Godzilla: Destroyers of World
Chapitre 6: Comprendre son ennemi
Alors que l’équipe de Woodshapes rejoignait un studio d’enregistrement, le propriétaire du studio attendait à l’entrée, des militaires avaient déjà réquisitionné les lieux.
_ Hé ! Mais c’est DJ Onryo Saidai-ji ! S’exclama Misu Kujira en voyant le producteur à l’entrée. J’adore leurs morceaux, les chanteurs de hip-pop du japon se l’arrachent !
_ On est pas là pour enregistrer le prochain hit, dit Thierry pour faire redescendre la pression. Bonjour monsieur Kabutomushi. Sergent Woodshapes, c’est moi qui ait demandé de réquisitionner vos studios.
_ Vous savez que je devais faire jouer Babymetal aujourd’hui ?! répondit sèchement le producteur. Ils n’ont plus trop la côte, mais ils paient bien. Je serai au moins compensé ?
_ Ne vous inquiétez pas pour vos pertes, rassura Thierry. Mes supérieurs se chargeront de la compensation. Le studio est prêt ?
_ Oui, répondit Onryo saidai-ji en se retournant vers l’entrée. Les instruments sont accordés et la table de mixage est opérationnelle. Les micros sont dans la salle d’enregistrement. Mais qu’est-ce que vous fabriquiez au juste ?
_ Top secret ! Se contenta de dire Thierry. Ne vous bilez pas, j’étais dans un groupe de rock au lycée, je ne vais pas abîmer votre matériel, promis.
Le sergent dressa son poing en signe de check au producteur, qui lui répondit après un moment d’hésitation. Malgré le charisme de Thierry, le producteur restait inquiet. Rebecca regardait le sergent avec admiration et, même si elle refusait de se l’avouer, une pointe de jalousie.
_ Vous avez combien de casquettes ? demanda la militaire. Je vous prenais pour un simple nerd.
_ Faut pas croire, dit le sergent en s’enfonçant dans le studio, escorté de sa suite. Quand j’avais encore mes cheveux, j’avais pas mal de succès auprès des filles, on était un vrai boys band. Puis après… j’ai rejoint la marine, et je suis devenu encore plus doué lors de la formation en sonar et informatique.
Felicia, Fred et Mark encadraient le personnel du studio, lorsque Thierry arriva, ils saluèrent leur supérieur.
_ Allez les fillettes, au boulot ! S’exprima Thierry. Le studio est prêt ?
_ Oui boss ! Affirma la vétérante. Elle mâchait un chewing-gum. Doit-on dégager le personnel ?
_ Yes, répondit le sergent. Que tous ces nazes se barrent, on a du pain sur la planche.
La soldate se dirigea vers les travailleurs, tandis que Mark et Fred attendaient les instructions. Thierry s’adressa à ses hommes.
_ Vous avez les enregistrements HD ?
_ Yes, dit Mark en pointant la console de mixage. Je suppose que derrière vous c’est la fameuse experte.
La jeune femme japonaise s’avança, l’air désinvolte, et se mise en appuie sur une de ses hanches.
_ Misu Kujira, défenseuse des droits des cétacés. Je fais partie de l’association WNUSK.
_ La quoi ? demanda Fred qui ne comprit rien. C’est quoi cet acronyme ?
_ Watashi no …
_ On s’en branle ! interrompit Thierry. Mademoiselle Yamazakura, votre sac je vous prie.
Bien que personne n’avait prêté attention, la japonaise portait un sac à main en bandoulière. D’une main ferme, voire brute, Thierry le saisit.
_ Qu’est-ce qui vous prend ?! S’offusqua l’asiatique avant que le sergent ne plonge sa main dans le sac, brandissant une caméra cachée quand elle ressortit.
_ Pas de vidéo j’avais dit ! Prenez moi pour un con !
Il la jeta violemment à terre, sous le cri choqué de Misu Kujira. Rebecca voulut exprimer son désaccord, mais le regard autoritaire de Thierry l’en dissuada. Le gradé militaire se tourna vers la japonaise, avec un sourire contradictoire avec ses paroles.
_ Je vous reprends à nous la faire à l’envers, j’effacerais toutes les preuves. Suis-je clair ?
Encore traumatisée, non pas par la perte matérielle que représentait sa caméra détruite, mais par la soudaine violence de Thierry, l’influenceuse acquiesça lentement de la tête. Comme pour la rassurer, le sergent lui tapota sur l’épaule.
_ En avant dauphinette, tu as des marsouins à traduire. Aux dames l’honneur, dit le soldat en montrant du bras la direction de la table de mixage.
Alors que le personnel du studio évacua les lieux, et que Misu Kujira entrait dans la pièce d’enregistrement, Rebecca s’avança vers Woodshapes, et parla à voix basse.
_ Vous ne croyez pas être trop dur ? C’est une collaboratrice, pas une prisonnière.
Le sergent Thierry se pinça la lèvre avec les dents, Rebecca comprenait qu’il la singeait. Se sentant honteuse, elle ne put répondre quand Thierry prit la parole.
_ Vous croyez que je n’ai pas compris votre numéro, soldat Rebecca. Elle est votre type, n’est-ce pas ? Vous aimez brouter la chatte ! J’en ai rien à cirer que vous soyez gouine, écoutez moi attentivement: on est dans la merde ! Je vous rappel qu’en plus de devoir gérer un putain de reptile de la taille de l’Empire State Building, nous sommes réquisitionnés par une agence ultra secrète dont moi-même j’ignore l’étendu de son influence. J’ai pas envie qu’à cause d’une vidéaste à la con de me retrouver avec une balle dans le crâne dans mon sommeil !
Pour appuyer ses propos, il poussa de son index le front de Rebecca qui se sentit visée, comme si la menace planait sur elle. Woodshapes s’assura que la japonaise ne les entendait pas, et se rapprocha de l’oreille de Rebecca.
_ Elle ne partagera aucune vidéo sur le travail qu’elle va effectuer ici. Je ne veux pas t’inquiéter, mais il est possible qu’elle… bien… qu’il va falloir faire notre devoir.
_ Je ne comprend pas, s’inquiéta Rebecca sur les paroles froides du sergent. Nous sommes les gentils !
_ Oui, rassura à moitié Thierry. Nous sommes les gentils. Et toi tu seras une gentille fille, hein ? Allez, on se dépêche. Nous ignorons combien de temps Godzilla compte dormir.
Thierry laissa Rebecca derrière lui, et referma la porte du studio. Bien qu’elle soit transparente, la soldate n’aimait guère abandonner Misu Kujira seule avec son supérieur dans cette pièce, mais lorsque Thierry lui fit signe de s’éloigner, elle s’exécuta et parcourut le long couloir. Se saisissant de sa clé usb, Woodshapes l’introduisit dans la table de mixage et brancha les écouteurs.
_ Vous êtes prête ? demanda Thierry.
_ On peut commencer, répondit la spécialiste des baleines.
Ils placèrent les casques sur les oreilles. Thierry mit en route l’enregistrement. D’abord le clapotis des vagues sur la coque du bateau, puis le claquement caractéristique de l’acoustique sous-marine.
_ On a coupé un sacré morceau, commenta le sergent. Il s’est écoulé pas mal de temps avant d’avoir un truc.
Le cri caractéristique d’un dauphin résonna, puis d’un groupe entier, cela fit arracher un sourire à l’experte.
_ Vous avez effectué où cet enregistrement ? S’enquit la femme. Je ne croyais jamais réentendre ces petits sacripants ! C’est une famille entière !
_ Dans la baie de Sagami, répondit Woodshapes.
_ Sagami ? Vraiment ? Il n’y a plus de poisson, pourquoi reviendraient-ils ?
_ Nous en ignorons encore la raison, dit Woodshapes alors que les cétacés chantaient ensemble, mais quelque chose les a fait revenir.
_ Sans blague ? Ça a un rapport avec le Kaiju ?
_ Peut-être, répondit Thierry en restant évasif. ça va bientôt commencer, écoutez attentivement.
Un groupe de baleines se mit à émettre une longue vocalise, la femme qui murmure à l’oreille des cétacés était en extase. Elle prenait vraiment son pied. Mais soudainement, une onde grave, énorme, une réponse d’un organisme titanesque se fit entendre.
_ C’est ce que je vous ai déjà fait écouter, commenta Thierry. Qu’est-ce qu’ils racontent ?
_ Ce n’est pas si facile que ça, répondit Misu Kujira. On a besoin d’un contexte, je dois écouter l’ensemble avant d’en tirer des conclusions. Mais aux premiers abord, de ce que j’entend, ce serait une forme de salutations.
Les cétacés répondirent en chœur à l’animal mystérieux, dans un grâce mélodieuse. Concentrée sur l’audio, la femme fixait la vitre en face d’elle, attentive aux variations des vocalises. Avant que Thierry n’ouvre sa bouche, elle fit signe de se taire.
_ C’est visiblement comme s’ils parlaient à une connaissance. Un membre de leur famille ? Ou un aîné ?
_ Donc elles connaissent l’interlocuteur ? demanda Thierry. Intéressant. La suite ?
La voix grave se fit profonde, presque plaintive. Les baleines émirent une réponse qui déstabilisa la vidéaste.
_ Elles… montrent de la compassion. C’est comme si l’animal qui leur parlait était blessé ou… malade. Du moins elles tentent de le rassurer. J’ignore ce qui se passe, mais la créature que vous avez enregistrée semble fuir le large. Quelque chose la menace.
_ Elle est menacée ? demanda Thierry inquiet, imaginant une bête plus massive encore. Par quoi ?
_ Je ne sais pas sincèrement, répondit la femme en enlevant les écouteurs. C’est le monstre qui a attaqué Izu-Oshima ?
_ Restée concentrée, coupa l’homme à la calvitie. J’avais raison, quelque chose menace son habitat naturel, faut trouver un moyen de lui indiquer que la terre ferme est trop dangereuse pour lui. Vous pensez pouvoir communiquer avec la chose ?
_ Je peux reproduire des fragments de vocalises du spécimen, affirma la japonaise. Il va falloir deux jours pour que je vous ponde un truc potable.
_ On a pas deux jours, répondit Thierry en sortant du frais deux canettes de Monster. J’ai aussi des chips, mais faut tenir toute la nuit.
Misu Kujira ne put retenir un hoquet de rire, et saisit la boisson que lui tendait le sergent.
_ J’aime les défis. Kaiju ou non, ce machin est l’ami de mes amis, je ne veux pas que les soldats lui fassent du mal.
_ On va faire le nécessaire pour que ça n’arrive pas, répondit Thierry en trinquant avec l’influenceuse.
Alors que le duo improbable travaillait d’arrache pied, des navires de la marine japonaise disposaient dans la baie les armes sonores. L’eau semblait calme, malgré la menace invisible qui planait sur la baie de Tokyo.
Rentrant tard le soir, Daisuke et Steves arrivèrent à la maison, accueillis par Emiko qui souriait, malgré sa pâleur cadavérique.
_ Qu’est-ce que vous avez fabriqué les garçons ? demanda madame Serizawa qui s’interrompit en voyant la cage. Tu as adopté un chat ? Fait voir !
_ Un instant, dit le scientifique en la posant sur le sol.
Tandis qu’il tandis les doigts vers le loquet, l’animal à l’intérieur donna un coup de patte. Comme pour rassurer, Martin s’adressa à Emiko surprise.
_ Il est un peu caractériel, c’est un sauvetage. Il allait finir en écharpe.
Il tourna son regard vers monsieur Serizawa qui se débattait avec la cage. En fin de compte, la porte s’ouvrit, mais le chat resta blottit à l’intérieur, feulant aux vulgaires humains qui l’effrayaient. Madame Serizawa se pencha, examinant de loin l’animal.
_ Il ne semble pas mignon, il lui manque un œil. Pauvre bête !
_ C’est pour le travail, dit Daisuke qui vit le regard de Martin lui intimer d’inventer un bobard. D’après les collègues, les animaux de compagnie augmentent la productivité au bureau.
_ C’est bien de prendre soin de soi au travail, répondit Emiko ne pouvant masquer son inquiétude. Mais tu n’as pas peur qu’il soit effrayé là-bas ? Il a besoin d’un temps d’acclimatation.
_ Je le garderai près de moi, rassura Daisuke qui saisit par l’épaule sa femme. Tout va bien se passer, il va se plaire là-bas.
Il embrassa sa femme sur la joue, cette dernière se releva et se dirigea vers la cuisine. Faisant face au félin, Daisuke était en pleine réflexion. Même si jamais le chat le débarrassait des souris, comment allait-t-il se débarrasser du chat après ? Martin se rapprocha de Daisuke, et lui parla à voix basse, fixant lui aussi la cage.
_ Il est toujours temps de le ramener là où tu l’as trouvé.
_ Ça ira, mentit Daisuke. Il a déjà moins peur, regarde.
_ Mouaip, répondit cyniquement Martin en laissant seul son ami, comprenant qu’il n'arriverait à rien.
Soudainement, un bruit de porcelaine brisée retentit dans la cuisine, les deux hommes se lancèrent à la rescousse d’Emiko qui était à genoux, un bol chinois brisé à ses pieds, les mains tremblantes. Elle portait de longues manches, alors qu’elle était à l' intérieur.
_ Ce n’est rien, répondit Emiko, le sol était mouillé, j’ai juste glissé. Que je peux être maladroite !
Martin, n’en croyant pas un mot inspecta les mains de la femme, au moment où il l’a saisit au poignet elle poussa un cri étouffé de douleur. Malgré les plaintes de la femme, Steves retroussa les manches. Des plaques rouges recouvraient ses avants bras.
_ Où as tu eux ça ? demanda inquiet Martin.
_ Ce n’est rien, répondit instinctivement Emiko, certainement une réaction allergique au produit vaisselle.
Alors que Martin était penché, Daisuke remarqua un détail sur la nuque de son ami. La même plaque rouge. Il releva le col, la plaie trempait de sang sa chemise.
_ Vous avez choppé quoi tous les deux ? Bordel de merde !
_ Attend avant de paniquer ! S’exclama Martin en se relevant. On peut tout t’expliquer !
N’ayant que trop vu ces marques durant son enfance, que ce soit sur des camarades de classe ou sur les victimes de Fukushima, Daisuke en tira une conclusion simple.
_ Vous avez été irradiés ! Comment ?
Emiko se mit les mains devant la bouche pour se retenir d’hurler, Martin tremblait. Il mit une main tendue en signe d'apaisement. Il reprit la parole.
_ Sur l’île où le Kaiju a attaqué, tout le monde était irradié. Nous avions nos combinaisons, mais ce n’était pas assez.
_ Vous voulez dire que Toshima avait été aussi attaqué par le monstre ? demanda surpris le propriétaire de la maison. Vous saviez qu’il y avait une créature, et vous n’avez rien dit !
_ Je n’ai pas le droit de te le dire, voulut expliquer Steves, mais il fut interrompu par l’impulsion de Daisuke.
_ J'appelle les secours, conclut Serizawa. J’ai déjà vu les ravages des rayons gamma, et tous les deux vous êtes à un stade avancé. J’ignore à quel point vous avez déjà contaminé la maison.
Il mit le téléphone à son oreille après avoir composé le numéro d’urgence de l’hôpital. Madame Serizawa était en pleurs, et bien qu’il cachait ses propres émotions, Martin était dans le même état mental, brisé. Plusieurs minutes s’écoulèrent, et après une longue discussion, le professeur Serizawa raccrocha.
_ Les urgences sont pleines, vous allez devoir rester ici. Je prends le canapé.
_ Tu veux pas dormir dans le lit ? s’enquit madame Serizawa.
_ Et risquer de me faire irradier ? demanda furieux son mari. Il vaut mieux faire chambre à part le temps de chercher une solution. Demain je chercherai un truc, je ne sais pas quoi encore, pour vous soulager tous les deux.
_ T’inquiète, rassura Steves qui se porta volontaire, je m’occupe des médicaments demain. Juste dis moi ce qu’il faut.
_ Demande à Emiko, elle saura mieux que moi, c’est son travail. Évitez tout contact direct, gardez vos distances avec les autres personnes. Il nous reste qu’à attendre de pouvoir prendre rendez-vous au plus vite, espérons qu’il ne soit pas trop tard.
Daisuke referma la cage du chat, et mangea dans le salon, à l’écart de ses deux camarades. Emiko et Martin restèrent silencieux lors du repas, se sentant coupables d’avoir caché aussi longtemps leur fardeau. C’était comme si la maison était habitée par des fantômes.
Au studio de DJ Onryo Saidi-ji, les deux travailleurs acharnés écoutaient en boucle les enregistrement marins de la conversation entre Godzilla et les baleines. Nul ne sait si c’était la boisson énergisante, ou l’excitation de la découverte, mais Misu Kujira griffonnait des notes de musiques avec une rapidité déconcertante. Même Thierry n’avait pas autant la pêche.
_ Vous êtes endurante ma parole ! Déclara le sergent qui plongea sa main dans un paquet de chips.
_ Ça se voit que vous ne travaillez pas sur Tik-Tok, répondit l’experte marine. Je passe des heures de montage, je suis une vraie Batgirl. Le jours je plonge, le soir je monte mes vidéos.
_ Mais vous dormez quand ?
Il n’eut comme réponse seulement qu’un éclat de rire. Il ne chercha pas plus loin. La chercheuse posa le casque après de longues minutes de silence, elle était souriante.
_ J’ai fini de noter les vocalises, il faut dorénavant trouver un moyen de les reproduire.
_ On ne peut pas se contenter de rediffuser l’audio ? demanda Thierry, découragé.
_ Non, dit la vidéaste. Ça demanderai déjà un travail monstre de réajuster les voix, et de plus je pense que nous voulons éviter d’inviter le reptile à marcher sur Tokyo, non ?
_ Pas faux. Donc il faut trouver un instrument adéquat pour reproduire la voix de cet animal.
La femme jugea les instruments entreposés dans la salle d’enregistrement. Il y avait de tout, guitares, basses, piano, batteries… Elle se leva de table et pointa du doigt le violon au fond de la salle.
_ Vous savez jouer de cet instrument ?
_ Je suis certes multifonction, répondit Woodshapes, mais je ne sais pas TOUT faire. J’étais dans un groupe de rock, vous imaginez bien que ce n’était pas le genre à jouer du violon.
_ Je ne vous demanderai pas une performance, rassura Misu Kujira, faut juste que ça ressemble au chant de votre créature. Vous pensez en être capable ?
Thierry se frotta sa main pleine de gras sur son treillis, et se leva, sortant de la pièce. A l’entrée de la porte, il se tourna vers la japonaise.
_ Je vais faire de mon mieux, mais je ne garantis rien.
_ Le sort du monde repose sur vous, dit amusée Misu Kujira. A vous de jouer, monsieur super héros !
L’américain sortit de la cabine, et rejoignit la pièce où étaient entreposés les instruments. Il saisit le violon et son arc, s’approcha du micro.
_ Et maintenant ? demanda Thierry. Que dois-je jouer ?
_ Je vous envoie les partitions sur téléphone, dit la femme.
Thierry donna son numéro personnel à la japonaise, et quelques instants plus tard reçu la partition. Il regarda attentivement et commença à jouer. Sa première note fut atroce. Misu Kujira ria, ce qui ne fit que plus frustrer le militaire.
_ De un: je n’ai plus joué depuis longtemps; de deux: je n’ai jamais touché de putain de violon !
_ Ce n’est pas grave, répondit la japonaise à travers son micro derrière la table de mixage. On a encore du temps avant que le soleil ne se lève. Réessayez, faut persévérer.
Le sergent reprit son travail, jouant du mieux qu'il pouvait, malgré la qualité atroce de son morceau. Misu Kujira ne put s’empêcher de pouffer de rire face aux difficultés rencontrées, mais ils étaient sur la voie.
Sur la mer de Sagami, une frégate militaire japonaise disposait des dispositifs dans l’eau: l’arme conçue par Mothra. Les marins se transmettaient l’information par VHF, d’ici l’aube, l’opération de contre attaque pourrait commencer. Le premier ministre assis dans son salon en train de siroter un alcool fort, priait les divinités, telles qu'elles soient, de lui venir en aide. La défaite était inenvisageable.
Alors que les lampadaires extérieures s’éteignaient, Kyohei analysait toujours les échantillons. D’après les prélevés, le sang du monstre récupéré sur le missile américain et la substance corrosive possédaient le même ADN, mais quel en était son intérêt ? Le professeur Yamane regarda ensuite l’un des échantillons, l'ammonite irradiée. Il était vrai que dans le sillage de la créature, la vie semblait fleurir. Aurait-il un lien avec cette renaissance de la mer spontanée ?
_ Assez agressive pour dissoudre la roche sur du long terme, mais pas la chair…
Puis une idée lui vint. Il appela un scientifique affairé au travail sur un autre échantillon.
_ Dites moi jeune homme, dit Yamane, est-ce qu’on connaît son alimentation ?
_ Godzilla n’a pas l’air de s’intéresser aux humains, répondit le laborantin. Tout au pire, on a retrouvé un cadavre de vache d’après le rapport du sergent Martin, mais elle n’a pas de trace de dévoration.
_ Donc ce n’est pas un prédateur terrestre… Il doit avoir besoin d’une source de nourriture conséquente… aucun océan ne pourrait subvenir à ses besoins aussi longtemps, à moins…
_ Qu’il génère lui-même sa nourriture ? demanda le collègue un peu circonspect. Comment s’y prendrait il ? Il ne peut pas juste alimenter l’océan à partir de rien.
_ Ce n’est pas à partir de rien, reprit Kyohei qui tenait une piste. Regardez !
Le paléontologue tendit la fiche des relevés de la substance corrosive, son partenaire saisit la fiche.
_ A quoi servirait bien cette substance ? demanda le scientifique.
_ Vous connaissez la chaîne alimentaire ? Le sourire se dessina sur le visage de l’agent Y-208. D’abord ce sont des microalgues qui se trouvent leurs nutriments dans la roche, puis les crevettes qui se nourrissent de ces microalgues, puis les poissons s’alimentent en crevettes, ainsi de suite.
_ Vous voulez dire que…
_ Godzilla ne détruit pas, répondit ému Kyohei. Il crée. Il peut sauver le Japon. Il peut sauver le monde.
Le scientifique resta perplexe, mais il ne pouvait admettre que la théorie avait un sacré fondement. Les preuves allaient dans ce sens. Avec le retour des poissons en mer, la guerre aux ressources marines n’aurait plus lieu d’être. Malgré tout, le collègue de Kyohei lui rendit la fiche, la mine sinistre.
_ C’est une jolie histoire, mais il reste une menace. Comment contrôler un animal qui ne craint ni les balles ni les missiles ?
_ Pouvons nous tuer les nuages ? répondit amusé le vieil homme. Ils peuvent provoquer des orages, la foudre peut tuer les gens et couper les réseaux électriques, pourtant leurs pluies nourrissent nos terres. Godzilla est une partie de la nature, nous devons apprendre à vivre avec.
_ Vous savez très bien comme moi que cette réponse ne satisfera pas notre agence. Le scientifique se pencha vers Kyohei. Imaginez que cette chose traverse le Pacifique et aille sur les côtes américaines, le désastre serait total. Nos chefs veulent une réponse pour l’abattre, ou du moins le neutraliser, on ne peut tolérer qu’un animal sauvage soit plus puissant que des nations.
_ Alors nous allons droit à notre perte, dit Kyohei en s'essuyant les lunettes. Sans lui, notre mort sera plus lente, certes, mais inévitable. Ce n’est pas lui qui détruira le monde… Nous nous en chargerons très bien.
Le scientifique se redressa sur son siège, prit une mine sévère. Il tourna le dos à Kyohei et prononça ces dernières paroles avant de se remettre au travail.
_ Réfléchissez bien à quel camp vous appartenez. Mais Godzilla n’est pas un très bon parti.
Dépité par la réaction de son partenaire, Kyohei retourna à la tâche. Il avait besoin d’arguments solides pour son hypothèse, si les nations trouvaient un intérêt à Godzilla, peut-être sera-t-il épargné ? Il est vrai que de savoir qu’un simple hurlement peut tuer à des miles à la ronde à tout moment n’est pas un bon point en faveur du reptile, mais le professeur savait que sans lui, seule la décrépitude et la chute attendaient l’humanité. Faudrait encore qu’il arrive à persuader que Godzilla est un mal pour un bien.
Après plusieurs heures infructueuses, Woodshapes était prêt à renoncer. Misu Kujira fouilla le frigo du studio, et n’y trouva qu’une conserve de graisse de baleine. Dégoutée, elle referma le réfrigérateur et découvrit une paire de gants de chantier sur ce dernier.
_ Ça ne sert à rien ! Rouspéta Thierry. Ce foutu violon n’est pas assez fidèle à la vocalise de l’animal, faut chercher une autre solution. J’ai l’impression de pisser dans un violon !
Une idée germa dans la tête de l’amoureuse des cétacés. Elle rouvrit le frigo et saisit la conserve de baleine.
_ Désolée mes amours, mais c’est pour la bonne cause !
Elle se dirigea vers le micro de la table de mixage et montra la boîte de conserve à Thierry.
_ Je n’ai pas faim ! S’exclama le sergent.
_ Ce n’est pas pour manger ! Répondit Misu Kujira. C’est pour jouer !
_ Vous insinuez que je joue comme une casserole ?!
_ Entre autre oui, mais là n’est pas le sujet. Donnez-moi deux minutes, j’arrive !
La femme saisit les gants et se dirigea vers la salle des musiciens. Elle s’assit sur une chaise, et demanda à Thierry un ouvre boite.
_ J’avoue ne pas saisir, répliqua Thierry en lui passant un couteau. Je croyais que vous aimez trop les baleines pour vous abaisser à ça ?
_ Vous allez comprendre, répondit la japonaise tandis qu’elle enduisit le gant de graisse. Je crois qu’il est à votre taille, essayez le !
_ Mais c’est dégueulasse, on va pourrir l’instrument !
_ Vous voulez parler le Kaiju oui ou non ?
_ De un, je n’ai jamais précisé que c’était le Kaiju, de deux, fait chier ! Passez le moi !
L’influenceuse mit le gant à Woodshapes, son aspect graisseux la répugnait, d’autant plus qu’elle militait contre la chasse aux cétacés, mais elle avait bon espoir.
_ Maintenant frottez votre gant le long des cordes !
_ Comme ça ? demanda Thierry en s’exécutant.
Le son ressemblait à un hurlement abyssal, une note aiguë suivie d’une voix profonde et rauque. Le timbre fit tirer un sourire à Thierry.
_ Cela semble bien correspondre. On essaye avec la table de mixage ?
_ Donne moi une seconde, j’y vais !
Mademoiselle Cétacé retourna au tableau de contrôle, et fit signe à Thierry de jouer. Il reprit sa partition et joua avec son gant. Misu Kujira enregistra, modula la fréquence et la compara avec la capture audio du mystérieux animal. L’enregistrement était parfait.
_ Ça marche ! Hurla joyeusement Misu Kujira. Yureka !
_ Allez mademoiselle ! S'écria Thierry satisfait. On passe à la suite, on tient le bon bout !
Ils passèrent encore des heures à enregistrer leur prouesse, et le temps passa jusqu’à l’aube.
Daisuke se leva le premier, perturbé dans son sommeil. Peut-être les grattements du chat ? La maison était sombre et silencieuse, il était au rez-de-chaussée installé dans un futon. Il se dirigea vers la cuisine, et constata avec une certaine satisfaction que le frigo était plein. Il se saisit d’une bouteille de lait, et se dirigea vers la table principale. “Je crois que tes résultats sont faux.” Bien que cet imbécile de collègue ne savait pas de quoi il se mêlait, et qu’il n’avait pas la moitié du QI de Serizawa, cette phrase résonnait comme un écho du futur dans sa tête. Et si… Les calculs étaient faux ? Impossible ! Daisuke était brillant, il avait travaillé sur le destructeur d’oxygène depuis trop longtemps pour qu’une “erreur” se glisse par hasard dans ses résultats. Toutefois… La mémoire de sa dernière expérience lui revint. Il avait eu de la chance, ça aurait pu dégénérer, il connaissait le potentiel destructeur de cette machine, rien que son mini prototype pourrait exploser la salle de test à lui seul. Et si ce qu’il avait engendré n’était pas ce à quoi il aspirait… peut-être est-ce que le destructeur d’oxygène est… un monstre.
Il but une gorgée de lait pour se changer les idées, il avait mal à la tête. Ce devait être l’onde choc, ou le manque de sommeil. Il avait passé une semaine pourrie. “Je crois que tes résultats sont faux.” Il était agacé par cette phrase qui le tourmentait. Il reposa la brique de lait dans le frigo et se dirigea vers son bureau. Il passa à côté de sa chambre, la porte était fermée. A l’opposé, on pouvait entendre Steves ronfler. Sa femme devait aussi dormir conclut-t-il, il devait se montrer discret. Il ouvrit la porte de son bureau, il était ordonné et organisé, il y avait du bon à être maniaque. Il s’assit sur son fauteuil et alluma son ordinateur. Le logo Windows s’afficha sur un fond noir, puis la photo de son mariage apparut. Emiko souriait, Steves était leur témoin, Kyohei était en retrait. Il aurait aimé être déjà père, mais son travail lui monopolisait son attention. Le temps jouait contre lui, plus que huit jours. Il devait mettre à profit ce temps pour faire une dernière vérification, juste s’assurer que ses formules sont bonnes. Il ouvrit le fichier doc de ses recherches, et les éplucha une à une.
Entendant le bruit du clavier, Emiko se leva, elle était en tenue légère, juste un T-shirt et une culotte, elle se pencha par l’ouverture de la porte du bureau que Daisuke avait visiblement oublié de fermer. Il travaillait encore. Il allait se tuer à la tâche, mais que pouvait-t-elle y faire ? Son mari ne remarqua même pas quand elle referma correctement la porte.