Les Chroniques d'un shinobi

Chapitre 4 : Seconde chance

2679 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/12/2024 12:38

Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y

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Les minutes s’égrenaient, interminables. Bras croisés et adossé à un mur, Tokri attendait patiemment que son tour soit annoncé par les examinateurs. Il y a un an, ces mêmes murs avaient résonné des ricanements impitoyables de ses camarades. Ce jour-là, son échec l’avait marqué au fer rouge, gravant son nom dans les mémoires de son ancienne promotion comme celui du garçon incapable. Une réputation qui s'était répandue au sein de ses nouveaux camarades.

Aujourd’hui, le résultat serait infiniment différent. Il y avait veillé. Le jeune homme excellait toujours autant en taijutsu grâce à l’entraînement rigoureux de son grand-père. Chaque coup et chaque esquive de Tokri témoignaient des heures passées sous la férule inflexible de son grand-père. En parallèle, son contrôle du Chakra s’était amélioré. Il était à présent capable de réaliser les techniques de base, telles que celui d'emprunter l'apparence d'autrui, qui lui avait causé un si cuisant échec à sa précédente tentative. L’Utak se mordit une lèvre, chassant une énième fois ce souvenir de son esprit. Cette fois, l’échec n’était pas une option.

Immobile, l'Utak balaya la salle du regard. Les autres étudiants semblaient être dans un terrible état de stress, provoquant une impression de déjà-vu chez le jeune homme. Des gouttes de sueur perlaient sur les fronts des candidats, à l’inverse de Tokri, droit et concentré. Non loin de lui, une jeune fille rouge écarlate, brune aux méches violettes cachant son visage, ne cessait d’inspirer profondément et d’expirer le plus longtemps possible pour tenter de calmer sa crise d’angoisse. Bien qu’elle fît partie de sa nouvelle promotion, l'Utak était incapable de se souvenir de son prénom. Il n'avait jamais cherché à nouer de liens avec ses camarades, conscient que chacun avait une espérance de vie limitée.

La porte de la salle s’ouvrit, laissant apparaître l’un de ses anciens professeurs par l’entrebâillement.

— Tokri Utak.

Lorsqu’il passa devant son formateur, l’aspirant le vit cocher la case d’un formulaire. Son rôle semblait de faire l’appel des jeunes, ce ne serait pas lui qui allait décider s’il avait le niveau ou non pour devenir Genin.

L’adolescent se posta devant les deux examinateurs, confortablement assis derrière leur bureau. Ils avaient posé les dossiers des étudiants en pile devant eux, et les bandeaux au sablier y étaient également alignés. Tokri reconnut l’un des membres du jury qui fumait une cigarette. Au regard du barbu, l’adolescent comprit qu’il ne l’avait pas oublié.

— On retente sa chance ? demanda-t-il sans animosité, en éteignant sa cigarette dans un cendrier face à lui.

L’étudiant opina du chef, bien qu’il soupçonnât que le ton interrogateur n’était que formel. L’odeur de tabac froid chatouillait désagréablement les narines de Tokri, qui fit de son mieux pour retenir une remarque déplacée à ce sujet.

— S’il est ici aujourd’hui, j’en déduis qu’il avait échoué ? interrogea le second examinateur, un trentenaire aux cernes témoignant d’un grand manque de sommeil.

— D’une manière lamentable, ricana son collègue. Il n’avait pas su faire un Henge.

— Vraiment ? s’étonna d’une voix lasse celui en déficit de sommeil. Le taux de réussite avait pourtant été plus haut que la moyenne des années précédentes.

L’homme semblait véritablement surpris, et sans jugement envers Tokri. La remarque le piqua toutefois au vif.

— Je peux passer mon examen ? les coupa le jeune homme, impatient d’en finir.

Le barbu resta impassible, et adressa un signe de tête à son collègue. Ce dernier comprit que l’épreuve pouvait commencer.

— C’est très simple, dit-il. Produis un Bunshin.

Le Bunshin était une technique de genjutsu, aussi appelé clone inconsistant. Comme son nom l’indiquait, le double n’était qu’un nuage de Chakra sans existence propre. Il ne pouvait pas interagir avec son environnement, au contraire d’un autre jutsu de clonage bien plus complexe à réaliser.

Tokri ferma les yeux et fit fusionner ses énergies. La froideur de son Chakra s’enroula autour de son ventre, mordant comme de la glace vive. La respiration lente, il sentit que l’angoisse risquait de le submerger. Les souvenirs de ses heures d’entraînement s’imposèrent soudainement à lui : les ordres secs de son grand-père, les difficultés le désespérant, son corps meurtri par l'entraînement qui n’avait fait que renforcer sa résolution. Il balaya mentalement le négatif et se concentra sur ses réussites : les petits triomphes arrachés au prix de sa sueur et de sa persévérance. Il n’était plus l’aspirant brisé de l’année dernière.

Ses mains tremblèrent légèrement, mais il les força à se stabiliser. Le cœur battant, Tokri composa furieusement les signes incantatoires, témoignages de sa farouche volonté, et invoqua un clone à sa droite. Le Bunshin était parfait, une copie irréprochable. Mais Tokri n’en avait pas terminé. Une étincelle de défi dans le regard, un sourire carnassier fendit ses lèvres tandis qu’il bondit sur son sosie, qui esquiva un crochet du droit.

L'Utak et son clone se livrèrent à une simulation de combat. Tout en prenant garde à ne pas dissiper son double en le touchant malencontreusement, les Tokri enchaînèrent frappes et parades spectaculaires, jusqu'à se séparer d’un bond. L'original concentra son Chakra dans sa jambe droite puis bondit sur son clone afin d’effectuer la technique que lui avait enseignée son grand-père. Son pied heurta le visage du clone de plein fouet, le dissipant en une fine fumée. Les examinateurs applaudirent sa performance.

— Excellent ! s’exclama avec enthousiasme le barbu, à la stupéfaction de l'Utak. Rien à voir avec l’année dernière ! Petit, tu as fait de sacrés progrès !

— Si une équipe est disponible, tu seras convoqué très prochainement pour une affectation, ajouta son collègue avec un petit sourire.

Satisfait, Tokri prit le bandeau que lui tendait l’examinateur et le rangea dans sa poche. Il sourit en songeant à l’ambiance bien différente qui l’attendait chez lui par rapport à son premier passage.

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Bras derrière le dos dans une posture militaire, son grand-père l’attendait de pied ferme sur le pas de la porte. Un bref instant, Tokri se demanda si le vieil homme avait l’intention de le mettre à la rue en cas d’échec.

— As-tu réussi ?

Un petit sourire au coin des lèvres, Tokri sortit le bandeau de sa poche.

— Ouais, répondit-il simplement, savourant la joie incrédule qui s’empara du regard de son aïeul.

Ne pouvant retenir une brève exclamation victorieuse, Bril relâcha ses épaules de soulagement. Durant les dernières semaines, le vieil homme n’avait fait aucun effort pour masquer son inquiétude. Pour la première fois depuis bien longtemps, Tokri vit son grand-père sourire sans retenue. L’ancien militaire rigide avait cédé la place à l’homme qui l’avait élevé avec amour, malgré la trahison de son propre fils. L’adolescent sentit son cœur gonfler de la chaude affection qu’il entretenait pour son aîeul, malgré les désaccords qui avaient abîmé leur lien.

— Enfin !

Le silence qui suivit ce simple mot en disait long. En réponse, le dernier-né de la famille se contenta de le fixer, attendant qu’il précise sa pensée. Pour toute réponse, Bril lui adressa un sourire empli de fierté.

— Il faut fêter ça ! annonça le retraité. Ta tante et son mari viennent dîner chez nous ce soir.

— Okioto va également venir ? demanda Tokri avec espoir, relevant intérieurement qu’il n’avait pas attendu son retour pour les inviter.

— Évidemment, répondit Bril. D’ailleurs, il me semble qu’il a une nouvelle à t’annoncer.

— Vraiment ? s'étonna l’adolescent, tandis que le vétéran rejoignit son salon d'un pas guilleret.

Cela faisait longtemps que Tokri n’avait pas vu son grand-père d’aussi bonne humeur. Œuvrant à l’arrivée des convives en compagnie de son petit-fils, Bril lui fit la surprise de se mettre à siffloter. De son côté, Tokri élabora théorie sur théorie concernant la surprise que lui réservait son aîné.

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Le soir venu, le repas préparé par Tokri fut plébiscité par l’ensemble de sa famille. Le salon embaumait d’odeurs de curry et de légumes grillés.

— C’est délicieux ! Mon cher neveu, tu t’es surpassé ! le félicita Utika.

Le concerné la remercia d’un sourire. Bien qu’il la trouvât très caractérielle, le Genin avait toujours ressenti énormément d’affection pour sa tante. Il savait que la désertion de son père avait laissé des traces pour la grande soeur qu'elle avait été, et il lui était d’autant plus reconnaissant qu’elle lui avait offert sa présence durant son enfance. Pour le petit garçon traumatisé, Utika avait été une figure maternelle de substitution.

La dame était une belle brune au visage anguleux, coiffé court dont seules quelques mèches tombaient sur les côtés du front jusqu’à encadrer ses joues. Bien que s’approchant des cinquante ans, Utika en paraissait dix de moins. Le cadet des Utak s’étonnait de la redécouvrir coquette en la voyant troquer sa blouse d’infirmière contre d’élégantes robes lors des soirées de famille comme celle-ci.

— C’est bien meilleur que ce qu’on mange chez nous ! déclara Ryul Boshi, mari de Utika.

L’oncle par alliance de Tokri regretta vivement ses paroles lorsqu’il reçut un coup de poing derrière la tête qui plongea son visage dans son assiette. Okioto ricana à cette scène.

— Tu te plains de te faire frapper, mais tu devrais peut-être essayer de moins la provoquer ? suggéra-t-il malicieusement à Ryul.

— Comme si elle avait besoin d’être poussée pour être agressive, répondit Ryul en se massant le point de choc.

— Ferme-la, rétorqua froidement Utika en lui jetant un regard noir.

— C’est sûrement de famille, ne put s’empêcher de surenchérir Ryul.

Utika adressa un regard noir à Ryul, qui leva les mains en signe d’innocence. Tokri, amusé, se rappela combien leurs chamailleries avaient éclairé son enfance dans les moments les plus sombres. Légèrement plus jeune que Utika, cheveux courts et toujours propres sur lui, Ryul était physiquement l’archétype du bel homme charmeur. D’un esprit très enfantin flirtant avec le puéril, cela ne l’empêchait pas d’être un brillant médecin, au point d’avoir été nommé depuis peu directeur de la branche chirurgie de l’hôpital de Chikara. Bien que Bril aurait préféré un gendre davantage versé dans l'art du combat, il ne perdait pas une occasion pour manifester son contentement dans le choix de sa fille pour le médecin.

Le Genin ignora les chamailleries de son oncle et sa tante pour s’adresser à son frère.

— Grand-père m’a dit que tu devais m’annoncer quelque chose.

Okioto jeta un regard mi-amusé mi-accusateur à son ancien sensei qui détourna les yeux.

— Tu n’as pas pu t’en empêcher ?

— Je ne lui ai rien précisé, le rassura Bril d’un sourire complice.

— Tu ne changeras donc jamais, ricana Okioto à la moue faussement innocente de son grand-père. Incapable de tenir ta langue.

Tant bien que mal, Tokri faisait de son mieux pour masquer son impatience. Le Genin soupçonna son aîné de le taquiner lorsqu’il le vit prendre son temps à finir un verre d’eau avant de déclarer :

— Puisque tu es passé Genin, je voulais te proposer de venir vivre avec moi, lui proposa-t-il.

— Dans la maison de nos parents ? s’exclama le jeune homme, entre excitation et crainte.

L’émotion lui noua la gorge. Il peina soudainement à reprendre son souffle, frappé par le dernier souvenir dans cette demeure qu’il avait quitté dans les bras de sa mère en panique pour ne plus jamais y revenir, son château de sable piétiné par les bottes de Uril. Un silence douloureux s’installa autour de la table. Bril baissa la tête, le regard soudainement brillant tout comme celui de Utika. Le souvenir du fils et frère meurtrier restait une blessure à plaie ouverte pour les Utak, malgré les années qui s'étaient écoulées depuis le drame. Uril avait été pour Bril un brillant héritier, jusqu’à son crime incompréhensible.

Tokri comprenait la logique implacable de son frère. Quel meilleur moyen que de conserver toute sa motivation pour sa mission que de vivre dans la maison du drame qui avait bouleversé sa vie ? Si sa volonté faiblissait à l’avenir, il n’aurait qu’à faire un tour des lieux pour raviver la flamme. Mais cela ne risquait pas également de lui faire plus de mal que de bien ?

— Ce n’est qu’une proposition, le rassura affectueusement Okioto en posant une main sur son épaule. Je comprendrais que tu refuses.

Le sourire de Okioto fit jaillir des souvenirs plus heureux dans l'esprit de Tokri. Cette maison n’était pas que le lieu du drame qui avait brisé leur famille. Il était également le temple de la vie joyeuse de leurs premières années : les jeux partagés avec son aîné, alors qu’il profitait des nombreuses plantes de leur mère pour du cache-cache. Les initiations au lancer de kunai lorsque son aîné avait intégré la formation shinobi de l’Académie…

Le jeune Utak ne tergiversa pas plus longtemps, son âme ayant décidé pour lui.

— J’accepte, décida Tokri avec détermination.

— Tu es sûr de toi ? lui demanda Ryul, inquiet. Ce n’est pas une décision à prendre à la légère, Tokri.

— J’en suis sûr, confirma le Genin d’un hochement de tête en fixant son assiette. C’est là bas que tout a commencé. Notre histoire doit s’y poursuivre.

Un nouveau silence pesant s’installa entre les convives durant les quelques secondes qui suivirent. Le jeune homme prit conscience que les visages de Utika et Ryul, bien qu’anxieux, s’étaient teintés de fierté pour leur protégé. Tandis que Ryul se mordillait la lèvre et que Utika jouait nerveusement avec sa fourchette, Bril décida de briser ce troublant silence avant qu’il ne s’installe durablement.

— On passe au dessert ? suggéra-t-il innocemment.

La bonne humeur reprit lentement place jusqu’au départ des invités. Utika, Ryul et Okioto félicitèrent une dernière fois Tokri pour sa promotion avant de les quitter.

— Gomaki viendra nous aider pour le déménagement, l’informa son aîné. Prépare tes affaires dans la matinée, on gagnera du temps.

Son cadet acquiesça d’un hochement de tête.

— Je suis heureux que tu viennes vivre chez moi, mon frère, lui répondit Okioto en un large sourire, ravi.

— Chez nous, rectifia Tokri.

Okioto serra son protégé dans ses bras, qui lui rendit son étreinte. Cela faisait bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas sentis aussi proches l’un de l’autre. Le Juunin le saisit par les épaules et plongea son regard dans le sien, tous deux déterminé sur la voie qu’ils avaient choisis.

— On l’aura, Tokri. Ensemble.

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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU


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