Disturbia
Lorsque Robin ouvrit les yeux, elle vit deux visages penchés sur elle, l'agent Crabtree et l'inspecteur Murdoch. Cette chute n'avait donc pas réussie à la ramener dans la réalité... Mais si justement c'était ça la réalité... Si eux étaient dans le vrai et qu'elle se trompait complètement ?...
- Comment vous sentez-vous, Miss Duncan ? Lui demanda l'inspecteur.
- Pas très bien..., marmonna-t-elle.
Elle essaya de se relever, mais ses jambes semblèrent fondre sous son poids. Elle fut rattrapée au vol par les deux policiers, chacun la retenait par un bras. Ils emmenèrent la jeune femme s'asseoir sur une chaise en bois devant le bureau de Murdoch.
- George, s'il vous plaît, allez chercher un verre d'eau pour cette jeune fille.
- Bien, Monsieur.
L'agent Crabtree sortit de la pièce. Robin était toujours dans le brouillard, elle essayait de se rappeler de tout ce qu'il s'était passé, trouver une faille, il y avait forcément une explication... L'inspecteur Murdoch s'assit à son bureau, en face de Robin.
- Miss Duncan, je m'en excuse mais je dois vous poser quelques questions.
Robin accepta, pensant que cela allait lui ouvrir l'esprit et qu'elle allait enfin comprendre.
- Donc, commença l'inspecteur, vous avez trouvé l'agent Higgins hier soir, et il vous a amené ici ?
- « Trouvé » n'est pas vraiment le mot... Disons que... Je l'ai heurté alors que je courais. Je l'ai vraiment rencontré à temps, si cet homme m'avait rattrapé, je serais peut-être morte.
- Un homme ? Quel homme ?
- Je ne sais pas. Je suis tombée dans une ruelle, il y avait deux personnes qui se disputaient et tout d'un coup, quelqu'un a crié. J'ai eu peur, et cet homme m'a vu, il... il a marché vers moi et puis, il s'est mis à courir, j'ai couru aussi vite que j'ai pu, et, quand j'ai voulu voir s'il était encore, je suis tombée sur votre collègue... Mais pourquoi ça m'arrive ? Qu'est-ce qui se passe ?...
Robin recommençait à paniquer, ses épaules et ses bras étaient agités de frissons, ses doigts tremblaient. A ce moment-là, l'agent Crabtree surgit par la porte du bureau, armé d'un verre d'eau qu'il donna à Robin. Après avoir bu une gorgée, elle le posa devant elle sur le bureau.
- Vous dites, continua Murdoch, que quelqu'un a crié... Qui ça ?
- Une femme. Elle a hurlé de douleur.
- Croyez-vous qu'il pourrait s'agir d'un meurtre, inspecteur ? S'inquiéta Crabtree.
- Ne nous emballons pas, George. Miss Duncan pourrait très certainement nous aider à retrouver cet homme, pour commencer. Seriez-vous d'accord ?
Tout se mélangeait dans la tête de Robin, elle prit un instant de réflexion pour remettre ses idées en place, sous les regards des deux policiers.
- Je ne suis pas très sûre... Je ne sais pas ce qu'il m'arrive... Tout ça c'est tellement bizarre...
- Quoi donc, Miss Duncan ? Demanda l'inspecteur.
Mais Robin réfléchit soudainement : si elle leur disait la vérité, même si ses documents d'identités pouvaient confirmer son histoire, elle risquait d'être prise pour une folle... Mais ils devaient bien se rendre compte qu'il y avait quelque chose d'étrange chez elle, ses vêtements, ses chaussures, son sac, sa coiffure... Elle ne ressemblait en rien à une femme de 1898 ! Robin devait prendre une décision :
- Je veux bien vous aider.
- Parfait ! Lança l'inspecteur, le visage illuminé. George, si vous voulez bien conduire Miss Duncan voir notre dessinateur, ensuite revenez, j'ai besoin de vous. Miss Duncan, pourriez-vous me laisser votre sac ?
« Dessinateur ? » S'étonna Robin. Plus de doute, elle était vraiment au dix-neuvième siècle... Sans vraiment comprendre pourquoi, elle laissa son sac à l'inspecteur et suivit le jeune policier dans le commissariat.
- Monsieur..., murmura Crabtree, ça ne se fait pas enfin...
- Allons George..., lui répondit l'inspecteur à voix basse. Ne me dites pas que vous n'avez pas remarqué à quel point cette jeune fille est étrange... Vous avez vu son accoutrement ? Et vous savez ce qu'on dit des femmes portant le pantalon...
Les deux policiers fixaient le sac rouge de Robin, posé sur le sol. L'inspecteur l'attrapa et le mit sur son bureau, vérifiant à droite et à gauche que personne ne viendrait les déranger. Murdoch commença à l'examiner sous toutes les coutures, le tournant et retournant dans tous les sens, et le secouant quelques fois.
- Il faudrait l'ouvrir... Je pense que... c'est peut-être ainsi...
- Faites attention, Monsieur.
Murdoch attrapa le sac d'un côté, la tirette métallique de l'autre, et la remonta, provoquant le bruit caractéristique de la fermeture éclair. Il échangea un regard avec l'agent Crabtree, puis ouvrit le sac en entier. Ils sortirent tout ce qu'il contenait, étalant les objets sur le bureau de l'inspecteur. Une fois le sac vide, ils commencèrent à explorer son contenu.
- Bien alors..., commença Murdoch. Qu'avons-nous là, George...
Il prit le gros classeur bleu qui attirait son attention. Il l'ouvrit et commença à feuilleter les feuilles, les yeux brillants.
- C'est extraordinaire...
Murdoch ressemblait de plus en plus à un jeune enfant qui découvre ses cadeaux de Noël. Il était absorbé par sa découverte, tandis qu'à ses côtés, l'agent Crabtree l'observait, le regard perplexe.
- Quoi donc, Monsieur ?
- Mais regardez, George ! Toutes ces formules chimiques, ces travaux sur les molécules, les atomes, je n'ai jamais rien vu d'aussi développé ! Des pages et des pages sur la chimie organique, la radioactivité...
- La quoi ?
- La radioactivité... Enfin, vous n'avez pas entendu parler des travaux de Henri Becquerel ? Il est vrai que « radioactivité » est un mot nouveau, trouvé par deux français il y a peu de temps... J'ai lu ça dans La Gazette de Toronto. Mais c'est fantastique, cette jeune femme doit être un véritable génie dans sa matière ! Il y a des choses dont je n'ai jamais entendu parler, tenez regardez... « Chimie quantique »... Vous connaissez ?
L'agent Crabtree lui fit non de la tête.
- « Physique, initiation à la mécanique newtonienne : la relativité d'Einstein »... Qui est ce Einstein ?
- Je n'en sais rien Monsieur... Peut-être un de ses professeurs ?
- J'aimerais vraiment que Miss Duncan me laisse cet ouvrage... Bon, passons !
Murdoch reposa le classeur et prit le portefeuille de Robin. Il l'ouvrit de la même manière que le sac, et sortit quelques papiers.
- Tout cela est étrange... Regardez plutôt George...
L'inspecteur étala les différentes cartes de Robin, ses cartes de fidélité de magasins et ses documents officiels.
- Quelles drôles de cartes..., s'étonna l'agent Crabtree.
- Des cartes à jouer sans doute. Mais j'ignore de quel jeu elles peuvent bien provenir.
- Celles-ci ne sont sûrement pas des cartes à jouer, Monsieur. Regardez, c'est écrit « Permis de conduire ».
- Qui peut bien laisser conduire une femme ? Lança Murdoch en souriant. Et celle-ci... « Carte nationale d'identité du Canada »... Robin Moïra Duncan, née le 5 janvier 1988...
La voix de Murdoch chuta brutalement à la fin de sa phrase. Il fronça les sourcils, rapprochant la carte de ses yeux, il s'assura d'avoir bien lu. L'agent Crabtree le regarda avec des yeux exorbités :
- Vous... Vous voulez dire 1888, Monsieur ?...
- Mais non George, je suis formel... C'est tout bonnement impossible...