Kiri no Kodomo
Le quotidien des apprentis ninjas de l’académie est plus stimulant que Kazuto ne l’avait envisagé, bien que toujours loin de suffire à ses yeux. Les journées s’enchaînent, rythmées par des cours répétitifs, semaine après semaine.
Il y a les cours théoriques, aussi barbants qu’inévitables pour les jeunes shinobi sans expérience. Mais pour des assassins aguerris comme Kazuto et Kotsuki… apprendre les bases de la stratégie, les rudiments de premiers soins ou la survie en milieu hostile ? Franchement.
Le seul cours vaguement intéressant, c’est celui d’histoire du village. Les jumeaux, soucieux de s’intégrer, s’appliquent à tout retenir par cœur.
Les cours pratiques, eux, ont au moins le mérite d’être plus vivants.
Les lancers de shurikens, par exemple. Une formalité. Les jumeaux les survolent les yeux fermés. Ça leur rappelle leur formation à Kiri, des années plus tôt — une époque où chaque projectile n’était pas lancé sur une cible inerte, mais pour tuer avant d’être tué. L’ambiance n’était pas la même. La Brume Sanglante planait encore et toujours.
Le contrôle du chakra les captive davantage, même s’ils en maîtrisent déjà les bases. À Kiri, on leur avait appris à marcher sur les falaises. Avec un petit détail en plus : la chute pouvait être fatale.
Les cours de jutsu, en revanche, sont une surprise. Simples, oui, mais nouveaux pour eux. Leur formation, brutale et pragmatique, avait laissé de côté le ninjutsu élémentaire. À présent, ils découvrent les bases : clonage inconsistant, métamorphose, substitution. C’est comme découvrir un outil qu’on aurait dû avoir depuis longtemps.
Mais surtout, il y a les combats. Le terrain de jeu préféré de Kazuto.
L’objectif officiel : s’initier au Taijutsu. Les affrontements sont encadrés, les débordements sévèrement punis. Kazuto et Kotsuki n’ont aucun mal à dominer la majorité de leurs camarades... sauf un.
Le premier jour, Kazuto est défait. Par Neji Hyûga. Le prodige de l’académie.
Il sait que, dans un combat réel, sans limite, Neji ne tiendrait pas dix secondes. Mais il n’arrive pas à digérer la défaite. Il s’est laissé surprendre par le Jûken, le poing souple. Une technique qui cible les tenketsu, les points de circulation du chakra. Redoutable. Et, surtout, parfaitement adaptée pour contrer le style de Kazuto et de sa sœur, un art mêlant attaque et défense par la glace ou les os.
Face à un Hyûga, pour l’instant, il n’y a pas de parade.
Et ce n’est pas tout. L’un des atouts majeurs des jumeaux est leur capacité à se dissimuler dans la brume et à repérer leurs adversaires. Mais les Hyûga… voient à travers tout. Leur Byakugan perçoit même les veines du chakra.
Kotsuki, elle, n’a pas encore affronté un vrai Hyûga éveillé. Elle a bien croisé le fer avec Hiroki, mais ce dernier n’a pas encore activé ses pupilles. Le combat a été bref, au grand dam du garçon.
Elle ne mesure pas encore à quel point les Hyûga représentent une menace — surtout si Konoha décide un jour de se retourner contre eux.
Il ne faut pas oublier qu’un ninja comme Asuma Sarutobi a suffi à les battre à lui seul. Leur intégration dans le village n’est pas un luxe. C’est une question de survie.
Et pourtant… ça avance.
Après quelques mois, les ANBU cessent leur surveillance quotidienne. Même la nuit, ils sont enfin tranquilles. Les jumeaux s’en félicitent. Mais ils savent que le moindre relâchement pourrait leur coûter cher.
Et justement, leur détermination va être mise à rude épreuve.
Car Hiroki — d’habitude joyeux, bien qu’un brin gaffeur — change d’attitude. Miyu le remarque et l’interroge, inquiète. Sa réponse laisse tout le monde pantois :
« J’ai été maudit ! »
Stupeur… puis éclats de rire dans la classe. Soulagement général : c’est juste une nouvelle blague débile d’Hiroki.
« Ne riez pas ! s’exclame-t-il. Mon nom a été inscrit dans le carnet de légende ! J’en suis sûr ! »
Un rire sec et moqueur claque dans l’air. C’est celui de Neji.
« De quel carnet il parle ? » demande Kotsuki, intriguée.
Kaede se penche vers elle, voix basse :
« Une vieille rumeur. Un carnet noir, maudit, caché dans l’académie. Quiconque y inscrit un nom condamne sa cible à une suite de catastrophes. Manque de chance, humiliations, honte, désespoir… toute la panoplie. »
Kotsuki trouve ça hilarant. Kazuto, lui, lève les yeux au ciel.
« Tu ne crois tout de même pas à ces conneries, Hiroki ? Si t’es nul, ce n’est pas à cause d’une malédiction. Ou plutôt, elle n’a pas été portée par un carnet, mais par ta naissance », se moque Neji.
« Et les chutes sans raison ? Mes notes qui ont baissées ? Les poubelles renversées sur moi la semaine dernière ? Mizuki-sensei qui me réprimande que moi ?
— Tu es le seul responsable de ce qui t’arrive. Tu es maladroit et tu fais des conneries à tout va, voilà tout ! »
La réponse est cinglante, Hiroki fulmine. Il allait répliquer quand Kotsuki s’interpose.
« L’écoute pas. Ce genre de connard qui pète plus haut que son cul, ça vaut pas un mot. »
Neji reste impassible. Hiroki, en revanche, prend la mouche :
« De quoi tu te mêles ? J’ai pas besoin de ton aide. Et si ça se trouve, c’est toi qui m’as maudit. Pour m’éliminer pendant les combats !
— Sérieusement ? J’ai pas besoin d’un carnet pour te battre…
— Tu mens. Je trouverai ce carnet. Et je prouverai que c’est ton écriture ! »
Kazuto soupire :
« Bon courage pour trouver un carnet imaginaire.
— Le carnet n’apparaît que devant ceux qui veulent sincèrement maudire quelqu’un. Puis il disparaît après. Et crois-moi… avec la rage que j’ai, je vais le trouver. Même s’il faut y passer la nuit ! »
Et c’est ainsi qu’une simple crise de mauvaise foi devint… une expédition nocturne.
Plusieurs élèves, curieux ou juste en quête de frissons, décident de le suivre. Pour rire. Pour voir. Peut-être, qui sait, pour mettre la main sur l’objet maudit.
Kotsuki embarque Kazuto dans l’affaire. Moins de surveillance, plus de liberté. Et un petit goût d’aventure. Lui, il râle. Mais, comme souvent, il cède. Parce qu’elle insiste. Et parce qu’elle sourit. Neji, quant à lui, ne daigne même pas lever un sourcil. Ce genre de bêtises ne mérite pas son attention.
Ainsi, une petite équipe se forme, composée d’Hiroki en chef de fil, de Miyu, qui semble affectée par la détresse d’Hiroki, de Niko, qui ne va pas manquer une occasion pareille d’avoir une histoire folle à raconter plus tard, de Daichi, qui suit son ami Niko partout, d’Airi, qui ne veut pas manquer une occasion d’enfreindre le règlement, de Kaede, qui s’amuse beaucoup de cette histoire, de Kotsuki, voulant vivre une aventure avec ses amis, et de Kazuto, qui se demande clairement ce qu’il fout là.
Quand la nuit tombe sur Konoha :
« Tu es sûre de vouloir y aller ? » demande Kazuto pour la centième fois.
« Bien sûr ! On va s’éclater ! Ça changera de la routine.
— Ouais… sauf si on se fait choper. J’ai pas envie qu’on nous vire du village.
— Kazuto, on est des enfants. On a le droit de faire des bêtises », dit-elle avec un clin d’œil.
Il craque. Comme à chaque fois.
L’académie, d’ordinaire pleine de cris et de rires, est maintenant silencieuse. Juste quelques grincements, un peu de vent. L’ambiance idéale pour une chasse au trésor maudite.
En capes sombres, lampes à la main, les élèves escaladent la grille, non sans difficulté. À leur tête : Hiroki Hyûga, l’air grave, comme s’il partait en mission de rang A.
« Je vous préviens. S’il y a bien un moment où il peut apparaître, c’est maintenant. Le carnet sent la haine. La frustration. Il est attiré par la rancœur. »
Kazuto roule des yeux, à la traîne derrière le groupe. À ses côtés, Kotsuki rayonnante, littéralement. Tout sourire.
« Tu ne trouves pas ça amusant ? On dirait une mission secrète.
— On infiltre une école vide pour suivre un gamin parano. C’est pas une mission, c’est un sketch. »
Ils pénètrent dans l’académie par une fenêtre laissée déverrouillée à dessein ce jour-là. Les couloirs, baignés dans la pénombre, paraissent bien plus inquiétants que d’ordinaire. Les lampes projettent des ombres dansantes sur les murs. Quelqu’un éternue. Un autre laisse échapper un cri en trébuchant sur une serpillère.
« Silence ! » gronde Hiroki.
« Le carnet ne se laissera pas trouver par des abrutis. »
Il conduit la petite bande dans le dédale des couloirs, entrant dans chaque classe, fouillant chaque casier. Retournant chaque dalle des plafonds, Hiroki manque même de passer par une fenêtre en tombant, sauvé in extremis par Kotsuki, plus rapide que l’éclair. Il met cette chute sur le dos de la malédiction, remerciant sommairement sa sauveuse et repart explorer l’académie, examinant chaque recoin, même les toilettes. Après deux heures de recherche intensive et aidé de son équipe, même de celle de Kazuto, il ne reste plus qu’un endroit à fouiller, le bureau du directeur, verrouillé, évidemment.
« Tu veux qu’on défonce la porte, aussi ? » souffle Kazuto, sarcastique.
Mais Kotsuki, toujours joueuse, sort une petite pince de sa poche et fait sauter le verrou d’un geste habile. Tous les regards se tournent vers elle, un mélange de stupeur et d’admiration dans les yeux.
« Vieilles habitudes », dit-elle simplement, toujours souriante.
À l’intérieur, l’atmosphère est plus lourde encore. Un bureau massif trône au centre de la pièce, couvert de papiers, de rouleaux, de petits objets officiels. Sur une étagère, un carnet noir, bien visible, attire tous les regards. Sa couverture, usée, porte des coins écornés et un ruban rouge glissé entre deux pages.
Hiroki s’en empare avec précaution, comme s’il touchait une relique maudite.
« C’est lui. Je le sens. »
Il l’ouvre avec lenteur… et fronce les sourcils.
« Qu’est-ce que… ?! »
Les autres élèves se pressent autour de lui. Sur la dernière page, s’alignent des noms et des remarques. Des noms, qu’ils connaissent, certains sont même présents dans la pièce.
"Hiroki Hyûga : tempérament orgueilleux, tendance à sous-estimer ses adversaires, besoin de confrontation."
"Shikamaru Nara : somnolence en cours, probable déficit d’attention."
"Kotsuki Yuki : passé trouble, nécessite une surveillance."
"Kazuto Yuki : passé trouble, nécessite une surveillance."
Un silence tombe dans la pièce. L’intérêt des élèves présents n’est plus de savoir si Hiroki est maudit ou non, mais de savoir quel est ce passé trouble, dont parle le directeur. Les murmures commencent. L’un des élèves, choqué, laisse tomber sa lampe.
« Alors… c’est le directeur qui porte malheur aux élèves ?
— Daichi, tu n’es plus dans le moment », répond Niko.
« Mais c’est pour ça que Hiroki s’est mis à tout rater ! Il est maudit ! »
Hiroki pâlit davantage, les mains tremblantes.
« Je le savais… Mais, c’est quoi, le passé trouble dont parle le directeur ? » demande-t-il accusateur.
Kazuto soupire longuement.
« Vous savez qu’on vient de Kiri, non ? C’est de ça qu’il parle. Ils avaient assez confiance pour nous intégrer, mais pas sans surveillance visiblement, c’est tout. Y a rien de trouble dans notre passé, vous nous connaissez maintenant, non ? »
La justification de Kazuto semble avoir rassuré le groupe, bien qu’Hiroki décide intérieurement de mener l’enquête.
« Quant aux accusations d’avoir lancé une malédiction, tu vois bien que ce n’est pas moi », déclare Kotsuki.
« Il y a même mon nom et celui de mon frère dans ce carnet.
— On ferait mieux de remettre ça à sa place avant que quelqu’un remarque notre intrusion », ordone Kazuro.
Ce qu’ils font, non sans mal. Puis ils quittent l’académie, plus silencieux qu’à l’aller.
Le lendemain, Kazuto n’attend pas la fin du cours pour approcher Mizuki sensei, souhaitant que toute la classe entende.
« Sensei. Je peux vous poser une question ?
— Je t’écoute.
— Vous avez déjà entendu parler de la légende du carnet noir… maudit ? »
Mizuki hausse un sourcil, puis éclate de rire.
« Ah ça ! Oui, cette vieille histoire… Le fameux carnet qui vole la chance ? »
Il tapote son bureau.
« Ce ‘’carnet’’ existe bel et bien. C’est le carnet de notes du directeur. Il y consigne les élèves qui nécessitent une attention particulière. Ce n’est pas une malédiction, c’est de la pédagogie. »
Kazuto le fixa un moment, puis hoche lentement la tête.
« La malédiction n’existe pas, mais Hiroki n’a réellement pas de chance et les jumeaux ont été frappés de malchance aussi cette nuit. Puisque maintenant, on sait qu’ils nous cachent des choses », chuchote Niko à Daichi.
Les autres élèves, rassurés quant à l’inexistence d’une malédiction, reprennent le cours de leur vie.
Quelque chose a changé, de nouveaux liens se sont créés, des liens qui pourraient changer leur vie à jamais.