La Source de vie
Les minutes s'étaient succédé à la surface. Depuis bientôt une heure, Kiba n'avait pas bougé, et le village non plus. Nagisa, assise en tailleur, observait avec fascination la scène qui se déroulait devant elle, la bouche entrouverte, les yeux légèrement écarquillés. Le reste des habitants était à peu près dans le même état, et on commençait à entendre la rumeur parcourir l'assemblée.
— Ton ami est impressionnant, murmura Nagisa, le regard toujours rivé sur la scène.
— Ah oui ? Tout se passe bien, vraiment ?
L'impatience de Naruto s'était vite muée en inquiétude à mesure que l'épreuve s'éternisait. Ce n'était pas comme pendant l'examen des Chuunins. Il ne pouvait pas encourager Kiba pour le sortir de la déroute, tout simplement parce qu'il ne savait même pas ce qui se passait. Il s'était levé, avait fait les cent pas, puis s'était rassis, mais ses jambes commençaient à le démanger de nouveau.
— Je n'ai jamais vu quelqu'un tenir aussi longtemps. D'habitude, les gens ne résistent même aux cinq premières minutes. Il devrait être sur le point de réussir.
— Comment on saura s'il y est arrivé ?
— Tu verras quand cela arrivera, expliqua-t-elle en se tournant vers lui. Ce sera évident.
— Et si… et s'il échoue ?
— Alors il mourra.
— Ça n'arrivera pas, se reprit Naruto après cet instant de doute. J'ai confiance en lui.
Alors qu'ils discutaient, une aura claire s'était formé autour de Kiba, qui semblait s'être simplement endormi devant le brasero. Naruto crut d'abord voir la distorsion de l'air due à la chaleur, mais se rendit à l'évidence quand le halo se précisa autour de la silhouette de son ami et changea de couleur pour un rose très léger.
Un frisson remua l'assistance alors que la lumière se décupla et se dirigea vers Dame Tsukokami. La contemplation silencieuse prit rapidement fin. Certaines personnes reculèrent, d'autres au contraire, avancèrent pour contempler le phénomène. Un murmure parcourut l'assistance et s'amplifia jusqu'au chahut.
Nagisa ne réagit pas tout de suite. Ce ne fut que quand elle vit l'expression sidérée de Naruto qu'elle se tourna vers le lieu de l'épreuve et bondit immédiatement sur ses pieds, la bouche grande ouverte.
— Incroyable…
Le rayon d'énergie se concentra dans la pierre et, bientôt, de grosses gouttes s'y formèrent et tombèrent au fond de la bouteille. Kiba semblait impassible, son visage ne marquait aucune émotion, aucune souffrance.
L'aura se précisa, grossit jusqu'à devenir énorme, englobant presque tout le puits de sa clarté. Nagisa plaqua la main devant sa bouche. A travers le choc, elle affichait cependant une esquisse de sourire admiratif et ne pouvait détacher les yeux du spectacle.
Toujours, l'eau rosâtre gouttait depuis la pierre et la bouteille fut rapidement remplie, jusqu'à en déborder.
Quand le halo fut consommé en entier, Dame Tsukokami ouvrit les yeux, les paupières plus lourdes que jamais. Ses rides semblaient s'être encore creusées et, quand elle forma le signe de rupture, ses mains étaient si engourdies et tremblantes qu'elle avait du mal à les soulever.
Kiba suivit de quelques secondes et n'était pas en meilleur état. Si Nagisa ne l'avait pas retenu, Naruto se serait précipité à son aide. Dame Tsukokami ferma la bouteille et la scella d'un cachet de cire qu'elle avait fait fondre au-dessus des braises.
— Toutes mes félicitations, ninja de Konoha, déclara-t-elle d'une voix presque éteinte. Tu as été très impressionnant.
Elle se leva, il fit de même. Tous deux étaient sur le point de chavirer. Kiba passa son bras autour des épaules de la vieille femme et ils se dirigèrent vers la grande demeure au fond du village. Nagisa les suivit et invita Naruto à faire de même.
Ils s'installèrent tous autour de la table, silencieux. En entrant, Akamaru se précipita sur son maître, qui lui gratta le sommet du crâne d'un air absent. Inquiet, Naruto observa longuement son coéquipier. Il n'était pas blessé, mais de lourdes gouttes de sueur couvraient son visage. Il avait le regard fixe, terne, lui qui était d'habitude si enjoué. Naruto lui tapota l'épaule.
— Eh, ça va ? chuchota-t-il tandis que Dame Tsukokami sortait une boîte ouvragée d'une malle derrière elle.
Il eut pour toute réponse un haussement d'épaules. Naruto se détourna de Kiba, mais ses interrogations ne le quittèrent pas pour autant. Que s'était-il passé là-bas, exactement ? Qu'avait-il bien pu se passer pour que l'engouement de Kiba se transforme en cette mollesse indifférente ? Il serra le poing. Il avait l'impression de perdre tous ses amis les uns après les autres, sans qu'on le laisse rien faire pour l'empêcher. Silencieusement, il se fit une nouvelle fois la promesse qu'il n'aurait de cesse de devenir plus fort et que rien de tout cela ne se produirait plus jamais.
Dame Tsukokami souleva avec difficulté le couvercle du coffret et en sortit deux buvards gros comme des pièces de cinq cents ryô. Ils étaient d'un blanc crème, marqué en leur centre du kanji du silence. Elle les frotta entre ses doigts et referma la boîte, puis tendit les deux morceaux de papier à Kiba et Naruto.
— Placez-les sur votre langue, ordonna Nagisa. Nous devons sceller votre bouche pour que vous ne puissiez jamais parler de ce que vous avez vu ici.
Kiba obtempéra immédiatement, Naruto se montra un peu plus hésitant.
— Cela ne sera pas douloureux.
Encore quelques secondes de réflexion et Naruto posa finalement le buvard sur sa langue. Il n'avait pas de goût. Puis, la vieille composa un signe et le papier se liquéfia, coulant épais comme du mercure au fond de leur gorge. Leur langue picotait, engourdie, mais cela ne faisait pas mal. Ils restèrent longtemps ainsi, sans bouger. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que quelqu'un dise quoi que ce soit et Naruto commençait à se sentir mal à l'aise. Heureusement, Kiba finit par se lever.
— Nous devons partir maintenant. Merci encore pour tout.
— Un grand merci à toi également, ninja de Konoha, répondit Nagisa, alors que la vielle demeurait silencieuse, les paupières mi-closes et la tête lourde. Toi et ton ami serez les bienvenus au village, si d'aventure vous vouliez revenir.
Elle lui remit ce qui lui revenait. Il le prit avec autant de précaution qu'on porte dans ses bras un nouveau-né.
Ils ne s'attardèrent pas dans le village et, dès qu'ils en furent éloignés, ils eurent presque l'impression qu'ils n'y avaient jamais mis les pieds. La journée était sombre, de grosses gouttes de pluie tombaient entre les feuilles des arbres, mais l'air était épais autour d'eux et glissait comme du sirop dans leur poumons écrasés par la chaleur. Le temps était à l'orage.
Cette fois-ci, ils ne s'arrêtèrent pas, mais la fatigue et la météo les ralentirent considérablement, si bien qu'ils n'arrivèrent au village que le lendemain matin, alors que le soleil montait déjà haut à l'horizon.
Personne à Konoha ne fit attention à eux. Aux yeux de tous, ils étaient deux simples ninjas rentrant d'une mission quelconque. Peu importait à Kiba. Au contraire, il était plutôt heureux de passer inaperçu il n'avait pas besoin de perdre plus de temps.
Malgré la fatigue, c'est au pas de course qu'il grimpa les marches de la maison du Hokage, Akamaru ouvrant la marche à grands aboiements. Ils entrèrent dans le bureau sans prendre la peine de frapper. Tsunade, une tasse de thé chaud entre les mains, parcourait distraitement les ordres de mission du jour. Elle sursauta en voyant Kiba pousser la porte et, s'avançant doucement jusqu'à elle, poser sans un mot, sur le sous-main, une bouteille remplie d'Élixir de Vie. Il la regarda ensuite avec insistance, attendant une réponse de sa part, mais elle se contenta de hocher la tête, avant de se lever, bouteille en main et de se diriger vers l'hôpital.
La concoction du remède avait duré trois heures. Trois longues heures que Kiba et Akamaru avaient passé dans le couloir du deuxième étage, attendant patiemment, sans bouger. Les yeux de Kiba semblaient vouloir se fermer tous seuls, mais il parvint à lutter. L'épreuve l'avait vidé de son énergie, comme aucune mission ne l'avait jamais fait. Il ne se sentait pas fatigué, non. Il était purement et simplement vidé, les émotions en panne sèche. Il n'arrivait, somme toute, qu'à ressentir une sorte de soulagement étouffé, son cœur temporairement insonorisé, rempli de laine de verre. Rien n'entrait, rien ne sortait. L'épreuve avait construit un mur entre sa peau et le monde extérieur, et il ne se sentait pas encore la force de le détruire.
Les gens allaient et venaient, mis au courant de son retour. Certains ne savaient même pas qu'il était parti. On lui offrit une bonne dizaine de tasses de thé, qu'il refusa toutes. Ce n'est pas qu'il n'avait pas soif. Il n'avait ni bu ni mangé depuis l'avant-veille au soir, et son estomac se tordait douloureusement, mais l'idée-même d'ingurgiter quoi que ce soit lui donnait la nausée. Il voulait bien, mais ne pouvait pas, tout simplement.
Quand il se leva en voyant Tsunade arriver au détour du couloir, ses genoux étaient liquides. Il chancela et dut se rattraper au mur pour ne pas s'écrouler à terre. La Hokage entra dans la chambre sans le regarder, l'air fixée et déterminée. Elle tenait à la main une poche à perfusion, qu'elle accrocha au portant et repartit simplement après avoir fait signe à un infirmier.
Kiba ne quitta pas la vitre tant que la dernière goutte du remède ne fut entrée dans les veines de Neji. Agrippé au rebord pour ne pas basculer, il gardait les yeux rivés sur les moniteurs, qui s'affolaient, puis se calmaient, puis s'affolaient de nouveau. Encore deux heures passèrent avant que Tsunade refasse une apparition. Elle alla se pencher au-dessus de Neji et défit les bandelettes couvertes d'inscriptions qui entouraient son front, puis les remit en place avec un sourire satisfait. Elle se tourna vers Kiba et lui adressa un signe positif avant de ressortir, alors que l'infirmier commençait à appliquer des soins à Neji.
— Tu as vraiment réalisé un exploit, tu le sais ?
— Ouais…
— On ne devrait plus avoir de mal à le guérir, maintenant. Avec les médecins de qualité que l'on a ici, ce sera l'affaire de deux jours. Trois, maximum. Il te doit une fière chandelle.
Kiba haussa les épaules. Il avait réussi, Neji serait bientôt rétabli grâce à lui. Pourtant, il n'arrivait pas à s'en réjouir et cela n'avait rien à voir avec sa relative anesthésie émotionnelle. Il était soulagé, bien sûr, la pince qui enserrait sa gorge s'était desserrée et il respirait enfin. Mais l'air qu'il avalait avait un amer goût de victoire incomplète.
— Tu as été beaucoup éprouvé, constata Tsunade en l'examinant d'un regard discret mais expert. Tu devrais aller te reposer. Je vais faire mon possible pour te libérer une chambre et on te donnera un bon repas et des compléments alimentaires. Tu m'as l'air d'en avoir plus que besoin.
— Merci, mais… peut-être plus tard.
Il tourna les talons, suivi par Akamaru, et remonta le couloir.
*
Neji émergea lentement d'un long sommeil sans rêves. La clarté des murs unis autour de lui le força à fermer les yeux aussitôt qu'il les avait ouverts. Petit à petit, il s'habitua à la luminosité ambiante et reconnut une chambre de l'hôpital de Konoha, en tous points semblables à celle dans laquelle il s'était réveillé quelques mois auparavant. Alors, comme ça, il n'était pas mort…
Son corps était lourd, il avait du mal à bouger même les doigts. Il avait l'impression d'être entouré d'une épaisse gaine de coton. Il n'avait plus mal nulle part. La douleur diffuse qui l'avait ceint pendant plusieurs semaines avait complètement disparu.
En tournant la tête, il vit sa coéquipière, assoupie sur un fauteuil à côté de son lit. Elle avait défait ses chignons et ses cheveux en bataille reposaient sur ses épaules. La table de chevet à côté d'elle avait été recouverte de bouquets de fleurs un lys à la tige flétrie lui chatouillait le nez quand elle inspirait et la faisait grimacer.
— Tenten, articula-t-il alors que l'air peinait à sortir de sa gorge.
Elle ouvrit un œil difficilement, grogna et se rendormit avant de se réveiller de nouveau.
— Je dormais pas… maugréa-t-elle en relevant une tête qui semblait peser plusieurs tonnes, essuyant le filet de salive qui avait commencé à couler au coin de sa bouche.
Elle s'arrêta dans son mouvement, puis rattrapa d'un geste le vase qu'elle avait déséquilibré en se redressant.
— Tu es réveillé ! s'exclama-t-elle, un grand sourire aux lèvres.
Bien que l'équipe de Gaï n'ait jamais été très portée sur ce franc esprit de camaraderie qu'on vantait à l'Académie, Tenten ne put s'empêcher de bondir sur son coéquipier et de le serrer dans ses bras. Elle était heureuse qu'il soit tiré d'affaire. Même s'il n'avait été souvent qu'un sale con, c'était un sale con plutôt attachant.
— Comment ça va ? demanda-t-elle en le lâchant.
— J'ai… soif…
Sans plus de questions, elle alla chercher une carafe et remplit un verre d'eau qu'elle lui tendit. Neji se releva, péniblement. Même pousser sur ses bras pour soulever son propre poids lui paraissait une épreuve. Peu à peu, il parvint à respirer plus aisément. L'eau fraîche lui brûlait la gorge, il pouvait encore sentir le tube encombrer sa trachée et pourtant, chaque gorgée était une libération.
— Que s'est-il passé ? demanda-t-il quand il put de nouveau parler normalement.
Sa voix était encore rocailleuse, mais moins douloureuse. Il n'avait jamais été très bavard, de toute manière, et il n'avait pas envie de dire quoi que ce soit. C'était la deuxième fois en moins de trois mois qu'il passait à quelques instants de la mort. À cet instant, il avait simplement envie de ne plus bouger du tout. Avoir un instant, ne serait-ce qu'un instant de paix.
— Tu ne te souviens vraiment de rien ?
— Rien du tout. Enfin… pas après être rentré à Konoha. Je me rappelle un peu de Kiba et Ino. Ils m'ont ramené.
— Oh, ils ont fait beaucoup plus que ça. Ino t'a administré des premiers soins quand tu t'es effondré. Apparemment, c'était pas grand-chose, mais elle t'a permis de tenir jusqu'à ce que l'équipe médicale arrive. Elle était vraiment secouée à l'idée de n'avoir pas pu faire mieux, on l'a ramassée à la petite cuillère. Tu pourras la remercier. Quant à Kiba… Oh, trois fois rien, il a juste réalisé un exploit que personne avant lui n'avait réussi.
Neji, qui jusqu'à présent était occupé à remuer les doigts pour faire repartir sa circulation sanguine, leva la tête brusquement.
— Quoi ?
— C'est ta marque qui te rendait malade, alors il a fallu te l'enlever. Non, non, non, non, ne touche pas ! Attends-le, au moins. Il a risqué sa vie là-bas, il paraît ! Je ne connais pas tous les détails, parce qu'ils n'ont pas le droit d'en parler, mais je sais qu'ils sont partis, lui et Naruto, dans un village pour chercher un remède, et qu'ils ont failli en mourir. Tsunade ne voulait pas prendre le risque d'envoyer quelqu'un, mais il l'a supplié de le laisser y aller.
— Supplié ?
— À ce qu'on dit, oui. Elle l'a fait attendre pendant toute une journée avant de le laisser rentrer dans son bureau, juste pour voir s'il resterait ou pas. Mais bon, comme il n'a pas pu le confirmer lui-même, je ne sais pas vraiment comment ça s'est passé. Tu sais, l'impératif du ninja, ne jamais croire sans preuves, tout ça, blablabla…
Pendant que Tenten, de plus en plus énergique, partait sur une tangente sur ce qu'ils avaient appris du temps de l'Académie, Neji resta interdit. Kiba Inuzuka avait été jusqu'à supplier le maître Hokage de le laisser risquer sa vie pour le sauver ? Lui ? Alors qu'il avait pourtant attenté à la vie de sa coéquipière ? Il est vrai qu'ils étaient devenus plus proches, depuis la fameuse mission contre Oto, mais au point d'aller courir de tels risques…
— Cela dit, je suis quasiment sûre de certaines choses, parce que plein de gens l'ont confirmé. En tout cas, ce que je peux te dire de source sûre – super sûre, même, parce que j'étais là – c'est qu'en rentrant de sa super quête potentiellement mortelle, il a quand même eu la force d'aller affronter le seigneur Hiashi. J'ai vraiment cru qu'il avait perdu l'esprit, quand je l'ai vu débouler, des cernes jusqu'au milieu des joues.
C'était sans doute ça, se dit Neji en esquissant un sourire, il a complètement perdu la tête. Comment expliquer ses actions, sinon ? Au milieu de cette confusion, il se sentait pourtant incroyablement bien. Pour faire une telle chose pour lui, gratuitement, sans même être sûr d'en revenir, il fallait l'aimer. Pas l'estimer, comme c'était le cas de Lee, ou de Naruto. Non, il fallait l'aimer comme son père l'avait aimé. Il pensa au milieu du brouillard de sa sortie de coma que cela devait être cela, d'avoir un ami. C'était une sensation des plus étranges, une boule dans la gorge et les yeux qui se gonflent, et le sentiment de n'être plus tout seul au monde.
— En fait, continua Tenten, j'ai appris ce qui t'était arrivé en rentrant de mission, et personne à l'hôpital ne voulait me laisser te voir. Du coup, je suis allée au manoir, en me disant qu'il y aurait bien quelqu'un pour me dire ce qui se passait. J'ai croisé Hinata, elle ne savait rien non plus, donc on a pris un thé en attendant que son père sorte du conseil des patriarches. C'est là qu'on l'a vu débarquer, comme un fou. Il voulait voir le seigneur Hyûga, comme nous. Sauf qu'il a pas attendu. Il est entré dans la salle du conseil, en dérangeant bien tout le monde.
Elle avait insisté sur le « bien » – biiiiiiien –, ne pouvant cependant pas retenir un rire nerveux. Elle reprit le verre de Neji et le remplit de nouveau. Pendant qu'il en vidait un, puis un autre, elle continua :
— On a essayé de le retenir, mais penses-tu ! La dernière fois que j'ai vu quelqu'un d'aussi déchaîné, Lee avait bu de l'alcool. Et il a passé cinq bonnes minutes à les engueuler – les en-gueu-ler, je te jure –, à leur dire qu'ils ne devaient pas te remettre ta marque, que c'était complètement injuste, que c'était dangereux. Ils étaient tous tellement surpris qu'ils n'ont même pas pensé à le rembarrer, rien. C'était à la fois l'expérience la plus embarrassante de toute ma vie et vraiment très drôle. Un sacré spectacle, ça, c'est clair.
Oui, sans doute un sacré spectacle…
— Et le pire dans tout ça, c'est qu'il s'est effondré avant qu'ils aient pu lui répondre. Du coup, c'est nous qui avons dû le ramasser et l'emmener à l'hôpital et ça fait trois jours qu'il dort. Les médecins disent qu'il n'y a rien de grave, juste qu'il a besoin de retrouver un peu d'énergie. En même temps, tu m'étonnes qu'il est crevé…
Elle prit une grande respiration à la fin de son discours, et versa de nouveau un verre d'eau qu'elle tendit à Neji.
— Allez, s'exclama-t-elle en se dirigeant vers la sortie je vais prévenir tout le monde que tu vas bien, ça te laissera le temps de récupérer un peu avant que je débarque avec toute la cavalerie. À plus tard !
Elle s'éclipsa d'un pas sautillant, tout en se recoiffant. Quand ouvrit la porte, Akamaru se glissa dans la pièce.
— Hé ! s'exclama Tenten en essayant de le repousser. Reste dehors, toi !
— Laisse-le, ne t'en fais pas…
— Sûr ?
— Oui, oui.
Elle s'écarta pour le laisser passer et sortit. Le petit chien blanc se précipita vers le lit. Après quelques secondes de calculs de haute volée, il bondit et vint se lover aux côtés de Neji. Son pelage était doux, fraîchement lavé, et on sentait dessous une peau chaude qui se soulevait à chaque respiration.
Quand Tenten eut descendu l'escalier, Neji se leva et se dirigea vers la salle de bains. Ses pas étaient incertains, mais il pouvait tout de même marcher.
La pièce était éclairée par un seul néon, qui projetait des ombres inquiétantes sur son visage. L'image que lui renvoyait le miroir était celle d'un demi-vivant. Il paraissait fatigué et, pourtant, il se sentait bien, peut-être pas en pleine forme, mais bien.
Doucement, il retira la gaze qui lui entourait le front. Arrivé à la dernière couche, il hésita, et finit par tout remettre en place. Akamaru avait sauté du lit et l'avait rejoint. En voyant Neji figé devant la glace, en plein combat de regard avec lui-même, il se hissa sur ses pattes arrière, s'appuyant sur la jambe du ninja, et couina d'un air interrogateur, la tête penchée sur le côté.
— Ne t'en fais pas, va, dit Neji avec un léger sourire. Tenten a raison, je devrais attendre ton maître.
Il se pencha et prit Akamaru dans ses bras. Le petit chien était beaucoup plus lourd que sa taille laissait préjuger, et Neji fut heureux de n'avoir à le transporter que sur deux mètres avant de le poser sur le lit. Il s'assit, tourné vers la fenêtre.
Dehors, le ciel était beau, mais l'atmosphère était lourde. L'air qui filtrait à travers la fenêtre entrouverte était plus étouffant que rafraîchissant et Neji pouvait sentir la sueur commencer à perler sous ses bandages. Distraitement, il grattouilla Akamaru entre les oreilles et celui-ci roula sur le dos, avec un grognement satisfait.
— Tu en as de la chance, toi, dis donc, d'avoir quelqu'un d'aussi dévoué comme maître… Je me repose encore un peu et on ira le voir tous les deux, d'accord ?
Akamaru jappa avec enthousiasme et Neji reporta son attention vers l'extérieur. Sa chambre n'était pas climatisée, et l'air écrasant de ce début d'après-midi l'étouffait et collait ses vêtements à sa peau. Le ciel au-dessus de Konoha était dégagé, tout semblait clair, paisible mais des nuages noirs s'amassaient à l'horizon. Ils annonçaient ces journées sombres, rythmées par le grondement d'un tonnerre sans éclairs, par le battement des pluies chaudes et suffocantes sur les trottoirs déserts.
Dans un grognement, Neji hissa ses jambes lourdes sur le matelas et s'allongea. En s'endormant, il ne se sentait plus si léger. Cette impression lui arrivait de nulle part, il n'avait aucune raison de le croire et, pourtant, elle s'était incrustée dans son esprit comme une évidence.
L'orage ne tarderait pas.