La Source de vie

Chapitre 8 : Illusion

3209 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/09/2020 16:04

Tout était opaque, Kiba ne voyait même pas ses propres mains. Il couvrit de sa manche son nez et sa bouche et, à tâtons, chercha un endroit où se mettre à l'abri. Il trouva une colonne naturelle derrière laquelle il put se dissimuler, le temps que le brouillard se dissipe.


Pendant ce temps, il était totalement aveugle. Il n'entendait que des grognements de plus en plus forts et de moins humains. La pierre serrée dans une main et un kunai dans l'autre, privé de sa vue et de son odorat, il tentait de se reposer sur son ouïe. Le gardien semblait s'être remis sur ses pieds, mais aucun moyen de savoir ce à quoi il ressemblait à présent. Dans ces conditions, Kiba ne pouvait établir aucune stratégie. Il faisait partie d'une équipe dont la spécialité était la collecte d'informations, bon sang ! Avancer à l'aveuglette n'avait jamais été son fort et l'adversaire, lui, avait tout appris de lui. Incapable de produire n'était-ce qu'un clone, il n'avait plus que le taijutsu et ce ridicule kunai pour triompher.


Il ne put pas réfléchir plus longtemps. Après avoir entendu un long grognement bestial, il sentit le sol trembler sous lui et la formation rocheuse derrière laquelle il s'était réfugiée implosa sous une force inconnue. Kiba bondit en arrière et parvint à éviter la plupart des débris, mais un éclat de stalactite se détacha du plafond et vint le frapper à l'épaule alors qu'il arrivait en lieu sûr. Il ne pénétra que de quelques centimètres, pas assez pour atteindre l'os ou un organe vital, mais la douleur lui arracha un cri déchirant. Il refréna son envie de le retirer et se tourna vers l'endroit où devait se trouver son adversaire.


La fumée se dissipait, aspirée au milieu de la salle par une silhouette gigantesque. Peu à peu, le gardien se dévoila. Kiba ne vit d'abord d'une gueule béante remplie de braises avant de saisir dans son ensemble la monstruosité de la bête.


Elle devait faire au moins dix mètres, peut-être plus. Totalement dépourvue d'yeux, elle agitait cependant dans les airs de fins tentacules semblables à des moustaches de chat et qui remuaient dans la direction de Kiba à chacune de ses respirations. Entre chaque petite excroissance s'en trouvait de plus grosses, sept en tout, qui venaient s'écraser sur les parois de la montagne et provoquaient des pluies de roches sur leur passage. Du sommet de son crâne jusqu'au bas de ses épaisses jambes qui semblaient n'en former qu'une seule, une série de bouches était alignée. Elles hurlaient toutes en même temps dans des voix différentes, certaines stridentes, d'autres caverneuses. Toute la créature était couverte d'une poix bouillonnante qui exsudait de ses pores par flots successifs.


Kiba n'avait même pas fait un pas qu'il fut violemment frappé au ventre par l'un des longs bras qui l'avaient attrapé plus tôt. Ses pieds décollèrent du sol et il alla s'écraser contre un des murs de la salle avant de retomber mollement au sol, à moitié inconscient. Il avait senti une de ses côtes se briser et dut faire l'effort de respirer doucement pour ne pas se perforer un poumon. C'est alors qu'il vit la pierre, au sommet du crâne du gardien. Elle était presque indiscernable mais la très légère lueur rouge qu'elle renvoyait ne trompait pas. De mieux en mieux, soupira Kiba, s'efforçant de rire malgré la situation.

Il ne pouvait plus bouger. Tout son corps était une masse inerte. Il sentait le sang couler au fond de sa gorge. S'il continuait comme cela, bientôt il serait mort et tout serait fichu. Il fallait au moins qu'il réussisse à faire couler l'Élixir de vie. S'il mourait ensuite, Naruto pourrait le ramener au village.


Mourir ici... Une boule d'amertume se forma dans sa gorge. Il ne fallait pas que ce soit en vain. Il fallait qu'il se batte. Mais il ne pouvait pas se battre. L'adversaire était trop fort et lui trop faible. À cet instant, il aurait tout donné pour que ses coéquipiers soient autour de lui. Shino se serait sûrement replié pour observer la situation et aurait réussi à trouver un plan. Mais Shino n'était pas là, et c'était à Kiba de trouver le moyen de se sortir de ce mauvais pas.


Il se concentra, força sur tous ses membres. Allez, les bras, les jambes, c'est le cerveau qui vous parle, appela-t-il dans sa tête, conscient du ridicule de la situation. On a connu pire que ça, et il faut vraiment qu'on se bouge maintenant.


Au prix d'efforts exceptionnels, il réussit à fermer un poing puis l'autre, à plier un genou. Le deuxième. Son corps n'était plus qu'un gigantesque incendie, un champ de bataille après le retrait des troupes, mais il tint bon et se releva. Il fit quelques pas, qui lui suffirent à comprendre que cette action serait la dernière. Il n'aurait pas de seconde chance.


Devant lui, le monstre agitait partout ses tentacules. Il semblait attendre que Kiba arrive, comme dans un jeu malsain, parce qu'il savait qu'il avait le pouvoir dans cette situation et qu'il était plus que satisfaisant de punir celui qui l'avait mis un instant en déroute.


Un rapide test permit à Kiba de constater qu'il pouvait encore, bien que faiblement, concentrer son chakra dans ses pieds. C'était suffisant pour grimper à un mur, s'il était assez rapide. Il avala une autre pilule militaire.


Il ne grimperait pas sur le monstre lui-même. La substance collante dont il était enduit l'engluerait immédiatement. Il choisit un flanc de la montagne, le plus proche et le plus simple à escalader, et fonça.


Il n'eut même pas le temps de traverser la salle. Un tentacule le coupa net dans son élan et le renvoya d'où il venait. Cette fois-ci, le choc fut si violent qu'il en eut, l'espace d'un instant, tous les sens coupés. En chœur, toutes les bouches le narguèrent :


— Tu vas mourir, répétaient-elles inlassablement.

— Abandonne, disaient d'autres.

— Puis, quand il sera mort, nous mangerons sa chair et celle de son chien, proposa encore une autre en passant une langue gourmande le long de ses dents.

— Oh oui ! s'exclama une bouche depuis le sommet de la chose. Mais d'abord, il faut le tuer.

— Nous lui arracherons la tête !

— Nous lui briserons les os !


Au sol, Kiba se rendit compte que, cette fois, il ne pouvait vraiment plus bouger. Chaque inspiration était un kunai de plus qui s'enfonçait dans sa poitrine, chaque expiration le couinement poussif d'un doigt frotté sur le bord d'un verre. Merde, pensa-t-il. Cette fois, j'ai réussi à me perforer le poumon. Quel con...


Il pesta contre lui-même d'avoir été aussi irréfléchi dans une situation pareille. Cette fois-ci, c'était foutu, il ne pourrait plus se relever. Un instant, il espéra que Kankurô apparaisse de nulle part, comme la dernière fois. Il lui sauverait le derrière et se moquerait de lui tout le long du chemin de retour. Kiba était prêt à ravaler sa fierté une nouvelle fois, rien que pour avoir une chance de sauver Neji.


Mais ce ne fut pas Kankurô qu'il vit en ouvrant les yeux. A la place, Shino se tenait au-dessus de lui, avec le même air impassiblement sévère que d'habitude. Il ne portait pas son épais manteau gris mais, un simple t-shirt noir.


— Super, souffla Kiba en grimaçant un sourire. Il faut que mes dernières hallucinations soient de toi. Comme si j'étais pas assez puni comme ça...

— S'il descend vers un monde sans précédent, lui, commença à réciter Shino, c'est à contre cœur assurément.

— Quoi ? Encore ce truc ?

— C'est en ayant perdu toute raison de vivre qu'il vit, quand proche de la mort, il n'a pu trouver la moindre raison de mourir.


Il avait déjà entendu ces mots quelque part. Il avait eu un doute en entendant Naruto les prononcer la veille mais, à présent, il en était certain. Mais où ? Où avait-il entendu cela ?


Une goutte d'eau tomba sur son visage. Il leva les yeux et vit que, des cheveux de Shino, tombait une fine pluie et que certaines mèches, trempées, étaient collées à son front nu.


— Ah oui, c'est vrai...


Il pleuvait des cordes ce jour-là. Pourtant, les ordres de mission tombaient, quelle que soit la météo. Kiba était, juste avant le début de l'orage, parti chercher Shino. Les premières gouttes étaient tombées alors que, sur le palier, il appuyait sur le bouton de la sonnette. La mère de Shino, une femme aussi taciturne que son fils, lui avait ouvert la porte. Shino n'était pas là. Il était parti faire une course et n'était toujours pas rentré. Dehors, il commençait à tonner. La mère de Shino avait donc dit à Kiba de l'attendre dans sa chambre et était repartie vaquer à ses occupations.


La chambre de Shino était à l'image de son propriétaire : austère. Tout était parfaitement en ordre, rien ne traînait, ni au sol, ni sur les étagères. Il n'y avait qu'un livre, posé sur le rebord de la fenêtre, qui n'était pas rangé dans la bibliothèque. Même s'il n'était pas un grand lecteur, Kiba s'était assis sur la petite alcôve et avait feuilleté l'ouvrage pour passer le temps. C'était un recueil de poèmes. L'un d'entre eux avait particulièrement attiré son attention.


S'il descend vers un monde sans précédent lui, c'est à contre-

Cœur, assurément !

Avec une jeune fille d'un monde abandonné

Ne pas avoir partagé les petits secrets de la vie quotidienne !

Ou bien encore quand un fragment de désir

Devient une riche odeur de pain ou d'autrui

L'humble révérence

Oh ! n'avoir pas connu le plaisir de ces instants !


Il n'aimait pas tant que cela la poésie. Il n'en avait jamais vraiment lu. Mais même s'il ne l'avait pas tout à fait comprise, celle-ci avait retenu son attention, alors il l'avait terminée, puis relue. Et relue encore. Il sortait à peine de l'hôpital, à ce moment. Peut-être était-ce le besoin de connaître toutes les choses qu'il avait manquées, s'était-il dit plus tard. Les amis qu'il ne s'était pas encore fait, les poèmes et les romans qu'il n'avait jamais lus, les plats qu'il n'avait pas encore goûtés.


Et puis, Shino était rentré. Trempé, il s'était débarrassé de son manteau, révélant qu'il ne portait en dessous qu'un fin t-shirt noir, et de son bandeau frontal. Pendant qu'il se changeait, Kiba avait pudiquement tourné la tête et s'était perdu dans les rues dehors, où les gens s'empressaient de se mettre à l'abri. Une mère trottinant tout en protégeant son enfant qu'elle serrait contre elle, un épicier se dépêchant de tirer le store au-dessus de ses fruits et légumes, Tenten et Neji, courant vers la maison du Hokage, un bras en visière devant le visage comme seule protection.


— Oui, c'est bon, je me souviens, siffla Kiba. Et tu sais quoi ? Je suis vachement content de savoir d'où vient ce truc juste avant de mourir...

— Tu ne vas pas mourir, Kiba.

— Dis ça à mon poumon gauche.

— Si tu écoutais ce qu'on te disait, tu ferais un si bon ninja, conclut-il en secouant la tête.


Puis, il tourna les talons et s'éloigna.


— Hé, reste là ! s'exclama Kiba, avant que la douleur ne se fasse trop forte et qu'il ne se taise dans un grognement étouffé.


Se faire traiter de cancre alors qu'on est en pleine agonie, quel pied, se dit-il avant de tourner la tête vers le gardien. Il ne bougeait plus, il l'attendait, parcouru de frisson. S'il avait eu des yeux, il l'aurait sûrement regardé mourir à petit feu. Derrière lui, toujours au même endroit, Dame Tsukokami regardait la scène sans broncher. Malgré l'agitation et les débris qui avaient volé partout, elle était toujours aussi calme, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Même son kimono était encore immaculé. Presque comme si...


Kiba chercha Shino des yeux, mais il avait déjà disparu. Il considéra de nouveau la scène autour de lui et ne put s'empêcher de rire. Comment n'avait-il pas compris cela plus tôt ? Shino avait raison, il était bien un cancre. Un cancre qui ne mourrait pas aujourd'hui.


*


— Kiba, tu écoutes quand je parle ?


L'équipe 8 était réunie sur son terrain d'entraînement habituel depuis le lever du jour. Kurenai avait insisté pour qu'ils travaillent jusqu'au soir afin de se préparer à l'examen des Chuunins. Naturellement, Kiba avait cru que ce serait une journée riche en émotions, où il pourrait se défouler après une série de missions plus barbantes les unes que les autres. Il s'était imaginé se battre contre des dizaines de clones, pouvoir montrer toutes les techniques qu'il avait apprises et perfectionnées depuis sa sortie de l'Académie.


Mais cela faisait bientôt quatre heures qu'il était assis en tailleur à malaxer du chakra indéfiniment, pendant que Kurenai leur expliquait les mécanismes du genjutsu. Bien sûr, il avait d'abord fait un effort pour être attentif, mais son esprit avait fini par vagabonder entre les branches des arbres où il s'imaginait crapahuter avec Akamaru.


— Euh, oui, oui, le genjustu, tout ça...

— Alors, cela signifie que tu peux me répéter ce que je viens de dire...

— Non, admit-il après un temps d'hésitation. Désolé.


Elle soupira.


— Écoute, je sais que tout cela ne doit pas te paraître vraiment passionnant, ce que je peux comprendre, mais c'est très important. L'examen des Chuunins n'évalue pas que votre puissance, il prend aussi en compte votre capacité à déjouer les jutsus ennemis. L'apprentissage du genjutsu ne pourra être qu'un plus pour vous, parce que c'est quelque chose que les autres équipes ne maîtriseront sûrement pas. D'accord ?

— D'accord...


Elle lui sourit d'un air bienveillant. Kiba avait eu du mal à accepter Kurenai comme sensei les premiers temps, mais il se rendait de plus en plus compte que, comme Shino, elle cachait une bienveillance infinie sous ses airs sévères.


— Est-ce que l'un d'entre vous peut réexpliquer à Kiba ce que je viens de vous montrer ? demanda-t-elle aux deux autres. Hinata ?

— O... oui ! Alors, quand on a l'impression qu'on pourrait être coincé dans un genjutsu, il faut faire le signe du tigre, puis celui de l'oiseau. On effectue alors une petite brèche dans la continuité de la technique, sans la rompre totalement. On peut alors faire le test du doigt pour vérifier qu'on est bien dans un genjutsu.

— Très bien, félicita Kurenai. En quoi consiste ce test ?

— Il faut pousser son index dans la paume de l'autre main, en essayant de le faire traverser. S'il traverse, c'est qu'on est dans un genjutsu.


Kurenai la félicita une nouvelle fois et se tourna de nouveau vers Kiba :


— Tu as tout bien compris ?


Il hocha la tête et elle reprit ses explications :


— Cette technique de rupture est pratique, mais elle ne fait pas tout, comprenez-le bien. L'essentiel pour vous sera de rester calme et d'observer. Gardez à l'esprit que ces techniques marchent aussi sur la suggestion. Vos expériences peuvent être accentuées, mais jamais inventées. Les personnes que vous verrez seront forcément des personnes que vous avez déjà vues. La nourriture que vous mangerez sera de la nourriture que vous avez déjà mangée. Les genjutsu les plus puissants peuvent créer des images dans votre esprit, mais cette image prendra toute la place, et tout ce qui se trouvera autour vous sera connu. Pensez donc toujours à être attentif.


Elle marqua une pause et observa ses élèves, qui l'écoutaient enfin attentivement.


— Bien, nous reprendrons l'entrainement comme d'habitude. Chacun votre tour, sans vous prévenir, je vous plongerai dans une illusion et vous tenterez de la déjouer.


*


Kiba laissa échapper un nouveau rire de soulagement, alors qu'il composait les signes de main. Son index passa immédiatement au travers de sa paume et il resta un instant, hilare, à contempler ce résultat. Il prit une grande bouffée d'air. Aucune douleur.


Il se leva. Il pouvait marcher, sauter et utiliser ses techniques avec aisance, à présent. Quand il le vit arriver, le monstre s'agita et tenta de le frapper une nouvelle fois, mais Kiba était de nouveau assez rapide pour les éviter. Il s'arrêta sur le sommet d'une excroissance rocheuse et croisa les bras d'un air satisfait.


— Hé, je t'ai déjà dit ce que c'était, ton plus gros défaut ? lança-t-il avant de bondir vers la paroi la plus proche.


A l'aide de son chakra, il se colla au mur et courut jusqu'à atteindre le plafond, duquel il se laissa tomber, atterrissant directement au sommet de la créature, dont les multiples bouches se tordaient en tous sens.


— Tu n'es pas un ninja.


Le monstre se tordait autant qu'il le pouvait, essayait de balayer Kiba de ses tentacules, mais rien n'y fit. La créature qui, quelques minutes auparavant, était trop puissante pour être approchée, était totalement incapable de l'atteindre à présent.

La pierre était à portée de main, enfouie à seulement un centimètre sous la couche de mélasse poisseuse, mais Kiba eut du mal à s'en saisir, même en sachant que rien de ce qu'il voyait n'était vrai. Dès qu'elle fut retirée, le gardien s'affaissa sur lui-même, se liquéfiant jusqu'à n'être plus qu'une flaque que le sol absorba en quelques secondes.


Revenu sur la terre ferme, Kiba ne s'accorda pas le temps de souffler. Il se précipita à la fontaine sous le regard stupéfait de Dame Tsukokami, qui le remit la bouteille qu'elle gardait avec elle. Il remarqua à peine le fluide rouge qui émanait de ses pores, un plasma brillant, agité d'une volonté propre. Il assembla les deux parties de la pierre et les inséra dans l'encoche. Immédiatement, le flot que crachait la source changea de couleur, prenant la teinte rosée d'un sirop léger, et Kiba s'empressa de tout récupérer, jusqu'à en faire déborder la bouteille. Ses doigts étaient couverts de la substance collante, mais il n'y prêta pas attention. À mesure que le récipient se remplissait, il sentit des larmes de soulagement couler sur ses joues et le long de son nez, incontrôlables. Pourtant, il ne ressentait rien. Son esprit était embrumé, cotonneux, comme si on venait de lui arracher tous ses sentiments. Il avait réussi, c'était terminé. Il passa le revers de sa main sur son visage pour l'essuyer, s'y étalant au passage une épaisse couche d'élixir.


— Il est temps de remonter, jeune homme, dit simplement Dame Tsukokami en se levant.

— Avec plaisir.


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