de mon poing intact. Vous pourriez pas m'ouvrir ? Faut que j'aille au petit coin, moi !"

Je dus frapper pendant deux minutes avant d'entendre une clé s'insérer dans la serrure.

"Ah ! soupirai-je en reculant d'un pas. C'est pas trop tôt !

- Je suis toujours à l'heure !" me sourit Freddy en passant son visage par la porte entrouverte.

Je me plaquai violemment contre le mur de derrière, sentant vaguement frémir ma peau brûlée. Le choc était tel que je crus que j'allais uriner sur place.

Le monstre entra et ferma la porte derrière lui, la verrouillant de l'intérieur à l'aide de sa griffe.

"Vieux con, cracha-t-il. C'est quand même incroyable. Incapable de te tenir tranquille cinq minutes, hein, Olly ? 

- Qu'est-ce que tu veux ? balbutiai-je. Qu'est-ce que tu veux, à la fin ? Vas-y, tue-moi. Vas-y, j'attends."

Et Dieu sait qu'à ce moment-là, plus que tout, je souhaitais qu'il le fasse. J'étais à bout. Je n'en pouvais plus de cette angoisse, de la lenteur de ses gestes, de la nuit envahissant mes songes, pénétrant ce soir dans ma si petite chambre d'hôpital, rampant jusqu'au néon qui éclairait toute la pièce. Je n'en pouvais plus de sentir mes nerfs trembler dans mes cuisses, mon coeur s'affoler, mon cerveau mélanger toutes mes pensées en une bouillie incohérente. La souffrance avait trop duré. J'ouvris les bras face à Krueger, lui offrant mon torse noué de terreur.

"Vas-y, Freddy. Allez", lâchai-je.

Il haussa l'endroit où aurait dû se trouver son sourcil droit et, un rictus de mépris lui tordant la bouche, siffla :

"Tu te fous encore de moi. Décidément, tu prends de mauvaises habitudes. 

- VAS-Y ! m'égosillai-je, les yeux exorbités. VAS-Y, PUTAIN DE SALAUD DE MERDE ! Attaque-moi, allez ! T'ATTENDS QUOI ?

- Tu me casses les oreilles, vieux con."

Il approcha son regard du mien, pointant sa griffe sur mon coeur.

"Tu as quelque chose à me dire, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que tu sais exactement à propos de Gallagher ? Ne m'oblige pas à chercher les réponses moi-même."

Je clignai des yeux, un peu surpris par sa question, puis je me souvins et lui offris mon plus beau sourire. Ah oui, ma petite victoire de la dernière fois...

"Pourquoi te le dirais-je ? De toute manière, je n'en sais sûrement pas plus que toi."

Il me scruta en silence, le regard débordant de haine, puis replia lentement sa lame.

"C'est vrai, sembla-t-il admettre. Je me contenterai alors de te faire une proposition.

- Tu ne veux plus me tuer ? C'est nouveau.

- Tu sais très bien qui s'en chargera, sourit-il, narquois. Si tu la connais un tant soit peu, tu sais qu'elle saura le faire aussi bien que moi.

- A quoi tu joues, bordel ? C'est quoi, cette histoire ?

- J'ai juste envie de fêter nos retrouvailles par une dernière partie d'échecs, Olly. Ensuite, je te ferai la peau. Ta petite famille t'attend, Olly. Ta femme a deux mots à te dire.

- Je t'interdis de parler d'elle.

- Tu te crois en mesure de m'interdire quelque chose, vieux con ? Ah, ça fait trop longtemps que tu as oublié les règles du jeu, Yellowspring. Est-ce qu'une autre blessure saurait te les rappeler ?

- J'ai plus rien à perdre, alors fais-toi plaisir.

- Tu me désespères. Vraiment."

Il s'écarta de moi avec une expression désapprobatrice sur le visage.

"Quoi qu'il en soit, la partie commence maintenant. Choisis bien tes pions. Moi, je prends Gallagher."

Je hurlai de rire sans pouvoir m'arrêter. Parlait-il sérieusement ?

"Alors là, mon vieux, hoquetai-je, tu as oublié à qui tu avais affaire ! 

- Non, mon cher Oliver. C'est toi qui as oublié."

Mon rire dément s'étrangla dans ma gorge. Et si Kanra avait toujours été liée à Freddy ? Evidemment. Quel con, quel con d'avoir occulté cette théorie. Krueger avait raison : j'étais désespérant.

Non, attends. C'est trop gros.

Tu te souviens de ce qu'elle t'a dit ? "C'est peut-être moi qui ai buté ta femme et ton gosse."

"Alors, on a retrouvé sa capacité de jugement, Oliver ?" s'enquit le croque-mitaine. 

Il me releva le menton du bout des doigts, m'obligeant à le laisser, de nouveau, plonger ses iris jaunis dans les miens.

"Kanra s'impatiente, susurra-t-il. Elle a très envie de jouer."

Et il envoya ma tête valser contre le mur de derrière, là où ma peau était déjà douloureuse. Je retins un cri et fermai les yeux de toutes mes forces, espérant me trouver ailleurs très bientôt. Si seulement j'étais encore capable de lui faire mordre la poussière...

Je crus entendre une voix me hurler quelque chose de très loin. Je rouvris les yeux, ne vis que l'obscurité. La voix se remit à hurler, et c'est avec une incompréhension totale que je la reconnus.

Cette voix était celle de Stanley White.

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