La flèche du destin

La flèche transperça le rideau de pluie. Implacable, elle filait droit sur un jeune chasseur, Actéon, lorsqu’une deuxième flèche surgit de nulle part et la percuta… Dévié, le trait voltigea comme une feuille morte.

Artémis jura. Sortant totalement du lac où elle était en train de se baigner, elle brandit son arc, tira une nouvelle fois.

Les gouttes ne l’empêchèrent pas de voir le scénario se reproduire.

Déjà, Actéon, en avait profité pour s’emparer de son propre arc. Le visage déformé par la peur et la rage, il encocha une flèche… qu’il ne décocha jamais. Car il n’avait plus ni mains, ni doigts…. Il venait d’être transformé en cerf par Artémis. Cette dernière siffla et ses lèvres se retroussèrent en un sourire carnassier à l’idée de ce qui allait suivre. Les molosses du jeune chasseur ne se firent pas prier : la curée fut terriblement satisfaisante, l’odeur du sang se mêlant aux brames déchirants, dans le linceul de boue.

Ramassant ses vêtements, la déesse fronça soudain les sourcils. Quelque chose était à moitié caché sous les hautes herbes. Aucun humain n’aurait aperçu un si petit détail, surtout sous un tel déluge, mais les yeux d’une divinité étaient particulièrement perçants. Un pas léger après l’autre, elle s’approcha, alors que la douleur du cerf cédait la place à l’agonie. Ses doigts plongèrent dans les herbes et entrèrent en contact avec du métal froid. C’était une médaille ornée d’un motif stylisé, certainement perdue par le jeune insolent avant qu’elle ne le transforme en proie.

-       Qu’est-ce qui t’a pris ? s’exclama soudain une voix furieuse.

   Artémis se raidit instinctivement avant de se détendre. Seule une personne avait la capacité de la surprendre, et c’était la même qui venait de briser ses deux flèches en plein vol. Comment n’avait-elle pas compris ?

-       Tourne-toi ! ordonna-t-elle sèchement.

   Aucun homme n’était censé la voir nue, son frère jumeau y compris. Actéon venait d’ailleurs de le payer de sa vie.

-       J’espère que tu as une bonne raison d’interrompre mon plaisir, lâcha-t-elle d’une voix toujours aussi coupante, en mettant le médaillon autour de son cou, puis en enfilant sa tunique.

-       Tu ne te rends pas compte de ce que tu as fait ?

-       Punir un homme qui a enfreint mes lois ?

-       Bon sang, Artémis ! Je n’ai pas dévié tes flèches pour rien ! C’était Actéon !

-       Et alors ?

   Elle se retourna néanmoins, invitant son frère à faire de même. Son instinct ne l’avait pas trompé : les yeux d’Apollon étaient teintés d’une inquiétude qu’elle y avait rarement lue.

-       Actéon était sous la protection de Héra.

   Le déluge sembla redoubler d’intensité, ou peut-être n’était-ce qu’un effet de l’imagination d’Artémis, qui n’en menait pas large. Comment aurait-elle pu savoir que ce maudit chasseur était protégé par sa belle-mère en personne ? Et connaissant sa réputation…

-       Je vais essayer de plaider ta cause, grogna Apollon. Mais la prochaine fois, réfléchis au lieu d’agir, je ne pourrai pas toujours te protéger.

 Derrière, le cerf avait cessé de bouger. Le chasseur avait été mis à mort par ses propres chiens.