Naruto Préquel | Le Prologue
Octobre – Vingt-six Ans avant la Fondation du Village caché de Konoha
Pays des Tourbillons
1.
Hideaki sortit d’une hutte en pierre entourée d’arbres sauvages.
— T’es sûre que nous sommes au bon endroit, Hanako ?
— Certaine ! C’est Katana qui a construit cette maisonnette. L’emplacement indiqué sur le dessin n’est qu’un piège qu’il avait tendu au cas où la carte tomberait entre les mains des ennemis.
— Mais quel idiot ! grommela Nobara. Si Hanako nee-chan n’était pas avec nous, nous serions tombés dans son piège. Tu devrais le gronder pour ça, nii-san !
— Je comprends sa prudence, mais où est-il ? J’ai bien peur qu’il ait des ennuis… tu ne perçois toujours pas son chakra ?
Nobara ferma les paupières et forma une mudra.
— Penses-tu qu’il ait réussi à s’infiltrer ? demanda Hanako.
— J’en doute. Si c’était le cas, il nous aurait prévenus.
— Tu as raison…
La combattante ouvrit grand les yeux. En une fraction de seconde, elle grimpa dans un arbre.
— Qu’y a-t-il, Nobara ? s’enquit son frère. As-tu senti le chakra de quelqu’un ?
Hanako capta un bruissement de feuilles et tourna la tête vers sa source. Un jeune homme aux cheveux noirs, mi-longs, doux et bouclés – voltigeant au gré de la brise matinale – s’approchait d’eux d’un pas rapide.
— Tiens ! C’est Katana ! s’écria-t-elle, joyeuse.
— Il n’a pas l’air blessé, c’est rassurant.
Par la vitesse d’un éclair, Nobara bondit du haut de sa branche et atterrit telle une chatte sur son dos. Katana poussa un cri aigu, il refoula sa camarade d’un geste vif et bouscula sur le côté.
— Aïe ! Ça va pas la tête ? Quel genre de « Salut ! Tu m’as manqué » est ça ? rugit-il en se massant l’épaule.
Elle l’attrapa par le col, les yeux foudroyants.
— On t’attend depuis plus d’une heure, crétin ! Tu me soûles avec ta nonchalance !
— Nobara, ça suffit, dit Hideaki d’un air calme. Tu aurais pu infliger une grave blessure à ton camarade.
— Mais… nii-san !
— Il doit y avoir une bonne raison pour ce retard, n’est-ce pas, Katana ?
Le jeune homme se frotta la nuque et remua ses lèvres.
— En fait, j’ai patrouillé la zone hier soir et… j’ai fini par m’endormir sur un arbre. Je n’ai pas senti le temps passer. Désolé.
Hanako lui tapota le dos.
— Si ce n’est pas mon petit frère ça !
Katana se cambra en arrière un court laps de temps avant de gratifier sa sœur aînée d’un sourire radieux et lui donner une chaleureuse accolade.
— Ravi de te revoir, nee-chan !
Nobara épousseta ses manches et son pantalon aux tons indigo et les débarrassa des fragments de feuilles sèches et brunâtres.
— Et il profite de la situation pour faire briller son image ! railla-t-elle.
— Devrions-nous faire attention à quelque chose en particulier ? s’enquit Hideaki.
Le jeune homme fouilla dans sa besace et tira une pile de papier qu’il tendit au capitaine qui analysa les visages dessinés sur chaque planche.
— Un gang de bandits erre dans les lieux ces derniers temps, ils s’attaquent aux riches et aux marchands. Ce sont les membres que j’ai croisés, mais il y en a sans doute d’autres. J’ai aussi tracé le chemin le plus sûr vers le domaine Uzumaki ; les voyageurs et les commerçants n’empruntent jamais cette voie, et il n’y a pas de résidants dans ses alentours.
— Bon travail, Katana. Qu’en est-il des invités ?
— J’en ai trouvé deux. Un couple qui habite près d’ici.
— Seulement deux ? s’exclama Nobara, mécontente.
— C’est déjà beaucoup ! À quoi, tu t’attendais ?
La voix rauque du capitaine interrompit leur querelle :
— Parfait. Hanako et moi prendrons leur place. Vous deux veillerez sur eux jusqu’à notre retour. Ne perdons plus de temps, allons-y !
***
Les rayons de soleil tamisés par le feuillage jaunâtre éclairaient les visages des quatre Uchiha alors qu’ils traversaient la forêt dense. Hanako et Hideaki en tête, Katana et Nobara derrière eux.
— C’est injuste ! maugréa Nobara. Et dire que j’ai fait tout le chemin jusqu’ici, et je n’assisterai même pas au festival ni goûterai à ces délicieux plats…
— Bienvenue au Pays de la Réalité, Nobara-chan ! la taquina Katana.
Un rictus déforma son visage. Le jeune homme lui sourit à pleines dents, satisfait de sa réaction.
— C’est censé être une mission, pas un banquet ! dit Hideaki.
Nobara lâcha un petit soupir et croisa les bras.
— Ce n’est pas un rendez-vous amoureux non plus, marmonna-t-elle.
— Mais, oui ! Pourquoi pas ? Faisons semblant d’avoir un rendez-vous ! renchérit Katana avec enthousiasme.
— Je ne parle pas de toi, crétin !
Comme s’il venait de faire une énorme découverte, Katana plaqua sa main sur sa bouche, étouffant un rire.
— Ça alors ! Ils sont ensemble ?
Hideaki tourna le visage vers eux, stoïque.
— Et si tu t’arrêtais de bavarder et nous donnais plus de détails ?
— À vos ordres, capitaine !
Katana fit un clin d’œil à Nobara. Le traduisant par « raconte-moi tout après », elle hocha brièvement la tête.
— Les deux sont du clan Uzumaki, mais ils vivent en dehors du domaine principal pour une raison que j’ignore…
— Aurais-tu une idée sur leurs compétences ? demanda le capitaine.
— La dame est joueuse de shamisen, et son mari est un acteur de kabuki. Ils vont assurer un spectacle au festival. Leur vie quotidienne est calme ; ils n’ont eu affaire à aucun combat ou conflit dernièrement, mais je ne peux pas éliminer la possibilité qu’ils soient forts.
— Quelle est leur notoriété ? La nature de leur travail attirera l’attention sur nous, tu ne trouves pas, Hideaki ?
— Oui, tu as raison, et contrairement à toi, je ne suis pas un si bon acteur, mais nous n’avons pas le choix.
2.
Dissimulés dans des buissons à la sortie de la forêt, les quatre shinobi observaient une maison en pierre à quelques mètres d’eux. La fumée s’échappait de la cheminée et se dissipait dans l’air.
— Il parait qu’ils sont à l’intérieur, constata Hanako.
Le capitaine reprit la parole :
— Voici donc le plan : Hanako et moi avons besoin de lire leurs souvenirs et de copier leurs compétences artistiques grâce à nos sharingan. Vous deux allez passer à l’action en premier, vous devez les capturer en évitant autant que possible de les blesser. Dès que vous réussissez, faites-nous signe. Pendant que nous lisons leur mémoire, vous chercherez les laissez-passer.
Les trois membres de son équipe hochèrent la tête en simultanéité.
— Hai !
— Henge no jutsu ! dit Nobara en formant la mudra du mouton.
Sa silhouette se transforma en celle d’une gamine vêtue d’un yukata vert et aux cheveux coiffés en deux tresses.
— Je vous enverrai une flèche. Allons-y, Katana no ojii-chan !
— Répète un peu ça ! lui hurla-t-il dessus.
Hideaki soupira.
— Nobara a raison. Prendre l’apparence d’un vieux te rendra plus fiable.
Katana pinça ses lèvres en une petite moue.
— Rien ne me rend plus fiable que mon beau sourire !
Nobara leva les yeux au ciel. Le jeune espion lui exposa ses dents d’un blanc ivoirien parfaitement alignées. Voyant qu’elle l’ignorait, il gonfla ses joues et forma la même mudra qu’elle, une technique qui le transforma en un vieil homme.
***
La porte s’ouvrit sur une femme rousse. Après quelques échanges avec Katana, elle les laissa entrer. Hanako observa la scène derrière le feuillage. Elle passa ses bras autour de ses jambes, atténuant les tremblements de son corps. Son camarade posa une main sur son épaule.
— Ne t’en fais pas, nous réussirons cette fois.
— Hideaki ?
— Oui ?
— Quelle est ta motivation ? Tu bois du saké jusqu’à te soûler après chaque bataille…
Hideaki déglutit sa salive. Il retira sa main et baissa la tête, honteux. Un désagréable souvenir de lui – soûl – en train de draguer Hanako lui revint. Un souvenir qu’il souhaitait pouvoir effacer de sa mémoire et de celle de la jeune femme, tant il le tracassait. Même après s’être excusé auprès d’elle, il ne parvenait pas à se pardonner.
— Alors… Comment arrives-tu à être déterminé à accomplir cette mission en sachant que des innocents vont mourir ?
— Hanako, es-tu toujours confuse ?
— Je crois que la puissance nous apportera la paix. Si nous dominons le Pays du Feu et vainquons les Senju, il n’y aura plus de guerres, mais j’ai encore du mal à accepter le fait que des gens qui n’ont rien à se reprocher dans cette guerre en soient victimes… Rien hormis le fait qu’ils soient nos ennemis. J’avoue que les paroles de Shinya m’ont perturbée. Tu as vu ses souvenirs… et ses idées sont certainement parvenues à toi quand son esprit était dans ton corps. Je me demande seulement si… bref, laisse tomber.
— Tu as raison. Le pouvoir est un moyen d’obtenir la paix, mais la puissance n’est pas tout. Nous sommes dans l’obligation d’être dangereux, voire craints, afin de défendre notre clan, de protéger ceux qu’on aime… mais cela ne veut pas dire que nous devons être cruels.
Hideaki leva la tête et plongea son regard dans celui de Hanako. Celle-ci le fixa sans ciller.
— J’ai un objectif, continua-t-il. Une conviction. Mais je ne peux pas t’en faire part ici, je te dirai tout lorsque nous rentrerons chez nous.
— Pourquoi pas maintenant ?
Il prit une profonde inspiration.
— Je ne veux pas te distraire. Concentre-toi sur ta propre motivation, j’ai confiance en ton jugement.
Il a confiance en mon jugement ? Les tremblements de Hanako cessèrent et un sourire embellit son visage. Une mèche rebelle glissa sur son œil. Hideaki tendit la main pour la dégager, mais une flèche transperça subitement le buisson. Les deux Uchiha sautèrent chacun d’un côté en l’évitant.
— Sacrée petite sœur !
Ils coururent vers la maison en pierre. Hideaki ouvrit la porte d’entrée et, avant qu’il ne fît un pas de plus, une épaisse chaîne entourée d’un halo doré jaillit de l’intérieur comme un aigle enflammé. Il attrapa le bras de sa coéquipière et l’entraîna avec lui sur le côté, où ils s’affalèrent sur l’herbe.
Son sharingan activé, Hanako regarda la chaîne d’un air hébété.
— Cette chose est faite de chakra pur !
— Oui… J’ai lu à propos d’un truc pareil dans les mémoires de mon père.
— Qu’en dit-il ?
— C’est la technique que les Uzumaki avaient utilisée pour immobiliser Kyuubi avant de le sceller.
— Ça n’augure rien de bon…
La chaîne disparut aussi vite qu’elle apparût. Les deux shinobi pénétrèrent dans la maison, où résonna la voix enjouée et agacée de Nobara.
— Ce n’était pas très gentil de votre part, Shizuka-san !
La femme nommée Shizuka et son mari s’asseyaient par terre dans le hall d’entrée. Des cordes liaient leurs bras, leurs poignets et leurs chevilles. Face à eux, Nobara tenait son arc en position de tir. Adossé contre la rambarde de l’escalier, Katana serrait la poignée de son sabre.
— Que voulez-vous de nous ? s’écria l’homme aux cheveux roux. Si c’est pour l’argent, prenez-le. Fichez-nous la paix !
— Mais chéri, nous ne pouvons pas leur donner notre argent ! grommela sa femme. Fais quelque chose ! Bats-les, bon sang !
— Mais Shizuka, ma chérie, regarde-moi ces yeux ! On dirait qu’ils appartiennent à ce clan cannibale, lui chuchota-t-il.
Shizuka ravala sa salive. Ses globes oculaires faillirent quitter leurs orbites en fixant Hideaki avancer de quelques pas vers eux, le sharingan activé.
— Nous n’avons pas l’intention de vous tuer, dit-il. Et nous ne sommes pas ici pour voler votre argent.
— Nous ne mangeons pas la chair des humains, non plus, riposta Katana d’un rictus. Le fait même d’y penser me donne la nausée !
— Votre clan a pris quelque chose qui nous appartenait à l’origine. Nous sommes là pour le récupérer, expliqua le capitaine.
— Nous ne sommes que de simples artistes, répondit le mari. Nous ne nous mêlons pas des conflits entre les clans ninjas.
Shizuka – tressaillant de tout son corps – hocha la tête avec vivacité.
— Je suis content que nous n’ayons pas à nous battre… Mais comme vous le savez, nous devons d’abord accéder au domaine de votre clan pour réclamer ce qui nous appartient.
— Nous ne pouvons pas vous aider avec ça ! Même si vous menacez de nous tuer, nous ne trahirons jamais notre clan.
— J’apprécie votre loyauté, cependant…
Hideaki tourna la tête en direction de l’escalier.
— Je les ai, capitaine ! dit Katana en agitant deux papiers enroulés.
— Parfait ! On peut ne pas considérer ça une trahison, pas vrai ?
L’Uzumaki grinça des dents. Sentant l’énorme quantité de chakra qui se concentrait dans son ventre, Nobara se crispa. Elle reprit sa flèche, mais avant qu’elle ne la lançât, le corps de son adversaire s’effondra contre le mur. Elle lâcha un soupir de soulagement. Bien joué, nii-san !
— Chéri ! s’écria sa femme.
— Vous êtes la suivante ! rétorqua Hanako.
Hypnotisée, Shizuka fixa les pupilles rouges de la kunoichi. Quelques instants plus tard, sa tête tomba sur l’épaule de son mari.
— Enfermez-les dans une pièce et ayez-les à l’œil. Hanako et moi devons nous préparer pour le spectacle.
— Qu’allez-vous faire pour passer à travers les points de contrôle ? demanda Katana. Allez-vous essayer avec la technique de métamorphose ?
— Nous allons nous déguiser et réprimer notre chakra, en cas où…, répondit sa sœur.
Sans plus attendre, la kunoichi rejoignit Hideaki au premier étage.
— Un ninja de type sensoriel de haut niveau peut repérer les différences et les similitudes dans le chakra des autres et réussir à distinguer le chakra d’une personne étrangère de celui d’un Uzumaki. Dans ses recherches sur le clan Uzumaki, mon père avait noté qu’ils avaient des ninjas sensoriels très compétents. Ça demande une grande habileté, vraiment… Mais quand nii-san avait lu ta lettre, il a dit qu’on ne sait jamais, il a jugé plus sage de réprimer leur chakra. S’ils utilisent henge no jutsu, ils devront recourir constamment à leur chakra pour maintenir la transformation… donc vaut mieux qu’ils se déguisent, expliqua Nobara.
— Eh ! Tu possèdes un cerveau, dis donc ! dit-il en pinçant sa pommette dodue.
— Qu’est-ce que t’as dit, connard ?
Nobara gifla Katana, couvrant de ses boucles son visage.
— Aïe ! Mais qu’est-ce qui te prend ? geignit-il, une main sur la joue. C’est un compliment !
— Ta gueule ! tonna-t-elle en serrant les poings.
Katana se mordit la lèvre en un sourire diabolique.
3.
Katana et Nobara traînèrent les deux corps inertes dans une pièce éclairée par la lumière du jour émanant d’une large porte-fenêtre. Ils les allongèrent sur le tatami, ôtèrent leurs cordes et les glissèrent sous la couverture d’un kotatsu.
Nobara jeta un œil sur le jardin bordé par des buissons. La forêt semblait s’étendre jusqu’au rivage. Si les deux Uzumaki s’échappaient par ici, ce serait une galère de les rattraper !
— Celle-là ne fera pas l’affaire. On doit trouver une autre pièce, Katana.
Le jeune homme sortit au jardin et scruta ses alentours. Il tira un parchemin de sa besace et l’étala sur la pelouse, dévoilant un schéma.
— Ne t’en fais pas, j’ai juste ce qu’il faut.
Il effectua une série de mudras, puis appuya la paume de sa main sur le dessin.
— Pourvu que-
— Doton : Prison des Huit Piliers !
La bouche entrouverte et les yeux pétillants, Nobara admira la naissance de huit colonnes rocheuses de ses quatre points cardinaux. Elles s’étendirent et fusionnèrent entre elles, formant une muraille qui entoura la maison et son jardin.
— Incroyable ! Jamais je n’aurais imaginé que tu t’étais amélioré à ce point. Je me demande ce que tu réserves pour me vaincre !
Katana éclata de rire.
— Ne t’en fais pas, je n’ai pas l’intention de te tuer.
— Huh ! Comme si tu en étais capable, railla-t-elle. Tu ne m’égales même pas en kenjutsu. Qu’avait-il dans la tête, le vieil Akira, quand il t’avait nommé Katana ? Sérieusement…
La gaieté du jeune homme s’estompa.
— Je sais pas, t’as qu’à lui poser la question, rétorqua-t-il.
Remarquant les traits renfrognés sur la figure de sa cousine, il pinça sa joue.
— Jalouse.
Elle repoussa la main du brun et plaça ses paumes sur ses pommettes.
— N’importe quoi ! Pourquoi serais-je jalouse de toi ?
— Parce que le ninjutsu est ton point faible… peut-être ?
— T’appelles ça un point faible ? Sur le champ de bataille, seuls le taijutsu et le kenjutsu font la différence, le ninjutsu n’est qu’un gaspillage de chakra !
— Et moi qui voulais t’apprendre cette technique qui m’avait pris cinq longues années pour la maîtriser avec tant d’ingéniosité ! Mais bon, si tu le dis…
Katana regagna la maison en sifflotant. Nobara arbora une mine boudeuse. Hésitante, elle courut après lui. Dans le couloir, elle attrapa la manche de son pull noir en coton et lui dit d’une voix implorante :
— Mais un shinobi accompli doit maîtriser le ninjutsu, n’est-ce pas ?
— Hum. Je suppose…
Il descendit dans la cuisine, où régnait une atmosphère sombre et humide par rapport au reste de la maison. Un placard encastré attira son attention. Il glissa sa porte coulissante et examina les étagères : des jattes et des assiettes de multiples formats, des boîtes en bambou comportant des fruits secs et des gâteaux, des bouteilles en porcelaine de différentes couleurs contenant des huiles végétales et du saké. Il souleva le couvercle d’un grand bol en bois, un parfum de cyprès s’en dégagea, mêlé à la vapeur du riz qui s’y trouvait.
— Allez ! Montre-moi comment tu l’as fait ! insista Nobara en joignant ses mains dans une prière. Je veux apprendre cette technique moi aussi !
Un sourire apparut au coin des lèvres de Katana. Il lui tendit un panier en osier qu’elle prit avec hésitation.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Nous les enfermerons toute la journée, nous n’allons pas les laisser crever de faim quand même.
À l’intérieur du panier, il plaça le bol de riz, des boîtes de fruits secs, des baguettes, des assiettes et une gourde en porcelaine remplie d’eau.
— T’aurais dû leur construire des toilettes dans le séjour avec ta technique. Comme ça, ils ne vont pas interrompre notre séance d’entraînement !
— Notre séance d’entraînement ?
— Tu ne penses quand même pas que je vais te laisser t’en tirer sans me l’apprendre !
Katana reprit le panier et retourna dans la pièce où il avait laissé le couple, suivi d’une Nobara boudeuse. Les deux Uzumaki se tenaient l’un dans les bras de l’autre, les jambes sous la couverture. Le jeune espion posa la nourriture sur la table du kotatsu. Aussi vite qu’elle vit son sharingan aux deux tomoe, Shizuka enfouit sa tête dans le cou de son mari. Bien que la terreur se traduisît sur les traits renfrognés de celui-ci, il essaya tant bien que mal de rassurer sa femme par des caresses sur le dos. L’Uchiha esquissa un sourire charmeur en se grattant la nuque.
— Si… vous avez besoin de vous soulager, veuillez me le dire. Vous pouvez m’appeler Katana. Sur ce, je vous laisse, Kazushi-san, Shizuka-san !
Il s’inclina en guise de politesse et tourna les talons.
— Mal élevé ! susurra Shizuka.
— Ah ! Vous pouvez m’appeler ainsi.
— Insolent ! cracha Kazushi d’une voix chargée de haine.
— Ça me convient aussi !
Franchissant le seuil, il lâcha un soupir exaspéré. Merde. Il ne me manquait plus que de me faire insulter par des Uzumaki… Aussitôt qu’il effectua des signes de ses mains, un mur de pierre se moula à la porte coulissante. Nobara tira le pull de son cousin, ses yeux de chat le fixèrent d’un regard implorant.
— D’accord, d’accord. Allons dans le jardin !
Derrière lui, la combattante sautilla de joie comme une enfant. Les pas de Hanako et Hideaki descendant l’escalier attirèrent l’attention des deux jeunes gens.
Hanako portait un shamisen sur son épaule et revêtait un kimono violet ajusté à sa taille par une obi jaune. Un foulard blanc tombant comme une cascade sur ses clavicules – le fukinagashi – couvrait sa perruque rousse, coiffée en un chignon fixé par des épingles dorées. Une teinte laiteuse camouflait ses cernes et les traits de son visage. Ses paupières – tracées de noir – ressemblaient à ceux de Shizuka. Ses lèvres – redessinées d’un rouge vif – semblaient plus petites que la bouche charnue de Hanako.
Hideaki ne se reconnaissait pas non plus, habillé d’un hakama sombre au-dessus duquel un haori bleu foncé affichait le symbole du tourbillon écarlate du clan Uzumaki. Ses cheveux naturellement ténébreux, courts, doux et ondulés laissèrent place à un chonmage. La partie frontale de son crâne paraissait rasée, tandis que le reste de sa crinière rousse était huilé et coiffé en une queue de cheval enroulée et attachée au sommet de sa tête. Son teint était peint en blanc avec un dessin de spirale sur ses joues, et ses yeux et sourcils maquillés en noir.
— Évitez de vous battre contre eux même s’ils vous provoquent, dit-il. Je compte sur vous deux.
Katana et Nobara acquiescèrent.
— Kaito-san nous attendra au port vers l’aube, renchérit Hanako. Nous ferons de notre mieux pour récupérer le parchemin le plus tôt possible.
Katana donna deux parchemins à Hanako et les deux laissez-passer à Hideaki.
— La carte, c’est pour la voie la plus sûre à emprunter. La forêt est dense, on pourrait facilement s’y perdre. Hanako nee-chan a déjà fait ce chemin avec moi. J’y ai mis des repères que nous avions utilisés la première fois, tu les reconnaîtras aisément.
— Oui, bien sûr, acquiesça-t-elle en analysant la carte en question.
— L’autre carte t’appartient à l’origine, j’y ai ajouté quelques détails concernant un différent accès au temple que j’ai pu repérer grâce aux oiseaux.
— Très bien, dit Hideaki en tapotant l’épaule de Katana. Prends soin de Nobara !
Nobara croisa les bras et exposa son menton.
— Que veux-tu dire par là ? Prendre soin de moi… Je suis grande, je peux prendre soin de moi-même ! maugréa-t-elle.
L’aîné ébouriffa les cheveux de sa cadette.
— Évidemment ! Je compte sur toi, ne sois pas très dure avec Katana-kun !
Katana posa la main sur l’enceinte qu’il avait créée, laissant apparaître un tunnel devant le regard curieux du capitaine.
— À plus tard !
Le couple traversa l’accès et emprunta le chemin vers la forêt.
— Amusez-vous bien ! cria Katana.
Nobara lui donna un coup de coude à la poitrine. Il éclata de rire et referma d’une mudra le passage dans la muraille.
— C’est vrai qu’ils sont ensemble ?
— Je ne te dirai pas ce que j’ai vu avant que tu ne m’apprennes ta technique !
— Ce que t’as vu ! C’est vrai alors ! Laisse-moi deviner… tu les as surpris en train de s’embrasser ?
L’espion plongea ses yeux dans ceux de sa camarade, ferma les paupières et forma un bisou avec sa bouche.
— Ô ma fleur* ! Tes lèvres me rendent dingue !
Le cœur de Nobara rata un battement. Sentant la chaleur qui naquit dans son ventre lui monter à la tête, elle détourna le regard.
— N’importe quoi ! Mon frère ne dirait jamais un truc comme ça !
Katana s’esclaffa.
— Donc, le principe de ma technique est simple… je te l’explique, après, je te fais une démonstration en fermant l’autre issue du séjour.
À l’entente de ces mots, le visage de Nobara s’illumina d’un sourire. Elle s’assit sur la pelouse et écouta attentivement son coéquipier.
— Si j’avais utilisé purement le doton, j’aurais épuisé mon chakra pour construire un mur aussi immense. Ce que j’ai fait ressemble à la technique d’invocation. J’ai invoqué de la vraie terre mélangée avec mon chakra que j’ai transformé en doton. Et pour finir, j’ai eu recours à mon imagination pour lui donner la forme que je désire. C’est un peu comme le genjutsu et la technique de métamorphose.
— Je vois… Tu as construit la hutte de la même façon, c’est pour cette raison qu’elle n’a pas disparu.
— Exactement. Et maintenant, dis-moi ce que t’as vu !
— Mais il ne marche pas avec le katon ton truc ! pleurnicha-t-elle.
— Je croyais que tu t’entraînais à la maîtrise du suiton avec Hideaki nii-chan avant mon départ.
La jeune Uchiha tapota ses lèvres.
— Tu penses que je peux l’employer avec du suiton ?
— Évidemment ! Les ninjas qui utilisent cet élément profitent de l’existence de l’eau au lieu du combat pour économiser leur chakra, mais si tu peux invoquer de l’eau que tu as déjà mélangée avec ton chakra, tu ne seras pas obligée de te battre devant une source d’eau.
Nobara sauta sur Katana et le serra dans ses bras, le bousculant sur l’herbe.
— Tu viens de m’inspirer une superbe idée, crétin !
— J’ai droit à un cadeau au moins, marmonna-t-il en se redressant.
— Euh… en fait, je t’ai menti, je n’ai rien vu !
Le brun plaqua sa main contre son visage et se laissa retomber sur la pelouse. Nobara éclata de rire devant sa déception. Elle se leva et remit son arc et son carquois sur le dos.
— J’ai repéré plein de lapins dans la forêt ce matin, que penses-tu d’un bon rôti ? C’est une offre spéciale que je ne fais pas tous les jours !
— Pas question que tu quittes cet endroit ! Rien ne me garantit qu’ils ne soient pas capables de briser mes murs avec leur machin !
— Allez, Katana, ouvre-le ! Ne sois pas ridicule, ils ne sont pas si forts que ça ! Je sais que tu le veux aussi ! insista-t-elle en sautillant.
— J’ai dit « non » ! Tu risques de tomber sur ce gang de bandits.
— Mais ça va être excitant ! J'ai envie de me battre, cette mission est ennuyeuse !
— Non, c’est non !
Il la laissa en plan et retourna à la maison. Nobara serra les poings et grinça des dents.
— T’es plus ennuyeux que mon frère ! rugit-elle.
4.
Hideaki et Hanako parvinrent à un point de contrôle : un passage au sein d’une immense muraille de marbre encerclant le domaine Uzumaki. Devant le portail de l’accès demeuraient quatre gardes uniformément vêtus de tenues de combat avec deux sabres accrochés à leurs dos chacun.
— C’est pas Kazushi qui arrive ?
Ces gens le connaissent… je dois être prudent.
— Bonjour, les gars, comment allez-vous ? les salua Hideaki d’un ton chaleureux, imitant la voix de Kazushi.
— On n’t’a pas vu depuis des lustres, mec !
— Oui, ma femme et moi avons beaucoup voyagé ces derniers temps.
— Enchanté de faire votre rencontre, madame.
Hanako se contenta d’un bref hochement de la tête. Hideaki donna les deux papiers roulés à un autre garde, installé à un bureau. Celui-ci examina les documents avant de scruter Hanako. Le cœur battant la chamade, l’Uchiha tint le bord de son fukinagashi entre les lèvres dans une tentative de dissimuler toute expression que pouvait dévoiler son visage. Le gardien plissa les yeux, puis écrivit quelques mots sur une feuille qu’il enroula et cacheta d’un tourbillon rouge.
Mais qu’est-ce que… ?
— Vous devez d’abord voir Saitama-sama. C’est à lui de décider de vous laisser passer ou non.
Hideaki fronça les sourcils.
— Mais ceci est une invitation officielle de la part d’Ashina-sama !
— Ne m’en veux pas, Kazushi, je n’ai aucune preuve que c'est ta femme !
Le capitaine gloussa.
— Vous ne pensez tout de même pas que je fréquente une autre, mon cher Naoki ?
— Qu’est-ce que j’en sais, moi ? D’habitude, elle vient pas avec toi !
— C’est vrai, intervint Hanako d’une voix posée. Les festivals ne m’intéressent pas, mais celui-là est différent. Je suis très heureuse pour Ashina-sama, du fond du cœur ! Je tiens absolument à jouer mes plus belles mélodies pour célébrer la nouvelle… Vous savez, monsieur, mon mari et moi n’avons pas d’enfants. Ce festival a une place particulière dans mon cœur.
Naoki haussa les épaules.
— Eh bien, eh bien… Si vous êtes sa femme, ça ne vous posera pas de problème. Il va juste s’assurer de votre identité.
Hanako et Hideaki échangèrent un regard furtif, empli d’inquiétude.
— Ne m’en voulez pas, madame. Ces derniers temps, la situation à l’extérieur ne rassure pas. On ne peut pas laisser n’importe qui passer.
— Bien sûr que non, dit Hanako en portant sa main sur sa bouche. Votre dévouement est admirable, Naoki-dono !
Un petit sourire se forma sur les lèvres du garde. Il tendit la lettre qu’il avait rédigée à un autre gardien debout devant lui. Hideaki saisit le bras de sa coéquipière et entrelaça leurs doigts.
— Allons-y, ma chérie.
Le deuxième garde les conduisit dans une minuscule pièce à la sortie du passage où ils prirent place sur des coussins. Quelques instants après, un vieil homme apparut. Ses habits sombres et formels laissaient croire qu’il était d’un rang élevé. Les deux Uchiha se demandèrent de qui il s’agissait. Leur seule certitude : s’il découvrait leurs identités, ils échoueraient.
Quand le vieil homme – appelé Saitama par le gardien – s’assit face à eux, ils se prosternèrent respectueusement devant lui.
— Levez la tête, je vous prie.
L’Uzumaki lut la lettre en silence, puis se leva et retira un dossier de l’une des étagères derrière lui — où d’autres documents et parchemins se plaçaient. Il le feuilleta, ensuite s’arrêta à une page et – sans soulever la tête – dit :
— Uzumaki Shizuka-dono, c’est vous ?
— Oui, monsieur, répondit Hanako.
— Présentez-vous. Toutes les données sur vous et votre famille sont répertoriées ici, ne songez donc pas à mentir.
— Je n’en ai pas la moindre intention, monsieur !
Si ce n’est que ça…, se moqua Hanako.
— Je suis Uzumaki Shizuka, la fille unique d’Uzumaki Ichirō et d’Uzumaki Kazuha, et l’épouse d’Uzumaki Kazushi. J’ai vécu et grandi au sein de notre domaine. Mes parents géraient un restaurant de fruits de mer, où je travaillais comme une joueuse de shamisen. Actuellement, je demeure à la côte Est avec mon conjoint. Après notre mariage, nous avons décidé de voyager pour gagner notre vie… et nous avons eu l’approbation d’Ashina-sama pour cela.
— Hum… On dirait que vous n’avez pas rendu visite à vos parents depuis longtemps, je suis sûr qu’ils seront ravis de vous revoir.
Il essaie de me piéger, mais il joue avec la mauvaise personne… maudit soit le sort des clans qui ne possèdent pas le sharingan, railla-t-elle.
— Monsieur, il me semble qu’il y ait une erreur quelque part. Les données de ce dossier n’ont peut-être pas été mises à jour. Mes parents sont décédés… cela fait des années.
Saitama remua ses lèvres. Pas mal… mais n’importe qui connaît Shizuka le saura. Cette femme a dû se renseigner. Dans ce cas…
— Hum… effectivement. Cela signifie que vous avez hérité de ce restaurant. Vous avez sans doute désigné quelqu’un pour s’en occuper…
Hanako baissa la tête, un sourire en coin.
Pourquoi ne soupçonne-t-il que Hanako ? se demanda Hideaki. Il posa une main sur le dos de son accompagnante.
— Shizuka, ma chère, est-ce que tout va bien ?
— Monsieur, répondit-elle d’une voix attristée. Je comprends à quel point vous travaillez dur afin de protéger notre clan sans recevoir la gratitude que vous méritez, mais les gens simples comme nous n’ont pas la moindre raison de vous mentir !
Elle leva la tête, les yeux larmoyants.
— Et bien que l’incident de l’incendie du restaurant soit sans doute répertorié dans votre dossier…
La jeune dame éclata en sanglots dans son voile.
— Monsieur, veuillez arrêter cet interrogatoire, s’il vous plaît ! intervint Hideaki d’un air alarmé. Le souvenir de la mort de mes beaux-parents hante encore ma femme !
— Ce n’est pas grave, mon cher Kazushi. Saitama-dono ne fait que son travail. Ils doivent enquêter avec tout le monde afin qu’ils puissent capturer ces escrocs…
Hideaki essuya les larmes de sa compagne avec son pouce d’un sourire narquois. Bien joué, Hanako !
— Ne t’en fais pas pour ça, ma chérie.
— Ça ne fait rien… Je vais tout lui dire pour qu’il soit rassuré. Nous ne devons pas être en retard pour le festival.
Saitama plissa les yeux. Cette femme… Elle sait que je la soupçonne de faire partie des bandits. Elle essaie de m’en dissuader en feignant l’innocence. Elle est tombée dans son propre piège. Selon les rapports des victimes, la kunoichi avait utilisé un puissant genjutsu contre eux. Ils finirent tous par lui donner leurs possessions sans la moindre résistance. Kazushi ne semble pas s’en rendre compte, est-il sous l’emprise de sa technique ? Ou bien… serait-il un allié ? Le fait qu’elle connaisse tous ces détails sur Shizuka ne fait qu’accentuer mes doutes.
— Kazushi-dono, parlez-moi de cet incendie.
Hideaki tourna le visage vers Saitama, puis examina les yeux de Hanako. Cette dernière hocha la tête et posa sa main sur la sienne. Il prit une inspiration et revisionna les souvenirs de Kazushi.
— Ce soir-là… ma femme et moi avons passé la nuit chez mes beaux-parents après avoir assuré un spectacle à la fête du Nouvel An. Il faisait étrangement chaud et nous avons senti de la fumée. Nous avons quitté notre chambre pour voir ce qui se passait. La maison était en feu. Mes beaux-parents étaient inconscients. Les flammes ravageaient l’escalier ainsi que le restaurant au rez-de-chaussée. Nous avons enveloppé mes beaux-parents dans des futons et les avons jetés par la fenêtre. J’ai sauté en premier, ensuite, j’ai tendu les bras à ma femme qui était enceinte… Mais au moment où Shizuka s’apprêtait à sauter dans mes bras, quelque chose explosa sous ses pieds et la jeta vers le haut… Je n’ai pas pu l’attraper lors de sa chute.
Hideaki porta ses mains tremblantes sur son visage et laissa échapper un soupir.
— Tout est de ma faute. Si seulement… je l’avais portée dans mes bras avant de sauter.
— Et vous dites qu’elle était enceinte. Quel dommage, vous vous sentez certainement coupable de sa fausse couche…
— Non, l’interrompit Hanako. Je n’ai pas fait de fausse couche ! Il restait un mois au plus avant la date prévue pour mon accouchement, mais je suis rentrée en travail juste après cet incident. Les médecins ont dit que mes poumons étaient endommagés et que les battements de cœur du fœtus étaient très ralentis. Je n’ai pas compris grand-chose dans tout ça… Ils m’ont dès lors expliqué que ni moi ni le bébé ne survivrions à un accouchement normal. Ils m’ont donc ouvert le ventre ! Mon fils n’a survécu que trois jours, et j’ai souffert des séquelles de l’incendie pendant plusieurs mois.
Saitama ferma le dossier et fixa la jeune dame, dont les frissons parcouraient le tissu de son kimono. Tous ces détails racontés avec tant d’émotions ne peuvent être connus par quelqu’un qui n’a pas vécu cet incident… Cette femme ne peut être qu’une actrice. Je ne suis certainement pas sous l’emprise de son genjutsu. Mais je n’ai aucune preuve contre elle…
— Navré d’entendre cela… mais il y a une dernière mesure que je dois prendre.
— Une dernière mesure ? s’enquit Hideaki, la gorge sèche. Vous voulez dire une autre question ?
— Pas tout à fait. Votre femme a mentionné qu’elle s’était fait opérer pour extraire son bébé. Je vais convoquer un médecin pour l’examiner et me confirmer qu’il s’agit bien d’Uzumaki Shizuka.
Un filet de sueur froide coula le long de la colonne vertébrale de Hideaki. Il remplit ses poumons d’air et serra ses dents, sollicitant toutes ses facultés intellectuelles. Comment ai-je pu passer à côté d’un tel détail ? J’ai cru avoir tout prévu… Si un médecin examine Hanako, on est fichus. Vaut mieux utiliser un genjutsu, mais sur qui ? Saitama ou le médecin ? Je n’ai pas le choix… Il baissa la tête et ferma les yeux.
— Ce n’est pas nécessaire.
La voix de Hanako retentit dans ses oreilles. Ce n’est pas nécessaire d’utiliser un genjutsu ? Aurais-tu un autre plan, Hanako ?
— J’ai bien peur que nous soyons déjà en retard, alors, Saitama-dono, veuillez me permettre…
Le voile de Hanako tomba devant le regard hébété de son ami. Elle ôta les manches de son kimono l’une après l’autre, dévoilant son torse sur lequel ne persistait qu’un soutien-gorge.
— …de vous donner la preuve que vous cherchez !
Hideaki grinça des dents et serra les poings. Des plaques de peau blanche plissée et parsemée de travées roses couvraient les bras et les épaules de sa coéquipière. D’anciennes brûlures… serait-ce… ? Une cicatrice rectiligne s’étendait de son nombril à son bas-ventre. Hanako…
La confusion froissa les traits de Saitama. Impossible… mon intuition s’est trompée ? Il se racla la gorge et reprit la parole d’un air stoïque :
— Pas besoin de convoquer le médecin, vous pouvez disposer.
Pays des Tourbillons – Domaine du Clan Uzumaki
5.
Les deux Uchiha arpentèrent les allées du domaine Uzumaki, bondées de gens de toutes générations, dont des personnes âgées qui se promenaient avec leurs petits-enfants. Dans leur clan, en raison des guerres et des maladies infectieuses ou chroniques qui en résultaient, il était rare de vivre plus de cinquante ans.
Hideaki remarqua que les couples qui les entouraient n’hésitaient pas à exprimer leur amour par des câlins, des doigts entrelacés ou même des baisers. Là où il avait grandi, manifester ses sentiments en public se traduisait comme une faiblesse. Cependant, personne ici ne connaissait sa véritable identité. Il était Uzumaki Kazushi et devait se comporter comme tel. Il posa donc son bras sur les épaules de Hanako et la rapprocha de lui. Amusée, elle le gratifia d’un tendre sourire.
— Tu te sous-estimes, ton jeu d’acteur était impressionnant !
— Mais ça n’a pas marché ! Désolé, tu as dû–
— Mais si ! l’interrompit-elle. On a bien fait de continuer le jeu jusqu’au bout. Nous aurions pu être démasqués si nous avions eu recours à un genjutsu.
— Oui, t’as raison. Le fait que je peux compter sur toi me rassure… As-tu peint ces cicatrices en prévision de ça ?
Hanako rit doucement.
— Pas du tout ! Elles sont réelles.
Hideaki empoigna l’épaule de sa coéquipière et la caressa au-dessus du tissu de son kimono. Il savait que c’était le cas, ayant vu les souvenirs de Shinya, mais il aurait aimé croire autrement. Le fait d’imaginer Hanako subir une chose pareille lui tordait les viscères. Cette douleur le déconcertait.
— Les brûlures m’ont été infligées par la torture. Si un médecin les avait examinées de près, il aurait compris à leur aspect, qu’elles n’ont pas été engendrées par des éclats de feu. J’ai donc profité de la situation pour les exposer avant qu’il n’ait recours à un médecin.
— Je vois… Tu as pris la bonne décision au bon moment. Et l’autre cicatrice ? As-tu subi une intervention chirurgicale ?
La jeune femme porta sa main sur son ventre.
— Oui. C’était la Senju que j’ai rencontrée ici qui m’a opérée. Elle a dit que mon ovaire s’est tordu à cause d’une grosse tumeur, donc elle a dû en faire l’ablation. Elle m’a expliqué que cette même tumeur était à l’origine de l’épuisement et de l’essoufflement dont je me plaignais.
— Je comprends mieux maintenant tes sentiments à son égard.
— Vraiment ? Tu ne trouves pas ma défection ridicule et impardonnable ?
Pensif, Hideaki leva la tête vers les lanternes rouges pendues entre les bâtiments de marbre alignés en parallèle, éclairant la ville comme des météores.
— Je ne sais pas quelle aurait été ma réaction à ta place, je ne peux pas te juger. Peut-être que j’aurais récupéré le parchemin et l’aurais gardé pour moi-même…
— C’est ce que tu voulais dire par « on doit être dangereux, mais pas cruels. » ?
— C’est un peu ça, oui. Notre compassion envers les autres ne doit pas nous empêcher de nous en méfier… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’exterminer les Senju, mais nous devons garder une carte gagnante contre eux. Bah, sinon, comment vas-tu à présent ? Es-tu guérie de cette maladie ?
— Euh… oui. Je vais beaucoup mieux. Elle m’a dit que mes chances de guérison étaient grandes, mais ça se peut que je ne sois peut-être plus capable de concevoir.
Une boule se forma dans la gorge du stratège. Sa main descendit le long du dos de la kunoichi et encercla sa taille.
— J’en suis navré. Ça doit rendre le souvenir de cette mission encore plus douloureux pour toi.
— Ne t’en fais pas pour ça. Je n’ai pas l’intention de me marier ou d’avoir des enfants de toute façon.
Vraiment ?
Les ruelles se croisaient en une grande place, où une scène s’entourait de longues tables garnies de nourriture : des crustacés, des fruits de mer, d’énormes poissons, des boissons de différentes couleurs et diverses sucreries, dont des dango et des daifuku. Tout autour, les gens revêtaient des kimonos de teintes chaudes, les petits comme les adultes. Certains exhibaient des coiffures extravagantes, des visages peints en blanc avec des dessins en rouge et en noir, ainsi que des masques.
— Nobara-chan aurait adoré cette ambiance.
— Oui, affirma Hideaki, enjoué. Je parie qu’elle m’en veut toujours, mais parfois je dois être ferme avec elle. Je ne veux pas que son impulsivité la mette en péril.
— Je me demande si ani-sama est dur avec moi parce qu’il s’inquiète autant pour moi, murmura-t-elle.
6.
Au centre de la scène, Hanako s’assit en seiza au sein d’un groupe de musiciens. Chacun manipulait un instrument : le koto, le biwa, la flûte et le tambour. La jeune dame chassa d’un mantra sa peur d’exposer son manque d’expertise et pinça les cordes de son shamisen à l’aide d’un large plectre, donnant naissance à une mélodie qui se maria à l’ambiance festive. Le public y répondit par des applaudissements et des acclamations au même rythme du tambour. L’Uchiha sourit, fière de l’avantage que lui avait procuré son sharingan. Elle assurait. Bonne chance, Hideaki.
***
À l’entrée d’un temple, un moine dormait, la tête adossée au mur et une tasse de saké entre les doigts. Les lanternes éclairaient les parois jaunâtres à l’intérieur, sur lesquels s’illustraient des combats d’Hommes contre des créatures surnaturelles.
L’architecture de ce temple me rappelle celle du sanctuaire Nakano. Dans ce cas, peut-être que… Hideaki s’accroupit, palpa les bords des tatamis et réussit à soulever l’un d’entre eux. Une coïncidence ? J’en doute…
Le shinobi descendit l’escalier qui se trouvait sous le tatami en tenant une lanterne jusqu’à une porte en pierre protégée d’un sceau. Il tâta les extrémités de la barrière, une sensation de fraîcheur parvint aux pulpes de ses doigts. Un courant d’air ? L’endroit derrière cette porte est probablement le point de rencontre entre le temple et la cascade où mène le chemin souterrain sur la carte de Hanako…
L’Uchiha examina les symboles du sceau avec son sharingan, puis posa la lanterne et effectua une série de mudras. Rien ne se passa. Il lâcha un soupir exaspéré. J’aurais dû être plus attentif quand oka-sama m’apprenait les bases du fuinjutsu…
Dans une tentative désespérée, le stratège poussa la barrière rocheuse. Celle-ci pivota et Hideaki se trouva de l’autre côté dans une salle aux murs en pierre éclairés par une multitude de flammes. Une planche accrochée – comportant neuf masques qui symbolisaient des animaux, des personnes, des dieux et des démons – capta son attention. Ça doit être celui-là…
Il retira la figure du renard qui abritait un parchemin rouge de la longueur d’un avant-bras. Hideaki ouvrit le rouleau en question, des sceaux convergeaient vers un cercle au centre dans lequel le kanji « kitsune » était écrit. Ce n’est pas un parchemin d’invocation ordinaire… il est crypté. La facilité avec laquelle je suis parvenu ici me rend sceptique, c’est sans doute une puissante technique de fuinjutsu que même ma mère ne peut pas rompre.
L’Uchiha remit le masque à sa place et cacha le parchemin dans la poche de son hakama. Lorsqu’il remonta l’escalier, un bruit de pas venant d’en haut le figea. Il ne me manquait plus que ça… va falloir que je tente l’autre issue.
***
Hanako et le reste de l’orchestre s’inclinèrent pour saluer le public. Le rideau se baissa et, aussitôt, des techniciens commencèrent à installer le décor en prévision du spectacle de kabuki. La kunoichi prit place face à un miroir et réajusta le fond de teint blanc qui effaçait ses vrais traits.
— Shizuka-dono, auriez-vous vu Kazushi-dono ? demanda un maquilleur.
— Hum… il ne devrait pas être loin d’ici.
Elle se mordit le pouce en faisant les cent pas. Hideaki a mis du temps… pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé.
— Ah ! Le voilà !
Hanako écarquilla les yeux et courut à la rencontre de son ami qui monta aussitôt sur scène.
— Kazushi-dono, on doit réajuster votre maquillage !
— J’arrive tout de suite, dit-il d’un ton gai avec un geste de la main.
Hideaki encercla la taille de Hanako et la serra contre lui en glissant le parchemin sous la manche de son kimono. Il caressa son dos et rapprocha ses lèvres de son oreille.
— Nous avons réussi. Un dernier spectacle et l’on rentre chez nous ! chuchota-t-il.
Elle appuya ses doigts contre sa bouche, étouffant un petit rire.
— Bonne chance, mon cher Kazushi.
Il se sépara d’elle à regret et plongea son regard d’onyx dans le sien, un sourire de vainqueur sur son visage aux traits émoussés.
— Allez, les amoureux ! Nous allons commencer.
Note de l’autrice : je vous embête avec un peu de médecine… ce n’est pas nécessaire de connaître la maladie de Hanako pour comprendre l’histoire, mais c’est toujours mieux d’avoir une idée. En plus, c’est une affection réelle, je ne l’ai pas inventée, donc ça fait un peu culture générale !
*ô ma fleur : Hanako signifie l’enfant-fleur et Nobara une rose sauvage.
Le syndrome de Demons-Meigs est l’association d’une tumeur bénigne de l’ovaire avec des épanchements liquides pleural et pulmonaire (il existe du liquide dans l’abdomen et dans la cavité pleurale qui entoure le poumon). La patiente peut ne pas présenter des symptômes. Ce syndrome est plus fréquent chez les femmes en périménopause, mais il peut se voir à n’importe quel âge, c’est-à-dire même chez les femmes plus jeunes. Les complications à redouter sont la torsion d’annexe (de l’ovaire) et la détresse respiratoire. Le diagnostic à éliminer est le cancer de l’ovaire, cette tumeur n’est pas cancéreuse (bénigne). Le traitement curatif est chirurgical par exérèse de l’ovaire atteint avec sa tumeur ce qui entraîne une guérison sans récidive.
La torsion ovarienne (torsion d’annexe) correspond à un enroulement des tissus qui soutiennent l’ovaire (celui-ci se tord sur lui-même). Cela comprime les vaisseaux sanguins et interrompt donc l’apport en sang, ce qui peut entraîner une nécrose si la condition persiste (mort cellulaire anormale). La patiente ressent une douleur soudaine, aiguë (d’installation rapide) et très intense. [Une douleur aussi intense n’est pas normale et doit pousser la femme à consulter]. Causes et mécanismes : les tumeurs (cas de Hanako dans cette histoire) et les kystes bénins de l’ovaire entraînent une augmentation de son volume, il devient plus lourd pour les tissus qui le maintiennent en place et il aura donc tendance à s’enrouler sur lui-même. Les tumeurs bénignes (non cancéreuses) sont plus susceptibles de causer une torsion ovarienne que les tumeurs cancéreuses.