La Source de vie

Chapitre 6 : Gardien

2767 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/09/2020 15:56

— C'est l'heure, déclara une voix monocorde.


Kiba se réveilla doucement, soulevant une paupière, puis l'autre. La nuit avait été agitée, remplie de rêves sans aucun sens, d'images incongrues et de mauvais augures. S'il avait été superstitieux, Kiba serait parti du village sur le champ. Mais la détermination l'emportait sur la peur et il suivit Nagisa sans un mot.


Il devait être au moins dix heures du matin. Tous les habitants s'étaient rassemblés sur la grande place du village. Ils se turent en voyant Kiba arriver. Nagisa l'accompagna jusqu'au centre, devant le puits entouré de pierre. Il n'était pas si profond que Kiba l'avait imaginé à peine un mètre du sol jusqu'au fond, à peu près autant de diamètre. Il était rempli de charbons ardents qui dégageaient une douce chaleur en ce matin plutôt frais.


Deux sièges avaient été disposés face à face, à un bord et l'autre. Dame Tsukokami était assise en tailleur sur l'un d'entre eux et, après une invitation silencieuse de Nagisa, Kiba en fit de même. L'enfant alla ensuite rejoindre Naruto, qui se trouvait dans la foule, accompagné d'Akamaru. Kiba leur adressa à tous les deux un sourire rassurant avant de reporter son attention sur la vieille femme.


— Bienvenue, ninja de Konoha, dit-elle d'une voix suffisamment forte pour que tout le monde l'entende. Tu es sur le point d'accéder à l'Élixir de Vie. Mais d'abord, tu devras prouver que tu t'en montres digne. Es-tu toujours sûr de ta décision ?

— Certain.

— Dans ce cas, ramasse ce qui se trouve devant toi.


Kiba obtempéra. Sur le rebord du puits, se trouvait ce qui ressemblait à de la jaspe. La pierre lisse, d'un rouge profond, faisait environ la taille de sa paume, et semblait avoir été d'un ovale parfait avant d'avoir été cassée en deux dans le sens de la longueur. Bien qu'elle ait été à proximité des braises, elle n'était pas chaude du tout, et Kiba la serra au creux de sa paume.

Pendant ce temps, la vieille femme prit devant elle un flacon de verre et deux autres pierres, rouges elles aussi mais d'aspect plus rugueux.


— Garde-la en ta possession, ordonna-t-elle en joignant les mains, ne la lâche surtout pas. Tu en auras besoin pour compléter l'épreuve. Maintenant, suis-moi.


Elle se leva, Kiba l'imita. Elle le conduisit, par un chemin étroit mais bien entretenu, vers une ouverture dans le flanc de la montagne. Là, se trouvaient des escaliers sombres, qui descendaient vers les profondeurs. Dame Tsukokami empoigna la lanterne à huile qui se trouvait près de l'entrée et l'alluma.


— Descendons.


Les marches étaient abruptes, et l'humidité les avaient rendues glissantes. Kiba passa alors son bras sous celui de Dame Tsukokami, pour l'aider dans sa descente. Ils avancèrent longtemps, très longtemps. Si longtemps que Kiba en perdit le compte des marches.


— Merci de ton aide, jeune homme. Nous arrivons presque en bas, je me débrouillerai pour la suite.


La voix n'était plus celle d'une vieille dame elle était devenue claire et mélodieuse. Kiba se tourna vers Dame Tsukokami et dut se retenir à la paroi pour ne pas glisser dans sa surprise. À côté de lui, se trouvait une jeune femme qui ne devait pas être plus vieille que Hana. Sa peau était nette, lisse, sans aucune tâche pour trahir son âge, ses cheveux noirs, épais et brillants, ses yeux ronds et alertes, son corps ferme et agile.


— Tu constateras qu'il se passe des choses étranges en ces lieux, expliqua-t-elle devant l'expression interdite de Kiba. Les pouvoirs de la source sont grands et multiples, autant que ceux de son gardien.


Kiba n'eut pas le temps de poser des questions sur ce gardien. Ils débouchèrent sur une immense salle souterraine. Le plafond, situé à une centaine de mètres au-dessus de leurs têtes, était couvert de stalactites, qui gouttaient en une légère bruine en bas. La grotte couvrait une surface gigantesque, mais était complètement vide, à l'exception d'une source, du côté opposé à la sortie. C'était un simple trou dans la paroi, par lequel s'écoulait, dans un bassin creusé par l'érosion, un liquide clair. Kiba s'en approcha. Au-dessus de la source, une encoche avait été pratiquée. La pierre qu'il avait ramassée au bord du puits y serait rentrée parfaitement, s'il n'en avait pas manqué la moitié.


— Est-ce que tu comprends maintenant ? demanda Dame Tsukokami en s'asseyant sur un rocher non loin.

— Il me faut l'autre moitié.

— Tout juste. En l'état, l'eau de cette source n'est pas différente de n'importe quelle autre. Ce n'est qu'une fois la pierre reconstituée et placée ici que ses facultés miraculeuses se révèlent.

— Dans ce cas… dites-moi où trouver le morceau qui manque.


Dame Tsukokami pointa l'index derrière Kiba.


— C'est à lui qu'il faudra le prendre.


Kiba se retourna vivement. Personne n'avait jamais réussi cette épreuve, il ne devait pas sous-estimer son ennemi.

Il avait prévu d'attaquer le premier, toutes griffes dehors, dès qu'il verrait son adversaire. Mais il ne bougea pas, malgré sa détermination.


Devant lui se trouvait une copie parfaite de lui-même. Même taille, même visage, mêmes expressions. Ils s'avancèrent l'un vers l'autre, parfaitement synchronisés.


— Tu as peur, Kiba ? demanda l'autre.

— D'une vulgaire technique de métamorphose ? Jamais de la vie.


Même s'il devait avouer avoir été surpris dans un premier temps, en grande partie à cause de son extrême nervosité, il se rendait compte qu'il ne s'agissait que d'un subterfuge de débutant pour tenter de le dérouter.

— Une métamorphose ? Tu te doutes que c'est plus compliqué que cela.


Lentement, le double sortit un kunai, immédiatement imité par Kiba. Mais, au lieu d'attaquer, il porta la lame au creux de sa main et appuya jusqu'à faire couler un peu de sang. À cet instant, Kiba ressentit un picotement exactement au même endroit. Il regarda sa paume et constata qu'une coupure y était apparue.


— Il a compris, on dirait. Si on continuait ?


Il recommença, en pressant cette fois-ci la lame sur son poignet. Le sang jaillit des deux plaies, brûlant sur les peaux refroidies par l'humidité. Il fallait arrêter cela, mais l'adversaire était trop loin de Kiba pour qu'il puisse l'attaquer de front. Pas le choix, alors… Le ninja serra le poing et, sans hésiter, s'asséna un violent coup au visage. Il n'avait pas frappé aussi fort qu'il l'aurait voulu – jamais facile de se faire mal, c'est vrai –, mais ses phalanges et sa joue brûlaient et pulsaient sous la douleur.


— Bordel, ça fait mal ! s'écria-t-il en crachant un peu de sang, un sourire carnassier au bout des lèvres.

— T'es vraiment barge, toi ! cria l'autre, aussi amusé qu'il était scandalisé.


Il était courbé, plié en deux par la surprise et la souffrance. C'était le moment. Il bondit et se précipita, mais le gardien parvint à l'éviter.


— Raté ! fanfaronna-t-il en se redressant.

— Que tu crois…


Kiba brandit la pochette et le kunaï qu'il avait réussi à subtiliser. Avec l'aide de Hinata, il avait appris à voler toutes sortes de choses en combat rapproché, juste par plaisir d'importuner Shino, qui avait du mal à suivre au corps à corps. Il jeta la sacoche au loin, reprenant appui sur ses pieds, prêt à foncer de nouveau.


— Pas mal, je suis impressionné.

— Allez, file-moi ce caillou, maintenant. Si tu veux résister, sache que je me suis déjà poignardé dans le ventre, dans une situation comme celle-là, et que je n'hésiterai pas à recommencer si ça peut me faire gagner du temps…

— Pas si vite, interrompit le double en se redressant. Peut-être pouvons-nous trouver un terrain d'entente. Vois-tu, je tiens à l'Élixir de Vie. Il est à moi, il m'appartient. Mais, comme je suis quelqu'un de gentil…


Il se leva et essuya le sang qui coulait de sa lèvre. Son image commençait peu à peu à s'estomper, révélant une silhouette noire et sans visage. Voyant qu'il perdait le contrôle, il secoua la tête et ses formes se précisèrent de nouveau.


— Tu ne repartiras pas les mains vides. Je peux te donner ce que tu veux, tout ce que tu veux. J'ai dans cette montagne des salles encore plus grandes que celles-là, remplies d'or et de pierres précieuses. Prends tout ce que tu veux, c'est à toi. Regarde.


Il leva un bras vers la paroi la plus proche. Une boule lumineuse se forma au creux de sa main, et il la projeta dans le grand mur de pierre, qui explosa sous l'impact. Une fissure s'ouvrit, béante, et cracha un flot discontinu de bijoux et autres pierreries. Kiba, qui avait reculé pour se protéger des débris, observa, perplexe, la scène qui se déroulait devant lui. Le double s'avança jusqu'à l'amoncellement de richesses, en ramassa une poignée, et se tourna de nouveau vers Kiba.


— J'ai dans cette main suffisamment pour vivre dix vies dans le luxe. Prends ce que tu veux. Remplis tes poches. L'Elixir est la seule chose qui me maintient en vie et je ne peux le boire que quand un étranger descend ici pour le rituel. Je n'ai pas besoin de toutes ces choses alors, si tu veux, prends tout. Je n'ai pas envie de me battre contre toi. Donne-moi ta moitié de la gemme et je te laisserai partir avec tout ce que tu veux.


Sa voix était plaintive, geignarde il semblait vraiment penser tout ce qu'il racontait. Kiba ne savait pas comment réagir. D'un côté, l'offre semblait sincère, même de la part d'un être si étrange et, de l'autre, il ne pouvait l'accepter. Même avec tout l'or du monde, il ne pourrait pas soigner Neji. C'est de l'Élixir dont il avait besoin et rien ne pouvait le détourner de sa mission. Mais ce double, cette créature, semblait si seul qu'il avait des scrupules à lui prendre la seule chose dont sa vie dépendait.


— Eh bien, dit-il, prudent, c'est très généreux de votre part, mais ce n'est pas ce que je suis venu chercher ici. J'ai vraiment besoin de l'Élixir, je dois le ramener à Konoha. Sinon, mon ami va mourir. Laissez-moi juste en prendre une bouteille, je vous laisserai prendre ce que vous voulez après. Vous avez raison, on n'a pas besoin de se battre.


Le double lâcha ce qu'il tenait et resta un instant immobile, les sourcils froncés, la tête légèrement penchée, tel un chiot perplexe.


— Je ne comprends pas… murmura-t-il d'une voix si étouffée que Kiba faillit ne pas l'entendre.


Avant qu'il ait eu le temps de lui expliquer la situation, Kiba vit trois longs bras noirs fondre sur lui. Dans d'autres circonstances, il aurait pu penser à la technique de manipulation des ombres de Shikamaru, mais ces membres-là, tentaculaires, étaient bel et bien solides. Deux d'entre eux empoignèrent Kiba et la troisième main lui attrapa le visage, l'englobant entièrement comme pour l'étouffer. Alors qu'il se débattait, il vit l'autre s'approcher.


— Ne bouge pas, je veux juste comprendre. Ça ne fera pas mal.


Les doigts de la main qui lui couvrait le visage s'insinuèrent dans sa bouche, jusqu'au fond de sa gorge et Kiba se débattit de plus belle. Il ne pouvait plus respirer et sentait de minuscules fibres envahir toute sa tête. Elles remontèrent jusqu'à son crâne, pénétrèrent chaque repli de son cerveau. Il les sentait, chacune, individuellement, s'enfoncer entre les plis spongieux, alors qu'elles se frayaient un chemin à l'intérieur de son esprit. Les souvenirs défilaient à une vitesse folle devant ses yeux, avançaient, revenaient, repassaient au ralenti. Après un moment, même dans le brouillard de la semi-conscience dans lequel il se trouvait, il devint clair que son adversaire fouillait dans sa mémoire à la recherche de réponses. Les fibres épineuses s'enfonçaient dans la paroi de sa gorge, dans ses joues, derrière ses yeux. Il essaya, en vain, de s'agripper au membre intrus pour l'arracher, mais le manque d'oxygène le privait de ses forces. Ses mains glissèrent, ses bras tombèrent le long de son corps, tandis que seuls les bras ennemis le retenaient debout. Il tenta de se dégager une dernière fois, de mordre, même, avant que des taches noires envahissent sa vision et qu'il ne fut plus capable d'assembler deux pensées cohérentes.

La bouffée d'air qui suivit ne fut pas une libération, loin de là. Chaque molécule qui entrait dans ses poumons était une aiguille qui le transperçait.


Quand sa vision revint, il était au sol. Son visage était écrasé contre la pierre froide, trempé de l'eau qui s'écoulait le long des murs. Il mit plusieurs secondes avant de pouvoir bouger de nouveau. Difficilement, il se redressa, la respiration saccadée, le crâne comme fendu de l'intérieur.


Son ennemi, lui, était immobile. Il s'était dissimulé dans un nuage noir et murmurait pour lui-même :


— Je vois… Je comprends… C'était donc cela…


Dame Tsukokami était toujours assise près de la source, sans se soucier de ce qui se passait autour d'elle. Elle observait la scène comme on va voir un spectacle, avec un amusement non-dissimulé.


Puis, la brume noire autour du gardien s'affaissa. Alourdie, elle tomba à ses pieds et se dispersa. Quand il le vit, Kiba, qui avait empoigné son arme et s'apprêtait à reprendre les hostilités, lâcha son kunai. Son adversaire avait changé de tactique.

Du nuage sombre, qui de loin semblait avoir pris la consistance visqueuse de la mélasse, émergeait une forme humaine. Mais ce n'était plus une copie parfaite qui se tenait là quelques secondes auparavant. C'était une silhouette mince, au visage pâle encadré de cheveux raides. Kiba, toujours sur le qui-vive, sentit sa respiration se bloquer quelque part entre ses poumons et son nez quand il reconnut son visage il ne rêvait pas, c'était bien celui de Neji.


Dans le village, Naruto s'impatientait. L'épreuve avait commencé depuis vingt minutes et il ne s'était rien passé. D'abord, Kiba s'était assis et avait pris ce caillou, la vieille avait fait un drôle de signe de la main puis… plus rien. Kiba avait fermé les yeux et n'avait plus bougé. Pourtant, tous les villageois étaient restés, bien que la plupart se soient éloignés pour s'abriter à l'ombre des arbres et des porches. Naruto finit par les imiter et se réfugia entre deux maisons, là où se trouvaient Akamaru et Nagisa. Les traits fins et l'expression impassible de l'enfant n'étaient pas sans rappeler Haku à Naruto, mais il s'efforça de ne pas y penser. Le souvenir de la mort du jeune homme était déjà bien assez douloureux quand il n'était pas rattaché à celui de Sasuke, et la pénible constatation qu'il avait échoué dans sa mission. Il soupira. Ce n'était pas le moment, il fallait d'abord penser à Neji. Et plus ils perdaient de temps ainsi, plus grand était le risque d'échouer.


— Bon, alors, quand est-ce que ça commence ? lança-t-il à Nagisa.

— L'épreuve a déjà commencé, ninja de Konoha. Regarde. Ton ami est en plein combat.


Naruto se retourna et observa attentivement Kiba. La distance et le soleil rendaient l'exercice plus compliqué, mais il parvint tout de même à discerner les tremblements de ses mains et de ses lèvres.


— Et quoi ? C'est tout ? Je croyais qu'il devait descendre dans la montagne…


Nagisa ne se défit pas de son air égal et expliqua, comme s'il se fut agi d'une évidence :


— Il y est descendu, en quelque sorte. Il aurait tout aussi bien pu rester là. C'est Dame Tsukokami qui le guide, à présent. Elle le mènera jusqu'aux confins de son esprit. Ce n'est que là qu'il pourra remporter l'épreuve.


Naruto réfléchit longuement, repassant les mots de Nagisa encore et encore dans son esprit.


— Donc, c'est une sorte de genjutsu, c'est ça ?

— Oui et non. L'illusion n'est là que pour guider le prétendant au sein de son âme. Nous te scellerons la bouche quand tu sortiras d'ici, alors je peux bien t'expliquer l'essence-même de l'épreuve. Pour commencer, il faut que tu saches que la Source de Vie n'existe pas.

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