Patrocle
Dates allait mourir. Cela ne faisait aucun doute, un spartiate savait comment affronter la mort en souriant. Mais deux choses l’énervaient au plus haut point. Premièrement, ce n’était pas une simple escarmouche mais bien une glorieuse bataille qui se déroulait derrière les lignes. Deuxièmement, Patrocle l’avait mis en garde contre les attaques à revers d’Hector et Penthésilée. Il abattit son kopis sur la tête d’un ennemi qui se ruait sur lui et enjamba le cadavre de son cheval. Il essayait de se créer un espace suffisant pour se battre. Une lance transperça sa chemise, lui éraflant l’épaule. Un troyen courait vers lui, brandissant une épée. Dates para l’attaque sauvage, vint au contact, et asséna un coup de tête au guerrier, qui tituba en arrière, à moitié aveuglé.
Le soleil brillait dans le ciel azur, et une brise fraîche soufflait sur l’endroit, apportant au passage une odeur d’herbe et de pin. Dates prit une profonde inspiration. Ah, que la vie est belle, pensa-t-il. Au moins, les troyens comprenaient les concepts d’honneur martial, et l’attaquaient un à la fois, pour tester son courage et le leur. Un autre homme se rua sur lui. Dates fit un bond dans les airs, et mit un coup de pied dans la poitrine de l’homme qui fut projeté à la renverse. Un deuxième épéiste fondait sur lui par la gauche. Dates bloqua l’attaquant avec son bouclier en bronze, et riposta d’un coup cinglant. Le troyen se jeta en arrière pour esquiver et, se prenant le pied dans la jambe du cheval mort de Dates, il tomba par terre.
Dates défit sa broche en forme de feuille de chêne et laissa glisser sa cape rouge sur le sol. Il portait un grand heaume de bronze et une armure lourde complète, il portait également des jambières, à la manière des officiers de Sparte. L’armure pesait lourd, mais elle le protégeait de ce qu’il craignait le plus : un coup d’estoc au ventre qui l’éviscérerait. Son frère aîné était mort d’une telle blessure, et Dates était bien résolu à ne pas mourir dans les mêmes souffrances.
Il prit une profonde inspiration. L’air était pur. Un troyen muni d’une lance venait vers lui au pas de charge. Dates attendit le dernier moment et fit un pas de côté. Puis, il asséna un coup au menton du guerrier avec la garde en bronze de son épée, au moment où celui-ci passait. Assommé net, le Troyen s’écroula sur le sol.
Il regarda ses hommes et leur aboya sauvagement :
— Phalange !
Les spartiates exécutèrent leur célèbre formation, bouliers levés et lances en avant. De l’autre côté une formation similaire se constituait et était commandée par le plus puissant guerrier après Hector. Le redoutable Sarpédon de Lycie, un homme d’âge mûr au regard aussi acéré qu’un rapace. C’était lui qui avait enseigné la stratégie a Hector, et qui avait fondé la ville de Milet en Lycie du nom de Milétos. Sarpédon regarda le champ de bataille et opina du chef, son plan marchait comme prévu et avec le concours de Penthésilée, cette bataille allait bientôt s’achever par une victoire écrasante. L’amazone de son côté était sur son cheval blanc, et tenait une lance encore ensanglantée. Sa dernière victime n’était pas la plus moindre, il ne manquait plus que l’autre frère pour compléter son tableau de chasse.
Sarpédon fit signe a Penthésilée et cette dernière leva sa lance, et lança la charge, ils allaient contourner les spartiates et les attaquer à revers, puis les troupes au sol s’abattraient sur eux et les tailleraient en pièce.
Dates serra la mâchoire et regarda le corps sans vie du prince Castor qui gisait a quelque pas. Il avait été acculé et tué pas les amazones. Leur maîtresse avait poussé un puissant cri strident en enfonçant sa lance dans la gorge du spartiate. Son prince était mort et c’est désormais à lui de tenir sa position jusqu’à la mort, pas question de battre en retraite.
Et pourtant un seul homme lui venait en tête, Patrocle. Le jeune prince exilé qui avait tout partagé avec eux. Près de six lunes, déjà, que l’insupportable chef éclaireur était là, sous leur nez, soit le plus clair de cet été chaud et puant. Son intervention lors de batailles récentes avait donné un goût amer à la victoire, surtout quand il s’était servie d’un arc, arme ô combien indigne de Sparte !
Un autre jour, en descendant, il avait vu ses propres hommes s’entraîner sur le sable. Organisés en deux phalanges, ils se livraient à un semblant de bataille. Il s’était gaussé bruyamment en voyant les rangs s’éclaircir, un soldat à la fois, à chaque « tué ». Il n’était plus resté qu’un survivant debout ; tous les autres geignaient, à bout de forces. Il avait fait une ovation à ce champion… jusqu’à prendre conscience que la cape rouge et le heaume en bronze n’étaient pas portés par un homme de Laconie. C’était lui ! Lui !
Dates avait tancé la troupe, tel un titan vengeur, pour l’avoir laissé prendre part à l’entraînement et porter la lance et le bouclier de Sparte.
— Mais… mais il le mérite, avait fait valoir un soldat. Il maîtrise parfaitement nos techniques de combat. Qui le lui a enseigné, ça, il refuse de le dire.
Dates poussa un grognement, il aurait tout donné pour avoir Patrocle avec lui en ce moment. Pollux était courageux mais n’avait pas l’esprit de son frère. Seul Patrocle pouvait inspirer les hommes à cet instant critique. Les troyens avançaient en frappant leurs boucliers, et Dates en bon vétéran savait qu’ils allaient céder devant leurs nombres.
Il entendit un martèlement de sabots. Alors il risqua un coup d’œil sur sa gauche. Et un soulagement l’envahit comme une eau douce sur une terre brulée.
Une centaine de cavaliers se dirigeaient vers eux dans un vacarme assourdissant. Sur la monture de tête, Patrocle tournoya sa lance et décrivit un cercle autour des spartiates, puis positionna ses hommes sur les deux côtés. La phalange troyenne s’arrêta brusquement. Penthésilée stoppa sa charge et regarda furieusement le nouveau venu. Sarpédon de son côté leva un sourcil et scruta le camp adverse. Voilà qui était inattendu, un autre caprice des dieux. Peu importe, il convoqua son écuyer et donna des ordres rapide. Ce dernier fit signe et un soldat fit tournoyer un drapeau. Penthésilée fit demi-tour et Patrocle opina du chef. Le général ennemi va adopter une nouvelle stratégie. Et Patrocle saura ce qu’il prépare. Il sauta à terre et se dirigea vers Dates. Ce dernier sortit du mur du bouclier et le salua vigoureusement.
— Par Ares je suis heureux de te revoir petit chasseur !
— Ou est le prince ? demanda Patrocle vivement.
— Il attend le passeur au bord du Styx, tu es venu seul ?
— Oui mais nous devons repousser l’avant-garde d’Hector, le prince Ramsès viendra en renfort mais il nous faut tenir le temps qu’il arrive. Me laisseras-tu marcher avec ton énomotie ?
— Ce sera un honneur, dit Dates en souriant. Tu t’es bien entraînée, sur la plage. Mais ce n’est pas lors d’une bataille simulée qu’on mesure la valeur d’un guerrier. Tu vas devoir tenir ta place en tant qu’hoplite, au cœur de la muraille de bronze, au vrai combat.
Patrocle soutint son regard.
— Confie-moi une lance et un bouclier, et je combattrai comme un vrai Spartiate.