La Source de vie
Tsunade l'attendait, assise à son bureau et ne semblait pas ravie de le voir. Sans doute avait-elle imaginé que la perspective de la mort à un aussi jeune âge l'effrayerait suffisamment pour qu'il renonce.
— Alors comme ça, tu as pris ta décision ?
— Oui. J'irai.
— Très bien. Dans ce cas, je vais te demander si tu as déjà entendu parler de la Source de Vie ?
— Jamais.
Tsunade sortit un rouleau du tiroir de son bureau et le déplia devant elle, avant de faire signe à Kiba d'approcher. C'était une carte détaillée du pays du Feu, semblable à celle qu'il avait dû apprendre par cœur à l'Académie.
— Ce n'est pas étonnant, ne t'en fais pas. On évite de vous en parler, sinon vous vous y rueriez probablement tous et ce serait une catastrophe. Si tu en reviens, je compte sur toi pour ne parler à personne de ce que tu auras vu là-bas.
— Bien sûr.
— Parfait. Dans ce cas… Regarde ici.
Elle lui montra du doigt un village situé au flanc d'une montagne. Kiba pouvait se représenter plus ou moins bien l'endroit, mais aurait pu jurer que personne ne vivait à cet endroit.
— C'est le village d'Izumichi et c'est là que tu vas te rendre. On l'appelle aussi la Source de Vie ou la Source de Sang, selon les régions. Là-bas, tu devras trouver de l'Élixir de Vie et le ramener ici. C'est un produit très prisé, mais aussi très difficile à obtenir, ils n'en donnent pas à n'importe qui, m'a-t-on dit.
Kiba acquiesça silencieusement.
— On pourra soigner Neji avec cet élixir ?
— Pas tout à fait. En réalité, expliqua-t-elle, l'Élixir de Vie a une application très particulière : il permet de briser les sceaux inviolables, comme celui de l'Oiseau en cage. Il n'y a aucun autre moyen de le retirer. Et notre problème, pour le moment, est que c'est ce sceau qui envoie des impulsions de chakra néfaste dans les méridiens de Neji, qui se resserrent sur ses organes et les détériorent. On peut soigner les dégâts au fur et à mesure, mais ils reviennent à l'impulsion suivante et tous nos efforts sont vains. En l'état actuel, nous pouvons juste gagner du temps. Si nous pouvons l'effacer pendant un temps, alors nous pourrons le guérir complètement.
Kiba hocha la tête, tout en s'efforçant d'absorber le flux d'information. Il suffisait d'aller chercher un liquide miraculeux dans un village reculé ? Cela semblait beaucoup trop simple. Et puis…
— Comment ça « pour un temps » ? Ils la lui remettront ensuite ?
— Chaque chose en son temps, pense déjà à réussir ta mission. Mais… selon toute probabilité, oui. Le sceau sera réappliqué.
Il serra le poing. Depuis qu'il connaissait la réalité de ce sceau, il l'avait haï. Avant même d'apprécier Neji, avant même de le connaître, il avait trouvé cette pratique répugnante. La première fois qu'il était allé au manoir Hyûga, intimidé comme rarement il l'avait été, il avait croisé une enfant, qui ne devait pas avoir plus de six ans, arborant cette étrange marque. Il aurait préféré n'avoir jamais demandé à Hinata de quoi il s'agissait. Son aversion, bien évidemment, s'était encore exacerbée quand il avait commencé à sympathiser avec Neji. Il avait déjà du mal à comprendre que l'on puisse faire cela à une personne, mais le faire à quelqu'un d'aussi talentueux et d'aussi… exceptionnel que Neji, relevait presque de la science-fiction il n'arrivait pas à comprendre, tout simplement.
— Mais… il le rend malade… S'ils le remettent, ça recommencera, forcément…
— En vérité, je ne pense pas, dit Tsunade en se levant. La procédure médicale qui a été nécessaire pour le soigner lorsqu'il a été blessé lors de son combat contre Kidomaru était très particulière. A vrai dire, nous ne l'utilisons pas si nous avons d'autres options, parce qu'il arrive que le chakra du patient en soit comme bouleversé et crée des problèmes de santé, exactement comme un rejet de greffe. J'ai toutes les raisons de penser que c'est ce qui est à l'origine de sa maladie. La marque ne sera plus néfaste si elle est reposée correctement, j'en suis certaine.
Kiba s'apprêta à répliquer mais, après tout, à quoi bon ? Il avait déjà obtenu ce qu'il avait demandé. Il fallait qu'il se concentre sur cet objectif.
— Quand pourrai-je partir ?
— Demain matin, à la première heure. Izumichi est assez loin d'ici et partir maintenant vous obligerait à vous arrêter pour la nuit, ce qui constituerait un délai inutile et vous fatiguerait plus que de raison. Sache également que je m'attends à de la discrétion de votre part. Vous n'aurez pas d'ordre de mission, vous ne serez pas rémunérés. Officiellement, rien de tout cela n'aura jamais existé, c'est clair ?
— Très clair. Et... excusez-moi, mais… comment ça « vous » ?
— Oh, bien sûr, j'avais oublié de te préciser que tu serais accompagné. Puisque tu as décidé de mener cette mission à bien, c'est de mon devoir de Hokage de m'assurer qu'elle ait les plus grandes chances de réussite, d'autant plus que les enjeux sont élevés. Il m'a donc semblé plus sage de t'assigner un coéquipier.
Kiba ne put que se sentir soulagé à cette nouvelle. Même s'il estimait souvent qu'Akamaru était le seul partenaire dont il ait réellement besoin, savoir qu'il ne serait pas seul cette fois-ci l'arrangeait. Ce n'était pas le moment de faire le fier et toute aide serait la bienvenue. De plus, même parmi les gens de son âge, les ninjas de valeur ne manquaient pas : Shikamaru, Lee, Hinata, Tenten ou encore Shino. Même les autres, Sakura, Ino ou encore Chôji étaient plus que qualifiés pour une mission importante.
— Naruto est en mission pour le moment, il devrait revenir d'un instant à l'autre. Je lui expliquerai tout ce qu'il doit savoir dès qu'il rentrera. En attendant, tu devrais aller te préparer. Ce ne sera pas une mission facile.
Kiba mit un petit moment à comprendre ce qu'il venait d'entendre. Naruto… il allait partir avec Naruto. D'accord, Naruto était un grand ninja. Ou, du moins, il avait le potentiel pour en devenir un. Bien sûr, il n'en avait jamais vu la preuve par lui-même, mais le simple fait qu'il ait pu tenir tête à Gaara, Neji et Sasuke était une assez bonne preuve en soi.
Mais quand même.
Aussi puissant qu'il était – ou allait devenir –, Naruto restait toujours un imbécile aimant à catastrophes. Kiba respectait cela. Il était conscient de ne pas vraiment être la tête pensante de son groupe, lui non plus. Et justement, les mettre ensemble dans la même équipe relevait au moins de l'erreur de jugement, au pire, de l'inconscience.
— J'ai toutes les raisons de penser que Naruto pourra être très utile dans cette mission. Je sais que vous avez vos différends, mais je suis certaine que vous pourrez les surmonter, ne serait-ce que pour le bien de Neji.
Elle avait prononcé le mot magique. Que pouvait-il dire après cela ? Et après tout, se dit-il, peut-être avait-elle raison, peut-être Naruto serait-il un allié précieux. Alors, il se tourna après avoir salué le Hokage, et se dirigea vers la sortie.
— Kiba, interpella Tsunade avant qu'il parte. Tu es bien sûr de ta décision ?
— Certain.
Les visites étaient normalement interdites à l'heure où Kiba arriva à l'hôpital. Par chance, il parvint à convaincre Sakura de le laisser passer. Elle le guida dans les couloirs, marchant droit devant elle, le visage cordial et égal, comme s'ils avaient parfaitement le droit de se trouver là, exactement comme on leur avait appris à l'Académie. Aucune des autres infirmières ne fit attention à eux.
— Alors, c'est vrai ce qu'on dit ? Tu vas aller à la Source de Vie ?
— Oui… Eh, comment tu sais ça ? Je croyais que son existence était secrète !
— Non, ce n'est pas vraiment un secret. Disons qu'on évite de le crier sur les toits, mais il y a plein de livres qui en parlent à la bibliothèque.
— Et… tu sais ce que c'est exactement, alors ? On ne m'a pas dit grand-chose sur ce qui arrivait là-bas…
— Pas vraiment, répondit-elle en déverrouillant une porte de service. En fait, c'est surtout ça le problème, c'est qu'on ne sait pas du tout ce qui se passe là-dedans. Le village est protégé par une grande palissade et par la montagne, alors c'est très difficile de savoir ce qui s'y passe. On suppose que celui qui veut de l'Élixir de Vie doit réussir une épreuve, d'après les témoignages de ceux qui en sont ressortis.
— Ressortis ? Je croyais que personne n'avait jamais réussi à s'en sortir vivant…
— Eh bien, oui et non. Ceux qui y vont seuls, on ne les revoit jamais. Mais il arrive parfois que certains y aillent accompagnés, et l'un des deux ressort souvent en vie. Cependant…
— Cependant… ?
— Ils semblent tous avoir été victime d'un jutsu et n'ont plus que des souvenirs très flous des événements. Certains, parfois, ne se souviennent plus qui ils sont. Mais tous parlent de monstres, de couleurs éclatantes et d'autres choses très étranges. Enfin, tout ça est très nébuleux…
Kiba hocha la tête. Au moins, il savait un peu plus à quoi s'attendre désormais. Ainsi, c'était une épreuve. Une épreuve que personne avant lui n'avait jamais réussie. Cela aurait dû l'effrayer, mais il se rendit compte qu'il n'en était pas plus ému que ça. Dans un sens, il préférait mourir en échouant, et ne pas avoir à supporter la mort de Neji, aussi égoïste que cela puisse lui paraître.
— Je peux t'accorder cinq minutes, lui dit Sakura quand ils arrivèrent devant la chambre. Au-delà de ça, on courrait le risque d'être découverts, et je crains que ça ne plaide pas en ta faveur.
— Je ne serai pas long. Merci.
Il entra dans la chambre et referma la porte derrière lui. Le rideau était baissé, personne ne pouvait le voir. En arrivant à l'hôpital, il avait pensé que rendre visite à Neji était la meilleure chose à faire, qu'il devait absolument lui dire au revoir. Maintenant, il n'était plus si sûr de cette décision.
Neji avait été allongé sur un lit couvert d'inscriptions dont Kiba ne parvenait même pas à comprendre l'utilité. La marque sur son front avait été contenue à l'aide d'un sceau, qui brillait à chaque pulsation de chakra que l'oiseau en cage provoquait. À chaque fois, une machine à laquelle il était relié par des électrodes s'affolait, émettant un bip strident avant de se calmer et de reprendre son doux ronronnement.
On lui avait placé dans la bouche une canule, elle-même reliée à un tuyau épais, qui poussait l'air dans ses poumons à intervalles réguliers. En ressortait un bruit de respiration lourde, difficile, un bruit lancinant, à la limite du supportable. Fichée dans son bras, une aiguille, menant à une poche de perfusion laissait s'écouler dans ses veines un liquide transparent au goutte-à-goutte. C'était loin de tout ce que Kiba avait pu imaginer. Shikamaru lui avait pourtant décrit l'état dans lequel se trouvait Chôji quand il avait été ramené par l'équipe médicale, mais Kiba avait toujours pensé qu'il exagérait un peu, qu'un tel dispositif était impensable. Des bandelettes couvertes d'inscriptions et des tuyaux qui lui sortent de partout, vraiment ? Dans une salle remplie à ras bord de machines qui émettaient aléatoirement les sons les plus inquiétants qu'on nous ait donné à entendre ? Pure fiction ! Du moins, c'est ce qu'il croyait jusqu'au moment où il était entré dans cette chambre.
Que devait-il faire maintenant ? Il n'osait même pas approcher. Il avança pourtant de quelques pas, serrant contre lui Akamaru, caché sous sa veste.
— S… salut, toi, dit-il à mi-voix en arrivant près du lit. Euh, je… je sais que ça va pas fort et que tu dois être en train de te battre de toutes tes forces pour rester en vie et que… que tout ça doit être épuisant, mais j'aimerais que tu tiennes encore un peu. Juste le temps que je revienne avec l'Élixir.
Il prit une profonde inspiration, tenta de se redonner une contenance. Une boule s'était formée autour de son cœur, elle grossissait chaque seconde et lui donnait envie de vomir.
— Parce que je vais le ramener, je te le promets. Je remporterai cette épreuve, quoi que ça puisse être, et je reviendrai au village. Oui, je reviendrai, c'est promis.
Il s'appuya de ses poings sur ce qui était plus une table matelassée qu'un véritable lit. Voilà, il avait promis, il ne pourrait plus revenir en arrière. Il réussirait et, même s'il devait en mourir, Akamaru serait toujours là pour ramener le précieux remède. Ou même Naruto, s'il arrivait à le rejoindre à temps. Car Kiba avait l'intention de partir le plus tôt possible. Et il avait l'intention de partir seul.