Lettres de Kamura
Chapitre XV
Quinzième lettre
Ma chère Dylis,
Je m’étais promis de ne t’apporter que de bonnes nouvelles. Pourtant, aujourd’hui, c’est avec amertume que je t’écris.
Nous avons tué le lunagaron au terme d’une traque et d’un combat qui m’ont semblé interminables. C’est un monstre agile, qui sait aussi bien se déplacer sur deux membres que quatre, et j’ai bien cru qu’il aurait raison de moi avec ses griffes gelées. Les lunagarons disposent d’un organe qui leur permet de thermoréguler leur corps en le gelant, et se servent ainsi de la glace qu’ils forment afin de renforcer leur armure d’écailles, ou bien en allongeant leurs griffes pour lacérer leurs proies. C’est aussi impressionnant et dangereux que ce que tu peux t’imaginer.
Nous devions ramener la dépouille en lieu sûr, hors d’atteinte des monstres, afin que Bahari puisse l’examiner en sécurité. Il a insisté pour nous accompagner, Dame Fiorayne et moi, et nous a surveillées pendant l’affrontement, caché dans les sous-bois, loin de tout danger. Sitôt a-t-il contemplé le lunagaron qu’il s’est empressé de le scruter, cherchant des traces des qurios, sans oublier ceux qu’il était parvenu à capturer dans ses nombreux bocaux. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’observer ces insectes de très près, mais je ne m’en plains pas.
Quoi qu’il en soit, j’ai baissé ma garde, et je m’en veux terriblement. Une nuée de qurios s’est approchée de nous et, en son cœur, le malzeno est apparu. J’ai reconnu la silhouette qui a manqué de me tuer en me jetant ce tronc d’arbre l’autre jour ; à en constater sa queue, j’ai compris qu’elle était préhensile et qu’il pouvait s’en servir comme d’une main, ou d’une pince.
Je sais que nous devions éviter toute confrontation, je l’ai juré à l’Amiral… Mais nous n’avions pas d’autre choix. Si nous ne faisions pas diversion, l’équipe de Bahari aurait été décimée par le malzeno. Alors nous avons dû nous battre. Épuisées par le lunagaron, nous n’avons guère pu le retenir. Dame Fiorayne a été touchée à l’abdomen, et nous avons dû regarder, impuissants, les qurios se nourrissant de la dépouille du lunagaron, avant que le malzeno ne les rappelle à lui et reparte.
Nous avons administré à Dame Fiorayne les premiers soins, fait cesser les saignements et lui avons donné une dose d’antipoison, afin de prévenir toute aggravation de sa blessure. C’était à peine si elle pouvait marcher, et les secousses de la charrette la faisaient grandement souffrir. Au final, nous sommes rentrés à l’avant-poste avec un sentiment de défaite. J’aurais pu lui éviter une telle blessure… Elle affirme qu’elle va mieux, désormais, que tout s’est résorbé, et qu’elle ressent à peine la douleur. Mais je crains qu’elle ne cache quelque chose… Si tu avais été là, tu aurais su analyser tout cela, et l’aider, j’en suis sûre.
Au final, Bahari a pu mener ses recherches, et pousser un peu plus ses théories et hypothèses. Il semblerait que nous faisons face à une sorte d’épidémie, provoquée par les qurios. Ils mordent certains monstres, qui deviennent agressifs et quittent leur territoire habituel, et provoquent à leur tour l’agressivité d’autres monstres.
Le malzeno serait derrière tout cela, et provoquerait cet état hyperagressif, pour une raison que nous peinons à découvrir. Le plus étrange dans tout cela est que jamais le malzeno n’avait été remarqué auprès de qurios, d’après l’Amiral et Bahari. Si même eux deux ont des difficultés à comprendre l’enchaînement de ces événements et phénomènes, je crains de ne pouvoir me rendre utile… Il nous reste seulement à découvrir la raison qui pousse le malzeno à utiliser les qurios et à rendre les autres monstres aussi dangereux. Nous avons pour ordre d’éviter toute confrontation avec le malzeno tant que nous n’en savons pas davantage.
Pardonne-moi pour la longue lettre, mais j’ai le sentiment que te raconter tout cela m’apaise. Je me fais beaucoup de souci pour Dame Fiorayne.
Je suis heureuse de vous savoir loin d’ici et en lieu sûr. Je prie pour que rien ne vous arrive en mon absence.
Je ne me le pardonnerai jamais si je vous perdais.
Nozomi