Godzilla: Destroyers of World

Chapitre 4 : Etre patriote

7401 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/11/2023 16:36

Chapitre 4:Chapitre 4:

Etre patriote



Sortant difficilement de la voiture emboutie dans le mur, Yamane se pencha sur un poteau et vomit ses tripes. Si ça continuait il n'aurait plus jamais de soucis avec son voisin qui jouait de la contrebasse. Le véhicule était enfoncé au niveau du pare-choc, dégageant une fumée blanche, depuis que Walter, paralysé par le cri du saurien antique, ne put prendre le virage devant lui. Fort heureusement, les airbags avaient fonctionné, ils étaient indemnes. Walter était déjà depuis un moment en train de vérifier les voitures garées au bord de la route, un torchon à la main. 

_ J'ai enregistré les coordonnées sur mon téléphone, cria Powder à plein poumon pour ne serait-ce que s'entendre lui-même. 

_ Je vous avais dit que vous rouliez trop vite ! Lui rétorqua Yamane avant d'être pris d'une nouvelle crampe d'estomac. 

_ Pas le temps pour les sermons professeur, il nous faut reprendre la route !

Voyant son supérieure regarder à l'intérieur d'une voiture puis tester la portière, Kyohei se redressa, s'essuyant d'un revers de sa manche le vomit sur le bord de ses lèvres.

_ Vous n'avez pas l'intention de voler cette voiture quand ...

Avant qu'il ne finisse sa phrase, le commandant enveloppa son poing dans la serviette, et fractura la vitre d'un vif coup de poing.

_ Il va voler cette voiture, se conclut lui-même l'expert en espèces éteintes. 

_ Montez monsieur Yamane ! ordonna le militaire en déverrouillant l'habitacle. 

Perdu et désorienté, ne voyant plus que cette option, Yamane suivit le militaire américain à bord du véhicule "réquisitionné". Ils contemplèrent le tableau de bord, pas de gps, pas de support pour le téléphone. 

_ Merde ! Jura Walter. Tenez mon téléphone, mettez le haut-parleur !

_ Caramba ! Tournez à gauche, puis prenez l'autoroute ! dis avec gaieté une voix à l'accent ridiculement mexicain. 

Kyohei fixa un instant le commandant, n'ayant pas la force de rire il se contenta de le regarder.

_ Ne me jugez pas, dit le Commandant, elle me fait rire, OK ?!

_ Il n'y a pas de mal, mentit le japonais qui s'imaginait déjà Walter en sombrero.

Ils démarrèrent la voiture et purent s'engager sur une portion d'autoroute menant à Utsunomiya. 


Après avoir repris connaissance, Emiko se rendit compte qu'elle avait lâché l'enfant après que la seconde onde de choc frappa le bunker. Elle avait cru mourir l'espace d'un instant. Elle se dirigea vers le nourrisson, il avait les yeux fixes et grands ouverts. Elle prit son poul, aucun battement. Elle arracha le pyjama du bambin pour dégager la poitrine et commença à appliquer des massages cardiaques. 

_ Vite un défibrillateur ! Hurla-t-elle à la foule qui peinait à se remettre sur ses jambes. 

La chaleur de l'enfant quittait son corps. Après les applications du massage, Emiko se pencha sur l'enfant, lui relevant légèrement la tête pour éviter qu'il s'avale la langue, et lui souffla l'air de ses poumons dans les siens. Aucune réaction. 

_ Vite un défibrillateur ! Scanda-t-elle aux civils et militaires désorientés. 

Elle appliqua de nouveau des massages en rythme pour relancer le cœur. Martin se relevait à peine, avec un terrible mal de crâne et d'intestins. Il sentait une tâche humide sur son postérieur. Il toucha l'arrière train et y découvrit de la matière fécale liquide. Il s'était souillé. Il jura, se sentant honteux. Il vit enfin Emiko, penchée sur cet enfant, luttant de toutes ses forces pour le ramener à la vie. 

_ Tiens bon, s'adressa la femme médecin à l'enfant. Vite ! Aidez-moi ! Un défibrillateur !

Cela faisait plus de deux minutes qu'elle se battait pour arracher l'enfant aux griffes de la mort, mais son âme avait déjà été fauchée. Martin se rapprocha de la femme haletante, elle était inondée de larmes. 

_ Vis bordel de merde !!! Se mit à crier frénétiquement la jeune femme en tambourinant sur la cage thoracique de la victime. 

Steves l'arracha à l'enfant, mais Emiko luttait comme une diablesse. 

_ Laisse moi connard ! Hurla madame Serizawa en donnant un coup de poing à Martin, le faisant dorénavant face.

L'ancien militaire, bien qu'il saignait de la lèvre, resta calme, impassible. Il serra délicatement la femme dans ses bras.

_ C'est fini.

Réalisant ce qui s'était passé après quelques secondes, Emiko hurla, puis tomba en sanglot, plongeant sa tête dans la poitrine de l'américain. Elle se retourna vers les autres civils, l'enfant n'était pas la seule victime. Les plus jeunes, et les plus vieux, ne s'étaient pas relevés. Elle fut saisi d'un froid intense qui lui parcouru l'échine, une vive douleur dans le bas ventre. 

_ Je n'ai sauvé personne, dit Emiko devant l'horreur de la situation. Je n'ai sauvé personne... Je ... Je ... Je ne sers à rien !

_ Tu n'y pouvais rien, voulut rassurer Steves avant de se faire interrompre.

_ JE NE SERS A RIEN !! Hurla à plein poumon Emiko avant de s'effondrer, se blottissant plus fort contre l'ex sergent. 

Les deux camarades tombèrent à genoux, Steves berçant de son corps la pauvre femme déboussolée. Ils ne pouvaient qu'attendre dorénavant. 


Les vitres de sa maisons avaient explosées au second impact, Daisuke rampa à terre, encore plus affaibli que lors du premier choc. Il rampa jusqu'aux escaliers, qu'il gravit avec l'aide de ses coudes. Si c'était la fin du monde, il ne désirait que cela se finisse vite, cette mort lente était insupportable. Il finit par arriver à la porte de la chambre, brisé en morceaux. Il plongea dans son matelas, les jambes encore au sol. Il pensait devenir fou, il s'attendait à toute instant à une troisième onde de choc qui ne vint jamais. 

_ Dieu, t'es qu'un connard ! Hurla Serizawa en s'adressant à son plafond. 

Il monta lentement et maladroitement sur son lit, pleurant de douleur. Il avait affreusement mal au bide. Il tourna sa tête vers sa table de chevet, c'était une photo de lui et sa femme lors de leurs voyages de noces, à Kagoshima. Les meilleurs jours de sa vie. Maintenant qu'elle était absente, il la désirait. Il la voulait dans son lit, la blottir contre lui, sentir ses cheveux sur ses lèvres. Mais à la place, il avait le goût du fer sur le palais, et le plafond de sa chambre était fissuré. Il n'avait que l'amertume, celui de ses échecs, celui de l'impuissance, celui du manque d'affection. Il finit par s'endormir à force d'attendre, persuadé qu'il n'y aurait pas de lendemain. 


Alors qu'elle était en avion, madame Mothra reçut un appel téléphonique, assise sur le moelleux siège de son jet privé. 

_ Nous avons effacé les preuves, dit une voix au bout du fil. 

_ Parfait, répondit Azami. Et pour les traces de radiation ?

_ Nous avons crédité sur le compte du lézard, personne ne se doutera de votre implication.

_ Je vous réserve une petite prime pour les fêtes de fin d'année, dit avec douceur la directrice. 

_ Nous avons trouvé le parfait bouc émissaire, dit Nozansutumo qui l'accompagnait à bord. Vous êtes efficace, bien au-delà de mes espérances. J'ai touché l'argent des bateaux, nous allons pouvoir reprendre notre affaire. 

Se saisissant d'une coupe de champagne, madame Mothra et le yakuza trinquèrent.

_ Longue vie au roi, dit le yakuza.

_ Longue vie au roi, ajouta Azami Mothra. 

Le jet était en direction de Miyazaki, madame Mothra avait un rendez vous avec un grand ponte de la Chine, elle devait négocier le prix pour vendre les plans du destructeur d'oxygène. 


Kyohei ouvrit les yeux avec un mal de crâne terrible, il se rendit compte seulement au bout de plusieurs secondes qu'il s'était endormi. Il était exténué, et lorsqu'il tourna la tête vers Walter, il conduisait toujours à fond, esquivant les voitures qui le gênaient. Il avait beau être fou, Kyohei devait reconnaître que l'américain avait une constitution hors norme. 

_ Vous avez conduit toute la nuit ? Demanda l'adepte des fossiles.

_ Non, on a fait la dinette avec Godzilla entre temps. Évidemment que j'ai conduit toute la nuit crétin ! Putain j'ai sommeil, je suis trop vieux pour ces conneries ! Ramassez le téléphone maintenant que la marmotte s'est réveillée.

Yamane se rendit compte que le portable était à ses pieds, se pencha et le prit d'une main.

_ On a dépassé Koriyama, commenta le scientifique en regardant la carte de Waze

_ J'ai dépassé le panneau pour la sortie vers Fukushima il y a deux minutes, dit Walter en dépassant à toute allure un camion de livraison qui le klaxonna. 

Un radar flasha la voiture, cela ne semblait pas affecter le commandant. Une voiture de police avait pris en chasse le véhicule volé, déclenchant son gyrophare. Voyant les forces de l'ordre les pourchasser, Yamane se retourna pour les observer.

_ On ne s'arrête pas ? 

_ Et raconter tout au sujet de Godzilla monsieur l'expert ? Attention monsieur l'agent, un reptile haut de deux cent mètres nous pourchasse !

_ Arrêtez de faire mine de vouloir cacher des choses ! Répondit avec agacement monsieur Yamane. Tout le japon a entendu, vous croyez quoi ? Que nous allons le ranger dans une boîte d'allumettes et que tout le monde va oublier ?

_ Le monde ne sait pas encore tout, répondit calmement Walter pour baisser le ton de la conversation. Nous avons encore des cartes dans notre manche.

Alors qu' un virage s'enclenchait, Walter ne le vit pas et frotta le bord de sa voiture contre le rebord d'un muret. Face à la dangerosité de la conduite de l'américain, Yamane prit une décision.

_ Arrêtons nous à cette borne d'essence ! Ici ! Quant aux agents, je m'en occupe.

_ D'accord Pinocchio, répondit le gradé qui se rendit compte de son propre état de fatigue. De toutes manières j'avais la dalle. 

Il ralentit l'allure et mit le clignotant à gauche, s'engageant sur la sortie. Ils arrivèrent devant une aire de repos, rapidement les policiers arrivèrent derrière eux, s'arrêtant à leurs niveaux. L'un des policiers pencha la tête vers la fenêtre brisée.

_ Messieurs, puis-je vous demander de descendre du véhicule. 

_ Désolé messieurs les agents, commença à déblatérer Yamane, nous sommes pressés. Monsieur Cobain me conduit à Yamagata pour réaliser une greffe de moëlle à ma femme, je suis compatible et je n'ai que peu de temps.

L'agent de sécurité publique se sentit prit au dépourvu et, étonnamment, goba le bobard. 

_ Désolé de vous retarder, répondit le policier en tapotant sur la porte. Dépêchez vous !

Les flics reprirent leurs voitures et démarrèrent rapidement, laissant les deux hommes seuls. Ils avaient toujours les sirènes allumées, visiblement vu les colonnes de fumées venant du sud, ils avaient d'autres chats à fouetter plutôt que d'intercepter deux chauffards. 

_ Bien joué, reconnut l'Américain admiratif. D'où avez-vous avez inventé ce beau mensonge ?

_ Il faut toujours disséminer un fond de vérité pour faire gober plus facilement, dit mélancolique Yamane.

Les deux compères sortirent du véhicule, et se dirigèrent mollement vers la boutique. En poussant la porte d'entrée, une petite clochette annonça leurs arrivées. C'était une supérette très commune sur les bords de route, farcie de choses plus ou moins utiles. Le soldat marcha entre les rayons, l'air perdu. Il saisit une boîte de conserve et se tourna vers Yamane en désignant le texte.

_ Vous pouvez décrypter ?

_ Bien sûr, c'est du cirage. 

_ Ils font chier à tout écrire en japonais, critiqua l'Américain en rangeant la boîte.

_ Étonnant pour un pays peuplé principalement de japonais, se moqua Kyohei en se penchant vers une boîte de nouilles instantanée. Tenez, ça devrait caler votre ventre.

_ Quoi ? Encore de la bouffe chinoise ? J'en ai marre de manger ces conneries, vous n'avez pas plutôt un Mcdo dans le coin ?

Ignorant le commentaire offensant de son comparse, Yamane en saisit une autre et s'approcha du comptoir. 

_ Vous avez des micro-ondes monsieur ? Demanda le vieil homme en se penchant légèrement en avant.

_ Oui au fond de la salle, à côté du robinet, et pour les premiers soins prenez la gauche, il y a de l'alcool à désinfecter ainsi que des pansements.

_ Merci beaucoup.

Se dirigeant vers la table sur laquelle était disposée un four micro-ondes ainsi que de quoi servir de l'eau avec un porte-gobelet à côté. Walter prit un récipient en carton et se servit une rasade d'eau qu'il avala cul-sec.

_ Bordel que vous aviez raison monsieur Yamane, j'avais besoin d'une pause !

A côté de la table, sur un meuble bas reposait une télé branchée, elle diffusait des images de l'actualité. Le son était coupé, mais on pouvait y voir des présentateurs japonais couvrir l'événement médiatique provoqué par Godzilla. 

_ Le son ! Demanda Walter ignorant les formules de politesse. 

Alors que Kyohei déballait le cellophane des boîtes de nouilles, le commerçant s'approcha avec la télécommande et augmenta le volume du poste. 

_ C'est assez ? Demanda le gérant de la boutique.

En guise de réponse, Powder fit un signe de sa main droite pour indiquer qu'il fallait un peu plus. Visiblement lui aussi avait perdu de l'audition. Lorsque le poste se mit plus à cracher que parler, Walter aproba de la main le volume. 

_ On est plus tout jeune, mentit Yamane, la semaine prochaine on doit se faire appareiller. 

Sans se poser plus de question, le gérant s'assit en face du poste. Une présentatrice donnait une liste de noms qui ne finissait jamais. La curiosité morbide de Walter l'emporta et il demanda au commerçant:

_ Ça signifie quoi ce charabia ?

_ Vous n'êtes pas au courant ? Demanda le civil. Hier soir, le roi des monstres a affronté la marine japonaise. Tous les soldats sont morts. On dénombre six milles...

_ Victimes ? Demanda Yamane sentant un poids dans sa poitrine.

_ Morts monsieur. Et le nombre augmente. 

Sentant tout le poid de la culpabilité, Yamane saisit son supérieur par la manche.

_ Que se passe t-il mon gars ? 

Sans répondre, le professeur guida le gradé à l'extérieur, puis se retourna une fois à l'abri des regards. Il voulut frapper le militaire, mais la force et l'entraînement était du côté de l'Américain, qui le bloqua sans effort avant de lui décrocher un crochet du gauche. Les lèvres en sang, le vieil homme se retrouva à terre. Il cracha quelque chose d'ensanglanté dans sa paume de main, il tenait quelque chose de blanc et lisse. C'était une dent.

_ Qu'est-ce qui te prend ?! Bon sang, je n'ai pas besoin d'une mutinerie !

_ Ces hommes sont morts par notre faute, s'écria Yamane. Par votre faute ! Et vos petits secrets !

_ Ces hommes sont morts pour leur pays, répondit calmement le militaire en sortant un paquet de cigarette de sa poche. 

Il le désigna en l'agitant sous le nez de Yamane qui refusa.

_ J'ai arrêté il y a longtemps.

_ Vu les doses mortelles de rayons gamma que vous avez pris dans la tronche, monsieur Yamane, ce n'est pas pour vos poumons que je m'inquièterai personnellement. Iode ou pas. 

Il prit de son veston un briquet. Il mit sa main pour protéger la flamme qui s'agitait dorénavant devant sa bouche, allumant la tige blanche aux effets cancérigènes. Il inspira une bouffée et la savoura longuement avant de l'expirer. 

_ Nous aurions pu empêcher ça, insista Yamane en s'asseyant péniblement. Il avait perdu une canine. 

_ Nous n'aurions rien pu empêcher du tout, répondit le commandant faisant face au sud, des hélicoptères en provenance de toutes les contrées du Japon volaient au secours de la capitale. Ce qui devait arriver est arrivé, c'est ainsi.

_ Six mille morts et c'est tout ce que ça vous fait ? 

_ Vous me prenez pour un insensible ? Rétorqua calmement le chef d'armée. J'ai promis à ma famille de rentrer aux Etat-unis pour Thanksgiving, dans une maison de campagne en Virginie Occidentale. Vous devriez y faire un tour un de ces jours. Ça doit faire environ trois ans que je n'y ais plus mis les pieds, juste pour guetter sur vos petits culs d'asiats. Je ne risquerai pas tout juste pour votre petite conscience. 

Il inspira une nouvelle portion de fumée en dominant de sa hauteur le pauvre scientifique. Yamane jugea les dégâts du coup de poing en se tâtant le visage. Il ne l'avait pas manqué. 

_ Si nous avions communiqué à l'état major japonais toutes nos informations, nous aurions pu éviter un bain de sang.

_ Et dire aux Russes que les tourelles qui sont censé vous protéger ont vidées toutes leurs cartouches sur un mammifère marin ? Croyez-moi, mieux vaut parfois maintenir les gens dans l'ignorance. Si nos ennemis apprenaient que nos deux armées combinées ne peuvent rien face à Godzilla, ils ne prendraient pour des faibles et les conséquences pour votre pays seraient bien pires. Imaginez un instant que la Chine vous envahisse, vous seriez quoi sans nous ?

_ Nous avons la force d'auto-défense japonaise ! Réplica Kyohei qui avait du mal à se relever. 

_ Aviez ! Godzilla l'a détruite avec son verbe haut. Et le restant de bleuzailles que vous appelez armée est incapable face à ce goliath. 

L'américain jeta son mégot par terre et tendit sa main vers Yamane. Hésitant, le retraité la saisit. Tout en l'aidant à se redresser, Walter désigna la boutique de la pointe de son nez.

_ C'est moi qui régale, venez !

_ Je suppose que je devrais dire merci, dit avec cynisme le paléontologue nippon tout en se massant la mâchoire. 

Lorsque les deux compères rentrèrent, le gérant vu l'état de Yamane, celui-ci se rendit compte de son apparence et inventa un nouveau mensonge.

_ Il m'a aidé à me relever.

_ C'est l'âge, toi aussi avec de la chance t'y passeras, ajouta l'Américain en s'adressant au gérant de la station. Allons goûter ce casse croûte que vous nous avez concocté monsieur Yamane. C'est quel parfum ?

_ Algues je crois.

_ Arhh, les pires !

Les deux hommes se remirent en face à face, savourant leurs nouilles, l'un avec plus d'appétit que l'autre. 


Le lendemain de la catastrophe, lors des retrouvailles entre Emiko et Daisuke, le couple se jeta dans les bras l'un de l'autre. 

_ Je te croyais morte, pleura Daisuke en saisissant sa femme par les épaules. 

_ J'avais si peur, dit Emiko tout aussi larmoyante.

Derrière Emiko, Steves apparut, soulagé de retrouver son vieil ami. Le scientifique japonais lâcha sa femme et s'élança vers son camarade occidentale. 

_ Steves ! Putain, merci d'avoir veillé sur ma femme ! Tu es un frère pour moi !

Bien qu'à l'accoutumé les japonais étaient très réservés sur le contact corporel, surtout entre hommes, Daisuke serrait de toutes ses forces son ami qui, lui aussi, avait vécu l'horreur aux premières loges. Tout autour d'eux, des familles se réunirent pour se retrouver, heureuses de se savoir en vie. Des enfants sautèrent à pieds joints dans les bras de leurs parents. Non loin du trio, à l'entrée de l'abri, un camion d'ambulancier transportant des silhouettes enveloppées dans du plastique noir accueillait ceux qui n'avaient pas cette chance. Parmi elles, un tout petit sac fut déposé à l'arrière du véhicule. 

_ Venez à la maison, reprit Daisuke en tenant par la main son épouse, détournant son attention des civières. Il y a du dégât, mais avec de l'huile de coude, on peut rattraper tout ça. Pas vrai Steves ?

_ Oui, dit Steves en jetant un regard à Emiko, on va réparer les pots cassés. 

Les trois camarades d'engouffrèrent dans la cité, il y avait des éclats de verre partout. Les soldats de l'armée d'autodéfense japonaise parcouraient la cité, venant en aide à ceux dans le besoin. Des patrouilleurs en hélicoptère faisaient le tour de la capitale en scrutant depuis le ciel.

_ Qu'est-ce que c'était hier soir ? Demanda Daisuke toujours dans la confusion. J'ai entendu deux explosions, j'ai cru que c'était la guerre atomique, toutes les vitres ont explosé.

_ A la télévision on a vu... s'arrêta madame Serizawa au milieu de sa phrase. Un animal.

_ Un animal ? Questionna son époux surpris. Une bestiole ne peut pas être à l'origine de cette hécatombe !

_ Tu n'as pas regardé les infos Serizawa ? Demanda l'Américain sur le ton de la rhétorique. Il était colossal, plus de cent mètres de haut.

_ Comment ?! S'écria le scientifique en se retournant vers son ami. 

_ Il est vraiment balèze, ajouta Martin. Toutes les chaînes du pays en parlent, le Kaiju, le roi des monstres. 

_ Désolé, j'étais tellement pris par mon travail...

Daisuke marqua un temps de pause, serrant des poings. Pour le détendre, Steves l'attrapa par le coude et lui intima de continuer la route.

_ Nous te raconterons tout à la maison.

_ Grâce à tes contacts dans l'armée américaine tu dois savoir des choses, nota son camarade en levant la tête vers lui. 

Steves tourna la tête lentement en signe de négation, malgré sa loyauté envers son ami il ne pouvait trahir son pays, même s'il n'était officiellement plus un marine. 

_ Rien de plus que vous hélas, je préfère te raconter tout ça dans un coin tranquille, devant un bol d'udon. Je meurs de faim. 

_ C'est vrai, se dit Serizawa en regardant ses deux partenaires, vous n'avez rien mangé depuis la tempête...

Il poussa un juron à voix basse. Il n'avait rien acheté, il avait juste des snacks. Sa journée d'hier avait été monopolisée par ses tests en laboratoire. 

_ Tout va bien chéri ? 

_ Oui mon amour, je crains ne plus avoir d'udon, mais je dois avoir des saucisses. Ça vous convient ?

Ne sachant que trop quoi répondre, le duo hocha de la tête, rassurant artificiellement monsieur Serizawa. Le trio se dirigea vers la maison familiale, où la soirée allait s'annoncer... pour le moins riche en rebondissements.


Le premier ministre se tamponnait du bout du doigt le haut de son front. Le bilan du désastre était cataclysmique, au-dessus de toute catastrophe déjà connue, même l'incident de Fukushima était moins terrible que les données rapportées par ses hommes. Il devrait prendre des mesures radicales pour que le Japon puisse se redresser, économiquement et politiquement. Un navire de croisière coulé par des tirs de batteries de missiles américain, un monstre géant introuvable dans la mer de Sagami, et maintenant un rapport du taux de radiation mortel sur l'archipel d'Izu. Il savait, il devrait serrer des mains et passer des accords non favorables pour se sortir de cette passe. 

_ Monsieur le ministre, annonça la secrétaire, qui malgré les circonstances exceptionnelles, était élégante et bien maquillée, voici le chef de la brigade scientifique, le professeur Kuriketto.

Un homme à la calvitie prononcée et de petite taille, légèrement courbé en avant, pénétra dans la salle, avec un porte-document qu'il tenait fermement devant lui.

_ Enchanté monsieur le ministre, dit l'enquêteur en baissant la tête. 

_ Enchanté professeur. Prenez place. Vous pouvez disposer mademoiselle Rairakku. 

La femme quitta la pièce, laissant les deux hommes face à face. Le ministre japonais regardait attentivement le porte-document et le pointa du doigt. 

_ Que donne le rapport d'enquête sur l'île de Toshima ?

_ Les indices, bien que maigre à cause du peu de temps où nous avions pu rester sur place, furent néanmoins enrichissant. Nous avions retrouvé une épave de chalutier, il y avait des traces de poissons à bord. La créature affamée a dû l'attaquer pour avoir un encas facile. Elle a laissé des traces de radiations importantes dessus, les mêmes traces que nous avions recueillies dans les empreintes laissées sur l'île. Nous devons encore faire des prélèvements d'échantillons pour nous assurer que lors des deux incidents nous ayons affaire au même individu.

_ Vous voulez dire qu'ils peuvent être plusieurs ? Demanda inquiet le premier ministre.

Marquant un temps de pause, l'enquêteur sourit.

_ Ne hâtons pas nos conclusions, monsieur le ministre. Il est peu probable qu'un troupeau de ces animaux puisse passer inaperçu sous nos radars, même dans le pacifique. Il est plus sûr de penser qu'il n'y ait qu'un seul spécimen, mais tant que nous ne pouvons pas comparer les ADN, difficile de certifier avec assurance.

Pendant deux minutes, le politicien a cru faire une crise cardiaque. Vu l'étendu des dégâts d'une seule créature, il ne pouvait appréhender l'horreur d'au moins deux Kaijus en train de saccager le Japon.

_ Et l'origine des radiations ? Demanda l'homme de pouvoir.

_ Ce serait, d'après nos experts biologistes, une arme de défense. Ses plaques dorsales serviraient de canalisateur pour du plutonium présent naturellement dans son organisme. Il le ferait entrer en fusion depuis sa colonne vertébrale pour émettre un rayonnement gamma, comme un dôme qui le protégerait. 

_ Quelle solution suggérez-vous ?

Le scientifique sortit de sa pochette un plan, c'était une arme. 

_ Nous avons conçu avec l'aide de la société Mothra un dispositif aquatique provoquant de puissantes vibrations dans l'eau. A la base c'était pour désorienter les sous-marins russes qui navigueraient dans les eaux japonaises, le reptile est un animal marin utilisant les basses fréquences pour tuer. Renvoyons lui la monnaie de sa pièce, oeil pour oeil...

_ Dents pour dents, termina le ministre en contemplant l'ingénieux système. En attendant que le Kaiju refasse surface, disposez un maximum de ces engins dans la baie de Tokyo, il ne doit en aucun cas franchir notre mur défensif.

Les deux hommes se relevèrent, se serrant la main virilement.

_ Vous êtes un vrai patriote, complimenta le premier ministre. 


Alors que Daisuke Serizawa fouillait dans les placards en quête de denrées, la gêne monta dans la salle à manger, le courant d'air passait entre Emiko et Steves qui n'osaient se regarder droit dans les yeux. Martin ne pouvait s'empêcher de se gratter l'avant bras, il avait une sensation très désagréable.

_ Voilà ! Cria victorieusement monsieur Serizawa en apportant des chips à table. Ce n'est pas grand chose, mais c'est mieux que rien.

_ On s'absente pendant deux jours et il ne reste que ça ? Demanda pour le moins surprise Emiko comprenant que le paquet avait déjà été entamé. 

_ Je m'emportais des encas au travail, explica Daisuke en cherchant des assiettes. Le reste était périmé.

Par chance pour lui, Emiko avait fait la vaisselle avant de partir, il restait des couverts propres. Il amena un paquet de cacahuètes et de fruits déshydratés. Il saisit le paquet de fruit et plaça ses mains l'une contre l'autre avant de prononcer la formule magique:

_ Merci pour ce bon repas !

_ Merci pour ce bon repas, reprit Emiko avec bien moins de conviction. 

Ce n'est pas qu'elle avait de l'appétit, car après tout qui en aurait après les expériences traumatisantes qu'elle avait vécues, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir déçu de l'accueil. Elle saisit de ses baguettes une saucisse réchauffée au micro-onde et la porta à sa bouche. 

_ Que s'est t-il passé exactement sur l'île ? Demanda monsieur Serizawa en s'adressant d'abord à sa femme, puis en questionnant du regard son ami ingénieur. 

Le silence régna quelques instants, puis Emiko, qui n'aimait guère revivre ces moments durs, entama la conversation. 

_ J'ai ausculté les patients du centre de vacances, ils avaient été contaminés par des... radiations.

_ Radiations ? Genre UV ?

_ Genre rayons qui tue, reprit Steves qui voyait le malaise de la femme. N'insiste pas trop Serizawa-san, c'était dur pour nous deux.

_ Je vois... Daisuke semblait assez énervé en réalité. Moi je vais vous raconter ma journée, puisque je suis le seul à tenir la conversation dans cette maison. Parce que moi aussi j'ai eu une journée difficile !

Daisuke commençait à péter les plombs, mais les deux invités gardèrent le silence, tandis que le scientifique en énergie engouffra un paquet de fruits bruyamment.

_ J'ai eu mon premier blâme. Vous savez pourquoi ? Parce qu'une grognasse bigotte s'est attrapée dans un de mes pièges ! Je tente de résoudre les problèmes, et au lieu de me laisser faire on me met des putains de bâtons dans les roues !

Choqués par le comportement du propriétaire de la maison, les deux convives regardèrent inquiets Daisuke qui avait visiblement plongé dans la démence. 

_ J'oeuvre jours et nuits pour finir à temps ma machine, je suis l'un des ingénieurs les plus motivés de cette putain de boite ! Au lieu de recevoir une promotion, Madame Mothra menace de me virer si je n'ai pas fini dans deux semaines. Ahaha ! C'est pas génial ?! Je vais devenir chômeur ! Tu finis pas ?

Daisuke indiqua les saucisses du bout de ses baguettes à son épouse, qui était au bord de l'implosion. Révolté du ridicule de son ami, Martin grinçait les dents, il sentait ses yeux irrités par le sel. 

_ J'aurai passé cinq putains d’années de ma vie à finir ma thèse sur le destructeur d'oxygène, continua Serizawa avant de s'interrompre pour avaler une saucisse brûlante. Ouh ! C'est chaud ! Je disais, j'ai fait cinq ans de thèse sur une machine qui, parce que madame est impatiente, ne sera jamais finie ! Mais c'est pas grave, la transition écologique se fera à coups d'éoliennes à la con et de centrales à charbon ! Toi au moins, Steves, t'as de l'avenir dans l'armée.

_ J'ai perdu mon job, s'écria Steves voulant interrompre les jérémiades de Serizawa. 

Un moment de silence fut observé, Daisuke en sueur, Emiko se serrant la bouche pour ne pas crier et Steves se contenant à peine,pour ne pas coller une beigne à son meilleur ami. 

_ Arrêtes de faire le con deux secondes, grinça entre ses dents Martin. On a failli mourir, et toi tu te plains de perdre ton travail. Regarde autour de toi bordel ! Tokyo est en flammes ! Toshima et Izu Oshima sont mortes !

_ Excusez moi, dit timidement Emiko qui se leva de table. Je ne me sens pas très bien, je n'ai pas d'appétit. Désolée.


Elle se dirigea vers les escaliers guidant à l'étage. Son estomac était barbouillé, elle avait mis ça sur le compte de la faim, mais elle se rendit rapidement compte que quelque chose n'allait pas. Elle fonça vers les toilettes, et vomit le peu de contenu de son estomac. Après libération, elle avait le goût du fer dans la bouche. Elle se tâta les lèvres, elle y vit du sang sur le bout de ses doigts. Elle découvrit sa manche, elle était recouverte de stigmates. Des stigmates familières, les mêmes que portaient les patients de l'île. Elle était contaminée. 


Daisuke fixait l'américain du regard, les yeux injectés de sang. 

_ Pourquoi on t'a viré ? Demanda Serizawa en détournant son attention vers le paquet de cacahuètes. C'est tragique !

_ C'est à cause de ma tourelle que le Kaiju a attaqué Toshima, répondit Steves qui tenta de se calmer en regardant ailleurs. 

_ Ton invention n'attaque pas que les sources de rayonnement gamma ?

_ Classé confidentiel.

Le scientifique de la firme Mothra croqua des amuses-gueules et tendit le restant à Steves.

_ Toujours plein de secrets, c'est toujours pareil. On a passé beaucoup de temps ensemble, à théoriser nos formules sur des bouts de papiers sur un banc, je t'ai corrigé pas mal de tes erreurs de math !

_ Et toi tu programmes comme une brêle ! se moqua Steves ce qui eut le mérite de faire relâcher un instant la pression. 

_ Depuis qu'on se connaît j'ai passé les meilleures années de ma vie, dit Serizawa nostalgique. C'est toi qui m'a donné l'idée de la conception de l'émetteur d'ondes électromagnétiques. Sans toi je n'en serais pas là.

_ Et toi tu m'as donné le paramétrage exact de mon IA, ma tourelle aurait dézingué n'importe quel planeur de passage. 

_ Nous nous apportons beaucoup réciproquement, dit Serizawa avec beaucoup d'affection. Je ne veux pas te perdre, je te recommanderai auprès de Mothra si tu le souhaites, ils ont besoin de talents comme toi.

_ Tu me flattes Serizawa-san, dit Steves le regard reconnaissant. Mais je ne suis qu'un riquain présomptueux, je sais comment les japonais traitent les occidentaux. 

_ Tu crois qu'on est mieux traité ? Ria Daisuke avec une goutte de morve qui lui pendait au nez, qu'il essuya d'un revers de main. Tous les jours je dois bosser dans des conditions de merde, jamais de vacances, jamais de jour de repos, pas un moment pour souffler, je ne vis que pour mon travail. Mais tu sais quoi, j'adore mon taff, parce que grâce à mon taff, je peux me payer une barraque de luxe, de la bouffe décente et dormir avec ma femme toutes les nuits à mes côtés. Et pour rien au monde je renoncerai à ça !

_ Et ton rêve ? Demanda Martin en buvant un verre d'eau du robinet face à lui. Tu voulais sauver le monde, souviens-toi.

_ Je veux toujours le sauver, affirma Serizawa.

_ Serizawa-chéri, Martin-san... 

Emiko se tenait à l'orée de la salle à manger, elle était pâle comme un linge. Des cernes cerclaient ses yeux d'amandes, elle ressemblait à un yokai de film d'horreur. 

_ Oui mon amour ? Fit Daisuke en voyant sa femme l'air interrogateur.

_ Rien, juste continuez sans moi, je vais me coucher. J'ai besoin de dormir.

_ Il n'est que midi !

_ Nous en avons tous besoin, ajouta Steves. Je me sens comme après avoir percuté un autobus. 

_ Nous avons la chambre de Yamane-sama, répondit le docteur Serizawa. Il n'est pas prêt de revenir d'après ce que tu as dit à son sujet. Je suis sûr qu'il ne t'en voudra pas. Tu es un peu comme un membre de la famille. Je suis désolé, je n'ai pas changé les draps.

_ T'inquiète, répondit gentiment son ami. J'ai dormi dans bien pire que ça lors de mon service au Congo. Au moins il y a un matelas, ça reste mieux que le béton armé des bunkers. Dis moi Serizawa-san, aurais-tu du Gaviscon ? Je me sens patraque aussi. 

_ Dans la salle de bain, répondit Daisuke en pointant du doigt les escaliers. Deuxième tiroir de droite en partant du haut.

_ Merci encore pour les vêtements de rechange, ajouta l'Américain en se relevant, notant que son pantalon lui allait très serré. 

_ C'est rien, j'allais pas te laisser dans la merde.

Les deux hommes rirent doucement et se firent une accolade, malgré la dispute de tout à l'heure ils se sentaient heureux de se retrouver.

_ Tout s'arrangera, dit le frère Américain à Serizawa.

_ Ouais, tout s'arrangera. Je débarrasse la table, t'inquiète, vas-y !


Alors qu'on pouvait entendre Martin fouiller dans la salle de bain et les bruits de pas de Daisuke au rez-de-chaussé, Emiko faisant semblant de dormir, mais elle avait les yeux grand ouverts. Ce n'est pas qu'elle n'avait pas sommeil, elle était épuisée, mais dès qu'elle fermait les paupières, elle revoyait les visages des gens qu'elle n'avait pu sauver. Et elle redoutait chaque seconde une nouvelle attaque sonore, persuadée que la prochaine signerait leurs arrêts de mort. Plus elle s'enveloppait dans les couvertures, plus elle se sentait vulnérable. Il n'y avait aucun abri sur Terre face au roi des monstres.


_ Comment vous faites pour bouffer des trucs pareils ?! Demanda Walter à Kyohei alors qu'il aspirait une quantité infime de nouilles, trop brûlantes pour lui.

_ Comment ça ? Répliqua Yamane en saisissant une portion. Elles sont certes bon marché mais ça reste correct.

_ Bordel ! Reprit l'Américain en plantant ses baguettes dans le pot, de manière très impolie dans la culture Japonaise. Vous ne savez pas ce que c'est de la vraie bouffe ! Je vais vous dire, professeur, qu'on ne sait pas manger tant qu'on a pas savouré un bon burger. Deux tranches de pain brioché, un morceau de bœuf bien gras, coiffé d'une tranche de cheddar à peine fondue.

_ Vous voulez parler de ce morceau de semelle que vous appelez viande ? Rétorqua le retraité. Je connais vos goût culinaires, j'ai voyagé aux Etat-unis pour y mener des conférences sur les sauropodes. Vous avez des goûts de chiotte, de réputation internationale. 

_ Vous ne savez pas apprécier les bonnes choses, dit Walter tandis que son téléphone se mit à sonner. Tiens, c'est le sergent Woodshapes. Allô ?


Sur une frégate à pleine vitesse sur les vagues, une équipe américaine commandée par Thierry naviguait dans la mer de Sagami. Le soldat avait le téléphone à la main, depuis la cabine de capitaine, des documents face à lui.

_ Allô capitaine Powder ? Vous êtes passé où ?

_ Commandant Powder, soldat ! Ne me demandez pas, c'est une longue histoire. 

_ Félicitation pour votre promotion Commandant, reprit le sergent secoué par les vagues. Depuis votre départ, j'ai procédé à la destruction des traces de Godzilla et évacué nos troupes. De notre côté tout va bien, juste un peu des oreilles bouchées depuis que monsieur s'est pris pour un chanteur d'opéra. 

_ Heureux de l'apprendre sergent, du nouveau sur le reptile ?

_ Il ne s'est pas manifesté depuis quinze heures. Aucune trace de l'objectif.

_ Que raconte t-il ? Demanda le professeur au chef militaire. 

_ Le Kaiju a disparu. Il est intraçable.

_ Il doit être épuisé, conclut Yamane en mangeant une portion de nouilles. Il a voyagé de Toshima jusqu'à Izu-Oshima sans s'arrêter et a bagarré toute la nuit, il doit reprendre des forces. 

_ Comment ça ? Fit Walter étonné de la réponse du paléontologue. Il fait la taille d'un gratte-ciel, comment pourrait-il être fatigué ?

_ Justement, développa Kyohei en tendant ses baguettes vers l'homme en treillis. Sa force est son plus gros point faible, le moindre de ses gestes doit consommer une énergie faramineuse. Vu la bataille qu'il a mené hier soir, ce ne serait pas étonnant qu'il dorme pendant au moins deux jours. 

_ On gagne du temps, conclut l'ancien capitaine. Woodshapes, Godzilla doit sommeiller quelque part dans la mer d'après le professeur Yamane. Je veux que vous balisiez toute la baie de Tokyo, retrouvez moi ce gros flemmard.

_ Commandant, j'ai une seconde bonne nouvelle, annonça le sergent au bout du fil. Nous avons enregistré le rugissement du lézard. Mettez la vidéo je vous prie.

Le commandant s'exécuta, inclinant sur la tranche son appareil de manière à ce que Yamane puisse aussi voir. L'écran s'alluma sur Thierry et sa coiffure légendaire. Il tenait à côté de lui un poste de radio. 

_ Par chance on avait un micro allumé à bord au moment des deux rugissements d' hier soir, j'ai atténué le son et augmenté les fréquences pour rendre audible la voix du monstre. Nous obtenons ce résultat. 

Il alluma le poste, il émit ce qui ressemblait dans un premier temps à un crissement métallique pour descendre sur une note bien plus grave, comme la voix d'une baleine. Comblé d'excitation, le chercheur se rapprocha de l'écran.

_ Il nous parle !

_ Je trouve qu'il parle un peu fort, rétorqua le vieux Commandant.

_ C'est parce qu'il n'a pas l'habitude de communiquer avec des êtres aussi insignifiants que nous, reprit le scientifique militaire. Vous avez déjà tenté de jouer une pièce de William Shakespeare à une colonie de fourmies ? Mais si vous me laissez le temps de faire des analyses supplémentaires de ses vocalises, je pense être en mesure de répliquer sa voix. 

_ Quel serait l'intérêt ? Demanda Walter sceptique. 

_ Nous pourrions communiquer avec lui, dit Yamane, fasciné par une telle avancée. S'il venait à comprendre que les côtes japonaises sont dangereuses pour lui, il s'éloignerait naturellement. 

_ Pourquoi vous pensez ça ? se questionna Powder en toisant le scientifique japonais. 

_ Un animal n'agit jamais sans intérêt, argumenta Kyohei. Une créature aussi massive n'ayant jamais rencontré l'homme pendant aussi longtemps ne se dévoilerait pas sans une raison valable. Certes la tourelle anti-missile l'a agacé, mais il aurait dû repartir dans la mer au lieu de chercher le conflit. Quelque chose doit menacer son habitat naturel. 

_ J'en suis arrivé à la même conclusion, enrichit Thierry au bout de la ligne. Nous n'avons pas  à faire à un humain avec un sens moral ou un code d'honneur, c'est un animal. A moins d'être acculés, ils évitent la confrontation directe. Il doit avoir peur de quelque chose au large pour qu'il vienne se réfugier sur les terres. 

_ Mais de quoi ? Se dit Yamane en se tenant le menton. 

Les trois hommes avaient un air interrogateur quand le commerçant s'approcha de Kyohei, ne calculant pas l'étranger. 

_ L'addition je vous prie, je dois nourrir mes gosses.

_ Ah oui désolé, dit Kyohei en jetant un regard à Walter.

_ Combien vous dois-je, l'ami ? Reprit monsieur Powder en éloignant le téléphone de son oreille. 

_ Huit cent yens ! 

Le gradé chercha dans son portefeuille et sortit une liasse de billets. Le commerçant les remercia et retourna à son comptoir chercher la monnaie.

_ Ce sont des billets de Monopoly, dit Walter en contemplant sa besace. Ils me manquent mes fameux dollars. 

_ Arrêtez commandant ! Le prix est plutôt honnête, je ne vois pas le mal. 

_ J'ai toujours l'impression d'être enflé avec votre fichu monnaie, on ne sait pas combien ça vaut.

_ Lisez les chiffres, ça devrait vous aider.

_ Je vous dérange peut être ? Questionna légèrement agacé Thierry à travers le téléphone. 

_ Reprenez sergent, dit le Commandant en lançant un regard mauvais à son acolyte japonais. 

_ Très bien, pour pouvoir communiquer avec Godzilla, j'ai besoin de deux choses. Un: enregistrer son dialecte dans son milieu naturel et trouver la pierre de rosette; deux: un studio d'enregistrement.

_ Vous êtes en mission ! Rappela Walter à son subordonné. On se fout royalement de votre prochain album !

_ Je pense avoir besoin d'instruments de musiques et de retravailler le son, argumenta le sergent Woodshapes. Pendant que nous tenterons de le localiser on fera des enregistrement audio marins, peut être qu'il communique sans que nous le sachions, capturer une discussion sous-marine pourrait s'avérer très enrichissant. Si j'arrive à traduire et communiquer avec lui, nous pourrons peut-être l'éloigner du littorale. 

Bien que l'idée de taper la papote avec ce saurien millénaire semblait absurde aux oreilles de Walter, cela n'était pas totalement stupide. Il se tourna vers Yamane qui semblait approuver du regard le plan de Thierry. 

_ Bien sergent Woodshapes, effectuez vos enregistrements. Vous me communiquerez vos avancées demain matin. 

_ A vos ordres commandant ! Fit le soldat avant que Powder ne coupe la communication. 

_ Nous sommes sur la bonne voie ? Demanda avec un certain enthousiasme le professeur Yamane. 

_ Je l'ignore, mais ça ressemble à un début de solution. Allez, on décolle !



Laisser un commentaire ?