Disturbia
Robin avait été emmené dans une cellule pour la nuit. Même si elle avait un lit et un endroit -froid!- où dormir, elle se sentait comme une meurtrière. Elle ne comprenait toujours pas ce qu'il s'était passé, qui étaient ces deux personnes qu'elle avait vu, cet homme menaçant qui lui avait couru derrière, pourquoi les deux policiers étaient tellement choqués par sa date de naissance... Faisait-elle plus ou moins âgée que ses vingt-quatre ans ? Et pourquoi l'avait-il appelé « jeune homme » ? Avec ses cheveux noirs tombant sur ses épaules, la confusion n'était quand même pas possible, à part pour un aveugle. On pouvait très bien s'appeler Robin et être une fille, non ?... Il y avait une petite ouverture avec des barreaux dans sa cellule, elle pouvait voir la lune dans le ciel, et cela lui rappelait quand, enfant, elle regardait les étoiles avec Jonny. Jonny... Il devait s'inquiéter, du moins elle l'espérait. Son père aussi d'ailleurs. Robin commençait à se demander si elle les reverrait un jour. Cette pensée lui noua le ventre, elle eut une soudaine et violente envie de pleurer. Elle se tourna sur côté droit, s'emmitouflant dans son manteau noir. Elle devait essayer de dormir... Avec un peu de chance, elle se réveillerait dans son lit, dans sa chambre...
Robin se tenait debout dans une grande rue qui lui était familière, et pour cause, c'était celle qui bordait son immeuble à Toronto. L'ambiance était pesante, il n'y avait aucune couleur à part le gris ; le ciel, les arbres, tout était gris et vide. Elle ne distinguait que deux silhouettes, courants d'un bout à l'autre de la rue. Intriguée, elle s'en approcha. Plus elle avançait vers eux, plus elle semblait le reconnaître. Un jeune homme d'une vingtaine d'années, les cheveux foncés en bataille... Jonny ? Et l'autre homme, il était plutôt dans la cinquantaine, cheveux gris, plus grand, plus costaud... Roy, son père ? Robin arriva derrière eux :
- Hey, qu'est-ce que vous faites ?
- Alors toi ? Demanda son père à Jonny.
- Personne ne l'a vu... Et j'ai demandé à tout le quartier...
- Personne à vu qui ? S'inquiéta Robin. De quoi vous parlez ? Hou-hou je suis là !
Elle passa la tête par dessus l'épaule de Jonny et découvrit une photo d'elle. Robin manqua s'évanouir, elle ne comprenait plus.
- Mais c'est moi... Papa, qu'est-ce qui se passe ?
- Regardez, dit Jonny, des gens arrivent, je vais leur demander.
Robin pouvait le désespoir dans les yeux de son père, alors qu'il suivait le meilleur ami de sa fille des yeux. Robin suivi Jonny, elle ne pouvait voir le visage des personnes à qui il parlait mais les mots qu'il prononçait lui glaça les os :
- S'il vous plaît, je cherche mon amie, Robin Duncan, vous ne l'auriez pas vue ? Elle a disparu depuis hier, vous pourriez peut-être nous aider ?
- Moi, j'ai disparu, moi ?! s'étonna Robin. Mais retournes-toi, tu vois bien que je suis là !
Son ami ne semblait rien entendre, il continuait de parler avec ces inconnus sur la disparition de la jeune femme. Jonny racontait qu'ils s'étaient parlés en sortant de la fac, il l'avait vu s'éloigner sur son vélo mais elle n'est jamais arrivée chez elle. Robin se mit entre lui et la personne à qui il parlait, juste en face de lui, les yeux dans les yeux :
- Là ! Je suis là Jonny !
Mais il ne paraissait pas perturbé par sa présence, comme si elle était invisible. «[i] Pourquoi tu ne me vois pas[/i] ? » pensa-t-elle. Il remercia les personnes puis retourna voir le père de son amie.
- Alors ? Demanda-t-il.
- Pas vu non plus. Mais où peut-elle être...
Robin se mit devant, faisant de grands gestes de bras, gesticulant le plus possible pour qu'ils la remarquent, mais rien ne se passait. L'angoisse lui nouait le ventre, elle s'inséra entre son père et Jonny :
- Bon allez, arrêtez c'est pas drôle...
- On n'a plus le choix, déclara gravement Jonny, il faut en parler au commissariat, signaler la disparition de Robin Duncan.
Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent, son coeur s'accéléra brutalement, c'était comme si elle avait reçu un coup de poing droit dans le ventre. Et à mesure qu'elle s'enfonçait dans les ténèbres, voyant les images de son père et son ami devenir floues, son nom « Duncan » résonnait dans sa tête, semblant se répercuter aux quatre coins de sa boîte crânienne...
Son nom martelait son cerveau, Robin ouvrait faiblement les yeux , encore dans le brouillard, elle entendait une voix d'homme lui répétait « Miss Duncan... Réveillez-vous... », une main sur son épaule droite... Robin ouvrit un peu plus ses paupières, et ne vit que deux grands yeux verts... Elle poussa un cri, se releva brusquement et se heurta le front contre celui du jeune homme. Robin retomba sur son lit en se tenant le front, elle regarda à sa droite, et vit un jeune policier à genoux, se tenant lui aussi le front de sa main droite. Robin put constater qu'elle était encore dans sa cellule, le jour s'était levé, elle n'avait donc pas rêvé...
- Oh pardon ! Lança-t-elle en venant au secours du jeune homme. Je m'excuse, je faisais un cauchemar...
- Ce n'est rien, ce n'est rien...
Elle lui prit le bras pour l'aider à se relever, il épousseta son uniforme. C'était un jeune homme d'environ trente ans, il était plus grand que Robin, ses cheveux bruns étaient gominés et rangés sur le côté droit. En se tournant vers Robin, il eut comme un choc, il ne put s'empêcher de la regarder de haut en bas et de bas en haut, la bouche ouverte. « Qu'est-ce qu'il a à me regarder comme ça ? » se demanda Robin.
- Je..., balbutia-t-il, Je suis l'agent Crabtree. Il faut que je vous emmène voir l'inspecteur Murdoch.
« Murdoch ? Encore lui ? »
- D'accord, répondit-elle poliment. Je dois prendre mes affaires ?
- Si... Si vous voulez, oui.
Robin se retourna pour prendre son sac et son grand manteau noir, mais elle sentait sur elle le regard pesant du jeune policier, comme s'il avait un scanner à la place des yeux. Quand elle revint face à lui, il avait encore la même expression.
- On... On y va ? Se hasarda Robin.
Le jeune policier eut la même réaction qu'un enfant qu'on aurait surprit faisant une bêtise, il tressailli, ses joues devinrent rouges.
- Euh, oui, oui bien sûr... Pardonnez-moi...
Robin eut un sourire d'amusement, ils sortirent ensemble de la cellule puis commencèrent à marcher à travers le commissariat. Robin ne voyait que des hommes, soit en uniforme, soit en costume très chics et très... dépassés. Ils avaient presque tous les cheveux gominés, tirés sur un côté de la tête, certains portaient la moustache, et leurs pattes de cheveux descendaient sous leurs oreilles, parfois jusqu'à leurs mâchoires. « C'est une secte... » s'inquiéta Robin.Ils avaient tous des regards surpris ou haineux envers elle. Finalement, ils arrivèrent devant une porte à moitié vitrée portant l'inscription « Inspector W. MURDOCH ». Le coeur de Robin s'accéléra, l'agent Crabtree frappa à la porte, on lui répondit d'entrer. Mais Robin posa ses doigts sur sa manche alors qu'il allait ouvrir la poignée, elle le retenait. Le jeune policier se retourna et la vit complètement paniquée, ses doigts tremblaient sur le tissu de son uniforme. Il prit sa main dans la sienne, Robin fut étonnée de la sentir à la fois forte et rassurante.
- Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer.
Elle s'agrippa à sa main comme si elle tombait au fond d'un puits. Le jeune homme poussa la porte et entra avec Robin, qui s'accrochait maintenant à deux mains à son bras droit, et se cachait derrière son épaule.
- Monsieur, voici la jeune femme que l'agent Higgins a raccompagné hier soir.
Robin entendit le bruit d'une chaise, puis des pas avançant vers eux. En relevant les yeux, elle aperçut un homme un peu plus grand que l'agent Crabtree, la quarantaine, un visage séduisant, les yeux marrons et les cheveux bruns, gominés, tirés sur la droite. « Le gourou... » songea Robin. Le jeune policier qui lui servait de bouclier la regarda par dessus son épaule. Avec ces deux hommes qui l'observaient, elle espérait qu'une trappe allait s'ouvrir sous ses pieds pour la faire disparaître.
- Je suis l'inspecteur Murdoch, pourrions-nous nous entretenir ?
Elle sortit lentement de sa cachette sans lâcher le bras de l'agent Crabtree. Murdoch eut une expression de surprise au fond de ses yeux marrons. « Encore un, se dit Robin, si ça se trouve je crois que je suis habillée alors que je me balade toute nue depuis hier soir... Pourquoi ils me regardent tous comme ça ?... »
- N'ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. On m'a dit que vous vous étiez perdue ?
- En... En quelque sorte, oui... A vrai dire, je ne sais absolument pas où je suis... Ni en quelle année...
- Nous sommes en 1898.
Robin se décomposa devant les deux policiers. 1898 ?... Mais... Soit c'était une plaisanterie, soit... Son coeur battait beaucoup trop fort, ses jambes ne la portaient plus, ses mains lâchèrent le bras de l'agent Crabtree... Elle s'écroula sur le parquet, les deux policiers se jetant sur elle pour la retenir.