L'ombre du renard

Chapitre 4 : Tome 1 - Tanière

5418 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 17/03/2024 14:01

4. Tanière

 

Un refuge est lieu d’apaisement.

Il permet de ressourcer son âme, de soigner son corps, de reposer son esprit.

Je cherchais un endroit où m’épanouir.

Tes bras étaient mon refuge.

 

 

Naruto titubait entre les arbres. Il n’était pas faible ni blessé ; il semblait épuisé par la vie. Quelque chose lui avait ôté toutes forces vitales. Il trébucha à de nombreuses reprises sans chuter pour autant. Ses bras pendaient le long de son corps ; la pointe de son sabre tenu dans sa main droite traînait contre le sol, produisant de petits bruits métalliques intermittents lorsque la lame rencontrait des pierres. Le Renard était maculé de la tête aux pieds de sang. Était-ce le sien ou celui d’un autre ? Sakura n’aurait su le dire car il lui était impossible de déterminer une quelconque coupure sur son corps.

Soudain, l’homme s’effondra. A genoux, il planta son sabre court dans la terre meuble. Il serra la poignée des deux mains et y cacha son visage. La jeune fille comprit qu’il pleurait aux soubresauts qui parcoururent son dos. Elle voulut le toucher, le rassurer d’une quelconque façon. Sa main traversa le désespéré. Ce fut à cet instant qu’elle se rendit compte de sa condition fantomatique.

« C’est un rêve », comprit-elle.

Elle rêvait d’un futur possible. Elle se tourna vers son compagnon d’armes. Elle essaya de reconnaître l’endroit afin de le préserver de cette tristesse dont l’origine lui était inconnue.

« Sakura-chan, hoqueta-t-il. Pourquoi as-tu fait cela, Sakura-chan ? »

Le cœur de la jeune fille bondit dans sa poitrine. Naruto pleurait à cause d’elle ! Elle ignorait si elle devait se réjouir de cet état de fait ou au contraire se maudire de l’avoir mené vers un tel désespoir.

« C’est ce qu’il risque d’arriver si tu persistes sur cette voie », souffla une voix féminine derrière elle.

Le rêve lui échappa à ce moment-là. Sakura ne put apercevoir l’émettrice de ces paroles fatidiques. Tout s’effaça. Tout redevint noir. Son corps plongea dans les ténèbres.



Les paupières de Sakura papillonnèrent quelques secondes avant de dévoiler l’émeraude de ses iris. Ceux-ci inspectèrent l’endroit inconnu dans lequel elle était couchée. Lentement, la jeune adolescente se redressa non sans une grimace due à la douleur de sa blessure. Instinctivement, sa main droite se porta à son flanc gauche, comme si le geste allait empêcher la douleur de se propager dans son corps.

Les événements récents lui revinrent violemment en mémoire : Kisame lui transperçant le corps de sa longue épée ; Naruto blessé se dressant pour la protéger ; le démon démembrant ses adversaires… Paniquée à l’idée d’être sans défense et blessée dans ce lieu insécurisé, elle scruta la pénombre ambiante. Elle évalua la situation. La jeune fille n’était pas allongée dans un lit ni même dans une maison comme elle l’avait supposé à son réveil. Les murs étaient en pierre.

« Ou plutôt, c’est de la roche », se corrigea-t-elle.

En réalité, Sakura se trouvait dans une grotte. Un puits de lumière au centre de la pièce permettait d’éclairer l’obscurité ambiante. La fraîcheur de l’espace souterrain lui était bénéfique durant cet été étouffant. Une odeur d’herbe mouillée et de mucus emplissait ses narines. L’ameublement était rudimentaire. Un coffre était appuyé contre une des parois. De la viande séchait dans un autre coin. Sakura elle-même était allongée sur un tatami de fortune.

En baissant le regard sur sa piètre literie, elle remarqua les bandages à son flanc gauche. Quelqu’un avait pris soin d’elle, nettoyant la plaie et la recouvrant d’onguent cicatrisant avant d’y nouer des bandes de tissu. Doucement, elle caressa le tissu taché de rouge comme pour s’assurer de la réalité de son existence.

« N’y touche pas : tu vas abîmer les bandages. »

Sakura sursauta malgré elle. L’effet écho de la grotte avait amplifié la voix de Naruto. La remontrance s’était voulue plus autoritaire que le désirait son émetteur. La jeune fille se tourna vers l’apparente entrée de la grotte. Naruto pénétra dans son champ de vision. Il portait un oiseau et quelques lièvres à sa ceinture. Il les déposa à côté de la viande et s’approcha de sa protégée. Par réflexe, celle-ci se couvrit du drap misérable qui lui servait de couverture.

Naruto soupira en s’accroupissant à ses côtés. Il tira doucement sur le tissu.

« Montre-moi ça avant que je m’énerve.

-Je… Je ne porte pas de vêtement…

-Tu portes un short. Tu n’as aucun charme, tu n’as donc pas à t’inquiéter pour ta pauvre petite vertu. De plus, petite fille, j’ai eu tout le loisir de m’occuper de ton corps lorsque tu étais inconsciente. Alors ?

-Vu que j’ai le choix… Fais ce que tu as à faire », soupira-t-elle en baissant docilement les bras.

Naruto tâtonna la peau meurtrie cachée par les bandes de tissu. Sakura ne put s’empêcher de grimacer mais aucune plainte ne franchit ses lèvres. Le Renard masqua un sourire, félicitant intérieurement le courage de sa petite protégée. Il leva la main et la posa sur le front puis sur les joues de Sakura. Cette dernière rougit à ce geste. Ses mains étaient chaudes et extraordinairement douces pour un guerrier. Elle aurait plutôt cru que des callosités auraient recouvert sa paume à force de manipuler le sabre.

« Je suis rassuré : la fièvre est tombée.

-La fièvre ?

-Ta blessure s’était infectée et avait provoqué de la fièvre. Tu es restée quelques jours alitée.

-Tant que ça ! Heureusement que j’avais un renard pour me veiller », sourit-elle innocemment.

Un silence gênant s’installa entre eux. Naruto fixait ses saphirs dans les perles de jade de son interlocutrice. Il cherchait la moindre trace d’ironie dans les paroles prononcées ; il était à l’affût du moindre tremblement ou de la moindre gêne hormis la pudeur excessive dont elle faisait preuve. Sakura avait assisté à un de ses rares changements destructeurs entre lui et Kûybi. Il avait ravagé une maison et assassiné sans émotion tous ses habitants. Pourtant, le regard féminin était toujours franc et confiant lorsqu’il se posait sur lui. Il s’attendait à être nez à nez avec une petite fille apeurée qu’il devrait s’épuiser à rassurer. Cette fille n’était décidément pas comme toutes les autres.

« Qu’y a-t-il ? J’ai été défigurée durant l’attaque ? s’inquiéta la jeune fleur. Tu as un miroir que je puisse m’assurer que mon nez est toujours à sa place ?

-As-tu peur de moi, petite fille ?

-Pourquoi la peur m’habiterait-elle ?

-J’ai tué ces gens…

-Ils le méritaient. »

La voix fluette était calme et posée. Elle avait exprimé son opinion avec douceur ce qui la rendait d’autant plus dangereuse.

« Prédatrice », susurrait frère Renard au fond de lui-même.

 Son alter ego semblait satisfait de cette compagne. Elle avait toutes les qualités requises pour devenir une alliée convenable pour le vieux rusé et Naruto.

« Tu ne les avais nullement attaqués. Ils s’en sont pris à moi sans vergogne. Mon unique crime à leurs yeux était que je t’accompagnais. Ils devaient mourir. Ils devaient être un exemple pour nos prochains poursuivants. Je n’ai aucun souci avec les méthodes radicales ; au contraire, j’affectionne leur efficacité.

-N’as-tu pas peur que je me retourne contre toi ?

-Non, déclara-t-elle immédiatement. Tu as eu l’occasion de t’occuper de mon sort dans la forêt. Tu es un homme d’honneur. Si tu as décidé que je devais vivre, dans ce cas tu feras tout ce qui est en ton pouvoir pour que je vive. Par contre, j’ai été très surprise par cette histoire de démon.

-C’est-à-dire ? sourit-il malicieusement.

-Je pensais franchement que ta réputation de démon renard tenait du fait que tu étais sans pitié et très difficile à attraper. Je n’aurais jamais imaginé que tu abritais un véritable démon en ton sein. Pourquoi ne m’as-tu rien révélé sur ta véritable nature ?

-Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu étais toi-même une enfant-vision ? »

Sakura en fut interloquée. Ainsi, il avait percé à jour ses facultés particulières. Elle aurait dû s’en douter. Cela avait été une erreur de démontrer ses capacités devant un être aux sens si affûtés.

« Que sais-tu des enfants-visions ? questionna-t-elle d’une petite voix.

-Si je suis issu des enfers, vous avez été touchés par Dieu lui-même. Vous êtes des enfants au destin perdu ou bafoué dans une vie précédente. Par vos dons divinatoires, vous pouvez réparer les erreurs passées et envisager un renouveau dans le fil de votre destinée, rétablissant l’ordre de vos réincarnations. Tu possèdes un pouvoir divin, en somme.

-On peut voir les choses de cette manière, bien que des gens peu scrupuleux n’hésitent pas une seconde à user de nos pouvoirs pour leurs propres intérêts. Avant même de réaliser ce que j’étais, des gens sont venus m’acheter et m’ont emmenée loin des miens. On m’a formée, m’obligeant à servir des noirs desseins. J’en avais assez de prédire la mort ou la vie, assez que l’on tue des innocents parce que leur existence était une gêne possible dans un avenir incertain.

-C’est pour cela que tu t’es enfuie ?

-Un jour, on me présenta un enfant, un petit garçon d’à peine cinq ans. Il était très mignon et affectueux. Je lui avais pris les mains pour entrevoir son destin. Lorsque je suis en transe, je décris tout ce que je vois. Je ne peux empêcher le flot de paroles de s’écouler de ma bouche. J’avais annoncé la grandeur prochaine de ce garçon, son esprit vif et combattif. Avant même que la prédiction se termine, la femme qui l’accompagnait lui trancha la gorge. Elle ne supportait pas que le bâtard de son mari puisse être plus compétent que son propre garçon. Je me souviens encore du liquide poisseux sur mes mains tandis que je tenais toujours la sienne et la surprise figée pour l’éternité dans le regard innocent de l’enfant. Je ne veux plus jamais revivre cela. Je ne veux plus être un instrument dans les mains d’autrui.

-Je te comprends parfaitement.

-A cause de ta condition démoniaque ?

-A cause de ce que j’ai vécu à la suite de ma condition démoniaque.

- Dis-m’en plus. J’aimerais te connaître davantage. »

Naruto hésita. Frère Renard n’était pas un de ses sujets de prédilection. Il aurait préféré discuter sur la cuisson des ramens ou de la meilleure façon d’atteindre un ennemi. Il s’assit plus confortablement face à elle et lui permit de se recouvrir avec la couverture.

« Ce n’est pas une histoire des plus agréables à entendre.

-Si je dois pactiser avec un démon, j’aimerais savoir à qui je m’associe.

-Partiras-tu après ce récit ?

-Je resterai. J’ai entrevu ton âme et celle du démon. Je n’ai rien vu qui m’obligerait à prendre mes jambes à mon cou.

-Kyûbi n’est pas n’importe quel démon : c’est un démon renard ce qui implique que la ruse et la sournoiserie sont ses principales qualités. Kyûbi se vantait de passer d’un monde à l’autre sans qu’aucune répercussion ne l’atteigne. Il y a toujours un prix lorsqu’un démon entre dans le monde des humains mais pas pour lui. Il connaissait les passages secrets et les distorsions qui séparaient nos dimensions. L’Akatsuki, ayant eu vent de ces êtres capables de tel prodige, les poursuivit dans le but de s’emparer de leurs pouvoirs, de les soumettre à leur volonté.

-L’Akatsuki ? Tu as déjà prononcé ce nom mais je ne sais pas qui ils sont.

-Si le shogun est le soleil et la vérité, l’Akatsuki représente la lune et le mensonge. C’est une organisation de l’ombre. Elle tire les ficelles des complots ou des manipulations de toutes sortes. Quand je suis venu au monde, leur pouvoir était restreint. Avec moi, ils ont réalisé des prouesses dans le monde politique ce qui leur a octroyé beaucoup d’influence au sein des familles nobles. Aujourd’hui, il semblerait que ses membres aient encore gagné en puissance.

-Ils semblent prêts à tout pour te récupérer, apparemment.

-Oui ! Même à me couper en petits morceaux, sourit-il une nouvelle fois.

-Ta jambe !!

-Quoi ? »

Sakura sauta sur Naruto au mépris de sa propre douleur. Elle songea à la flèche qui avait transpercé la cuisse de son compagnon. Elle l’avait totalement oubliée en voyant la démarche assurée du Renard. Comment faisait-il pour éviter de boiter ? Elle défit violemment son obi et baissa son pantalon.

« Doucement tigresse ! Je t’ai dit que tu ne m’intéressais pas ! »

Sakura dévoila le membre transpercé mais ne découvrit qu’une peau lisse, sans une once d’imperfection. Elle toucha la cuisse. Sous ses doigts, elle ne rencontra aucune cicatrice révélant une blessure récente ou un autre indice de la lésion qu’elle avait constatée.

« Il n’y a plus rien… murmura-t-elle, éberluée. Comment est-ce possible ? continua-t-elle en relevant la tête, vrillant son regard dans le sien.

-C’est grâce à Kyûbi. Il soigne toutes mes blessures et contusions.

-Voilà ce qui explique pourquoi je t’ai retrouvé en aussi bon état dans cette chambre. J’avais imaginé qu’ils t’avaient cassé une ou deux jambes. Cela aurait évité tout risque de fugue de ta part. Mais, au vu de cette découverte, peut-être l’ont-ils fait…

-Je te confirme ce dernier point. Si tu étais venue une heure auparavant, je n’aurais pas été capable de me mouvoir aussi facilement.

-Maintenant, dis-moi comment ils ont capturé Kyûbi.

-Que veux-tu dire ?

-Penses-tu réellement avoir réussi à noyer le poisson en détournant mon attention sur l’Akatsuki ? Tu m’as parlé de la chasse dont a été l’objet Kyûbi mais tu ne m’as pas dit comment l’attraper.

-C’est vrai. Connais-tu la nourriture de prédilection d’un démon ?

-Le sang !

-Exact ! Le sang ! La soif de sang d’un démon est sans égal, surtout celui d’un nouveau-né.

-Tu veux dire que… »

Naruto se contenta de hocher la tête en signe de confirmation. Prononcer ces mots lui était douloureux. Il l’avait déjà fait une fois auparavant. L’expérience n’en restait pas moins éprouvante.

« Mes parents étaient des shinobis renommés et adeptes de la religion du feu. Selon la tradition, ils se sont éloignés du village caché afin de me mettre au monde. Cependant, tout ne se déroula pas comme prévu. J’étais en train d’étouffer à cause du cordon dans le ventre de ma mère. Mon père a été obligé de l’ouvrir pour me sauver. Il pensait la recoudre pour la sauver après m’avoir dégagé mais il a été interrompu par l’arrivée du démon et de ses poursuivants. Il a immédiatement compris les enjeux de cette chasse. Il voulait me protéger, conscient qu’il n’était pas de taille à les affronter et était encore effondré par la perte de sa femme. Grâce à ses connaissances, il enferma Kyûbi en moi. Il voulait que ces hommes me laissent en vie. Quel autre moyen avait-il que de faire de moi un être précieux à leurs yeux ? Il est mort en scellant le démon dans mon âme.

-Comment peux-tu savoir que ce récit n’est pas un mensonge ? Peut-être que ton père désirait se venger de toi, son fils parricide, en te liant à cette chose maléfique.

-Parce que depuis ce jour, je suis Kyûbi et il est moi. Nous partageons les mêmes souvenirs et les mêmes sentiments. Nous sommes devenus frères. Depuis ce jour, je suis moi-même un démon. »

Un silence lourd de sous-entendus s’installa entre eux. Que répliquer à cette déclaration ? Sakura avait la bouche sèche. Son existence était rayonnante en comparaison avec la naissance de cet homme. Elle compatit au lieu de s’effrayer. Elle posa ses mains juvéniles sur chaque joue de son interlocuteur dans un geste tendre.

« Un démon et une enfant élue des dieux, on fait un sacré tandem.

-Il faut croire que les dieux ne manquent pas d’humour, dit-il en se dégageant doucement. Il faut que tu te reposes, à présent. Tu dois être prête.

-Prête pour quoi ?

-Si tu veux demeurer à mes côtés, il te faut un entraînement adéquat. Et mes entraînements sont très rigoureux. »

Sakura sourit et se rallongea dans ses draps de fortune. Naruto s’éloigna s’occuper de leurs pitances.

« Ah ! Encore une chose ! »

L’homme se retourna, un sourcil arqué en signe d’interrogation. Cette gamine ne se reposerait donc jamais.

« C’est quoi cette histoire de jeunot quand tu as affronté ce Kisamé ? N’était-il pas plus âgé que toi ?

-Il semblait suffisamment immature à mon goût, répliqua-t-il en haussant les épaules nonchalamment.

-Cela n’aurait-il pas un rapport avec ton pouvoir de guérison ? Ne ralentirait-il pas ton vieillissement ?

-Peut-être…

-Quel âge as-tu en réalité ? »

Naruto soupira. Que cette fille était agaçante ! Elle avait l’art de poser les bonnes questions. Sa perspicacité n’était pas toujours appréciable.

« Je suis plus âgé que toi et cela devrait te suffire, non ?

-Qui fait preuve de trop de pudeur, à présent ? se moqua-t-elle gentiment. Ne fais pas ton timide. Dis-le-moi, minauda-t-elle.

-J’ai quarante ans », grogna-t-il, se maudissant d’être aussi faible devant les jérémiades féminines.

Satisfaite, Sakura ferma les yeux. Elle évita tout commentaire sur l’âge réel de son compagnon. Naruto avait l’apparence d’un jeune homme à peine adulte. Il cachait ainsi son expérience et pouvait prétendre surprendre son ennemi. Elle comprenait aisément sa faculté à combattre un adversaire tel que le représentant de l’Akatsuki.

Naruto n’émit aucune protestation de la façon abrupte de sa compagne pour mettre fin à la conversation. Tout cela l’incommodait. Il n’avait pas pour habitude d’étaler une partie de son passé. Il était un solitaire, s’il pouvait se qualifier de la sorte en partageant son corps avec un autre. Néanmoins, il avait pris une décision pendant l’état d’inconscience de la jeune adolescente.

« Tu es sûr de ton choix ? questionna frère Renard en lui.

-Elle veut que je l’emmène.

-Ses grands yeux verts t’ont touché, n’est-ce pas ? Je dois avouer qu’elle est à croquer, rit-il malicieusement.

-Ce n’est pas ce que tu crois.

-Ce que je crois c’est qu’elle est en train de fondre ton cœur de glace et j’approuve cela.

-Pourquoi ? De nous deux, tu es de loin le plus cruel.

-Tu es un humain. Quoi que tu dises, quoi que tu fasses, tu resteras toujours un faible humain à mes yeux. Et les humains ont besoin d’affection pour s’élever.

-Je suis fort seul. Cette fille va au contraire m’affaiblir.

-C’est ce que nous verrons, mon frère, c’est ce que nous verrons. »

Ce vieux renard lubrique avait toujours le don de l’agacer. Naruto se saisit d’un de ses gibiers et le dépeça. Le goupil prenait de grands airs mais il avait été suffisamment stupide pour se faire piéger dans le corps d’un enfant. Il avait beau être vieux, il n’en était pas pour autant sage. C’était sa ruse qui lui avait évité la plupart des ennuis et en aucun cas ses réflexions spirituelles sur la vie. D’un coup sec, l’homme trancha la tête du lièvre. Il formerait cette gamine et quand elle deviendrait suffisamment grande, il...

Naruto stoppa sa besogne. Il contempla la carcasse entre ses mains. Il réalisa soudain qu’il ne pouvait finir cette phrase. Sa situation actuelle était temporaire, tout comme sa fuite de l’organisation de l’ombre. Il avait mené son existence selon les caprices de son destin. Avec cette gamine dans les pattes, il se devait d’envisager l’avenir, un avenir qu’il n’était pas certain d’apprécier. Il se pinça les lèvres. Il détestait acquérir des responsabilités surtout quand il s’agissait de la vie de quelqu’un d’autre. La dernière fois, il n’avait su les assumer dignement.

Il secoua la tête, repoussant toutes pensées négatives embrouillant son esprit vindicatif. Pour l’heure, il entrainerait la gamine avant que son poursuivant ne les retrouvât. Naruto supposa que son ennemi le plus redoutable aurait bientôt vent de ses récents exploits et s’empresserait de se jeter sur leurs traces. Le criminel n’était pas prêt à affronter ce membre de l’Akatsuki. Le serait-il un jour ? Après tout, c’était à cause des décisions du Renard que cet homme était devenu une arme puissante entre les mains de l’organisation. Naruto n’aurait jamais dû éveiller ce pouvoir qui sommeillait en lui. S’il avait su…

Sakura s’agita dans sa couchette. Elle n’osait prononcer une parole. Le gardien avait appris à déceler son inconfort ou ses plaintes silencieuses. Le véritable problème était que la demoiselle était censée dormir si elle désirait récupérer des forces.

« Quoi encore ? s’énerva-t-il sans se retourner ni élever la voix (son ton était assez menaçant au naturel).

-Rien…

-Ne me mens pas. Je déteste ça.

-J’ai… J’ai froid. Ne pourrais-tu pas allumer un feu, Naruto-kun ?

-Non.

-Mais pourquoi ? Le puits est idéal pour laisser passer la fumée. Cette grotte est trop humide.

-Tu ne veux pas aussi un panneau avec notre position. Et puis quoi encore ? La fumée serait bien trop visible dans ces bois. Je refuse de courir ce risque.

-Ah ! D’accord… »

La jeune fille se retourna une nouvelle fois, cherchant une position plus reposante pour son jeune corps meurtri. Naruto assista à une nouvelle agitation de sa part. Il soupira. Contre son gré, il se leva et s’approcha de sa protégée.

« Toi alors ! » maugréa-t-il entre ses dents.

Naruto se dévêtit. Il se glissa dans les couvertures et rapprocha le corps juvénile contre le sien.

« Qu’est-ce que tu fais ? rougit la jeune fille.

-Mon corps est chaud. Cette technique est plus discrète et tout aussi efficace.

-Peut-être mais elle est surtout plus intime.

-Ne t’amourache pas pour si peu. Un jour, tu découvriras les véritables émois d’une femme. Ce jour-là, tu comprendras, murmura-t-il en fermant les yeux.

-Tu les as connus, toi, ces émois ?

-Dors, petite fille. La fatigue te rend bien trop insolente à mon goût.

-Dis, Naruto-kun.

-Mmmm ?

-Tu ne veux pas user de mon don pour connaître ton avenir ? souffla-t-elle.

-Le ferais-tu pour toi-même ? répliqua-t-il sans ouvrir les yeux, son visage derrière la tête de la jeune fille.

-Non, dit-elle après un instant de réflexion. Je veux être surprise par la vie. Si je connais le dénouement de l’histoire, je ne prendrai aucun plaisir au voyage.

-Tu as tout compris », sourit-il malicieusement.

L’adolescente se retourna et posa sa tête contre le torse de son compagnon. Celui-ci s’assura que la couverture couvrait bien les frêles épaules. Ses bras forts enlacèrent la jeune fille dans un geste protecteur. En fermant les yeux, Sakura savait qu’elle ferait les plus beaux rêves de sa vie cette nuit.

« Ca va comme cela ? Tu n’as pas trop chaud ? » murmura le Renard doucement à son oreille.

 

 

« J’ai trop chaud ! » se plaignit une nouvelle fois la jeune fille.

Le soleil était à son zénith. Ses rayons frappaient implacablement son corps à la peau laiteuse. Nul doute qu’à la fin de la journée, Sakura devrait y appliquer un onguent spécial pour les morsures de l’astre diurne. Malgré l’eau à proximité, l’adolescente ne parvenait pas à se rafraîchir. C’était là une punition suite à son incapacité à satisfaire son maître. Il devait certainement prendre plaisir à la torturer de cette façon, le sadique !

« C’est de ta faute si tu as perdu mon chapeau de paille. La chaleur t’accablera moins si tu parviens à réussir cette épreuve. Recommence.

-Je t’assure que j’essaye mais j’ai dû mal à malaxer mon chakra. Tes explications ne sont pas suffisamment claires pour moi.

-Apprends. Tu dois être capable de te déplacer furtivement, et ce, en toutes occasions. Si je prends la peine de t’enseigner l’art ninja, j’aimerais que tu t’appliques davantage.

-Réexplique-moi ! bouda-t-elle.

-Le chakra est notre essence vitale. Tu dois la percevoir en toi et la contrôler. Tu pourras ainsi en projeter pour que tes pieds ou tes mains puissent adhérer à n’importe quelle surface. Si tu y parviens, je te laisserai aller vers la rivière. »

Sakura hocha la tête. Debout face à Naruto, elle joignit les mains et ferma les yeux en vue de se concentrer. Elle parvenait à saisir cette essence dont parlait son prétendu maître. Le hic était qu’elle n’arrivait pas à la manipuler à sa guise. Elle n’avait aucun souci lorsqu’il s’agissait de son don divinatoire mais ça, c’était autre chose. Comment faisait Naruto avec deux chakras ? Grâce à sa clairvoyance, elle pouvait distinguer l’âme de Kyûbi de celui de son protecteur. Naruto était lumineux, vif, éclatant tandis que l’autre était des fils noirs enlacés autour de ce feu brûlant, le tirant telle une marionnette.

Une marionnette ! Voilà la solution. Sa propre essence était d’une couleur écarlate en forme de sphère. Elle devait la voir comme une pelote de laine dont elle pourrait manier les fils pour la nouer à la nature autour d’elle, pareilles à des lianes qu’elle ligoterait à une branche. Heureuse d’avoir percé le mystère du chakra, elle courut sans prévenir jusqu’à le bassin formé par un barrage naturellement présent dans la rivière près d’eux. Elle marcha sur la surface liquide sans s’y enfoncer. Tout à sa joie, elle partit dans un rire cristallin libérateur.

« J’ai réussi ! J’ai réussi !

-Ce n’est pas trop tôt ! J’ai failli prendre racine sous ce soleil de plomb !

-Rabat-joie ! N’es-tu donc jamais satisfait de mes progrès journaliers ?

-Je serai satisfait quand tu voleras de tes propres ailes. »

Sakura dissimula un sourire. Elle lâcha son emprise sur le chakra. Aussitôt, elle sombra dans l’eau fraîche feignant la surprise et l’incapacité de rejoindre la surface. Naruto s’empressa de la sauver d’une éventuelle noyade. La simulatrice attendit son moment ; puis, elle l’entraîna dans les flots. Elle rit de plus belle en rencontrant son visage mouillé et boudeur. Sa bonne humeur se communiqua malgré tout. Aussi, Naruto se prit au jeu et chercha à se venger à son tour. Pour la première fois depuis longtemps, le Renard parut rajeunir et Sakura entraperçut le jeune homme insouciant qu’il avait dû être. Elle aima ce qu’elle vit.

Les jours suivants, son maître lui enseigna comment se déplacer entre les arbres, le lancer de kunaï et quelques notions en combat rapproché.

« Tu as de la force. Tu dois être capable de l’utiliser au moment opportun. »

Les jours s’écoulèrent agréablement. Naruto avait oublié les inquiétudes qui les avaient amenés dans cette tanière. Des liens se nouèrent, des complicités naquirent.

Le dernier jour, Sakura fut presque déçue de quitter cette grotte humide. Elle y avait de merveilleux souvenirs. Sans même faire appel à son don, elle sut que c’était certainement les meilleurs moments de sa vie qui venaient de s’achever.

« En route, petite fille !

-Pourquoi diable es-tu si pressé de t’en aller ?

-J’en ai assez de vivre comme un moine. J’ai hâte de retrouver une couche douillette et chaude ainsi que le corps d’une belle prostituée.

-Pervers !

-Un homme a des besoins que tu ne peux combler, petite fille », dit-il en assistant particulièrement sur les deux derniers mots.

Sakura croisa les bras et fit mine de grogner d’indignation. Ce Renard et son art d’appuyer là où cela faisait mal l’énervaient au plus haut point.

« Ne boude pas, petite fille, taquina-t-il en tapotant une des joues féminines. J’ai un cadeau pour toi.

-Un cadeau ? Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle avec intérêt, des étoiles plein les yeux.

-Un arc tout neuf et un carquois en cuir. Avec cela, tu en feras des dégâts au combat.

-C’est pour cela que nous étions allés à la ville réputée pour ses archers.

-Tu connaissais la réputation de Tomoéda ?

-Durant mon instruction, mes précepteurs ont insisté sur mes connaissances géographiques ainsi que sur les spécialités de chaque cité. Ainsi, je pouvais localiser avec précision le lieu de mes visions.

-Comment se fait-il que tu sois une si bonne archère ? Si tu es une voyante aussi douée, je t’aurai gardée dans une cage dorée à la place de tes seigneurs.

-Ils l’ont fait. Cependant, j’ai réclamé l’utilisation d’un art pour divertir mon esprit. Il se trouve que le kyudo (littéralement la voie de l’arc) est excellent pour la concentration. Je suppose qu’ils m’ont sous-estimée à cause de mon sexe.

-Notre perte, à nous, les hommes, est toujours causée par le sexe faible.

-Qui est faible ? » hurla Sakura insultée.

Ce fut dans cette ambiance amicale que cet étrange tandem reprit la route vers de nouvelles aventures.



Mot de l'auteur


Vous en savez plus sur le monde dans lequel évoluent nos héros. Merci à vous d'avoir lu jusqu'ici cette histoire. J'espère que la suite vous plaira tout autant! À la semaine prochaine!!


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