Breakouedo, le bruissement des bois
La traque de Folla s’organisa en quelques secondes. Cornélius vida pêle-mêle son sac de feux d’artifices derrière la grosse pierre sur laquelle avait été installé leur miraculé afin de s’alléger au maximum. Il ne conserva que le caméscope. Platypus et Antoine avaient pris la tête de l’expédition, disparaissant à la suite de leur ami par le tunnel le plus au nord. Stella attendit que Cornélius les ait vu et se précipita à leur suite. Folla ne semblait avoir besoin d’aucune lumière pour se diriger dans le dédale de souterrains. Quand un embranchement se présentait, tout le monde pilait, oreilles aux aguets. Il n’avait que peu d’avance, l’écho de ses pas les orientait mais lui ne ralentissait pas. Il ne fut bientôt plus qu’un écho, écho ténu, vibrations. Ils finirent par ne plus l’entendre. Cornélius avait réussi à les rejoindre, ils étaient quatre à courir en peloton depuis une quinzaine de minutes sans autre boussole que ce monologue de pas qui s'était tu… Combien de fois avaient-ils tourné à droite, à gauche, combien de fois ? S'éblouissant mutuellement, leurs visages blafards s’interrogeaient en silence. Le verdict tomba :
-Qui a pensé à emporter un bâton de sourcier ? lança Antoine sans réussir à détendre l’atmosphère.
-On a été très cons là… reconnut Cornélius en forme de seppuku.
Stella leur fit signe du menton prenant l’une des branches au hasard. Ils avançaient sans hâte, leurs cœurs battaient trop vite, des gouttes de sueur perlaient dans leur dos. Chaque chute de pierre proche ou lointaine leur faisait dresser les cheveux sur le crâne. Antoine avait les larmes aux yeux mais il ne voulait pas être le premier à pleurer. Au moins ils étaient ensemble. Platypus brisa leur vœu de silence :
-On s’est gouré ? sembla-t-il répondre à un interlocuteur qu’ils n’auraient pas entendu.
Il rebroussa chemin. Stella tira Cornélius par la manche, elle les entraîna à sa suite un doigt sur la bouche. Platypus éteint sa lampe et, comme Folla, se mit à marcher avec assurance dans le noir, leur ouvrant la voie. Lorsqu’ils prirent une galerie inondée jusqu’aux chevilles, l’espoir les poussa à continuer. Lorsqu’elle monta jusqu’aux genoux, les deux autres firent confiance à Stella. Mais lorsqu’elle atteint les cuisses, il ne leur resta que le désespoir. Ils continuèrent à avancer parce-qu’aucun d’entre-eux n’imaginait pouvoir retrouver le chemin de la sortie seul…
Leur marche monotone fut dérangée par un murmure, une chanson peut-être. Stella l’entendit en premier, sans doute que Platypus la pressentait depuis qu’il avait pris le rôle d’éclaireur.
Ils retrouvèrent Folla planté sur une petite plage à la sortie de la langue d’eau qu’ils avaient traversé. Ils n’avaient même pas envie de se fâcher leurs nerfs avaient déjà été tendus jusqu’au point de rupture. Voir la silhouette de Folla en contre-jour avait suffi à tout effacer. La sortie était à quelques mètres, une large ouverture même si elle était moins impressionnante que celle par laquelle ils étaient entrés. Elle leur fit bien plus d’effet. Antoine lâcha les larmes qu’il avait retenues :
-Tu nous a fait baliser cono !
Folla cesse de chantonner et le regarde en souriant. Antoine le serra dans ses bras tandis que Cornélius et Stella sortaient respirer de l’air plein de lumière. La journée semblait moins avancée qu’une heure auparavant ; les nuages étaient passés, le soleil d’été semblait se moquer d’eux. Chaud, insolent, il tirait de la terre des volutes de vapeur.
Platypus fut le dernier à sortir. Il souffla à Stella :
-Je lui ai laissé le livre, elle m’a dit qu’il n’était pas en sécurité avec nous pour le moment.
Elle lui signifia qu’elle s’en fichait ou qu’elle approuvait d’un haussement d’épaules et ils rejoignirent les trois autres qui marchaient d’un bon pas. Ils retrouvèrent très vite la départementale filant vers Peypin. Ils la remontèrent sur moins d’un kilomètre pour rejoindre le chemin au bord duquel ils avaient laissé le fauteuil roulant. Ils posèrent leurs sacs dessus et Folla le pousse fièrement sur le retour, alerte.
Lorsqu’ils arrivèrent en vue du portail de l'IME, une quatrelle blanche arborant un gyrophare bleu interpella leur attention. Il semblait qu’il fut trop tôt pour qu’on se fut inquiété de leur disparition aussi leur attention glissa rapidement vers le petit attroupement devant la maison d’Antoine. Stella reconnut le maire du village de Brecuedo. Le vieil homme avait tout du cliché de paysan : le pantalon en velour beige qu'il portait en toute saison, bretelles à peine fantaisie -quelques rayures blanches sur fond bleu marine-, chemise à carreaux genre madras triste, manches retroussées pour tout indice de la température estivale et la casquette béret vissée sur une grosse tête de peau tannée. Antoine lui n’avait d’yeux que pour son père qui faisait de grands gestes brassant sans doute autant de vide qu'en contenait son argumentation. Cornélius et Platypus observaient Baba dont il reconnaissait la mimique de perplexité gênée. Quant à Folla il espère que celui-ci le remarquera bientôt, il accélère alors que les autres auraient préféré jauger la situation de loin encore un moment. Il arrive le premier, seul et triomphant. Les adultes se tournèrent enfin vers lui.
-Baba ! Mes racines ont trouvé de l’eau. Je peux grandir à nouveau.
L’infirmier affolé se précipita à sa rencontre, voulant lui apporter son soutien, ne réalisant pas immédiatement qu’il n’en avait pas besoin. Les quatre autres arrivèrent avant qu’il n’ait le temps de poser les questions auxquelles Folla n’aurait donné aucune réponse.
Le père d’Antoine se rua sur son gamin, l’attrapa par le col de son bombers et retenant une gifle le traîna chez eux. Pour toute explication il lui hurla :
-Je t’avais interdi de traîner avec les patients. C'est la dernière fois que je te préviens ! Je te file à ta mère la prochaine fois.
Cornélius adopta un regard hautain qui lui sembla de circonstance quand le maire se tourna vers eux. Folla semblait lui aussi plein de morgue mais son petit sourire satisfait n’était dû qu’à son exploit du jour. Seuls Stella et Platypus avaient conscience qu’il allait falloir faire profile bas quoi qu’on leur reproche, ils étaient prêts.
-Vous avez volé un livre à la bibliothèque. Je suis venu le récupérer. leur dit sans ambage le dépositaire de l'autorité municipale.
-Non mais c’est incroyable. On se fait traîter de voleur ? C’est carrément n’importe quoi ! Depuis quand on peut voler un livre dans une bibliothèque d’abord ? C’est pas l’endroit d’où on part avec des livres sans payer ? Vous connaissez le concept ? vociféra Cornélius ; il était chauffé à blanc et aurait pu argumenter des heures durant mais Baba l’interrompit.
-La bibliothécaire a dit qu’elle avait ouvert la vitrine des livres à consulter sur place pour l’un d’entre-vous...