La Source de vie

Chapitre 2 : Sacrifice

2986 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/09/2020 15:40

Kiba avait attendu des heures sur les fauteuils de la salle d'attente de l'hôpital de Konoha. À son arrivée, la secrétaire, un peu réticente, l'avait dirigé au deuxième étage. À cette seule mention, les cheveux de Kiba s'étaient dressés sur sa nuque. Le deuxième étage… C'était là où se trouvait les plus grandes salles, dédiées aux soins les plus délicats. C'était là que les meilleurs médecins se relayaient pendant des heures dans des pièces couvertes d'inscription, et semblait plus conduire des exorcismes que pratiquer des soins. C'était là que Chôji et Neji avaient été emmenés après cette fameuse mission.


Il n'avait pas fallu longtemps pour trouver la bonne salle. Dans le couloir, soigneurs et infirmières s'y étaient massés. Kiba prit place sur l'un des sièges, Ino, arrivée quelques minutes avant lui, resta debout, appuyée contre le mur. Elle semblait avoir vieilli de cent ans en quelques secondes. Kiba aurait voulu la rassurer, lui dire que tout irait pour le mieux, mais les mots refusèrent de franchir ses lèvres. Akamaru allait de l'un à l'autre, les poussait de son nez, sans jamais obtenir de réaction et, finalement, alla se coucher en boule entre les pieds de son maître.


Une heure après qu'ils se furent installés, Tsunade arriva, entourée d'une véritable armée de médecins d'élite.


Elle n'était toujours pas ressortie alors que le soleil descendait sur l'horizon. Rapidement, les sièges s'étaient remplis des personnes qui avaient été mises au courant. Ino avait été la première à tenir compagnie à Kiba. De temps à autre, elle regardait par la grande vitre, faisait une grimace, et retournait s'asseoir. Kiba, lui, ne bougeait pas d'un pouce, les yeux fixés dans le néant, Akamaru blotti contre lui. Au moment où il avait cru que Neji était mort, il avait éprouvé un effroi comme jamais auparavant. Ses entrailles s'étaient comme gelées et figées, coupant toute respiration, tout battement de cœur. Son cerveau baignait encore dans une mer de nuages épais et tout lui paraissait affreusement lointain. D'autres ninjas étaient arrivés, puis repartis. D'abord Sakura, qui proposa son aide, mais fut rapidement renvoyée dans les autres étages, puis Shikamaru et Chôji, qui restèrent une demi-heure avant que Shizune vienne les chercher. Quelques Hyûga, que Kiba avait parfois entraperçus, firent leur apparition, mais tous repartirent rapidement.


Il était presque dix-neuf heures quand tous les médecins sortirent de la salle en un flot grouillant, Tsunade derrière eux.


— Maître Hokage ! s'écria Kiba, soudainement sorti de sa transe. Comment va-t-il ?


Tsunade se tourna vers lui. Il était à présent seul dans le couloir, puisqu'Ino était déjà partie plusieurs heures auparavant, ne pouvant pas en supporter plus.


— Tu devrais rentrer chez toi, Kiba, dit-elle simplement.


Il y avait quelque chose dans le ton de sa voix, une sorte de cassure rocailleuse, comme quelqu'un qui s'apprête à éclater en sanglots. Elle avait les yeux cernés, la mâchoire crispée et très évidemment trop peu de patience pour supporter les inquiétudes de Kiba.


— Comment va-t-il ? répéta le maître-chien. S'il vous plaît…


Elle soupira, sembla hésiter un instant.


— Ce n'est pas passé loin. Mais il se remettra. Ino et toi avez eu de bons réflexes. Maintenant, tu devrais vraiment aller te reposer.


Cette dernière phrase avait sonné plus comme un ordre que comme un conseil bienveillant, et Kiba comprit immédiatement qu'il était gentiment mis à la porte. Il tourna donc les talons et commença à remonter le couloir. Il s'apprêtait à bifurquer vers la sortie, quand une odeur qu'il connaissait bien lui arriva aux narines. Elle l'avait été longtemps intimidé quand il allait chercher Hinata au manoir, alors qu'il n'était genin que depuis peu. Il avait peu à peu appris à ne plus y faire attention, mais il ne pouvait pas s'empêcher dans sentir une certaine tension à chaque fois qu'il le croisait.


— Bonsoir, seigneur Hiashi, dit-il en passant à côté de lui.


Celui-ci lui répondit par un signe de tête et se dirigea vers le bout du couloir. Kiba attendit qu'il se soit éloigné, puis retourna au virage qu'il avait pris plus tôt. De cette façon, il pouvait écouter la conversation du Hokage et de Hiashi Hyûga sans craindre d'être vu. Se rappelant les conseils de Kurenaï sur ce genre de situation, il s'efforça de ralentir son rythme cardiaque, tout en concentrant son chakra dans ses oreilles. C'était un exercice qu'il avait mis du temps à maîtriser, lui qui ne pouvait pas s'empêcher de s'agiter, mais il était heureux de s'être acharné. D'un geste de la main, il ordonna à Akamaru de ne pas faire de bruit, et ferma les yeux.


Tsunade et le seigneur Hiashi se tenait au bout du couloir, devant la vitre de la salle de soins, dont le rideau avait été relevé.


— Comment va-t-il ? demanda Hiashi, d'un air grave.


Elle hésita un instant avant de répondre et Kiba put l'entendre basculer son poids d'un talon à l'autre.


— Honnêtement, ce n'est pas prometteur…

— Que voulez-vous dire par là ?


Elle marqua une pause, rassembla ses mots. Le discours n'était pas aisé et sa voix trahissait la gêne d'un blâme qu'on ne veut pas avoir à formuler.


— Le sceau de l'oiseau en cage s'est retourné contre lui. Il est en train de s'attaquer à ses organes. Nous avons réussi à ralentir sa progression, mais nous ne serons pas en mesure de l'arrêter.

— Si je comprends bien, vous me dites qu'il va mourir ?


Il y eut une cassure dans sa voix. Elle était subtile, mais assez présente pour que Kiba puisse la sentir, lui qui n'avait jamais entendu que le ton égal, sévère et froid du seigneur Hiashi. Il était sur le point de trahir la promesse faite à son frère, sans aucune possibilité d'interférer.


— Oui, c'est une certitude. Nous ne savons pas combien de temps cela prendra, mais il finira par en mourir. Nous n'avons pas de traitement, tout ce que nous pouvons faire, c'est alléger sa douleur.

— En réalité, il existe bien un remède…

— Je sais.

— Dans ce cas, laissez-moi dépêcher un membre du clan là-bas. Nos ninjas sont parmi les plus puissants du village. S'il le faut, je serai...

— Personne n'a pu le ramener et personne n'en est jamais revenu, le coupa-t-elle brusquement. Il m'est déjà suffisamment pénible de perdre l'un des éléments les plus prometteurs du village. Je ne peux pas me permettre de gâcher une autre vie.

— Je comprends parfaitement. Je voulais simplement m'assurer que vous aviez envisagé cette possibilité.


On entendait dans la voix tendue du seigneur Hiashi que sa gorge était serrée, mais qu'il s'efforçait de demeurer neutre.


— J'ai envisagé toutes les possibilités. La solution n'est pas idéale, mais, dans la conjoncture actuelle, c'est un risque que je ne peux pas prendre. Mais, si cela peut vous rassurer, nous ferons notre possible pour qu'il ne souffre pas. Et si, à tout moment, vous estimiez qu'il est temps de... mettre fin à tout cela, sachez que c'est une décision qui vous appartient entièrement.


Kiba avait écouté la conversation sans bouger un muscle. Alors, comme ça, ils allaient tout simplement l'abandonner à son sort, sans même tenter la seule solution qui s'offrait à eux. Ils parlaient de Neji comme d'un « élément », un simple pion sur le grand échiquier politique. Plus la conversation avançait, plus Kiba sentait déferler en lui une colère sans précédent. Ils allaient laisser mourir son ami, simplement parce qu'ils étaient trop lâches pour le sauver. Il n'y avait qu'une chose à faire.


— J'irai chercher votre remède ! cria-t-il en se précipitant dans le couloir, Akamaru sur ses talons, aboyant pour soutenir son maître.


Tsunade et Hiashi se tournèrent vers lui, visiblement plus surpris par son intervention que par sa présence. Au milieu de sa colère et de sa détermination, Kiba n'eut pas le temps de se sentir honteux en comprenant qu'ils savaient depuis le départ qu'il se trouvait là.


— J'irai, répéta-t-il. Je me porte volontaire.


Tsunade soupira.


— Je ne peux pas te laisser y aller, je suis désolée. Comprends que c'est pour ton propre bien. Personne n'a jamais…

— Je me fiche que personne n'ait jamais ceci ou cela ! Je ne vais pas rester là, les bras croisés, à le regarder mourir, alors que je sais que je pourrais faire quelque chose ! Je me fiche d'échouer, laissez-moi juste faire quelque chose !

— Si tu échoues, tu en mourras ! hurla la Hokage, qui semblait avoir perdu tout semblant de patience.

— Alors envoyez-moi mourir ! répliqua-t-il sur le même ton. J'ai pas peur !


Le silence retomba. Kiba haletait, épuisé par sa propre fureur. Il souffla longuement et réussit à se calmer quelque peu. À la réflexion, ce n'était peut-être pas la meilleure façon de s'adresser au chef suprême du village. Même Naruto ne lui parlait pas comme cela et Naruto se permettait beaucoup de choses.


— S'il vous plaît. Il faut… il faut qu'on fasse quelque chose…


En l'espace d'une seconde, toute sa colère s'était évanouie, laissant place à la tristesse. Il se sentait abattu, écrasé par un poids qui le compressait tout entier et l'empêchait de bouger, de penser, de respirer. Il ne pouvait rien faire. On ne le laisserait rien faire. Cela ne pouvait pas se terminer de cette manière, pas sans rien faire, pas sans se battre. Ce n'était pas les valeurs qu'on lui avait inculquées.


— Kiba, dit Tsunade, plus doucement. Je comprends que cette nouvelle te bouleverse, elle nous bouleverse tous. Mais tu ne sembles pas saisir la gravité de la situation. Si j'ai décidé que nous ne ferions rien, c'est que c'est bien trop risqué. Ne crois pas que je le fasse de gaieté de cœur.


Elle s'efforçait de parler doucement, mais sa voix trahissait une certaine fermeté qui n'admettait pas la discussion. Kiba resta silencieux un instant. Il ne pouvait plus rien faire. Après tout, il n'était pas assez fou pour s'opposer aux ordres du Hokage. Mais, s'il cédait maintenant, alors il n'aurait rien fait, il serait resté les bras ballants alors qu'il aurait pu faire quelque chose. Ce n'était pas être un ninja, ce n'était certainement pas les idéaux qu'il voulait représenter.


Alors, il fit quelque chose qu'il n'avait jamais fait auparavant. Jamais devant un professeur à l'académie, ni devant Kurenaï, ni même devant sa propre mère. Il s'affaissa, genoux à terre et posa son front sur ses mains jointes. Il ferma les yeux, tandis que la honte le submergeait. Ce n'était pas dans ses habitudes de se mettre dans de telles positions d'humilité. Il sentait déjà une lourdeur désagréable dans son ventre et fut tenté de se redresser. Mais il inspira profondément et se força à rester immobile. Il le devait.


— Kiba… dit Tsunade, décontenancée.

— S'il vous plaît, laissez-moi au moins essayer. Je ne pourrais pas me considérer comme un ninja si je laisse mon ami à la mort, sans avoir tout tenté. Et même si je dois en mourir… tant pis. Ce sera moins pire que de ne rien faire.


Elle hésita un instant.


— Tu es déterminé à y aller, n'est-ce pas ?

— Oui, répondit-il, résolu.

— Alors tu viendras dans mon bureau demain matin, vers dix heures. Maintenant, lève-toi et rentre chez toi. Je veux que tu prennes bien le temps d'y réfléchir.


Kiba se redressa vivement. Il ne pouvait pas le croire, mais il avait réussi. Le seigneur Hiashi, resté en retrait pendant l'altercation, posa son regard sur le simple genin qui se tenait face à lui, et Kiba crut apercevoir une lueur de gratitude dans la confusion de son expression.


Il se retourna, après s'être brièvement incliné devant la Hokage et retourna chez lui au pas de course.


Il n'avait pas dormi de la nuit. En rentrant, il s'était allongé sur son lit, tout habillé et sans manger et il avait réfléchi. Réfléchi, réfléchi et réfléchi. Tsunade avait sans doute raison d'avoir des réserves et lui n'avait aucune idée de ce qui l'attendait. D'heure en heure, il avait donc oscillé, les yeux fixés sur le plafond blanc, Akamaru roulé en boule à ses côtés, entre terreur et détermination. Et s'il ne revenait pas ? Bien évidemment, il avait peur de la mort, même après l'avoir regardée plusieurs fois dans les yeux. Mais il pouvait se souvenir qu'à chaque fois qu'il avait été en danger, il se souciait bien plus des autres que de lui.


Il ressassa longtemps son combat contre Sakon et Ukon. Là aussi, comme d'habitude, il avait fait passer les autres avant lui-même. Tout ce à quoi il avait pu penser, ç'avait été à sauver Akamaru et protéger ses amis. Même quand il avait été transporté à l'hôpital, il n'avait pas posé de questions sur son propre état. Il s'était inquiété des autres, de ceux qui étaient partis devant et ceux qui étaient restés derrière. Et, quand il avait appris que Neji ne s'en sortirait peut-être pas, il avait ressenti quelque chose d'étrange, une douleur au ventre qui n'avait rien à voir avec la plaie béante qu'il y avait ouverte un peu plus tôt. Il ne le connaissait pas. Pas du tout. Hinata lui avait récemment pardonné et, puisqu'il n'avait plus aucune raison de le haïr, Kiba lui avait pardonné également. Puis, il avait voulu devenir son ami. Ce n'était pas un calcul, il l'avait juste décidé comme ça, un jour, alors qu'ils étaient en mission tous les deux.


Ils s'étaient arrêtés au bord d'une rivière après plusieurs heures de course à travers la forêt et avaient regardé Lee s'agiter, essayant d'entraîner Tenten avec lui. Kiba avait dit quelque chose, il ne se souvenait plus très bien quoi une plaisanterie, un trait d'esprit. Et Neji avait ri. Pas un éclat de rire bruyant, un simple sourire et le nez qui souffle. C'était discret mais, même ça, Kiba ne l'avait jamais vu. À ce moment, il s'était rendu compte qu'il était face à être humain et pas à une créature mythique, infiniment plus puissante que lui, comme il l'avait toujours un peu cru sans jamais vraiment se l'admettre explicitement. Alors, il avait simplement voulu être proche de lui, un peu, puis un tout petit peu plus et encore un peu plus. Neji avait simplement suivi le mouvement et n'avait pas semblé dérangé par cette soudaine atteinte à son espace personnel. Il avait même poussé la chose jusqu'à offrir systématiquement un thé à Kiba quand il venait chercher Hinata avant une mission ou un entraînement. Ils ne se voyaient pas si souvent que cela, une fois par semaine, souvent moins, mais, peu à peu, Kiba s'était attaché à ces moments fugaces.


Il s'était levé à huit heures et avait erré dans la cuisine pendant un temps, ne trouvant pas la force d'avaler quoique ce soit. Il sortit de chez lui une heure avant ce qu'il avait prévu et se précipita à la maison du Hokage. On le fit attendre longtemps, très longtemps. Les gens allaient, venaient, arrivaient, repartaient. Toute la journée, Kiba suivit le ballet des employés qui passaient de salles en salles chargés de dossiers à traiter de toute urgence et des ninjas qui venaient chercher leurs ordres de mission ou déposer leurs rapports. Personne ne prêtait attention à lui. Ils faisaient ce qu'ils avaient à faire et s'en allaient sans jamais prendre le temps de regarder autour d'eux.


L'horloge affichait quinze heures quand Shizune l'aperçut en sortant du bureau de Tsunade. On lui avait dit d'attendre sur un de ces sièges inconfortables de la salle d'attente, et il avait attendu, parfaitement immobile. Il savait qu'on essayait de le faire craquer, mais il n'était pas si bête. Même s'il ressentait ce furieux besoin d'aller courir dans tous les sens, au point que ça en devenait insupportable, il tiendrait bon. Shizune soupira, et retourna d'où elle venait.


— Tsunade, l'entendit-il dire sur le seuil de la porte. Il est toujours là.


Elle vint alors vers lui.


— Est-ce que tu as mangé quelque chose ? demanda-t-elle d'un ton affable. Tu es là depuis ce matin...

— Ça ira, répondit-il. Je veux juste qu'on me confie ma mission.


Shizune soupira.


— Maître Tsunade est très occupée aujourd'hui. Elle te recevra dès qu'elle trouvera un moment. En attendant, tu devrais aller te promener un peu, on enverra quelqu'un pour te chercher.


Elle évitait soigneusement son regard pour ne pas trahir ses mensonges. Elle n'est pas très forte à ce jeu-là, se dit Kiba, le regard vissé sur elle.


— Ça ira, je reste ici.

— Comme tu voudras, dit-elle finalement. Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit.


Elle retourna dans le bureau de Tsunade et n'en ressortit pas jusqu'au coucher du soleil. Quand elle refit enfin son apparition, Kiba attendait toujours. Il faisait les cent pas devant la salle d'attente, le visage renfermé, l'air soucieux. Quand elle le vit, elle réprima à peine une moue d'exaspération.


— Tu peux y aller, dit-elle, elle va te recevoir.


Kiba hocha la tête et se leva. Il allait enfin avoir les réponses qu'il attendait.

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