Ce qu'on appelle Tempête
Les hommes s'entre-regardèrent incertains.
Ils étaient tous rassemblés dans la salle commune, y compris Himuro qui avait installé sa jambe sur un banc et contemplaient Tani-sensei qui frottait machinalement les rares cheveux qui lui restaient. Le chauffage fonctionnait, mais il leur semblait que le froid polaire s'était infiltré à l'intérieur.
- Il ne s'agit pas simplement de côtes cassées ou d'un rhume grave, expliqua encore une fois le docteur. "Je n'ai pas les moyens d'opérer, ici. J'ai pu remettre la jambe d'Himuro parce qu'il ne s'agissait pas d'une fracture compliquée, mais je ne suis pas chirurgien et je n'ai pas le matériel nécessaire. Il faut prier qu'il ne s'agisse que d'une pneumonie, pas d'autre chose…"
- Que d'une pneumonie… répéta Utsumi, atterré, en se laissant tomber sur la chaise qu'occupait d'ordinaire leur chef.
- Pendant quelques jours, il faudra le surveiller de très près. Je demanderai également l'assistance d'autres gens du métier par la radio. Yokomine-kun, si vous voulez bien me guider pour cela…
L'interpellé se mit au garde-à-vous, la gorge trop serrée pour répondre, mais personne ne rit.
Samejima ne s'était pas aperçu qu'il se tordait les mains. Inuzuka était paralysé. Il ne pleurait plus, mais les traces de larmes étaient restées gravées sur ses joues mortellement pâles.
- Pour l'instant, tout ce que nous pouvons faire, c'est le laisser se reposer au maximum, reprit Hoshino-san en se relevant de la table contre laquelle il s'était appuyé, les bras croisés. "Il faut que quelqu'un s'acquitte de ses res…"
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que cinq mains s'étaient levées. Il eut un pauvre sourire.
- Merci, murmura-t-il.
- Himuro-san, reprit le docteur, j'ai besoin que vous ménagiez au maximum votre jambe, pour éviter les complications. Si vous pouviez…
Le représentant du gouvernement rougit violement.
- Je ne vous causerai pas de problème, siffla-t-il.
- … passer un peu de temps à l'infirmerie, près de Kuramochi-kun, cela serait d'une grande aide, termina Tani-sensei. Il adressa un sourire apaisant au jeune homme. "Quand il sera lucide, il aura besoin de la présence de quelqu'un qu'il connaisse bien."
- Je peux faire ça aussi ! gronda Samejima en faisant sursauter tout le monde. "Nous sommes comme une espèce de famille, ici, n'est-ce pas, Hoshino-san ? Le patron me connait aussi bien !"
Les autres marmonnèrent, un souffle d'approbation blessée courut sur le groupe anxieux. Inuzuka avait l'air transparent de quelqu'un qui n'a plus du tout confiance en lui-même et qui pense qu'on ne lui accordera jamais sa chance.
Le leader hocha la tête avec douceur.
- Samejima-han a raison, dit-il lentement. Nous sommes une famille. Tani-sensei, est-il possible que chacun aide à s'occuper de Kuramochi ? Nous sommes tous inquiets pour lui. Et vous aurez vous aussi besoin de repos.
Le médecin s'inclina.
- Très bien. Mais un par un. Et ceux qui seront trop bruyants ne seront pas autorisés à revenir.
Les hommes opinèrent, dociles, intimidés par la responsabilité qu'on leur accordait.
- Une dernière chose, reprit le docteur avec sévérité. "Je sais qu'on a laissé entrer Shiro pendant quelques temps, mais il est absolument hors de question que Riki ou n'importe lequel des autres chiens s'approchent de l'infirmerie jusqu'à ce que Kuramochi-kun soit sorti d'affaire. Le risque d'infection dans son état est bien trop grand. Est-ce bien compris ?"
Inuzuka hocha faiblement le menton, transformé en statue de sel, pendant que les autres baissaient les yeux.
Dans l'infirmerie, Kuramochi dormait en respirant péniblement, soutenu par des oreillers improvisés. Ses cernes semblaient s'être encore creusés et la fièvre suintait sur son front, roulant sur ses tempes et le long de son nez. Le col roulé de son pull noir soulignait la pâleur de son visage pourtant tanné par les intempéries. Son poignet emprisonné dans l'attelle reposait sur la couverture et ses doigts tremblaient presque imperceptiblement.
A l'extérieur, le blizzard s'était de nouveau levé, et Riki, son poil parsemé de minuscules flocons blancs, s'allongea en couinant plaintivement.