Patrocle
« Je me moque bien des signes, fit Pollux d’une voix mal assurée. Sonnons le départ et allons affronter ces maudits Hittites. »
Castor secoua la tête et regarda Ulysse qui haussa les épaules. Son frère jumeau avait beau être un guerrier redouté, la patience n’était pas son fort. L’armée Grec avait reçu pour consigne de débarquer en Lybie et de rejoindre la garnison d’Horus qui était commandée par le prince Ramsès. Séthi avait annexé Gaza et avait repris les villes de Sichem et de Megiddo sans rencontrer de résistance. L’armée Hittite semblait ne pas vouloir affronter les Egyptiens en rase campagne, pour le moment.
Pollux et Castor avaient invité Ulysse dans leur tente. Pour eux le roi d’Ithaque était un membre important de la famille, puisqu’il avait épousé leur cousine Pénélope, ce dernier examinait la carte et semblait plus soucieux que jamais, pourquoi l’ennemi tardait à se montrer ? Et surtout pourquoi laisser Séthi s’engouffrer plus profondément dans le pays de Canaan ? Castor encore plus soucieux avait proposé d’envoyer des éclaireurs mais le prince Ramsès l’avait interdit, ils devaient tous rester en arrière et assurer la garde au cas où l’ennemi prendra Séthi a revers. Une stratégie sensée, mais qui inquiétait aussi bien Ulysse que Castor.
Et le comble, c’était l’oracle qui accompagnait l’armée spartiate. Ce dernier avait décrété qu’ils devaient quitter le port d’Aulis que dans trois jours, sinon les Grecs seraient décimés une fois arrivés à destination.
Autant Castor était patient et préférait respecter la volonté des dieux, autant Pollux voulait foncer comme un taureau furieux en première ligne, seul son jumeau arrivait à tempérer ses ardeurs, pourtant Ulysse semblait aussi inquiet que jamais.
— Nous partirons dans trois jours comme l’a prédit l’oracle, dit Ulysse d’une voix apaisante, d’ici là nous devons nous préparer au départ.
— Nous sommes prêts, rugit Pollux d’une voix hargneuse. Sans ce maudit oracle nous serions déjà partis ! J’ignore comment père peut supporter ces vieux cloportes, si je devais un jour devenir roi je les chasserai de Sparte a jamais.
— N’y penses même pas, intervint Castor subitement. Tu sais très bien que les éphores sont les portes paroles des dieux, et que les insulter c’est insulter les dieux eux-mêmes.
— Pour le moment ! Intervint Ulysse d’une voix calme, nous devons examiner les différentes informations en notre possession. Nous savons de sources sûres que le prince Hector de Troie a officiellement rejoint l’Empereur Mouwattali avec ses trois milles cavalier. Nous avons aussi Otréré la reine des Sarmates qui a envoyé sa fille Penthésilée avec vingt milles guerrières.
— Les Amazones sont les alliés de Troie, fit observer Castor. Depuis quand elles se battent pour le Hatti ?
— Mouwattali avait envoyé une ambassade à Otréré avec des coffres remplis d’or, et des esclaves mâles réputés pour leurs robustesses, si tu vois ce que je veux dire. Dit Ulysse en faisant une grimace.
— Elles auraient gagné au change avec nous, dit Pollux en riant. Aucun homme au monde n’égale un spartiate quand il s’agit d’engendrer des enfants en bonne santé.
— Mouwattali nous a devancés, répliqua Ulysse en souriant à son tour.
— Cette… Penthésilée, dit Pollux intrigué. Que vaut-elle vraiment ?
— On dit qu’aucun homme n’a réussi à la satisfaire, dit Castor qui abandonna son sourire. Et on dit aussi qu’elle a pour père Arès le dieu de la guerre, et qu’elle se bat aussi furieusement qu’une Chimère.
— Une vraie dure à cuire, compléta Castor. Il paraît qu’elle a tué de ses propres mains un rebelle de la tribu des Cadusiens lors d’un duel au corps au corps.
— Je suis amoureux, dit Pollux hilare, par Zeus je vais capturer cette furie et en faire ma concubine, elle me donnera des enfants aussi féroces que des lions.
— Avant ou après qu’elle t’aura arraché les entrailles ?
Pollux éclata de rire, imité par Castor et Ulysse, à ce moment-là un soldat fit son entrer et salua les jumeaux en frappant du poing sa poitrine.
« Un homme est là pour vous voir, majesté, annonça-t-il à Ulysse après s’être incliné devant lui.
— Tiens donc ! fit Ulysse en fronçant les sourcils. Est-il seul ?
— Oui, monsieur. Il apporte une lettre du général Chiron.
— Alors cela doit être la personne que le Centaure a promis d’envoyer.
— Tu connais cet homme ? dit Pollux en regardant Ulysse intrigué.
— Non, mais nous allons le découvrir, fais-le entrer.
Le soldat s’inclina et se retira, après un moment un homme fit son entrer et Ulysse découvrit avec stupeur qu’il était plus jeune que Castor et Pollux. L’étranger était de taille moyenne, puissamment battis, ses longs cheveux noirs étaient attachés en queue de cheval et son visage bien que remarquable était sévère, et ses yeux noirs et durs scrutait chacun comme si ils étaient des proies pour un chasseur.
Ulysse de son côté se laissa aller contre le dossier de sa chaise sans quitter des yeux le visage du jeune homme.
— Comment va Chiron ? demanda-t-il d’une voix douce.
— Très bien, monsieur. Il m’a chargé de vous faire parvenir ses salutations et j’ai là une lettre pour vous.
— Quel est ton nom, mon garçon ?
— Patrocle.
— Seulement Patrocle ? intervint Pollux d’une voix glaciale.
— Seulement Patrocle, répliqua ce dernier en regardant le prince avec des yeux inexpressifs.
Castor intervint rapidement avant que Pollux n’explose de rage.
— Pourquoi t’envoie-t-il à nous, Patrocle ? Pardonne nous de te poser cette question, mais Chiron est un général renommée et c’était lui que nous attendions et pas toi.
Patrocle hocha la tête.
« J’en suis conscient, mon prince. Mais Chiron m’a dit que vous avez besoin d’aide, et je pense qu’il espérait que vous me trouveriez une place au sein de l’armée spartiate.
Pollux eut un petit ricanement dénué d’humour.
— As-tu déjà pris part à une guerre ? Combattu en première ligne dans une phalange ? Sais-tu seulement comment fonctionne notre armée ? Et surtout, as-tu une quelconque expérience militaire ?
— Je ne suis pas un soldat, clarifia le jeune homme. Toute ma jeunesse, on m’a enseigné les arts de la guerre, il est vrai que je n’ai pas d’expérience, mais je sais me battre et je sais comment fonctionne n’importe quelle armée Grecque.
— Tu n’en demeure pas moins un néophyte, intervint Ulysse. Et tu es trop jeune pour apporter l’aide dont nous avons besoin.
— Dans ce cas, je ne vous importunerai pas davantage, monsieur.
Ce disant, Patrocle déposa la lettre de Chiron, puis il s’inclina et tourna les talons. Ulysse sur une intuition soudaine se leva subitement.
« Attends ! Intervint-il. Si Chiron a confiance en toi, j’aimerai que tu nous donnes un avis sur une affaire qui nous préoccupe.
— La belle affaire, dit Pollux en faisant une grimace.
Castor croisa les bras et opina du chef.
— Je suis d’accord, j’aimerai aussi entendre ce qu’il a nous dire.
Patrocle les observa un moment puis hocha la tête. Ulysse l’invita à s’assoir puis déposa une carte devant lui.
— Je ne vais te poser qu’une question, dit Ulysse gravement. L’armée de Séthi progresse dans le pays de Canaan et pourtant elle ne rencontre aucune résistance, les Hittites semblent introuvables, peux-tu nous nous indiquer l’endroit où elle se trouve ?
— Je ne suis pas devin, répondit Patrocle. Pour cela il me faut des informations plus précises.
Ulysse sourit.
— Poses-nous n’importe quelle question ?
Patrocle se pencha et regarda la carte attentivement.
— Les garnisons de la frontière du Nord-Ouest sont-elles en état d’alerte ? demanda-t-il sans lever les yeux de la carte.
Cette fois Castor et Pollux se regardèrent intrigués. Ulysse abandonna son sourire et répondit rapidement.
— Oui bien sûr, le prince Ramsès y veille personnellement.
— Les patrouilles Egyptiennes contrôlent la bande côtière libyenne et la zone désertique à l’ouest du Delta, ajouta Castor en regardant Patrocle rassuré. Leurs forteresses sont en état d’alerte et contiendraient sans peine une attaque qui semble improbable. Aucun guerrier n’est capable, à l’heure actuelle, de fédérer les tribus libyennes.
— Hypothèse ou certitude ?
— Certitude.
— Mes espions viennent de me faire parvenir les appels au secours des gouverneurs de Megiddo, intervint Ulysse. Point d’arrivée des caravanes, de Damas et des ports phéniciens, destination de nombreux navires marchands. Les raids hittites et la déstabilisation de la région perturbent déjà les transactions commerciales.
Patrocle fit parcourir ses doigts sur la carte et secoua la tête.
— L’ennemi a pris Megiddo n’est-ce pas ?
— En effet, dit Castor le cœur battant.
— Pourquoi le sud ? demanda Patrocle.
— Mouwatalli a fait alliance avec les Sarmates et les troyens, c’est eux qui font ces razzias, expliqua Castor.
— Mais pourquoi le sud ? demanda encore Patrocle.
— Les Hittites cherchent certainement à s’emparer des pistes de l’or et de sel, ajouta Ulysse à son tour.
Cette explication ne satisfaisait pas Patrocle dont le front restait soucieux.
— Cela n’a aucun sens. A quoi leur servirait de les prendre aux Egyptiens puisqu’ils ne font rien pour les garder ?
En effet, cette question avait échappé à Ulysse, même Castor avait ignoré ce détail. Séthi n’avait connu aucune difficulté pour reprendre les protectorats annexés par les Hittites. En ce moment il se dirige vers le Nord-Est en direction de Syrie, on rapporte que l’armée troyenne y campe depuis quelques semaines. Mais Patrocle n’était pas dupe, on voulait attirer les Egyptiens dans un piège, un terrain favorable pour l’ennemi. Nul autre qu’Hector n’aurait imaginé une stratégie comme celle-là. Sans lever les yeux de la carte il posa le doigt sur un point.
— Ils sont ici !
Patrocle désignait une place forte du nom de Qadesh.
Les trois hommes se regardèrent, et Pollux croisa les bras en secouant la tête plus amusé qu’irrité.
— Qu’est ce qui te fait croire qu’ils sont ici ?
— C’est ici que Séthi va perdre son armée, c’est une place forte très connue située dans une région fertile, le siège serait désastreux puisque les égyptiens combattrait sur deux fronts, les troyens et les amazones attaqueraient leurs arrières et Mouwatalli en profitera pour tenter une sortie et attaquer Séthi a revers. L’une comme l’autre l’ennemi encerclera le pharaon et ce dernier sera pris au piège.
Ulysse se mordit la lèvre. « Oui c’était bien cela ! C’était même une stratégie brillement réfléchie, attirer l’ennemi dans un traquenard, l’assaillir avec des escarmouches en chemin, puis frapper un seul coup et offrir une victoire rapide. »
— Chiron nous a toujours répéter d’éviter les longues batailles, dit Ulysse en hochant la tête.
— Enfin Ulysse, dit Pollux ahurie, tu ne vas quand même croire ce gamin ? A supposer qu’il dit vrai, nous n’avons plus qu’à avancer avec le prince Ramsès et éviter ce piège a Séthi.
— Justement ! dit Ulysse froidement. Il sera trop tard et Ramsès ne pourra rien faire avec les forces qui lui restent, sa seule option c’est se retrancher et se défendre contre les forces combinés des Hittites, des Troyens et les Sarmates.
— De plus Hector est connu pour ses attaques éclaires, dit Castor gravement. Je suis désolé mon frère mais Patrocle a raison, Séthi court à la catastrophe.
— Pas si nous débarquons ici à Amurru, intervint Patrocle qui avait étudié la carte entretemps. Avec l’armée Spartiate nous pourrons contrer la cavalerie troyenne. Séthi pourra se concentrer sur le siège sans avoir d’ennemi sur le dos.
— Depuis quand tu n’as pas dormi ? demande Ulysse d’une voix douce.
Patrocle décontenance, répondit d’une voix mal assurée.
— Depuis des jours, je viens juste d’arriver.
— Un garde te conduira dans une tente ou tu pourras te reposer, j’ordonnerai aussi qu’on t’apporte à manger.
— Merci, dit Patrocle en se levant.
— Nous partons demain pour Amurru, annonce Ulysse.