Les Chroniques d'un shinobi

Chapitre 2 : Le Serment

3103 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/11/2024 10:55

Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y

****

Levant les yeux de son ouvrage, Tokri balaya du regard la salle d’attente de l’examen Genin. Les visages familiers de ceux ayant partagé sa scolarité affichaient des expressions variées, allant de l’angoisse à la confiance absolue. Pour beaucoup, ce jour représentait l’aboutissement d’années de formation.

Les ninjas étaient formés au sein d’un cursus spécifique de l’Académie. Ceux ayant réussi la formation militaire devenaient des Genins. Après avoir approfondi leur formation sous l’encadrement d’un gradé, ils intégraient le corps d’armée en obtenant le statut de Chuunin. Les meilleurs finissaient par être nommés Juunin, l’élite du Village, et seuls les plus doués, triés sur le volet, atteignaient le rang de Kuunin.

Le plus haut poste de la hiérarchie militaire était celui du Kage, le dirigeant du Village. C’est à lui que revenait la tâche de diriger les différents chantiers régissant la vie de la cité, de l’économie jusqu’au social. En somme, le présent et l’avenir du Village reposaient sur ses épaules.

Se demandant distraitement combien de ses camarades seraient encore en vie l’année prochaine, l'Utak soupira de dépit, et se replongea dans l’introduction de son livre d’Histoire.

Shinnen était un archipel constitué d’une vingtaine d’îles.En dehors de mythes et légendes, on ne disposait d’aucune information crédible au-delà de Hokuto, l’île où vivait Tokri Utak. Les modes de vie des samurais et des pirates auraient été ainsi importés d’îles lointaines, bien qu’aucune trace écrite ne prouvât leurs origines étrangères.

D'une superficie immense, Hokuto était divisée en plusieurs pays aux climats diversifiés, où les ninjas avaient farouchement implanté leur culture. Au fil des siècles, ces guerriers de l’ombre avaient veillé à ce qu’aucun autre mode de pensée ne menace leur hégémonie. Les samouraïs et pirates en avaient fait les frais, entre autres.

Si Shinobi n’avait pas instauré notre suprématie, une autre culture l’aurait fait à notre place. Tokri se demandait bien souvent à quelle point cette conviction de son grand-père était vérifiée. Les pirates aggraveraient certainement la corruption du monde, mais les samouraïs auraient-ils réussi à instaurer une véritable paix ?

Tokri fit glisser ses doigts sur les pages jaunies, traçant distraitement les contours des croquis du Yuukan, le pays central tant géographiquement que politiquement de l’île. D’un climat tempéré, débordant de ressources naturelles et bordé de mers à l’Est et à l’Ouest, ses paysages emblématiques comportaient un immense désert au Sud et un marais au Nord, ainsi qu’une forêt de taille considérable à l’Est. Deux chaînes de montagnes marquaient les frontières avec ses voisins : les Montagnes Blanches à l’extrémité sud, le séparant de Nagame, et les Monts Fuji au nord, délimitant la fin de son territoire avant les blanches contrées de Heiki.

Durant plusieurs siècles, le Yuukan fut dirigé par un unique Village : Shinobi. Escomptant s’étendre sur les terres du Sud, le Kage découvrit que le Nagame appartenait à un autre Village de puissance équivalente : Himitsu. N’ayant jamais connu de rival, le Kage balaya les rares conseillers qui ne partageaient pas son bellicisme et déclara la guerre afin d’éliminer la plus grande menace à sa pérennité. Au terme de trois ans de batailles, Himitsu finit par être annihilé par son ennemi juré, qui exerça alors son hégémonie sur l’ensemble de Hokuto.

— Celui qui verse le plus de sang sera toujours le maître, marmonna Tokri avec cynisme.

Le jeune homme leva un œil pour vérifier l’heure. Au-dessus de la porte de la salle d’examen, la vieille horloge lui indiqua qu’il devait lui rester encore quelques minutes avant le prochain appel. Autour de lui, un silence concentré régnait toujours, seulement brisé par les tic-tac de l'antique cadran horaire. Quelques-uns se chuchotaient quelques conseils de dernière minute. Les ignorant, Tokri se replongea dans sa lecture.

Après des siècles de règne sans partage, Shinobi provoqua lui-même son déclin. Déchiré par des conflits internes, plusieurs dissensions au sein de sa population donnèrent naissance à des Villages indépendants qui s’éparpillèrent à travers les pays d’Hokuto. Shinobi parvint à maintenir son influence sur ses enfants durant cinq siècles, jusqu’à ce que la Seconde Grande Guerre Ninja rayât totalement la cité mère de la carte, au profit de ceux que l’on appelle désormais «Les Trois», en une Alliance que chacun savait ténue. Par l’emploi du terme « shinobi » pour désigner la profession de ninja, le fantôme de la cité mère continuait de hanter ses enfants.

Tokri stoppa brièvement sa lecture, se remémorant les nombreuses histoires que lui avait raconté son grand-père sur cette période. Le vieil homme avait passé l’essentiel de son début de carrière au front, gravissant les échelons dans le fracas du champ de bataille. Il avait même été témoin de la chute finale de Shinobi, bien que le vétéran évitait de s’épancher sur ce sujet sensible, hanté par le souvenir du jour où le ciel avait été noyé des cendres de la Mère. L'aspirant se mordit une lèvre, partagé par son admiration pour le héros qu’avait été son grand-père et l'étouffante pression que représentait son héritage.

N’ayant connu que la violence de la vie de shinobi, ne pouvait-il pas comprendre que son petit-fils aspire à autre chose ? Ne s'était pas battu pour le lui permettre ?

En un soupir, Tokri hésita à poursuivre sa lecture entre le chapitre sur Mahou, le Village de la Forêt, ou celui sur Gensou, cité de la Cascade située dans les marais du Yuukan, lorsque la porte de la salle d’examen s’ouvrit sur le visage rayonnant d’un étudiant. Une voix l’appela de l’intérieur, le jeune Utak soupira et rangea à contrecœur son livre.

Devant lui se trouvaient deux hommes, l’un plus âgé que l’autre. Les examinateurs avaient disposé devant eux les bandeaux du Village, sésame à la carrière de ninja. Un sablier était gravé sur chacun d’entre eux, symbole de Chikara. Lorsqu’un étudiant réussissait son examen, l’un de ces bandanas lui était remis. Le ninja pouvait le porter ou non, à sa convenance. Cette tradition hokutonienne remontait au temps de la première fracture de l’antique Shinobi et, au-delà du témoignage d’appartenance à son Village d’origine, servait de laissez-passer pour les ninjas souhaitant se rendre dans l’un des autres Villages alliés.

Le plus jeune des examinateurs, visage imberbe et cheveux blonds mi-longs, lui adressa un sourire chaleureux. Son collègue, un ours à la barbe hirsute, semblait être dans la quarantaine et toisait froidement l’Utak.

— L’épreuve consiste à réaliser un Henge, l’informa le premier examinateur en conservant son sourire. Adopte l’apparence de mon collègue.

— Prouve-nous que tu es digne du grade de Genin, ajouta le concerné qui ne se départit pas de son froid regard.

Tokri retint un soupir d’exaspération. Sur les jutsus enseignés à l’Académie, il avait fallu qu’il tombât sur celui qu’il maîtrisait le moins. Il tenta de se remémorer les leçons de son professeur, ce qui se révéla assez difficile étant donné que le jeune homme passait son temps à dormir ou à rêvasser en cours. L’Utak se souvint vaguement qu’il devait visualiser dans son esprit la personne dont il voulait prendre l’apparence. Ensuite venait la fusion des énergies…

Ses souvenirs s’arrêtaient là. Impossible de se rappeler la manière dont il devait disposer de son Chakra afin de réaliser le tour. Il tenta plusieurs fois d’improviser, mais ne parvint qu’à s’épuiser. Le voyant piteusement à la peine, les examinateurs s’impatientèrent avant de trancher.

— Tu n’es clairement pas prêt, s’excusa presque le plus jeune.

— Suivant ! appela le second, ulcéré de perdre son temps pour des ados incapables d’exécuter un basique jutsu.

Tokri se résigna docilement et quitta les lieux. Résigné, il ignora le regard plein de pitié de certains camarades tout comme ceux plus narquois de nombreux autres.

— Rien d'étonnant, ricana un futur Genin, tandis que Tokri quittait la salle en l’ignorant royalement.

Une fois dehors, il prit un grand bol d’air avant de partir en direction de son domicile.

****

Mains dans les poches et bien qu’armé mentalement à ce qui l’attendait, le recalé traînait les pieds, peu pressé à encaisser une fois de plus la colère de son aïeul. Une fois arrivé, le jeune homme constata que Bril l’attendait de pied ferme sur le pas de la porte.

— Ton bandana ? demanda-t-il sèchement.

— Je ne l’ai pas, répondit le jeune homme dans un chuchotement après un court instant d’hésitation, sentant la honte l’envahir.

Amer, le vétéran laissa un silence pesant s’installer. Tokri fut surpris de lire de la déception dans son regard, et aurait mille fois préféré une explosion de colère auxquelles il était tristement familier. Incapable de le soutenir, il détourna les yeux en se mordant les lèvres.

— L’épreuve consistait à produire un Henge, se sentit-il obligé de justifier avec maladresse.

— Et alors ? s’étonna Bril avec dépit, le poing crispé. C’est une technique de base, nul besoin d’être un expert en genjutsu pour l’exécuter.

Tokri fut blessé de sentir du désespoir percer dans la voix de son grand-père. Pourquoi le voir devenir ninja était si important pour lui ? Bril avait eu une brillante carrière, mais ne pouvait-il pas comprendre qu’on pût aspirer à suivre une autre voie ?

— Tu peux largement combler tes lacunes si tu te mets au travail ! s’insurgea son grand-père agacé, postillonnant presque.

L’adolescent prit une grande inspiration et releva la tête, plongeant son regard dans celui de son aïeul, le suppliant silencieusement d’essayer de le comprendre.

— Je pourrais faire autre chose , suggéra-t-il avec hésitation.

— Comment ? s’étrangla Bril qui commençait à saisir avec horreur la pensée de son petit-fils.

— Les bibliothécaires de l’Académie me connaissent mieux que mes professeurs ! Ma soif de connaissances pourrait me permettre de les rejoindre ! débita Tokri sans s’arrêter, presque en panique. Ou je pourrais ouvrir une boutique et…

Bril coupa court à son argumentaire désespéré en plaçant sa main devant le visage de son petit-fils. Des flammes dansaient dans la noisette de ses yeux.

— Il n’y a toujours eu que des ninjas dans notre famille, asséna Bril qui peinait à contenir sa fureur.

Le visage du retraité commençait à virer au rouge. Ses nerfs étaient mis à rude épreuve, et les limites de son sang-froid venaient d’être franchies. La colère prenait une fois de plus le dessus sur la déception. Révolté par le rejet de son aïeul, les poings de Tokri se crispèrent. Bril avait beau avoir été un puissant ninja, le jeune homme savait comment le blesser plus grièvement que n’importe quelle lame.

— C’est peut-être pour cela que nous ne sommes plus que quatre Utak, asséna t-il froidement.

Le regard soudainement brillant, Bril tenta de reprendre la parole, mais Tokri n’en avait pas terminé avec lui.

— Crever ou devenir cinglé, résuma Tokri qui peinait à son tour à contrôler la colère qui montait en lui. Tu n’as pas de meilleur avenir à me proposer ?

— Tokri, je… marmonna le vieil homme en tendant une main vers son petit-fils.

Furieux et se sentant proche du point de rupture, le jeune homme la rejeta d’une claque et lui tourna le dos avant de s’éloigner. À sa grande surprise, le vieil homme ne chercha pas à le rattraper. Peut-être n’avait-il pas le cœur de prolonger cette dispute ?

Une fois suffisamment loin du domicile familial, Tokri s’adossa à un mur et essaya de reprendre son souffle. Perdu et dépassé par les événements, l’incompréhension, la colère et la tristesse se mêlaient en une tempête anarchique dans son esprit. Pourquoi voulaient-ils tous le forcer à plonger dans cette vie de folie ? La voie du ninja n’avait-elle pas fait suffisamment de mal à sa famille ? Que devait-il faire ?

L’adolescent tenta de faire le vide dans son esprit et ferma les yeux, laissant la tiède brise du désert caresser son visage et soulever quelques mèches de jais.

— Je peux savoir ce qui te prend ? demanda une voix familière au-dessus de sa tête, aussi douce que ferme.

Tokri n’eut pas besoin de se redresser pour reconnaître la personne venant de le tirer de sa courte introspection. Okioto sauta du mur d’où il venait d’observer son frère et atterrit avec souplesse, se postant les bras croisés face à son cadet qui détourna le regard.

Okioto était un Juunin de vingt-sept ans, bien qu’il semblât bien plus jeune. Ses longs cheveux sombres étaient attachés en une queue de cheval qui laissait tomber de fines mèches de chaque côté de son visage juvénile.

Aux yeux de Bril et de beaucoup d’autres, son parcours était un exemple à suivre. Entraîné par ses parents, Okioto avait intégré la formation de shinobi à l’âge de treize ans. À seize, il obtint son grade de Genin avec un niveau bien supérieur à la moyenne de sa promotion. Sous le mentorat de leur grand-père, il n’avait eu besoin que de trois ans pour accéder au grade de Chuunin. Sa carrière n’avait été qu’une succession de réussite jusqu’à son élévation au rang de Juunin à l’âge de vingt-deux ans.

Tokri savait que le parallèle que son grand-père faisait avec Okioto accentuait le poids de ses échecs. Malgré tout, Tokri n’en voulait pas à son frère. Il le connaissait bien mieux que n’importe qui. Le brillant Juunin était motivé par un objectif bien plus profond que servir son Village, le même qui amenait le dernier des Utak à se questionner sur son choix de parcours.

— Tu nous as espionnés tout du long, répondit Tokri en osant finalement plonger son regard dans celui de son frère. Pourquoi devrais-je me répéter ?

— Je veux la vraie raison, le somma Okioto sans hausser le ton.

— On sait très bien comment cela s’achève quand on obéit aveuglément aux ordres, répondit Tokri d’une petite voix tout en détournant le regard, serrant machinalement son poignet de sa main droite.

— Et notre serment ? interrogea Okioto sur le même ton de douce fermeté.

Tokri ferma les yeux une fois de plus, mordant une fois de plus ses lèvres et étouffant un sanglot. Malheureusement, il se souvenait très bien de la promesse qu'ils s'étaient faite enfant. Là résidait tout le dilemme qui le déchirait.

— Alors ? insista l’aîné avec patience.

— Je m’en souviens, chuchota Tokri,sans oser le regarder.

Un silence lourd de sens s’instaura. Son aîné le laissait-il respirer ? Des souvenirs défilèrent dans l’esprit de Tokri, serrant son cœur. Pourquoi fallait-il toujours qu’on le ramène au jour où sa vie avait été détruite ?

— Prouve-le, lui pria Okioto, de toute la délicatesse qui lui était possible de manifester.

Tokri respira profondément. Il n’avait nul besoin de réfléchir pour réciter leur serment. Les mots venaient d’eux-mêmes, malgré les onze années qui le séparaient du moment où il les avait prononcés pour la toute première fois. Se les remémorer fit ressurgir encore plus intensément des traumatismes qu’il aurait souhaité faire disparaître à jamais.

Pour la première fois depuis le début de leur conversation, l’aspirant perçut de la satisfaction dans le regard de son aîné. Ce dernier ouvrit la bouche, puis la referma, cherchant les mots exacts dont son frère avait besoin.

— Et penses-tu que c’est en gardant les bras croisés que nous y parviendrons ?

— Tout le monde se fout de ce que je souhaite ! s’emporta soudainement Tokri. Grand-père veut que je sois ninja pour satisfaire sa petite fierté de vétéran et vivre une nouvelle jeunesse à travers moi ! Quant à toi, ton unique but est de faire de moi ton arme !

À l’expression de son regard, Tokri comprit qu’il venait de faire mouche sur le point sensible de son grand frère protecteur. Il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire, satisfait de parvenir à se défendre malgré la pression que l’on faisait continuellement peser sur ses jeunes épaules.

— Je veux que tu deviennes shinobi pour ton propre bien, déclara Okioto en raffermissant son ton. Pour qu’ensemble, nous atteignions l’objectif de notre vie.

— À quoi cela nous avancera-t-il ? lui demanda Tokri, presque dans une supplication qui lui brisa la voix de désespoir.

— Tu sais tout comme moi que tu ne pourras jamais construire ta vie tant qu’il foulera cette terre, rétorqua froidement l’aîné.

Dans un murmure, plus doux, Okioto implora :

— Ne m’abandonne pas, petit frère.

Okioto s’approcha d’un Tokri mutique, et posa une fraction de seconde une main fraternelle sur son épaule. Ne lui laissant pas le temps de répondre, le Juunin se projeta en l’air et disparut en bondissant de toit en toit, le laissa seul avec ses doutes.

Piégé par un passé qu’il ne pouvait fuir, l’adolescent se laissa glisser le long du mur jusqu’à atteindre le sol. Prenant sa tête entre ses mains, il laissa le désespoir couler le long de ses joues en une réconfortante délivrance.

****

Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU


Laisser un commentaire ?