L'ombre du renard

Chapitre 11 : Tome 1 - Partenaires

12826 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 31/05/2024 12:50

Introduction


Ce chapitre sous-entend des maltraitances sur des enfants et des abus sexuels. Il peut heurter certaines personnes plus sensibles.




11. Partenaires

 

Nous étions un tandem à défaut de nous dénommer couple.

Le partage n’a pas été égal.

J’aurais dû m’ouvrir davantage.

J’aurais dû être un véritable partenaire.

 

 

La nuit s’était installée en douceur, sans bruit. Le bleu du ciel s’était imperceptiblement drapé de ses teintes sombres, se colorant au passage de nuances d’orange et de rose. Bientôt, la seule source de lumière de cette chambre richement décorée fut les sobres rayons de cette pleine lune. Les effets d’ombre (au lieu d’être effrayants comme il était normal de l’être dans une pièce inconnue) se montraient relaxants et inspiraient une certaine sérénité à l’observateur expérimenté présent dans la pièce.

Le silence était également apaisant. Ce n’était pas un silence pesant ou bien gênant que les humains s’imposaient. C’était le murmure tranquille de la nature : le croassement d’une grenouille provenant des bassins en contrebas, la mélodie du grillon, l’imperceptible cri de la chauve-souris… Il aurait pu se laisser étourdir par cette quiétude et fermer les yeux dans un moment d’insouciance. Cependant, il avait une mission à accomplir, un devoir à remplir.

Un corps s’était abandonné contre lui. La respiration lente et régulière de cet être était rassurante à son ouïe : cela démontrait une certaine confiance de sa part pour sa propre personne.

« Quelqu’un a confiance en moi ! Quelqu’un remet sa vie entre mes mains en toute connaissance de cause, le sourire aux lèvres ! » songea-t-il avec un soupçon d’émotion.

Cette pensée le mettait en liesse, calmait toutes ses contrariétés.

Il songeait à l’enfant qu’il avait été. Ses maîtres lui répétaient sans relâche qu’il n’était point un jeune garçon mais une arme qu’ils devaient modelée pour qu’il fût un jour efficace. Il n’avait pas le droit de pleurer, de se plaindre, d’émettre une opinion. Il était méprisé de tous parce qu’il était naturellement doué pour les arts martiaux. Il possédait une grâce animale que ses rares condisciples lui enviaient. En guise de représailles face à cette arrogance naturelle que le jeune Naruto affichait en permanence, les autres enfants lui tournaient le dos, l’ignoraient, refusaient de s’entraîner à ses côtés.

« Tu es un parricide. Une incarnation du mal ! Rien qu’en posant ton regard sur nous, tu nous contamines avec ta malfaisance ! » lui crachait-on régulièrement au visage.

Naruto s’était endurci. Il avait reçu toutes les insultes, toutes les insolences, toutes les humiliations sans broncher. Au lieu de cela, il n’hésitait pas à remercier ses maîtres lorsque ceux-ci lui rappelaient la bassesse de son existence, s’agenouillait en guise d’humilité lorsqu’ils mettaient en exergue ses erreurs devant tous, leur baisait les pieds lorsqu’ils lui faisaient mordre la poussière. Il n’avait pas le droit d’aimer et encore moins d’être aimé à cause de ce qu’il était.

Pourtant, il n’avait pu se résoudre à ressentir une sorte de jouissance quand il avait égorgé ses tortionnaires. Le Renard avait été surpris par le goût de leur sang : commun, métallique, banal. Il avait imaginé que ces hommes avaient une hémoglobine d’un noir profond semblable à leur âme, qu’il aurait la saveur du dédain (si ce dernier pouvait incarner une fragrance répugnante et peu ragoutante) ou qu’il contenait une substance toxique expliquant leurs attitudes vénales à son égard durant toutes ces années.

Le jeune homme avait donc conclu que les humains étaient tous conçus dans le même moule. Certains avaient beau arborer un visage avenant, un sourire appelant la confiance, au fond de leur cœur, ils possédaient tous cette noirceur. Chacun attendait son heure. Chacun appuyait là où c’était douloureux dès qu’ils en avaient l’occasion. L’homme était un loup pour l’homme. Naruto se jura qu’il serait le plus terrible d’entre eux, ne désirant que vivre d’après ses propres principes.

Une seule personne avait été une exception à cette règle cruelle. Une seule âme dégageait tant de lumière qu’elle pouvait prétendre remplacer le soleil. Naruto avait eu beau l’observer, la scruter, examiner chacun de ses gestes ou expressions faciales ; son unique conclusion était que cette jeune femme était la candeur même.

Les déclarations franchissant ces lippes gourmandes étaient sincères. Il y avait toujours un mot doux, un compliment, une appréciation à son égard après chaque effort fourni. Hinata Hyûga était incroyablement belle à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de son âme. S’il était un démon, il pouvait croire qu’elle était un ange sur terre.

Il s’amusait de ses sourires, de sa naïveté à propos du cœur des hommes. Cette gente dame ne pouvait certainement pas imaginer les atrocités commises par ses pairs, cruellement plus abominables que les agissements de Kyûbi, le démon renard tapi en lui. Il n’en avait jamais discuté avec elle. D’ailleurs, il n’aurait jamais osé aborder ce sujet dans leurs rares moments d’intimité. Il aurait été déplorable de l’effrayer avec des histoires horribles ou sanglantes.

Ce que le jeune homme préférait par-dessus tout était le visage concentré qu’elle présentait durant la fabrication d’un katana. Ses petits sourcils en aile de papillon se fronçaient délicieusement ; des mèches rebelles lui tombaient sur le front mais elle n’en avait cure. Les perles de sueurs qui roulaient sur ses joues rougies lui donnaient envie de la toucher, d’éponger cette marque d’effort appelant le respect. Ses saphirs glissaient alors le long de son cou gracile, remarquaient le pan de son kimono de travail légèrement ouvert sur la naissance de ses seins et finissaient leur examen de sa personne sur les mains habiles.

Hinata possédait des mains d’une blancheur extraordinaire aux longs doigts fins. Malgré son apparente fragilité, la senestre maintenait fermement le métal tandis que la dextre levait inlassablement le petit maillet en fer pour asséner des petits coups précis et puissants. La jeune fille travaillait vite et efficacement.

Naruto connaissait l’indisposition de la jeune fille face à la chaleur. Il l’avait vue à plusieurs reprises souffrir du temps estival et se cacher dans la pièce la plus fraîche de sa maisonnée aux heures les plus chaudes. Même s’il appréciait cette rougeur naturelle sur son visage suite à son inconfort, il n’aimait guère l’idée qu’elle s’enfermât de cette manière. Elle se coupait du monde, attendant la nuit pour être certaine d’échapper à la canicule.

Le maudit ne connaissait rien en matière d’amour et encore moins de séduction. Les mots tendres avaient été bannis de son vocabulaire. Aussi, avait-il décidé de manifester son intérêt par des gestes. Un soir, il s’était présenté à la terrasse de la maîtresse de maison. Il s’était assuré au préalable de la clandestinité de leur rencontre : personne n’était présent aux alentours. Bien que surprise, Hinata l’avait accueilli d’un sourire doux et avait légèrement penché la tête avant de poser sa question comme si elle s’adressait à un enfant :

« Que fais-tu ici, Naruto ? Je ne pense pas qu’Itachi soit ravi de ton intrusion dans mes quartiers. »

Le jeune homme s’était contenté de hausser les épaules en signe d’indifférence. Il se contrefichait de cet homme qui se prétendait son maître. C’était un orgueilleux. Naruto faisait juste semblant d’être un piètre élève afin d’éviter son courroux ou des humiliations supplémentaires de sa part. Même si les coups reçus l’indifféraient, ils pouvaient cependant entraver ses mouvements.

En silence, le blond avait sorti un petit objet de son kimono et l’avait posé devant la jeune fille agenouillée sur la terrasse en bois. Délicatement, cette dernière l’avait pris en le pinçant entre l’index et le pouce, prenant garde à ne pas l’abimer. De son autre main, elle avait fait tourner le petit moulin à vent en papier avec toute la délicatesse dont elle était capable. Son sourire, jusque-là poli, s’était fait sincère et avait atteint ses yeux. Ses sourcils se sont froncés légèrement en signe d’interrogation sans pour autant que son visage ne se départisse de sa joie. Naruto interpréta cette réaction en un « pourquoi ». Il s’était expliqué :

« Je l’ai fabriqué pour que vous le disposiez à l’entrée de votre chambre lors de vos siestes. Si les ailes tournent, c’est qu’une légère brise s’est levée. Vous pourrez dès lors sortir sans crainte ; vous ne serez plus assommée par la chaleur. »

Il avait ponctué son explication par un hochement de tête respectueux et avait fait mine de partir.

« Attends ! »

Hinata avait saisi sa manche au moment où il avait mis pied à terre. La terrasse étant surélevée, la jeune fille était à la même hauteur que son interlocuteur, même dans sa position assise. Elle s’était fait la réflexion qu’il avait grandi durant ces deux années d’entraînement. Naruto avait également développé sa musculature, le rendant plus viril. Elle n’avait pu s’empêcher de humer son odeur et l’avait comparée au plus délicieux des mets. Ses yeux opalins plongés dans les saphirs interloqués par son audace, elle avait murmuré ses paroles.

« Pourquoi Naruto ?

-Je… Je me suis dit que ce genre d’objet pourrait vous être utile… Je voulais vous faire plaisir.

-Pourquoi, Naruto ? avait-elle chuchoté en l’attirant à elle tout en tirant sur son vêtement.

-Je… Je…

-Aurais-je un quelconque intérêt à tes yeux ? »

Le silence ainsi que le regard passionné du jeune homme avaient été plus éloquents qu’une déclaration émise du plus talentueux orateur.

« Comment vais-je te remercier à présent ? » avait-elle souri malicieusement en approchant son visage.

Cela était une folie. Elle le savait pertinemment. Pourtant, elle n’avait pu s’empêcher de céder à son caprice.

« Une fois, juste une fois », avait pensé l’imprudente.

Ses lèvres chaudes avaient capturé celles craquelées par le soleil du guerrier. D’abord hésitant, le jeune homme s’était montré avide de ces nouvelles sensations. Il avait senti quelque chose l’étreindre au plus profond de son être. Mû par une envie de possession, il avait posé ses mains sur les épaules féminines, l’obligeant à se rapprocher davantage. Etouffant sous la passion de son amant, Hinata avait dû le repousser non sans l’accompagner d’un rire né de sa griserie.

« Doucement, Naruto, l’avait-elle joyeusement réprimandé. N’as-tu donc jamais connu les bras d’une femme ? »

Le jeune homme avait détourné le regard et s’était mordu la lèvre inférieure en signe de contrariété. Ses mains n’avaient pas quitté leur place et la jeune fille avait senti une légère pression.

« Naruto ? avait-elle doucement appelé sans s’écarter pour autant de son étreinte.

-Ils m’ont obligé à connaître des femmes. Toutefois, c’est la première fois que je reçois un baiser. Même si je connais la chaleur de l’intimité féminine, je serai incapable de…

-Je ne suis pas sûre de comprendre », avait-elle avancé hésitante. 

Naruto s’était décidé à l’affronter et, tout en reprenant une attitude visant à cacher sa gêne, l’avait regardé droit dans les yeux.

« Ces femmes m’ont appris à être brutal, à prendre sans donner, à être une bête même dans mon intimité. Je n’oserai jamais toucher une femme qui m’attire de la sorte de peur de la blesser avec mon ardeur. 

-Dans ce cas, avait repris la jeune femme en lui caressant le visage, nous pouvons apprendre ensemble comment aimer sans nous blesser. C’était mon premier baiser à moi aussi, avait-elle avoué en baissant les paupières.

-Que faites-vous d’Itachi, Hinata-sama ? Vous vous devez d’être pure pour vos noces.

-C’est exact, cher Naruto. Je me dois d’être pure pour mon futur époux, avait-elle dit avec un petit côté mystérieux. Cependant, Itachi n’est pas mon mari et rien ne dit qu’il le sera un jour. »

Naruto l’avait scrutée. Cette belle demoiselle si intègre se moquait-elle de lui ? Il n’avait jamais détecté le moindre mensonge ou encore la moindre supercherie de sa part. Pourtant, une ombre était passée sur son visage lisse. Quelque chose qu’il ignorait s’était déroulé entre les deux fiancés ce qui avait donné comme répercussion ce baiser. Le jeune homme avait relevé la tête de sa belle qui l’avait baissée, honteuse d’avoir exprimé au grand jour ses propres inquiétudes pour son avenir. Ils s’étaient contemplés un moment, hypnotisés l’un par l’autre, ne croyant pas à leur chance d’un tel rapprochement.

Sans qu’un mot n’eût eu besoin d’être prononcé, ils s’étaient approchés en même temps. Leurs cœurs semblaient synchronisés : le maudit ne percevait qu’un seul rythme, le leur.

Lorsque sa langue avait caressé les lèvres si tendres de sa compagne, il avait perdu pied et avait laissé sa passion l’emporter. Il avait faim d’elle, une faim inexplicable qui ne pouvait être rassasiée que par elle. A ses gémissements, à la pression de ses mains fines dans son dos, il avait su qu’elle ressentait la même chose que lui. Si elle n’avait pas été une femme dont l’honneur était une parure plus précieuse que l’or, Naruto l’aurait prise, là, à même le sol. Il aurait plongé en elle avec ravissement, cherchant à lui soutirer des râles de plaisir de plus en plus bruyants. Au lieu de cela, il avait dû se résigner à la lâcher.

« Je veux que tu sois mienne, avait-il soufflé.

-Fais en sorte d’être digne de devenir mon époux.

-Partons ! Enfuyons-nous tous les deux. Je te protègerai. Je veillerai sur toi. »

Hinata lui avait offert un sourire contrit, semblable à celui que l’on présente aux enfants quand ils narrent leurs rêves impossibles. Elle lui avait caressé tendrement la joue et avait déposé un baiser sur le front.

« Je ne puis… » avait-elle murmuré en posant son front contre le sien.

Après cet épisode, Naruto n’était pas resté très longtemps chez les Hyûga, trop torturé de ne pouvoir obtenir ce que son cœur voulait réellement. Il était parti sans un mot, dans le silence de la nuit. Il avait cherché la gloire, combattu de nombreux adversaires, s’était fait un nom dans le milieu. Le jeune homme pensait sincèrement revenir enlever sa bien-aimée. Régulièrement, il lui envoyait des missives lui détaillant ses avancées aussi bien que ses pensées romantiques, aussi niaises fussent-elles.

Et puis, Hinata mourut de la main d’Itachi.

Des années de désespoir et de solitude s’ensuivirent. L’homme est un loup pour l’homme. Il ne devait jamais oublier cet adage. Il décrivait correctement le monde dans lequel il évoluait. S’il voulait survivre, il devait refuser de s’attacher à quiconque car ces personnes étaient condamnées à mourir. Une part de lui était morte en même temps qu’Hinata ; il n’y en aurait pas d’autre qui prendrait cette place dans son cœur…

« Du moins, c’est ce que je pensais », se dit-il en contemplant Sakura endormie contre son torse.

Une mèche rosée glissa devant les yeux clos. Délicatement, Naruto releva les cheveux rebelles et les plaça derrière l’oreille droite. La belle ne fit aucun mouvement de recul à cet attouchement ; au contraire, un soupir d’aise s’échappa de ses lèvres au contact de ses doigts sur sa peau de pêche. Elle appréciait son gardien. Il avait tout de suite compris que cette gamine l’accepterait quoi qu’il arrivât. La question était : lui, accepterait-il de se lier de nouveau avec quelqu’un ?

Soudain, Sakura sursauta. Elle grommela des paroles incompréhensibles, fronça les sourcils et chercha du réconfort contre lui. Il l’étreignit, espérant lui apporter ce dont elle avait besoin. Naruto était impuissant et il détestait cela. Il devait s’obliger à lui faire confiance. Elle était dans un territoire impossible à atteindre pour lui, un terrain qu’elle connaissait par cœur d’après ses dires. Il y avait des combats que le démon ne pourrait gagner pour elle.

« Que se passe-t-il dans tes foutus rêves ? » souffla-t-il à son oreille.

 

 

Sakura observa la personne en face d’elle. C’était un jeune garçon légèrement plus grand qu’elle. Son regard smaragdin nota sa longue chevelure noire et lisse, sa peau blanche, son visage aux traits fins presque féminins et surtout ses yeux aux iris nacrés si typiques du clan Hyûga. Elle était perturbée par sa présence. Il était celui qui lui rappelait ses fautes passées, l’incarnation de sa culpabilité.

Comment s’adresser à un tel homme ? Comment lui expliquer ?

Elle serra les poings. Elle n’avait aucunement besoin de se justifier. Cette rencontre n’avait pas pour but de la juger mais bien de construire quelque chose.

Le jeune Neji se retourna vers les cinq observateurs. Il les considéra tous du regard un instant. Mis à part sa condisciple dont il avait dû stopper le geste auparavant, aucun n’avait bougé.

Sakura remarqua alors que l’expression belliqueuse que certains arboraient avait totalement disparue. Leur visage était inexpressif, comme s’ils attendaient quelque chose.

« Qu’en penses-tu, Shiakamaru ? » questionna Neji.

Tous se tournèrent vers le questionné. Ce dernier soupira de contrariété devant l’effort qu’on exigeait de lui. Lentement, il croisa les bras et toisa du regard la fleur de cerisier.

« Je l’ai observée comme tu me l’avais demandé et je peux t’affirmer que tu avais raison. Ino et Tenten ont magnifiquement joué leur rôle. Leurs paroles ont suscité respectivement la surprise, la honte et la colère. Cette fille est un véritable livre ouvert. Elle s’est complètement réincarnée contrairement à nous. Elle ne souffre pas de délire psychotique. Elle est réellement une jeune adolescente à la poursuite de son destin. Elle ne cherche pas à nous dissimuler quoi que ce soit, elle oublie qui nous sommes et ne calcule pas les actions des autres. Elle ne fait que réagir.

-Vous… Vous voulez dire que tout cela était du cinéma ? » demanda Sakura totalement perplexe.

Les enfants-visions échangèrent un regard de connivence. Ils étaient satisfaits de la réaction de la jeune fille. Gaara reprit la parole, expliquant la réelle situation.

« Je t’avais dit d’observer et d’apprendre. Tu aurais compris que ces demoiselles ne faisaient que jouer la comédie. Leurs intonations n’étaient pas sincères et beaucoup trop aigues pour être de la colère, de même leurs sourcils ne se fronçaient pas. C’était une preuve de la non vraisemblance de leurs sentiments. De plus, je t’avais expliqué que nous étions tous des gens ayant eu de grandes responsabilités. Nous as-tu crus réellement capable de réactions aussi puériles ?

-Tu es orgueilleuse si tu crois être la seule responsable de toutes ces difficultés, reprit Ino. Je n’en veux à personne des choix qui ont été les miens et de la vie que j’ai menée. Si j’ai péri prématurément, c’était que j’ai manqué de jugement à un moment ou un autre. Pour ma part, le passé est le passé. Je me tourne vers l’avenir, à présent.

-Je ne comprends toujours pas votre intérêt pour ma sincérité.

-Nous allons en parler », annonça Neji en levant la main.

Le décor changea, se délestant de son côté oppressant. Les couleurs se firent vives et apaisantes. Une table apparut au milieu du groupe. Elle était ronde, d’une blancheur immaculée et très simple. Neji invita ses pairs à s’asseoir.

Sakura n’en revenait toujours pas. Elle n’ajouta rien aux paroles de ses compagnons mais son regard alla de l’un à l’autre, essayant de percevoir leur secret. Elle n’avait nullement confiance en eux. Elle avait appris en quelques minutes qu’ils pouvaient se jouer d’elle, qu’ils masquaient leurs intentions avec brio et qu’ils semblaient plus doués dans l’art de la manipulation qu’elle ne le serait jamais. Pour couronner le tout, ils étaient un groupe soudé, une entité qui ne s’était pas encore déclarée ami ou ennemi envers elle.

« Nous devions savoir pourquoi tu refusais toutes nos réunions dans ce monde et surtout comment tu y parvenais, enchaîna Neji.

-Pourquoi ? Vous ne savez pas tout simplement garder la porte de votre âme fermée.

-Non, nous ne le pouvons pas. Vois-tu nous souffrons de nos conditions d’enfants-visions. Plus nous vieillissons, plus nous perdons pied dans cette réalité. Cet espace commun est le seul endroit où nous pouvons conserver un semblant de lucidité après avoir atteint un certain âge. Nous sommes inexorablement attirés dans cette réalité alternative. Mais pas toi. Toi, tu es spéciale. Toi, tu ES « Sakura Haruno » et non « Hinata Hyûga ».

-Je suis sa réincarnation.

-Ce n’est pas notre cas. Nous sommes des êtres dans un autre corps. Cependant, la personnalité de nos hôtes s’éveille lors de leur adolescence. Cela provoque une dissociation de notre personnalité. Nous avons besoin de Konoha pour unifier nos âmes et devenir des adultes capables de modifier l’avenir.

-Je comprends à présent l’urgence de votre démarche. Personnellement, j’ai toujours vu Hinata comme un membre de ma famille disparu. Nous discutons régulièrement dans mes songes. »

Cette révélation sembla bouleverser l’assistance. Ino, Tenten, Neji et Rock Lee affichèrent un visage décomposé.

« Tu es véritablement extraordinaire, commenta Shikamaru, le menton appuyé sur ses doigts croisés.

-Nous sommes incapables de discuter avec nos réincarnations, expliqua Gaara, parce que nous sommes les êtres disparus. C’est pour cela que nous sommes persuadés que tu es notre guide.

-En parlant de guide, tu m’avais parlé d’une vision, déglutit difficilement la jeune fleur. Est-il possible que je puisse la voir ?

-Bien sûr. »

Le reflet de la table s’anima. Une image se dessina sous leurs yeux. Elle représentait un paysage forestier. Une montagne se dressait fièrement en arrière-plan. Sakura identifia clairement son propre visage. Elle indiquait du majeur une direction devant elle.

« C’est tout ?

-Tu voudrais la voir animée ?

-S’il te plaît. »

Aussitôt, elle se vit essayer d’attirer d’autres personnes vers elle de son autre main. Elle insistait et s’enthousiasmait sur le chemin. Quelque chose n’allait pas. Elle ne voyait pas les autres personnes en question. Était-elle avec Naruto d’où l’absence d’interlocuteur vu que monsieur échappait à leur vigilance ? Impossible. Elle écarta immédiatement cette idée. Le Renard refusait d’aller à Konoha.

« J’aimerais voir votre vision du monde si nous échouons dans notre entreprise. »

Gaara s’exécuta. Les cris, les pleurs, les insultes affluèrent dans la pièce. Sakura réagit négativement à cette agression sonore. Elle essaya en vain de dissimuler son dégoût. Le sang coulait. Des gens étaient tués, les têtes tranchées, les femmes violées. Encore une fois, la jeune fille perçut un manque, une chose qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer et qui permettait de démontrer l’impossibilité de ces visions.

Soudain, cela lui sauta aux yeux. Aucun des protagonistes de cette scène macabre n’était identifiable. Ce n’étaient que des ombres.

La fleur releva la tête et observa les autres enfants. Tous étaient plongés dans la contemplation morbide de cette vision.

« Cela suffit, intervint la fleur. Je comprends votre erreur.

-Nous t’écoutons.

-Ce que vous m’avez présenté ne sont pas des visions. Ce sont des prédictions.

-C’est la même chose…

-Non ! Absolument pas ! Les visions sont des assurances. C’est ce qu’il se passera vraiment suite à nos décisions. Les prédictions sont incertaines. Ce sont des possibilités. Je ne reçois jamais de prédiction. C’est pour cela que je suis incapable de voir le futur de notre pays : il y a trop d’incertitudes de la part de trop de personnalités. C’est trop loin dans l’avenir. Nous avons encore la possibilité d’échapper à ce funeste destin.

-Mais pourquoi nous faire voir ceci ? demanda Tenten. Tout cela est tellement horrible. Je n’osais plus dormir pendant un temps. Pourtant, j’en ai vu des massacres dans ma vie. Mais cela…

-C’est un avertissement, dit Neji. Vous savez quel est le devoir d’un enfant-vision ?

-Nous devons rétablir notre destin afin de continuer le fil de nos réincarnations.

-Imaginez une seconde que nous n’y parvenions pas.

-Où veux-tu en venir, Neji ? intervint Gaara, soudain très intéressé par la réplique de son compagnon.

-Si nous disparaissons, l’impact de nos vies sur les autres s’évanouit également. De ce fait, ce ne sont plus uniquement nos destins qui sont mis en péril mais ceux de toute une nation. Nous devons comprendre que si nous échouons, les habitants seront également anéantis afin de rétablir l’équilibre. Le destin du monde est littéralement entre nos mains. »

Un silence lourd s’installa entre eux. La répercussion de ces paroles fit écho en eux. Plus ils y réfléchissaient, plus ils ne purent que constater de la clairvoyance de leur compagnon. Les dieux se montraient cruels. Ils faisaient appel à leur altruisme. Ils mettaient sur leurs épaules, de manière subtile, le poids des responsabilités de tout un peuple.

Les enfants relevèrent la tête tour à tour. Malgré leur petite taille et leur air juvénile, aucune de leur expression n’affichait l’innocence caractéristique de leur jeune âge. Ils savaient. Ils comprenaient. Naturellement, leur regard convergea vers la seule personne capable de dénouer ces problèmes.

Sakura hocha la tête en signe de compréhension. Elle n’était qu’un grain de sable, une créature insignifiante dans ce vaste monde mais une machine, aussi perfectionnée soit-elle, peut s’écrouler au moindre boulon mal placé. Elle était la clé. Elle le comprenait à présent. Sa peur lui étreignait le cœur même avec cette certitude nouvelle de représenter la solution. Elle s’efforça de contrôler sa voix ainsi que ses expressions faciales lorsqu’elle prit la parole :

« Je vous aiderai. Je vous guiderai jusqu’à Konoha. J’ignore encore comment, mais je le ferai.

-Tu veux dire que nous irons à Konoha.

-Non. Je vous laisserai là-bas. Moi, je reste avec Naruto.

-Tu ne peux pas !

-Si je le peux et je le ferai. J’ai juré sur ma vie que ma place est à ses côtés. Je ne serai pas une parjure. Si vous ne pouvez accepter ma décision, notre aventure s’arrête ici.

-Tu n’oserais tout de même pas…

-Oh si ! Elle le fera, Ino, s’interposa Neji. Regarde-la. Elle cherche à nous le cacher mais ses sentiments pour cette chose sont perceptibles. Sa loyauté va d’abord envers lui.

-Sakura, dit soudain Gaara, tu devrais le laisser. Il te conduira un jour à ta perte. Il est fort, rusé et dangereux. Il n’a pas besoin de toi pour poursuivre sa route.

-Tu as raison sur un point : Naruto est un homme incroyablement fort. Cependant, les hommes les plus forts sont en réalité les hommes les plus faibles. Dès que quelqu’un a détruit leur unique point faible, ils s’effondrent comme un château de cartes. Je… Je ne veux pas que…

-Tu refuses que la vision que nous avons eue se réalise, termina Tenten, touchée par la sincérité de sa consœur. Celle où il est…

-Naruto est, reprit la jeune fleur quelque peu hésitante sur ses prochaines déclarations, il est un démon imprévisible. Il ne fait pas partie de notre monde au sens où nous l’entendons. C’est la raison pour laquelle il échappe à notre don. Toutefois, il est aussi un homme. L’image de son désespoir est le reflet de son cœur d’homme que je toucherai à un moment ou un autre. Je… Je ne peux pas… Pour lui, je me battrai de toutes mes forces contre cette fatalité. »

Un malaise s’installa. La détermination de la jeune fille était inébranlable. Rock Lee observa les autres. Il n’avait pas prononcé un mot depuis sa présentation. Il était un guerrier, un combattant aguerri. Ces histoires de politique ne lui inspiraient que du mépris et ralentissaient son esprit belliciste. Ses compagnons n’étaient que de savants parleurs, calculant leur moindre action, les répercussions en découlant. Cette petite était beaucoup plus spontanée. Elle avait du cœur et de la franchise. Il appréciait beaucoup cet aspect de sa personnalité. Il rit bruyamment devant la mine déconfite de ses compatriotes.

« C’est avec plaisir que je t’aiderai, petite. Tu as ma parole : je t’aiderai du mieux que je le pourrai. Après tout, si elle nous mène à Konoha, peu importe qu’elle soit encore des nôtres par après ou non, à partir du moment que nous puissions accomplir notre destin…

-Rock Lee a raison, mes amis, confirma Shikamaru. L’important pour l’instant est de nous rassembler dans le monde réel, ce qui n’est pas évident vu que plusieurs d’entre nous sont captifs de l’Akatsuki. Nous verrons la suite des évènements par après. »

Sakura fut soulagée de la tournure de la discussion. Elle avait peur d’être obligée de les abandonner à peine rassembler alors qu’elle voulait désespérément se racheter. Si ce n’était pour eux, du moins pour être en paix avec sa propre conscience.

Elle sourit à l’assistance, ce sourire carnassier qu’elle avait gagné aux côtés de son incroyable compagnon de voyage. Chacun vit en elle le prédateur qu’elle pouvait masquer derrière sa candeur.

« Nous allons élaborer un plan… »

 

 

Naruto sut exactement à quel moment sa compagne quitta le monde des songes. Il sentit sa respiration changer légèrement. Ses muscles bougèrent frénétiquement et ses paupières papillonnèrent avant de révéler ses deux perles de jade. Elle frotta sa tête sur le torse de son compagnon, pareillement à un chat cherchant du réconfort en quittant son état léthargique.

La jeune fille releva la tête et cligna plusieurs fois des yeux. Son visage était à quelques centimètres de Naruto. Cela ne la dérangea pas. Au contraire, elle fut heureuse de constater qu’il avait veillé sur elle tout le long de son inconscience. Elle avait peur de s’éveiller seule et sans défense dans cette pièce inconnue et pas forcément accueillante. Encore sous l’emprise de ses rêves, la jeune fleur leva mollement la main pour la poser sur la joue masculine. Elle sentit sous sa paume les prémices d’une barbe naissante. Cela était rugueux. Elle s’en amusa en l’agaçant d’une caresse. Ses lèvres gourmandes s’étirèrent en un sourire malicieux.

« Me revoilà, chuchota-t-elle. 

-Ce n’est pas trop tôt. T’es lourde, gamine.

-Râleur », dit-elle en se dégageant.

La fleur de cerisier s’étira. Elle recoiffa comme elle le pouvait la chevelure rosée en désordre. Du coin de l’œil, elle vit les premières lueurs de l’aube. Son réveil était absolument impeccable. Elle aurait le temps de se préparer correctement.

Naruto grogna. Il bailla bruyamment et s’installa confortablement dans les draps, exprimant ainsi un désir de repos.

« Que fais-tu, gros paresseux ?

-Ça se voit, non ? Je dors.

-Alors que tu as passé toute la nuit dans ce lit ! Mais je rêve !

-Crois ce que tu veux. Dormir avec toi, c’est comme dormir à côté des cochons : tu pues, tu ronfles, t’es lourde et t’es super inconfortable. Là, je veux quelques heures rien que pour moi.

-Dommage. Je pensais te proposer une petite activité qui te plairait certainement. Et lucrative en plus. Mais bon ! Si tu préfères te comporter comme un loir… »

Naruto leva une paupière, soudain intéressé par les dires de sa petite protégée. Elle connaissait ses points faibles et sa curiosité naturelle. Elle venait de le titiller et elle savait pertinemment que cela l’empêcherait de fermer l’œil correctement. Elle eut même le toupet d’exacerber sa contrariété en exécutant un clin d’œil coquin. Le démon pouvait dire adieu à ces instants de repos.

 

 

Sakura joua avec la corde qui lui mordait les poignets. Elle avait spécifié qu’elle devait être attachée (cela augmentait le réalisme de sa prétendue arrestation) mais Naruto avait pris cela beaucoup trop à cœur. Pendant qu’elle s’évertuait à défaire ses liens, elle observa rapidement la pièce dans laquelle elle était retenue. Elle avait d’abord cru être enfermée avec les autres prisonniers mais ses geôliers avaient décidé de la mener dans une chambre à l’écart. Apparemment, leur chef de section avait un faible pour les adolescentes à peine pubères. Cela faciliterait son entreprise.

La jeune fille se remémora les enseignements de son Renard. Elle ne devait jamais se poser en victime mais déstabiliser son ennemi ; les fenêtres ou les murs donnant sur l’extérieur étaient les parties les plus fragiles d’une pièce donc représentatifs d’une issue possible. Il ne fallait jamais tourner le dos à la porte principale afin d’éviter d’être surpris par son ennemi.

Cette pièce ressemblait à toutes les autres chambres d’une auberge minable d’un village inconnu. D’après leurs renseignements, ce lieu servait de camp pour l’Akatsuki et y regroupait les prisonniers en partance pour le quartier général de l’organisation.

Ino avait expliqué qu’elle y était retenue. Avec son corps fragile, elle n’avait pu faire appel à ses techniques redoutables et avait dû s’incliner devant ses agresseurs. Reconnue pour ses dons de voyance, elle avait été enfermée dans une pièce sombre en attente d’être conduite devant des membres plus importants de l’Akatsuki.

Sakura entendit des pas dans le couloir. Ceux-ci étaient lourds, gauches, manifestement empreints de fierté. Elle imagina un homme légèrement bedonnant, imbu de lui-même et incompétent au combat. Quand son visiteur ouvrit la porte, elle avait oublié de mentionner laid à faire peur et d’un goût douteux en matière d’hygiène corporelle.

L’homme referma la porte, sans crainte vis-à-vis de sa prisonnière. Sakura simula la terreur du mieux qu’elle le pouvait. Elle devait le mettre en confiance et cette confiance excessive servirait à déjouer sa garde. Elle dut se retenir d’éclater de rire devant son affligeante incapacité à se mouvoir correctement. Le vaincre serait un jeu d’enfant.

Le chef s’approcha d’elle, l’obligeant à se coucher sur le tatami. Sa langue passa sur ses babines écœurantes. Il se régalait déjà de la frayeur de la petite. Il bandait rien qu’en imaginant ses cris lorsque son dard entrerait en elle. Cette fille le supplierait, comme toutes les autres, mais cela ne ferait qu’augmenter son plaisir. Il allait lui apprendre à être une femme. Ensuite, elle le remercierait. Elle irait même jusqu’à le supplier de recommencer pour échapper à ses hommes beaucoup plus brutaux que lui. Maître Orochimaru lui avait réclamé sa prisonnière dès qu’il lui avait envoyé la nouvelle de sa capture. Cependant, il n’avait pas précisé dans quel état, juste qu’elle devait rester en vie.

L’énorme bonhomme s’agenouilla devant sa proie, positionnant ses genoux entre les cuisses fines de sa prisonnière. Cette dernière avait toujours les mains attachées dans le dos. Elle réprima un haut le cœur en remarquant l’avidité dans ces prunelles froides. L’homme se délestait de son attirail militaire qui aurait encore pu le protéger contre ses futurs coups. Avec horreur, elle vit le visage bouffi se rapprocher d’elle, les lèvres tendues.

Sakura défit ses liens avant que cette bouche gluante n’approchât sa peau. Elle se redresssa en position assise et se délecta de l’expression de surprise de son adversaire au moment où elle frappa sur ses points vitaux, comme le lui avait appris Naruto. Grâce à sa force surhumaine, elle pouvait se vanter de frapper juste et de manière efficace.

Elle échappa au poids de ce corps menaçant de s’affaisser sur elle. S’il l’avait touchée, elle aurait dû supporter son odeur durant tout le temps de la mission. Il était hors de question d’être l’objet d’une telle incommodité. Elle dut cependant se résigner à tâter son cou. Il était impératif qu’il fût toujours en vie, sinon cela capotait toute leur entreprise.

La prisonnière sentit son pouls.

« Parfait », murmura-t-elle.

Elle sortit une fiole et en aspergea son assaillant. Elle replaça discrètement la bouteille dans sa besace accrochée à sa hanche. Sakura ne devait laisser aucun indice.

La fleur évalua son temps d’action : elle l’avait frappé suffisamment fort pour l’assommer pendant une bonne heure. Les gardes devaient être habitués à la débauche de leur maître ; aucun d’entre eux ne viendrait le déranger. Elle était libre de ses mouvements.

En silence, Sakura sortit dans le couloir. Elle écouta un instant les bruits alentours, cherchant à identifier les éventuels habitants de la maisonnée. Elle avait entendu les gardes s’entretenir entre eux. Ils avaient expliqué qu’elle était dans le bâtiment principal de ce pseudo-camp. Ino devait aussi s’y trouver. Elle inspecta le plus de pièces possibles dans le laps de temps impartis. Enfin, elle dénicha l’endroit où l’enfant se trouvait captive.

Ino avait été droguée. Elle était dans un état d’inconscience artificielle. Cela représentait la grande difficulté de leur mission. Sakura était beaucoup trop petite pour soulever le corps, même si petit, de sa consœur et de l’emmener loin de leurs ennemis. Cependant, Naruto avait tout prévu en lui confiant sa potion.

Sakura s’approcha du corps inerte et répandit le contenu de la fiole sur la peau nacrée de la blonde endormie.

Sans un bruit, elle referma la porte et retourna dans la pièce initiale. Elle sourit en voyant les effets du liquide sur le gros porc à ses pieds. Elle s’évertua à effacer ce sourire qui la trahirait et s’assit à ses côtés. Elle allait jouer le rôle de sa vie et se devait d’être un minimum convaincante. La corde passée entre ses doigts, les poignets serrés dans son dos, Sakura cria de toutes ses forces, appelant à l’aide. Elle dut répéter plusieurs fois ses cris car ces hommes étaient malheureusement habitués à la détresse des jeunes filles provenant de la chambre de leur chef.

Quatre soldats débouchèrent enfin dans la pièce, alertés par les déclarations de la jeune fille au sujet du mal-être de leur responsable. Ils stoppèrent leur course à la vue du corps de leur chef recouvert d’une mousse verdâtre et affreuse, signe d’une maladie potentiellement contagieuse.

« Que s’est-il passé ? aboya un homme.

-Je… Je l’ignore… pleura Sakura.

-Ne te moque pas de moi, gamine, sinon tu feras connaissance avec ma dague.

-Il… Il voulait me… Et puis d’un seul coup, il s’est mis à se gratter. Il est… Il est tombé… Et j’ai vu cette mousse qui… Il a dit… Il a dit que c’était comme pour l’autre fille, une blonde…

-Karuko, notre chef est-il allé dans la cellule neuf ? questionna l’un d’entre eux à son comparse.

-Je l’ignore.

-Allez vérifier pendant que je surveille cette peste. »

Les gardiens constatèrent de l’état déplorable dans lequel se trouvait leur prisonnière dans la cellule en question. Ils firent appel à l’équipe médicale. Une jeune doctoresse apparut. Elle confirma leurs craintes et exigea que tout ce beau monde fût conduit dans la clinique de fortune établie près de l’entrée du camp.

Les soldats obéirent même s’ils éprouvèrent du dégoût à transporter les malades. Sakura fut également emmenée. Elle avait été en contact physiquement avec l’un des malades. Elle pouvait potentiellement contaminer les autres gardes. Il fallait éviter une épidémie à tout prix.

La clinique était petite. Dans une même pièce, se trouvaient quatre lits et une table d’examen. Deux armoires garnissaient les murs à la peinture verte écaillée, une contenant des dossiers, l’autre remplie de potions diverses.

Les hommes partirent rapidement, ne désirant pas être contaminés par ce virus inconnu. Allongée sur un lit, Sakura fit mine de s’assoupir. Seuls restèrent la doctoresse et un membre de l’organisation.

« Ne vous inquiétez pas. La maladie n’est pas mortelle si elle est soignée à temps.

-Je n’aime pas cela, répliqua le gardien qui avait pris les choses en main.

-Je vous comprends. C’est une situation plutôt embarrassante.

-Ce que je veux dire, madame, c’est que je n’aime pas vos manières et encore moins votre façon de vous adresser à moi. J’aimerais savoir où est le médecin-chef de cette foutue clinique. On joue souvent au majong ensemble et il ne m’a pas prévenu de son départ. Avant, je ne vous avais jamais vue dans les parages. Or, un joli petit lot comme vous, on le remarque. »

La doctoresse se mit immédiatement sur la défensive. Elle n’aurait pas le dessus face à un homme armé. Elle recula dans un coin de la pièce médicale, cherchant à mettre les lits sur lesquels étaient allongés les malades entre eux. Sakura en profita pour attaquer le gardien par derrière. A l’aide de la corde qui avait servi à l’attacher, elle étrangla sa proie proprement.

« Alors, comme ça je suis une peste ? » questionna la jeune fille pendant qu’elle le mettait à mort.

La doctoresse regarda son agresseur s’effondrer au sol sans état d’âme. Un nuage de fumée explosa brusquement. En lieu et place du médecin se tenait Tenten. Elle avait utilisé des parchemins ninja pour modifier son apparence. Ayant eu la chance de naître dans une famille ninja prônant le secret, Tenten avait pu échapper à l’emprise de l’Akastuki. Elle avait donné rendez-vous quelques jours plus tôt à Gaara et le tandem de choc. C’était elle qui avait fourni la potion donnant l’illusion d’une maladie. Les enfants s’étaient réunis en songe afin de mettre au point une stratégie visant à les réunir tous. Pour l’instant, tout semblait fonctionner.

Tenten offrit le pouce de la victoire à sa salvatrice, attitude bien enfantine alors qu’elle venait de voir périr un homme. Elle n’avait eu également aucun scrupule à trancher la gorge du médecin-chef. Ils n’avaient pas choisi cet endroit par hasard. Ce lieu avait été conçu, à la base, pour évacuer les blessés ou les contaminés le plus rapidement possible du camp. Sa proximité avec l’entrée était un choix incontestable pour toute personne cherchant à s’échapper.

En reconnaissance de cet enthousiasme bien trop rare, Sakura la félicita pour sa technique d’illusion lui permettant de prendre n’importe quelle apparence.

« Tu as de la chance que les autres gardes soient partis de peur d’être contaminés. Je n’aurais pas été de taille à les affronter tous dans cette pièce exiguë, surtout sans mon arc, commenta Sakura.

-J’avais envisagé leur départ. Les hommes sont de gros bébés lorsqu’il s’agit de maladie. Bon ! Et maintenant, que fait-on avec Ino ?

-Naruto ne devrait plus tarder. Il la prendra dans ses bras. Cherche plutôt le sérum dont elle nous avait parlé. Il sera nécessaire à son réveil. »

Elles dénichèrent le produit rapidement. Le médecin responsable aimait étiqueter ses bouteilles et ranger de façon professionnelle son matériel. Une chance pour elles ! Tenten, plus habituée aux seringues que la rose, entreprit de l’injecter à l’endormie. Le sérum devait mettre un certain temps pour la délivrer de ce coma artificiel.

Une explosion dans l’armurerie les fit sursauter. Elles échangèrent un regard complice : c’était le signal.

La porte de la clinique s’ouvrit brusquement. Un garde pénétra dans la pièce et l’inspecta. Les jeunes filles furent immédiatement sur la défensive. Même petites, elles pouvaient se montrer meurtrières. L’importun, indifférent à leur attitude belliqueuse, se délestât de son casque, laissant apparaître sa tignasse dorée.

« Ce truc est impossible. Comment ils font pour se coltiner cet uniforme infâme toute la journée ?

-Alors ? questionna l’enfant de douze ans, ne relevant nullement le commentaire inutile de son comparse.

-J’ai fait ma part de boulot. Ces gars-là n’ont plus d’armes. Il leur faudra aussi un moment avant d’éteindre l’incendie que j’ai provoqué. Si le rouquin et le petit nerveux font leur part correctement, ils ne devraient pas avoir trop de mal à délivrer votre copain dans le quartier des hommes.

-Parfait ! Prends Ino ! Nous partons vers notre point de rendez-vous !

-Une seconde », imposa Naruto.

Sakura nota son humeur agressive. Il n’était pas question de se mettre en travers de sa route. Elle empêcha, d’une main sur l’épaule, sa compagne d’intervenir. Son Renard avait une idée en tête et rien ni personne ne pourrait le dissuader de faire ce qu’il avait à faire.

Naruto gifla doucement le chef de la section, l’obligeant à revenir à lui. En le tirant par le col, il le força à s’asseoir sur le lit inconfortable de la clinique. L’homme était totalement apeuré. Les yeux écarquillés, il fixait le blond à l’aspect dangereux comme s’il était la mort en personne. Les yeux accusateurs se coloraient de rouge et noir, rendant son aspect encore plus terrifiant. L’homme ne réalisait pas où il était ni en présence de qui, ce qui augmentait sa panique à chaque seconde.

« Tu vois cette fille ? » demanda calmement le démon en désignant Sakura.

L’effrayé ne put que secouer la tête en signe d’affirmation, incapable de prononcer un mot.

« T’allais lui faire quoi exactement dans cette chambre ?

-Je… Je…

-N’use pas ta salive. Je lis en toi comme dans un livre ouvert. Les hommes comme toi me dégoûtent. Fais passer le mot en enfer, dit-il en dénudant la lame courte. Personne ne touche à mon renardeau ! »

Le tranchant découpa la peau grasse avec facilité. Le sang macula l’uniforme sale, formant un collier rouge autour du cou. L’homme mourut en poussant des bruits gutturaux écœurants.

 

 

Les chopes s’entrechoquèrent au-dessus de la table en bois. La mission était un succès et tous voulurent le fêter dignement, même si Naruto était le seul à être autorisé à boire de l’alcool. Peu après l’arrivée de Naruto, Sakura, Tenten et Ino, les garçons avaient réussi à rejoindre l’auberge située à dix kilomètres du camp.

Shikamaru avait su se montrer finaud en camouflant sa véritable identité. Sa surveillance n’était donc pas aussi accentuée que celle d’Ino. Cela fut un jeu d’enfant pour Lee de briser ses liens et d’abattre les quelques gardiens restants. Gaara masqua leur fuite grâce à un nuage de sable qui fit disparaître toute trace de leur passage.

Les enfants se vantèrent de leurs exploits respectifs, grisés par leur réussite malgré ces corps faibles. Il ne restait plus qu’à libérer Néji et le tour serait joué. Ils rirent tous de ses retrouvailles, tous sauf Sakura. Cette dernière cherchait à masquer sa mauvaise humeur mais cela n’échappa pas à son compagnon de voyage.

L’heure du repos sonna. Naruto avait pris soin de réserver trois chambres : une pour Ino et Tenten ; une pour Shikamaru, Gaara et Lee ; une pour Sakura et lui-même. Ino fit tout de même la remarque qu’ils auraient pu économiser une chambre s’ils avaient simplement divisé les filles et les garçons. Ce à quoi Naruto ne répondit pas. Ses éclairs dans l’iris bleuté suffirent à décourager l’enfant-vision de discourir davantage sur ce sujet.

Sakura choisit son lit et s’y coucha rapidement sans même une salutation à son compagnon. Celui-ci soupira et mit ses poings sur ses hanches en la contemplant bouder dans les draps douillets.

« Qu’y a-t-il encore ?

-Rien ! maugréa-t-elle en lui tournant ostensiblement le dos.

-S’il te plaît, ne fais pas l’enfant !

-Moi ? Je fais l’enfant ? réagit-elle en se redressant. Peux-tu m’expliquer ce qu’il t’est passé par la tête en tuant cet homme ? Et c’est quoi cette réplique : « Fais passer le mot en enfer : on ne touche pas à mon renardeau », imita-t-elle d’une voix aggravée et totalement ridicule. C’est pour cela que tu voulais que je le laisse en vie ?

-Non, dit-il en s’asseyant près de sa protégée. Si tu l’avais tué, les autres se seraient doutés de quelque chose. L’assommer paraissait plus naturel si nous voulions qu’ils vous conduisent à l’infirmerie. Sa mort n’était qu’un plus à ma satisfaction personnelle. J’ai détesté l’idée, dès que tu l’as émise, de cette supercherie pour être entre les mains de ce porc, dit-il en plongeant son regard dans le sien.

-Pourquoi cette réplique, Naruto ? demanda-t-elle plus doucement, hypnotisée par le bleu de ses yeux. Ne suis-je encore qu’une enfant sans défense à tes yeux d’où l’appellation « renardeau » ?

-Disons que c’est ma vanité de mâle. Je voulais t’impressionner, te démontrer que je te protégerai quoi qu’il arrive. Et aussi… dit-il en lui effleurant la main.

-Et aussi ? l’encouragea-t-elle.

-« Renardeau » signifie que tu es en quelque sorte de ma famille. Tu es ma partenaire, la première sur laquelle je puisse réellement comptée. 

-Cela me touche. »

Ils laissèrent flotter ce sentiment de rapprochement. Quelque chose venait d’éclore entre eux, une sensation qu’aucun des deux ne pouvait encore nommer.

« Je peux dormir contre toi, cette nuit ? demanda timidement Sakura.

-Tu vas encore bousiller ma nuit. »

La jeune fille rit de bon cœur. Ils rapprochèrent les lits et s’installèrent le plus confortablement possible. Sakura posa sa tête sur la poitrine de son compagnon. Elle s’endormit avec la douce mélodie de son cœur. Cela la mit en confiance. Elle dormirait du sommeil du juste.

Naruto mit un peu plus de temps à s’abandonner à ses rêves. Il guettait les bruits, les déplacements suspects. Il espérait que la technique de Gaara avait été suffisante pour dérouter leurs éventuels poursuivants.

Il savoura la chaleur de ce corps contre le sien. Le Renard était peu habitué à la romance ou au bonheur. Cette jeune fille allongée contre lui, le serrant dans ses bras frêles et mettant sa vie entre ses mains était peut-être ce qui s’en approchait le plus. Il souhaitait seulement que cette vie ne lui fût pas arrachée brutalement comme la première. La mortalité des gens qu’il appréciait était, semble-t-il, conséquente et inéluctable. Il serra Sakura dans ses bras. Il profita de son état d’abandon pour lui embrasser le front, geste qu’il n’aurait jamais osé acter si elle avait été éveillée. Il refusait à devoir se justifier et encore moins à démontrer une faiblesse pour quiconque. Pourtant, cette faiblesse était bien présente.

« Dépêche-toi de grandir, petit renardeau », murmura-t-il en l’enlaçant tendrement.  

                 

 

Le corbeau virevolta entre les arbres. Malgré la brise glaciale, il ne se détourna pas de sa route et volait avec une certaine grâce en évitant chaque tronc dressé devant lui. Battre des ailes devenait de plus en plus difficile avec ce vent provenant du nord. L’hiver s’installait doucement dans leurs contrées et il en ressentait les effets sur ses ailes déployées. Son plumage était épais mais pas suffisamment pour voyager une telle distance comme son maître le lui imposait. Il n’avait pas le choix. Il était lié à son maître. Chacun de ses désirs était en réalité des ordres qu’il se devait d’accomplir prestement et avec efficacité.

Enfin, il aperçut l’auberge mentionnée par son maître à la lisière de la forêt. Il se concentra. Le maître avait bien expliqué vers quelle aura il devait se diriger. Seul le propriétaire de cette essence particulière, et nul autre, devait prendre connaissance de son message. Il le repéra sans mal.

L’oiseau écarta ses ailes sombres afin d’adoucir son atterrissage sur l’appui de fenêtre de l’auberge. Il eut un frisson en sentant le bois humide sous ses pattes. Malheureusement, la fenêtre était fermée. Il croassa, espérant que quelqu’un vint lui ouvrir rapidement. Le corbeau n’hésita pas un instant à becqueter le carreau, augmentant ainsi la teneur urgente de son message.

Il n’attendit pas longtemps. Un homme à la tignasse dorée lui ouvrit. L’inconnu lui offrit son index. Cela fit office de perchoir. Sans tergiverser, le volatile s’y installa. Il plongea son regard vermeil dans les saphirs de son hôte. Ses pupilles se transformèrent et une étoile étrange apparut dans ses perles rouges.

L’homme et l’oiseau restèrent un moment en chien de faïence silencieusement. Finalement, l’humain hocha la tête en signe de compréhension. Soulagé de la réussite de sa mission, le corbeau croassa une dernière fois avant de disparaître dans un nuage de fumée.

« C’était un message de Sasuke ? »

L’homme se tourna vers la jeune fille couchée dans le lit qui venait de l’interroger. Pour la première fois de sa vie, il vit en elle les prémices de sa beauté. Il remarqua la couleur nacrée de sa peau, le rouge naturel de ses lèvres, ses grandes émeraudes ombrées par de longs cils. Le drap avait glissé sensuellement le long de son épaule alors qu’elle venait de relever la tête. Elle chercha maladroitement d’une main à dompter ses mèches folles. Tout en parlant, elle avait remonté une jambe et avait pris légèrement appui sur l’autre, lui procurant involontairement une posture aguicheuse.

Cela n’avait duré que quelques secondes. L’image future de la femme qu’elle serait bientôt s’estompa dès qu’elle baillât grossièrement. Elle continua son mouvement pour s’étirer tel un chat et s’étendre le dos contre le matelas. Un filet de bave maculait un coin de son menton. Oui, le charme fugace était bel et bien rompu.

Toutefois, cette furtive vision suffit à emmener Naruto Uzumaki dans l’oubli de toute notion du temps. Le temps était d’ailleurs une chose qu’il avait apprivoisée depuis longtemps grâce à son extraordinaire longévité. Ce n’était pas le cas de tout le monde. Dans quelques années, Sakura Haruno serait assurément une très belle femme. Elle serait en âge de se marier et d’avoir des enfants. Naruto clignerait encore une fois les yeux et elle vieillirait encore tandis que, lui, il resterait le même. Cette dernière réflexion assombrit légèrement son humeur. Il était encore trop tôt pour songer à cela. Pour l’heure, cette jeune fleur avait juste l’âge d’avoir de l’acné et elle voyageait avec lui.

« Tu ne me réponds pas ?

-C’était effectivement Sasuke. Il nous félicite pour notre exploit d’hier mais libérer l’autre Hyûga ne sera pas aussi facile que de réveiller ta copine la grincheuse.

-Heureusement qu’il était là. Sans son aide, nous n’aurions jamais pu établir un plan d’attaque aussi rapidement.

-Il est certain qu’il a été efficace sur ce coup-là. La chance était vraiment de notre côté : le Rock Lee était sur notre route vers ce campement et cette Tenten, toujours en alerte, zonait à quelques kilomètres de notre cible. Sans compter des moyens mis en place par notre bon ami, Gaara. Cela sert d’avoir des connaissances haut placées.

-Qu’est-ce qui t’ennuie ? » demanda Sakura en s’asseyant sur le lit.

La fleur connaissait suffisamment son Renard pour reconnaître le sarcasme quand il l’employait. Son attitude nonchalante qu’il arborait, appuyé ainsi contre le chambranle de la fenêtre, n’était évidemment qu’une façade.

Le regard perdu dans la contemplation de la vue extérieure, Naruto croisa les bras et haussa les épaules. Il ne savait pas exactement comment définir le sentiment de danger qu’il ressentait. Une seule chose était certaine : son instinct ne l’avait jamais trahi.

« Je ne sais pas… Tout ça… C’était trop facile.

-Je n’en suis pas mécontente. Relaxe-toi un peu. On ne peut pas toujours affronter des tas de difficultés dans la vie.

-C’est toi qui le dis. C’est vrai que je ne possède pas ton expérience, la toisa-t-il d’un air narquois.

-Je sais exactement ce qu’il te faut : manger, dit-elle en se levant. Un bon repas et monsieur le râleur s’en va », se moqua-t-elle en tapotant doucement sur son ventre.

Naruto sourit à défaut de rire. Il y eut peu encore, il lui aurait fait payer les libertés qu’elle prenait avec lui. Mais depuis qu’il avait réalisé et surtout accepté le lien qu’il y avait entre eux, il lui permettait ce genre de familiarité. En guise de réprimande, il lui ébouriffa gentiment sa chevelure rosée.

Ce fut le cœur léger qu’ils descendirent vers la salle à manger de l’auberge. Gaara était déjà attablé dans un coin de la pièce, seul.

« Tu commandes pour moi. Je vais m’asseoir près de Gaara, annonça Sakura.

-Eh ! Je ne suis pas ton serviteur ! »

Trop tard ! L’impudente s’était déjà rapprochée de son semblable. Habituée à user d’une démarche souple et silencieuse, Sakura le surprit dans un moment intime. Le visage de Gaara, d’ordinaire dénué de toute expression, affichait un air mélancolique. Du pouce et de l’index, il triturait une mèche blonde nouée avec un ruban rouge. Dès que l’enfant s’aperçut de la présence de la jeune fille, il s’empressa de cacher son trésor sous la table. Il reprit rapidement contenance.

Sans un mot, Sakura s’assit en face de lui. Elle lui sourit timidement. Gaara ne réagit nullement. Sous le regard insistant de sa compagne, qui cachait une question muette à ce à quoi elle avait assisté, il secoua doucement la tête.

« Ne pose aucune question.

-Je n’en ai nul besoin. Je sais.

-Tu ne sais rien.

-C’est Témari. Tu en es amoureux, n’est-ce pas ? »

L’enfant du désert soupira bruyamment. Ses lèvres se pincèrent mais restèrent résolument fermées.

« Ne sois pas surpris. Je vous ai vus quand nous avons quitté Suna. Elle t’avait aidé à monter à cheval. Quand vos yeux se sont croisés, n’importe qui pouvait deviner ce que vous ressentiez l’un pour l’autre…

-Tais-toi enfant ! Tu ne sais rien. Tu vois de la romance là où il n’y en a pas. Apprends à modérer tes paroles. Il y a certaines choses, même si tu penses savoir, qu’il vaut mieux taire pour le bien de tous. »

Sakura n’osa plus alimenter la conversation. Par mégarde, elle venait de toucher un point sensible chez le garçon. Il était vrai que les amours de Gaara ne la regardaient en rien. Même si Gaara avait été un autre, dans cette vie, ils étaient frères et sœurs. C’était malsain et grossier d’avoir pu, ne serait-ce que de suggérer des liens autres que fraternels.

De quel droit s’immisçait-elle dans la vie des autres ? Sakura l’ignorait. C’était juste que ce matin, elle se sentait en liesse. Naruto lui faisait de nouveau pleinement confiance et se montrait même affectueux. Elle désirait juste gommer la tristesse chez les autres pour les accorder avec sa propre humeur. Il était vrai que c’était une réaction enfantine. Pourquoi n’y avait-elle pas réfléchi avant ? Cela ne lui ressemblait guère de ne pas prendre en considération les sentiments des autres.

L’arrivée du reste de leur groupe lui changea les idées. Chacun avait parfaitement dormi. Le petit-déjeuner fut animé et bon enfant.

Naruto dut interrompre leurs échanges joyeux en annonçant qu’il avait reçu un nouveau message de la part de leur informateur.

« Je me méfie de ton Sasuke Uchiwa, déclara Tenten. On ne sait jamais contre qui les traîtres vont se retourner. Notre évasion était vraiment trop facile. Nous n’avons même pas été poursuivis. Aucun garde n’est aux alentours pour nous rechercher. Tout cela est suspect.

-Je suis d’accord avec toi, petite demoiselle. Mais je suis sûre d’une chose : Sasuke ne trahirait jamais cette femme, dit-il en désignant Sakura du pouce. Il donnerait sa vie pour elle. Donc, si c’est important pour nous de récupérer le gamin Hyûga, il nous aidera. »

La brune fit une moue sceptique en croisant les bras. Elle savait d’expérience qu’un rien pouvait changer les décisions des espions et des traîtres. Dans son autre vie, elle avait vu nombre de guerriers perdre leur loyauté en même temps que leur honneur pour quelques pièces d’or.

« Hyûga Neji est l’enfant-vision le plus puissant après Sakura. Il travaille pour l’Akatsuki. Il est en étroite collaboration avec Orochimaru. Du coup, il possède un luxueux appartement à la capitale du pays du Feu, dans l’enceinte royale. Sasuke est actuellement à leurs côtés pour une question de sécurité.

-Tu mens, intervint Ino d’une voix blanche. Neji ne travaille pas pour eux. Il est prisonnier de l’organisation noire. Il n’a pas d’autre choix que d’exécuter leur volonté.

-Je ne mens pas, ma belle. Toutefois, si tu doutes à ce point de mes paroles, il nous suffit de nous rendre à la capitale du pays du Feu. »

Cela représentait un long chemin, au moins trois semaines à pied. Il faudrait aussi qu’ils reprennent le bateau afin de traverser la mer séparant ces terres et le pays du Feu. Cela signifiait aussi qu’ils devraient opérer à l’insu d’une population importante, agir au nez et à la barbe des gardes royaux fidèles au monarque ignorant tout de ce litige.

Naruto détestait cette éventualité. Il haïssait les villes : trop d’odeurs, de bruits et de présences. Ses sens devenaient un handicap dans de telles circonstances. Il se connaissait. Il devenait nerveux dans ce genre d’environnement, à l’affût du moindre danger, irritable constamment. Il posa son regard sur sa jeune compagne. Peut-être serait-elle capable de l’apaiser durant ses pires moments ? Elle y était déjà parvenue durant son combat contre Sasuke.

« Sasuke m’a envoyé un plan détaillé du palais royal et de ses ailes. Nous l’étudierons en route. Nous analyserons notre champ d’action une fois arrivés à la capitale. Nous ne devons surtout pas nous précipiter sinon nous serons arrêtés sans espoir d’être sauvés. Des questions ? »

Personne ne répondit.

Ils partirent une heure plus tard. Ce voyage serait éreintant, long et empli d’embuches.

 

 

Sakura l’avait repéré depuis déjà une bonne heure. Elle n’y avait pas fait attention tout de suite mais cela lui parut évident. Elle avait attendu ce laps de temps, peu certaine de ce que lui murmurait son instinct. Ses doutes s’évanouirent. Cela ne pouvait être une coïncidence : quelqu’un les suivait.

L’inconnu faisait preuve de beaucoup d’adresse. Il marchait discrètement, minimisait le bruit occasionné par ses déplacements, les épiait en prenant garde d’échapper à leur vigilance. Pourtant, Sakura avait su le localiser sans peine. Comment ses jeunes compagnons n’avaient-ils pas remarqué cette ombre qui suivait leurs traces ? Était-ce dû à l’entrainement rigoureux de son Renard ?

« Si tu sais me trouver, tu pourras toujours dénicher ton ennemi. »

C’était ce qu’il lui avait dit. Ils s’étaient amusés à jouer à cache-cache. Il lui était strictement interdit d’utiliser son pouvoir : cela ralentissait légèrement son temps de réaction. Naruto lui avait bien expliqué que chaque seconde comptait dans un combat et que cela pouvait déterminer la réussite ou l’échec d’une technique.

Ce jeu enfantin devenait cruel avec l’Uzumaki. Si elle ne dénichait pas rapidement sa cachette, elle recevait des coups en plus d’un gage. Et les gages de Naruto n’étaient en rien sympathiques. Sakura avait dû éveiller son côté sauvage, libérer ses sens de son esprit réfléchi et uniquement se concentrer sur ses sensations. Elle arrivait une fois sur trois à l’attraper. Il en était fier, même s’il ne le montrait pas.

Du coin de l’œil, elle observa son compagnon à la tignasse dorée. Il fronçait les sourcils, signe que lui aussi savait. Lorsque leurs regards se croisèrent, Naruto hocha légèrement la tête. La fleur comprit immédiatement : il allait voir cela de plus près en toute discrétion. L’image du Renard s’effaça doucement, devenant une ombre parmi les arbres avant de disparaître complètement. Sakura ne s’inquiéta pas ; elle arrivait à suivre ses déplacements.

Elle continua à marcher derrière ses pairs en silence. Tenten menait le groupe. Ayant parcouru les différents pays dans sa vie antérieure, elle était la mieux placée pour les guider. Malgré leur jeune âge, ils marchaient tous d’un bon pas. Sakura pouvait sentir leur détermination. Elle craignait regretter leur décision lorsqu’ils avaient vendu les chevaux offerts par Suna. Elle avait été soulagée quand Naruto avait décidé de se déplacer à pied au lieu de se laisser porter par ces animaux de malheur. De plus, ils pouvaient se mouvoir avec plus d’anonymat de cette manière. Toutefois, les filles semblaient les plus fragiles du groupe et elle craignait de s’arrêter régulièrement à cause d’elles. Les apparences sont parfois trompeuses. 

« Tiens, il est où Naruto ? » questionna Rock Lee en se retournant.

Sakura se contenta de lever les mains en haussant les épaules en signe d’ignorance.

Elle comprit que le jeune garçon avait commis une imprudence. Il avait souligné à haute voix l’absence de son Renard. L’autre avait immédiatement changé son mode de déplacement. Il devenait plus nerveux, il risquait de commettre une erreur ou encore d’attaquer Naruto. Il fallait agir avant que l’inconnu ne prît l’initiative.

« Je suis fatiguée, cria Sakura. Cela vous dérange si on se repose deux minutes contre cet arbre ? »

Cela agaça les enfants-visions. Ils n’avaient pas de temps à perdre pour des pauses futiles.

Sakura se moqua de leur réaction. Elle étendit les bras au-dessus de sa tête et s’approcha d’un arbre au tronc énorme. Soudain, elle frappa de sa force herculéenne l’écorce solide. Celle-ci de brisa nette. L’arbre chavira et s’effondra parmi les immenses chênes.

D’abord éberlués par l’action inexpliquée de leur consœur, les enfants virent une silhouette sauter des branches avant que celles-ci ne touchassent le sol.

« A toi, Naruto ! Dépêche-toi ! Il s’enfuit ! »

Naruto réapparut en face de l’inconnu, tel un fantôme cauchemardesque. Ses iris avaient perdu leur bleu apaisant pour se colorer de rouge. Il faisait appel à son pouvoir démoniaque pour affronter l’homme. Il n’hésita pas un instant à abattre son poing sur la mâchoire de l’espion. Ce dernier réussit néanmoins son atterrissage sans mal. Il n’était pas faible, bien au contraire, s’il arrivait à tenir debout malgré le coup de Naruto.

Les enfants purent détailler l’aspect de cet étranger. Il était légèrement plus petit que Naruto, les traits marqués par le temps, les cheveux blancs, un drôle d’accoutrement pour un guerrier. Sakura fit le rapprochement entre le déguisement de Naruto et cet homme. Cela ne pouvait être le fruit du hasard.

L’adversaire du Renard se mit en position de combat, prêt à en découdre avec cet étrange gardien des enfants célestes, un sourire en coin aux lèvres. Malgré sa préparation et son indéniable concentration, il n’empêcha pas le pied d’Ino de le frapper dans le dos. L’homme tomba en avant, se donnant piteusement en spectacle.

« Idiot ! Que fais-tu ici, crétin ?

-Je suis venu te sauver, Tsunade, mon ange ! répondit niaisement l’homme d’un certain âge.

-Jiraya, soupira Naruto les poings sur les hanches, tu es toujours aussi stupide quand il s’agit des femmes !

-Tu peux bien parler, gamin. C’est toi qui nous as mis dans ce pétrin à cause d’une noble dame. »

Naruto n’estima pas nécessaire de répliquer à cette remarque déplacée. Il se contenta de croiser les bras sans pour autant recouvrer son aspect normal. Ses prunelles flamboyaient toujours d’une lueur dangereuse.

« Que fais-tu ici, le vieux ?

-Tu le connais ? demanda Sakura en se rapprochant de son partenaire.

-C’est une longue histoire qui ne vaut pas la peine que je la raconte.

-Naruto et moi nous sommes entraînés ensemble quand nous étions gamins. Il me servait de pushing-ball, se moqua Jiraya.

-Réponds à ma question au lieu de débiter des âneries.

-Je suis venu pour ma Tsunade. Quand je suis arrivé au camp où elle était détenue prisonnière, vous étiez déjà partis. Je vous ai suivis grâce à son aura.

-Ce que tu racontes n’a pas de sens pour moi.

-« Kokoro ikemasen ». C’est une technique interdite que j’ai utilisée sur Tsunade avant sa dernière mission. J’ai connecté son âme à la mienne. Cette gamine est ma Tsunade. Je la réclame !

-Tu es vraiment le dernier des idiots ! Je te l’ai dit avant cette fameuse mission : tout est fini entre nous.

-Nous en discuterons plus tard, ma belle, quand nous serons seuls », murmura Jiraya en déposant un baiser sur la main de son assaillante.

Ino grimaça comme si elle avait été touchée par une chose immonde. Pourtant, elle ne retira pas sa main. Sakura prit la peine de scruter sa camarade comme le lui avait appris Gaara. Elle devenait experte pour lire dans les cœurs à travers les expressions faciales des gens. Cela ne dura qu’une microseconde. Là, dans ces yeux bleus, il y avait de l’   adoration et du regret. Ino cherchait par tous les moyens à se débarrasser de cet homme sans vraiment y mettre du cœur.

« Il semblerait que nous ayons gagné un compagnon de route, dit la fleur de cerisier à son partenaire.

-J’en ai bien peur… Allez, mauvaise troupe ! On repart ! »




Mot de l'auteur


Merci d'avoir lu ce chapitre.

Ici, je parle de certains traumas qui ont affecté la jeunesse de Naruto. Ces abus sont évidemment incalifiables. Si vous en êtes témoins ou si vous y êtes confrotés, je vous invite à contacter les autorités compétentes. Je les ai évoqués non par sadisme mais pour bien faire comprendre que certains enfants soldats ou jeunes élevés dans cet état de guerre sont autant des victimes que des bourreaux. Ils ont été modelés pour être des armes de guerre sans état d'âme. C'est une cruauté que j'aimerais dénoncer.

J'espère néanmoins que cela vous a plu. À très bientôt!


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