Patrocle
Quelques mois plus tard.
Séthi le pharaon d’Egypte, gardien des deux terres, et représentant d’Amon, observait avec attention les troupes Grecs qui formaient l’aile gauche de son immense armée. A ses côtés se trouvait son fils et héritier, le prince Ramsès, Ce dernier regardait les hoplites avec méfiance, surtout après avoir reçu le message d’Ulysse qui l’exhortait à se mettre en marche sans tarder pour les rejoindre à Amurru. Séthi assiégeait Sidon et sans le débarquement de l’armée Grec, Hector aurait attaqué ses lignes arrière et aurait causé beaucoup de dégâts.
Séthi marchait les bras croisés dans le dos. Le soleil se reflétait sur son plastron en or. Homme d’une stature imposante, il intimidait non seulement ses sujets, mais aussi Pollux qui avait déclaré en le voyant qu’il ferait un bon soldat en première ligne. Le Pharaon aimait inspecter ses troupes, et cette journée ensoleillée était trop belle pour demeurer sous une tente à écouter des ministres flagorneurs.
Oui il avait remporté des victoires, il progressait sans difficulté en territoire ennemi, mais Pharaon n’était pas dupe, il connaissait très bien les Hittites et leurs alliés. Penthésilée commandait vingt mille amazones dont cinq mille cavalières, et quinze mille guerrières à pied commandée par sa demi-sœur Hippolyte.
Pour les avoir déjà combattu, Séthi connaissait bien ces furies qui surgissaient de nulle part et disparaissaient de même en laissant les villages et les plaines ensanglantés. Ces Amazones qui plaçaient la guerre au-dessus de tout. Elles la faisaient comme en se jouant et rien ne semblait égaler leurs vaillances et leurs témérités. Elles se lançaient contre l’ennemi en de furieuses vagues hurlantes et leurs cris glaçaient de terreur le cœur des guerriers les plus endurcis. Malheurs aux misérables soldats qui laissaient rompre leurs rangs ! Rien ne pouvait plus les sauver, ni la fuite, ni la vitesse, ni un ultime combat désespéré. Ils étaient poursuivis et massacrés sans pitié.
Hector pour sa part était le plus dangereux. Malgré son jeune âge les vétérans l’admiraient. Séthi se demandait même comment ses propres guerriers plus âgés et plus endurcis par les guerres obéissaient à un jeune homme. Hector était le meilleur des soldats, ignorant la fatigue et le doute, il pouvait se passer de boire et de manger. Capable aussi de veiller des nuits entières, s’endormant sur un tas de cailloux, en plein jour, au milieu du bruit et dos à dos avec ses hommes.
Toujours le premier à avancer au combat et le dernier à se retirer. Et il n’était pas du genre à obliger un de ses soldats à faire ce qu’il n’aurait pas été lui-même d’accomplir, et jamais on le verrait risquer inutilement la vie de ses guerrier.
Séthi l’avait sous-estimé au début, notamment lorsqu’il avait conquis Tyr, et Hector l’avait pris au dépourvus, car seul un mortel marqué par la faveur divine pouvait réussir le coup d’audace de reprendre au premier assaut la ville côtière. Le pharaon avait certes monté trop de confiance en ne laissant qu’une faible garnison sur place. Il croyait la ville en sécurité derrière ses épaisses murailles, avec des vivres et des armes en quantité suffisante pour soutenir un long siège. Mais les dieux avaient inspiré au prince de Troie le plan audacieux qui lui permit de conquérir Tyr avec une facilité déconcertante. Ne disait-on pas que le troyen avait pris d’assaut les remparts du côté de la mer, là où personne ne l’attendait ? Il n’avait même pas eu besoin d’embarcation car l’eau s’était retirée comme par miracle, chassé par le large par un vent violent.
Le Troyen s’emparait de tout un matériel de guerre qui n’avait pas eu le temps de servir, ainsi que de nombreux vaisseaux, aussi bien militaire que commerciaux, qui mouillaient dans le port. Plus grave encore, il faisait main basse sur les mines d’argent de la région, celle qui justement finançait l’effort de guerre des Egyptiens.
Séthi poussa un soupir et continua son inspection, au milieu de l’après-midi il pénétra dans sa grande tente toujours accompagné de son fils. Il déplia une carte et l’étudia soigneusement.
« Les éclaireurs ont-ils été envoyés ? Voulut savoir le Pharaon.
— Oui », répondit Ramsès. Séthi hocha la tête et reporta son attention sur la carte.
— Dès demain, nous entrons à Qadesh, décida-t-il. Les petites villes qui s’y trouvent nous offriront de l’or et de la nourriture pour que nous ne les attaquions pas.
— Les hommes s’impatientent, père, protesta le prince. Pourquoi ne pas y aller maintenant et montrer aux Hittites la force de nos lances ?
— Nous ne sommes pas assez nombreux, riposta Séthi. Mouwatalli dispose de cinquante mille hommes bien entraînés. Nous risquerions de nous faire anéantir, et je ne parle pas d’Hector et de Penthésilée.
Ramsès le regarda dans les yeux.
— Écoutez-moi, père, les hommes sont en train de perdre courage. Nous avons besoin d’une victoire.
— Parce que tu imagines que je l’ignore ? demanda le Pharaon en le fixant sans aménité. Je donnerais mon bras droit pour cette victoire dont tu me parles. Mais regarde la carte. Si nous acceptons le combat, les Hittites nous encercleront pour nous couper toute retraite. Si cela se produit, tout est perdu. Je sais qu’un jeune homme comme toi aura du mal à accepter une telle donnée, mais nous n’avons pas un millier de cavaliers et nos archers sont moins nombreux encore. Il nous serait impossible de tenir. Tout ce que nous pouvons faire, c’est attirer l’ennemi derrière nous, de façon que l’armée du roi Nestor puisse traverser le détroit sans problème. Alors, nous aurons la bataille dont tu rêves.
Ramsès secoua la tête dépitée et s’apprêtait a réponde quand un garde fit irruption.
— Majesté ! Pardonnez cette intrusion mais un soldat Grec demande à vous voir.
— Renvois le, rugis Ramsès. Je dois encore m’entretenir avec mon père.
— Il dit que c’est urgent, insiste le garde nerveusement.
— J’ai dit pas maintenant, crie Ramsès de rage.
— C’est à moi de décider qui je dois recevoir ou renvoyer, intervint Séthi. Fais-le entrer.
La garde s’inclina et se retira, puis revint avec un jeune hoplite qui avait à peine l’âge de son fils. Quelque chose chez lui intrigua Séthi, ses yeux avaient une maturité foudroyante et il se déplaçait en parfait équilibre
— Est-ce que tu parles l’Egyptien ? s’enquit le pharaon.
— Un peu, répondit le soldat.
— Tu combats dans quel régiment ?
— Je suis chef de l’unité d’éclaireurs sous les ordres du prince Pollux de Sparte
— Ton nom ?
— Patrocle !
— Tu voulais me voir ?
— Votre armée se fera massacrée si jamais vous attaquez Qadesh.
Séthi éclata de rire, puis versa un verre. Ramsès croisa les bras et regarda Patrocle intrigué.
— Rien que cela ? Et qu’en pense le prince Pollux ? dit Séthi en vidant sa coupe à moitié.
— Pollux a refusé de m’entendre, il dit qu’aucune charge de cavalerie ne pourra contrer la phalange spartiate, mais il oublie qu’une phalange peut être prise à revers, tout comme il oublie qu’elle ne peut rien contre les chars a faux.
— C’est aussi mon avis, voilà pourquoi je place toujours les Grecs au centre avec deux unités de cavalerie pour éviter un contournement.
— Sauf qu’Hector et Penthésilée savent comment contourner une phalange encadrée.
— Et toi aussi apparemment, comment se fait-il qu’un soldat avec ton éducation et intelligence ne soit qu’un simple chef d’éclaireur ?
— Je ne suis pas Spartiate, tout comme je n’appartiens pas aux hilotes. Mon rôle consiste seulement à donner des conseils.
— Que ton prince refuse d’entendre sans aucun doute, d’où ta présence ici, tu espères que Pharaon se montre plus sensé pour écouter les sages paroles d’un simple petit chef d’éclaireurs.
— Il vaut mieux être efficace qu’inefficace, même pour un simple petit chef comme moi.
— Mhmm !
Séthi l’observa un moment, puis se tourna vers son fils.
— Que-t-on rapporté tes éclaireurs sur les troupes troyennes ?
— Ils se dirigent vers l’Est, répondit aussitôt Ramsès, je pense qu’Hector va rallier les Kourgan pour une attaque à revers une fois qu’on aura lancé l’assaut contre la forteresse.
— Il est au Sud, intervint Patrocle, ce qui lui valut un regard méprisant de la part du prince. Ceux qu’il a envoyé vers l’Est ne sont qu’une diversion, il va attaquer votre arrière garde avec les Sarmates afin de vous priver de renforts.
— Et comment le sais-tu ? demande Ramsès surpris
— J’en étais arrivé à la même conclusion lorsque j’ai examiné leurs traces, expliqua Patrocle. Mais Hector a pris une route très fréquentable ce qui voudrait dire qu’il voulait qu’on sache qu’il se trouve à l’Est afin d’endormir notre méfiance dans le but de nous priver de retraite. La grande bataille se déroulera donc avec l’armée de réserve qui se trouve à deux jours d’ici au Sud, nous serons pris en étau une fois l’arrière garde décimée, et les Hittites vont sortir de la forteresse et charger nos troupes en rase campagne.
— Les divisions de Ptah et d’Horus, s’exclama Ramsès.
— Ainsi que les forces du prince Castor et du roi Ulysse. Dit Patrocle en opinant du chef.
— On ne peut pas les perdre, père ! rugit Ramsès. Nous devons lever le camp et rejoindre l’arrière garde.
— Lever le camp ? dit Séthi irrité. Non, non, non, trouvons une parade, soyons plus malins ou plus forts, mais pas question d’abandonner le siège.
— C’est ce qu’a dit le prince Pollux, majesté. Dit Patrocle gravement, mais il faut écouter la voix de la raison, si jamais vous attaquez Qadesh avec le dos à découvert vous serez décimés, dans ces conditions même un bon tacticien ne peut rien faire.
— Il suffit ! déclare Pharaon d’une voix puissante, envoyez un messager à l’arrière garde pour les prévenir mais pas question de quitter notre position actuelle, cette forteresse tombera quoi qu’il m’en coûte. Je te remercie pour tes conseils mon garçon, mais maintenant tu peux disposer.
Patrocle s’apprêtait à répliquer mais Ramsès lui fit signe de ne pas insister, puis il l’invita à le suivre. Pharaon se pencha de son côté vers la carte. Patrocle le regarda un moment puis suivit le prince en se mordant les lèvres. Très bien, si ces deux imbéciles refusaient d’entendre raison, dans ce cas il prendra lui-même les choses en main. Plus question de laisser Hector se moquer d’eux encore une fois.