Kiri no Kodomo
Le grincement métallique des gonds mal huilés résonna dans la cellule lorsque l’un des ninjas de la police de Konoha vint y enfermer Kotsuki. Kazuto l’attendait déjà, son interrogatoire ayant eu lieu en premier. Il la sentait approcher, tout comme elle savait qu’elle le rejoignait. Tous deux percevant la présence de leur mère, quelque part au-dessus d’eux. Son chakra semble stable. Elle va bien.
Dans une pièce bien moins austère, mais tout aussi dénuée de chaleur, noyée dans un blanc cassé fade, une femme terrorisée attend qu’on vienne s’occuper d’elle. Allongée sur un lit, la jambe couverte d’un bandage de fortune, elle peine à rester immobile. La douleur lancinante ne faisant qu’ajouter à son stress. L’attente lui semble interminable.
Elle sursaute lorsque la porte s’ouvre sans prévenir. Un homme vêtu de blanc des pieds à la tête entre sans frapper, sans dire un mot. Il ne lui jette pas même un regard. D’un geste précis, il ôte le bandage. Puis, les mains jointes, il forme un mudra. Quelques secondes plus tard, il les approche doucement de la jambe meurtrie. Sans la toucher, il concentre son chakra. La douleur commence à s’estomper, lentement, comme aspirée par la chaleur diffuse de l’énergie médicale.
La femme, d’abord tendue, relâche peu à peu ses muscles crispés. Cet homme n’était pas là pour la blesser.
« Bonjour… Est-ce que… Est-ce que je peux vous demander où sont mes enfants, s’il vous plaît ? »
Aucune réponse. L’homme continue sans un mot, soignant la blessure jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une marque pâle, comme un souvenir ancien. Puis il se relève et quitte la pièce, toujours sans lui adresser le moindre regard. Une nouvelle attente commence. Tout aussi interminable.
Plusieurs personnes entrèrent, tanto pour prendre du matériel stocké dans un placard de la petite pièce, tanto pour chercher quelque chose sans le trouver, mais sans jamais lui adresser un mot. Au début, elle ne disait rien non plus, mais elle finit par perdre patience et poser des questions.
« Pourquoi tout le monde m’ignore ? »
« Est-ce que je suis invisible ? »
« Répondez-moi à la fin ! »
Questions qui ne trouvèrent jamais de réponse. Devait-elle sortir de cette pièce pour que quelqu’un lui accorde de l’attention ? Elle n’osait pas se lever. L’indifférence dont elle était victime la faisait se sentir sale, malade et contagieuse. Elle ne comprenait pas pourquoi tant de distance. Qu’avait-elle fait, si ce n’est fuir pour sa vie ?
Une nouvelle personne entre dans la pièce et, cette fois, un regard. C’est la première fois qu’un regard se pose vraiment sur elle. Pas un regard curieux, ni fuyant. Un regard humain. Puis un sourire.
« Bonjour, comment va ma patiente ? »
C’était un homme grand, bien bâti, au style impeccable. Tellement lisse que la mèche blanche dans ses cheveux, malgré son jeune âge, la trentaine environ, tranchait avec le reste.
« Je… Je ne comprends pas. Pourquoi tout le monde m’ignore ? Où sont mes enfants, s’il vous plaît ?
— Je ne vous ignore pas. Quant à vos enfants, je comprends bien. C’est tout naturel. »
Il marque une pause, réfléchissant à la manière dont il allait transmettre ses informations.
« Ils sont en train d’être interrogés. Au vu de leurs antécédents, des précautions s’imposent…
— De leurs antécédents ? De quoi parlez-vous ?
— Ce sont de puissants ninjas du village de Kiri qui ont… Le médecin marque une pause. Qui ont effectué des missions en concurrence avec notre village. Dites-moi, que savez-vous de l’activité de vos enfants ?
— Eh bien, ce sont mes enfants. Je les ai portées, mis au monde et élevées. Ils ont été très vite formés aux arts ninja sous la tutelle de leur père puis de l’académie des ninja de Kiri. D’après mon mari, ils avaient des prédispositions pour devenir de grands ninjas. Pourquoi cette question ?
— Avez-vous des détails sur leurs activités de ninja ? Savez-vous de quoi vos enfants sont capables ? »
Un flash de la nuit où ils se sont sauvés lui revint en mémoire. Sa fille avait tué un ninja de Kiri. Puis son fils en avait décapité deux autres sans la moindre hésitation. Leurs visages, leurs magnifiques visages enfantins étaient maculés de sang et ils restaient de marbre. Ils étaient calmes, comme si tout ceci était normal ! Elle se mit à trembler.
« Non. Non, je ne sais pas de quoi ils sont capables. Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils sont bons et gentils. S’ils ont fait du mal, c’est parce qu’ils n’avaient pas le choix ! Sa voix se faisait de plus en plus agitée.
— À qui ont-ils fait du mal ? demanda calmement le médecin ?
— Je ne sais pas, moi, c’est vous qui insinuez des choses ! Elle criait, c’en était trop ! Je veux voir mes enfants !
— Cela ne sera pas possible pour le moment. Je vais devoir vous demander de vous calmer…
— Je me calmerai quand j’aurai vu mes enfants ! »
Elle s’était levée sans même s’en rendre compte. Sa voix claquait comme un fouet.
« J’ai les moyens de vous calmer si vous ne le faites pas vous-même. »
Sa voix était toujours aussi calme, mais ferme. Plus aucune émotion ne transparaissait. Après quelques secondes de silence, il reprit, plus avenant.
« Recommençons depuis le début, je suis Seijuro Kurobane, chef de l’unité neuropsychiatrique de l’hôpital de Konoha. Enchanté de vous rencontrer, Madame ?
— Yuki. Hotaru Yuki.
— Je ne suis pas votre ennemi, madame Yuki, je suis là pour vous écouter. Racontez-moi ce qu’il vous est arrivé en commençant depuis le début.
— Eh bien, je… d’accord. Tout commence dans les ruines du village Uzushio. C’est là que je vivais, dans une communauté de personnes recluses. J’avais entendu dire que le village de Konoha était un allié du clan Uzumaki dont je fais partie. J’avais prévu de venir vivre chez vous. J’avais besoin d’un peu de temps pour me préparer, et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon mari. Un ninja de Kiri venu en mission pour faire ‘’ régner ‘’ l’ordre à Uzushio. Dans les faits, ils étaient surtout là pour nous voler le peu que nous avions et nous maltraiter. Et quand je dis maltraiter, je suis loin de la réalité… »
Un voile passa devant ses yeux. Les souvenirs refaisaient surface, elle ressentait la douleur dans sa chair, comme aux moments des faits. Le docteur Kurobane le comprit et la laissa reprendre ses esprits sans rien dire, patiemment. Elle finit par reprendre son récit.
« Mais mon mari, ou plutôt celui qui allait devenir mon mari, était différent. » Il ne montrait rien devant les autres ninjas, mais il faisait preuve d’empathie. Il ne maltraitait personne, il essayait même d’empêcher les autres de nous faire du mal quand il le pouvait. »
Un sourire se dessina pour la première fois depuis plusieurs jours sur son visage.
« Il est tombé amoureux de moi et j’avoue ne pas avoir été insensible à ses charmes, alors quand il m’a proposé de le suivre, j’ai accepté. Je n’irai pas à Konoha, mais j’allais à Kiri et je n’étais plus seul. Nous avons eu deux enfants ensemble, des jumeaux. Un garçon et une fille. Deux enfants exceptionnels. J’y ai passé les meilleures années de ma vie. »
Le docteur Kurabane nota un geste, furtif, sur le visage de la femme en face de lui. Elle ne disait pas toute la vérité, il y avait du chagrin dans son regard malgré ses dires. Cependant, il ne l’interrompit pas pour en savoir plus.
« Mais mon mari avait un pouvoir héréditaire, comme ils l’appellent. Et ça posait problème. Nous étions discriminés. Pour éviter tout danger, nous vivions même un peu à l’écart du village. Cela nous a valu plusieurs attaques de clans extérieurs, mais mon mari nous protégeait. Seulement, il en avait marre de donner sa vie et de toujours être un paria. Il voulait que ça change et avait formé un nouveau mouvement avec des alliés partageant ses idéaux. Au début, c’était seulement des réunions à la maison. Et puis c’est devenu plus sérieux. J’étais mise à l’écart. Ça ne me gênait pas plus que ça, je n’étais pas tellement intéressé par la politique. Je soutenais mon mari lorsqu’il en avait besoin sans m'immiscer dans ses affaires. »
Une lueur de regret traversa son visage. Elle se disait que tout ça aurait pu être évité si elle s’était immiscée dans les affaires politiques de son mari justement.
« Je ne le savais pas, mais ils avaient prévu un coup d’État. Ils ont… Ils ont attaqué les dirigeants du village. »
Elle sanglotait en racontant cette partie de l’histoire. Seijuro ne l’interrompit pas, toujours patient.
« Mais ils ont échoué dans leur tentative. Il voulait fuir avec nous, mais il a été rattrapé devant notre maison. Les enfants ont voulu intervenir, mais ils n’ont pas été assez rapides. Ils ont… »
Les sanglots rendaient la compréhension impossible. Mais à aucun moment elle ne fut forcée à reprendre, à se calmer ou même à faire une pause. Elle pouvait se lâcher librement, sous la bienveillance du médecin.
Lorsqu’enfin elle se fut quelque peu calmée, elle reprit son récit.
« Ils ont tué mon mari sous nos yeux, sans le moindre état d’âme. Nous étions les prochains. J’ai fermé les yeux quand une lame allait s’abattre sur moi. Mais le coup ne vint jamais. Quand j’ai rouvert les yeux, ils étaient tous morts. Kazuto m’a pris dans ses bras. Dans ses si petits bras. Et puis il y eut une explosion. Notre maison vola en éclats. C’est à ce moment que je fus brûlée. Kazuto m’a protégé, je ne sais pas comment. Et nous sommes parties. Notre fuite a pris des jours et des jours. Nous étions traqués comme des bêtes. »
La tristesse dans sa voix laissa place au dégoût.
« Mes enfants m’ont protégé. C’était mon rôle pourtant, mais je… J’étais dépassé par les évènements. C’est quand même moi qui leur ai dit d’aller à Konoha ! C’est là que je voulais aller, quand j’étais jeune. J’y vois encore un espoir… un salut. Laissez-nous vivre ici, je vous en prie ! »
La plainte était sincère, puissante, pleine d’un désespoir retenu. Hotaru Yuki, cette femme brisée mais droite, avait parlé avec ses tripes. Seijuro Kurobane ferma son carnet de notes, lentement, presque cérémoniellement. Il resta silencieux un instant, comme pour donner du poids à la dernière phrase de la mère, comme pour la laisser exister pleinement dans l’espace. Puis il hocha doucement la tête.
« Merci, madame Yuki. Vous venez de me confier quelque chose de précieux. Votre vérité. »
Sa voix s’était adoucie, à la fois grave et rassurante.
« Je vais faire en sorte que ceux qui doivent entendre cette histoire puissent la recevoir avec toute la nuance qu’elle mérite. »
Hotaru le regardait, les yeux rouges, mais un peu plus clairs. Comme si, l’espace d’un instant, l’épaisseur de l’angoisse qui l’étouffait avait reculé d’un pas. Elle ne savait pas si elle pouvait lui faire confiance, mais elle avait l’impression, pour la première fois depuis des jours, qu’un adulte l’écoutait vraiment.
Seijuro Kurobane se leva, posa une main légère sur son épaule, un contact simple, mais humain, sans condescendance.
« Reposez-vous. Nous allons tout faire pour que la vérité ne se perde pas dans les procédures. »
Il lui donna d’abord un sédatif, avec un regard empli d’empathie, puis s’apprêta à quitter la pièce.
« Vos enfants sont vivants. Et ils vont bien. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment. »
La porte se referma doucement derrière lui, cette fois sans fracas. Le silence revint, mais il n’avait plus la même texture. Il n’était plus écrasant, il était plein d’espoir.