Les Chroniques d'un shinobi
Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y
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Las de sa journée de cours, Tokri Utak rentrait tranquillement chez lui, après avoir reçu un énième avertissement. Le corps professoral estimait que lui et son meilleur ami, Mutika Oroshi, ne s’impliquaient pas suffisamment dans leurs études, plus encore en cette période de révisions avant leur certification en tant que shinobi.
De taille moyenne et d’une stature athlétique, Tokri portait en silence l’héritage de ses années d’apprentissage. Doté d’une musculature finement sculptée, ses épaules carrées et sa posture en permanence droite trahissaient un esprit façonné par une auto-exigence stricte. Une silhouette construite pour encaisser et répliquer. À quinze ans, son visage encore jeune contrastait avec la tension muette qui émanait de son être. Son regard noisette, dont l’œil gauche était griffé d’une discrète cicatrice dont peu osaient questionner l’origine, était perçant et fixe. Chaque geste et intonation étaient décortiqués, disséqués. Il analysait en permanence en un réflexe devenu naturel et vital, comme on respire. Parfois, cela lui échappait lui-même. Tokri jaugeait, pesait et tirait des conclusions, rarement à la légère.
Il portait des vêtements pratiques, aux teintes entre clarté et sombre. Jogging, t-shirt et veste de cuir lorsque le vent l’exigeait. Ses cheveux de jais dépareillés tombaient en de fines mèches devant ses yeux marron. Sa façade froide le faisait souvent passer pour un gamin méprisant, au mieux distant. Au pire, pour un connard. Dans tous les cas, Tokri n’y accordait aucune importance.
L’adolescent sentit une main se poser soudainement sur son épaule. Il la saisit, et immobilisa son agresseur d’une clef de bras. Tokri reconnut trop tard la coupe rousse à pic de son meilleur ami : Mutika Oroshi. Tout comme l’Utak, il affectionnait les vêtements mêlant des teintes grises, blanches et noires. Sa fidèle écharpe ocre battait par-dessus son épaule, au gré du vent. Bien qu’il en connût la forte valeur symbolique, Tokri avait toujours été surpris de le voir la porter aussi souvent malgré le climat aride chikarate.
— Lâche-moi, imbécile ! enragea-t-il.
En s’excusant à demi-mot, Tokri relâcha sa prise :
— Jamais de dos, lui rappela le jeune homme, mains dans les poches, alors que son ami se massait le bras endolori en grognant.
— T’es qu’un sadique, le taquina Mutika, en lui adressant un léger coup de poing. Avoue que tu aimes ça.
— T’es venu pour râler ? soupira Tokri, qui ne put s’empêcher d’esquisser un demi-sourire.
— Des plans pour demain ? lui demanda Mutika, étrangement enthousiaste. Ma mère est exceptionnellement d’accord pour que tu viennes pour les deux jours de repos !
— Entraînement de prévu, l’informa Tokri avec une pointe de regret, en se passant une main nerveuse dans sa chevelure dépareillée.
Sceptique, Mutika marqua un temps d’arrêt avant de demander :
— En dehors des cours ? s’étonna-t-il, incrédule. C’est pas comme si tu étais très assidu.
— Mon grand-père s’est mis en tête de m’apprendre un mouvement de taijutsu, soupira l’adolescent aux cheveux de jais.
— J’aurais dû m’en douter, ricana l’Oroshi, goguenard, comprenant que Tokri n’avait pas vraiment choisi son programme de congés.
Lorsqu’ils se séparèrent devant la maison de l’Oroshi, Mutika posa une main réconfortante sur l’épaule de son ami, qui le remercia d’un sourire silencieux jusqu’à ce qu’il se décide à rentrer chez lui. N’ayant aucune envie de faire face à son grand-père, Tokri prit son temps avant de rejoindre la demeure de son aïeul et profita du réconfort que lui apportaient les ruelles de Chikara.
Connu pour son expertise en matière de combat au corps à corps, le Village était situé au beau milieu du désert yuukanien. Étant la première cité rebelle de Shinobi, le choix de ce territoire avait été motivé par la défense naturelle qu’offrait l’océan dorée plus que par ses rares ressources économiques. La cité rocailleuse était toutefois adossée à deux falaises, anciennes cheminées volcaniques solidifiées et partiellement enfouies sous les sables, sources virtuellement inépuisables de métaux précieux.
Savourant les brises chaudes du Village qui faisait danser ses cheveux, en bataille et d’un noir de jais, il laissa glisser sa main le long des bâtisses de sable et de roches blanches. La sensation de pierre chaude l’a toujours réconforté, tout comme son odeur poussiéreuse. Grâce à un système ingénieux conçu à la fondation de la cité, les bâtiments réverbèrent la chaleur des rayons du soleil. La température émanant des murs variait en fonction de leur exposition et de l’heure de la journée. C’était un détail que Tokri appréciait lors de ses errances.
L’adolescent traversa l’allée commerçante, où les marchands interpellaient bruyamment les passants en ce jour de marché, leur proposant divers produits à des prix trop alléchants pour être honnête. Une brise chaude, chargée d’odeurs de safran, de cannelle et de curcuma, caressa ses narines, éveillant son appétit et laissant germer quelques idées pour le repas du soir. Autour de lui, des étals colorés exposaient des fruits juteux, des poteries finement décorées et des bijoux scintillants sous le soleil. Malheureusement, Tokri ne pouvait se permettre de repousser indéfiniment son retour et se dirigea à contrecœur vers sa maison.
Lorsqu’il passa le pas de la porte de la demeure, Bril Utak l’attendait de pied ferme dans le salon. Assis dans son fauteuil, visage creusé, il portait un kimono noir traditionnel, bien qu’il lui arrivât fréquemment de se vêtir de son uniforme usé par pure nostalgie. Ayant largement dépassé la soixantaine d’années, Bril conservait encore toute sa chevelure, qu’il coupait court. Cette dernière était grisonnante, et tirait de plus en plus vers le blanc. Sa barbe prenait le relais de ses cheveux, renforçant l’aura bourrue que véhiculait son physique et son regard de vieux briscard, auréolé de son expérience de vétéran.
— Comment s’est passée ta journée ? demanda-t-il en le jaugeant du regard.
— On m’a pris la tête, pour changer, répliqua sèchement Tokri en détournant les yeux.
— Normal qu’ils sévissent, tu ne fais aucun effort pour t’améliorer ! tempêta le retraité, qui s’était préparé à une réponse du genre.
— Je m’y ennuie, soupira-t-il comme s’il constatait que le ciel était bleu.
— Heureusement que ta mère n’est plus là pour entendre ça, grommela Bril, plus pour lui-même que pour l’étudiant, tout en se passant une main sur le visage.
Tokri serra le poing et détourna le regard afin de ne pas foudroyer le vieil homme. L’aspirant savait pertinemment que cela ne ferait que jeter de l’huile sur un feu déjà bien nourri.
Le début de soirée se déroula selon leur rituel habituel : Tokri cuisina, tandis que le retraité dressa la table. Pendant le repas, Bril lui révéla la technique qu’il comptait lui enseigner : le Chikara Sen’puu. Le vétéran exigea qu’ils allassent se coucher tôt pour être en pleine forme le lendemain. Par fierté, Tokri fit en sorte de masquer son impatience. L’adolescent n’aimait pas qu’on lui force la main, mais l’exercice physique restait l’un des plus grands plaisirs de sa jeune vie.
Tokri se leva au petit matin et descendit déjeuner avec son aïeul. Une fois repu, Bril, vêtu de sa tenue rapiécée de shinobi, emmena son petit-fils dans l’immense jardin situé derrière la maison. Ce terrain avait été aménagé spécialement pour l’entraînement au taijutsu. Au centre trônait un tapis pour les simulations de combats, entouré de matériel pour divers exercices, tels que des sacs de frappe et des mannequins. Le terrain comportait également quelques arbres et buissons.
— On va en avoir besoin, l’informa sèchement Bril en s’approchant d’un des mannequins.
Le vieil homme ordonna à Tokri de s’échauffer. L’adolescent s’y appliqua consciencieusement, désireux de ne pas énerver le retraité qu’il sentait déjà à fleur de peau. Une fois les exercices effectués, Bril reprit la parole :
— Le Chikara Sen’puu consiste à frapper l’adversaire dans le but de le faire tournoyer. Ton ennemi subira des dégâts, et sera étourdi autant par le coup que par la rotation.
Tandis que l’aspirant cherchait la meilleure position pour débuter, son grand-père ajouta sans se départir de sa sévérité :
— Je ne te cache pas que j’ai plutôt confiance en toi, malgré ton comportement de ces dernières années. Tu as l’art du corps à corps dans le sang.
Habitué à cette flatterie, Tokri se contenta d’opiner du chef. Le jeune homme ne remettait pas en cause sa sincérité, mais il se doutait que son grand-père accentuait ses compliments pour le motiver.
— Pour commencer, malaxe ton Chakra. Tu le concentres ensuite dans ta jambe, de préférence la plus forte. Effectue un petit saut et frappe le mannequin au niveau du visage. Si la technique est correctement exécutée, il tournoiera sur place.
Le malaxage était le terme employé pour désigner le processus de fusion des deux énergies que possédait tout organisme vivant. L’énergie physique était générée par le corps, et l’énergie psychique par l’esprit. Leur union produisait le Chakra, l’énergie spirituelle nécessaire pour pratiquer les arts ninjas.
Maudissant cette manipulation, Tokri s’appliqua à ressentir ses flux, à contrecœur. Mal à l’aise par la sensation de froideur que lui infligeait son Chakra, il tenta de le canaliser dans sa jambe. Réfrénant un frisson, Tokri se précipita vers le mannequin et effectua un petit saut avant de frapper, ne parvenant à le bouger que d’un millimètre.
— Un simple et minable coup de pied. Applique-toi ! l’intima le vieil homme, bras croisés.
Ses nombreux essais n’amenèrent que peu d’évolution, malgré les innombrables corrections de posture dictées par Bril. Après une matinée d’expérimentations peu abouties, l’adolescent soupira et, dans une tentative désespérée d’évasion mentale, songea un bref instant au livre qu’il avait abandonné la veille sur sa table de chevet. À quelle page s’était-il arrêté ?
— Concentre-toi sur tes énergies !
Agacé, l’aspirant leva les yeux au ciel. Pourquoi devait-il rester coincé avec ce vieillard alors qu’une foule d’activités bien plus intéressantes l’attendait ? Quand était-il allé, pour la dernière fois, aux Bains avec Mutika déjà ?
À la fin de la journée, il parvint enfin à faire quelque peu bouger sa cible, au prix d’une terrible douleur à la jambe. Tokri avait la sensation que son Chakra cherchait à dévorer ses muscles.
— Je vois que je n’obtiendrai rien de plus aujourd’hui, rumina Bril Utak, tout en plaçant ses mains derrière son dos en une posture militaire parfaite. Jusqu’à ce que tu maîtrises le mouvement, tu t’exerceras tous les jours à ton retour de l’Académie !
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Durant un mois entier, en passant les portes de l'Académie, une boule se creusait au creux du ventre de Tokri. Les chuchotements de ses camarades, parfois moqueurs, parfois admiratifs, ne faisaient qu’aggraver son malaise. Ses jambes, meurtries par l’entraînement, semblaient lui peser davantage à chaque pas, comme si son propre corps cherchait à lui résister.
Bril observait chaque progrès de son petit-fils avec des yeux brillants de fierté, comme si le futur glorieux de Tokri était déjà tracé dans la pierre. Niant que depuis quelques années, le jeune chikarate était pris d’un sentiment de mélancolie quant à son avenir. De moins en moins en phase avec les motivations qui l’avaient guidé durant toute son enfance, diverses interrogations ne cessaient de lui torturer le cerveau.
Et à mesure que le jour de l’examen Genin approchait, son esprit s’embrouillait, hanté par la question qu’il n’osait formuler à haute voix : Pourquoi devrais-je suivre cette voie ?
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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU