Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)
Chapitre 23 : Le festival de cet été, encore
2080 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 09/06/2017 23:45
Toutes ces couleurs et ces lumières…Des centaines de lanternes japonaises toutes éclairées au dessus de nous. La douceur de la soirée unie à cette gaieté générale ont fait de cet ixième festival d’été un délicieux moment passé en famille, entre amis et avec tout nos voisins. Par cet évènement, on pouvait admirer des yukatas tous plus beaux les uns que les autres mais surtout les magnifiques feux d’artifices qui restent encore aujourd’hui ma partie préférée de la fête.
Nous étions tous là. Mon père, Miyuki, Miyuki-chan, Anna, Yuichi et moi formions un petit groupe parmi ce peuple immense. Il était dans notre intérêt de le rester si nous ne voulions pas nous perdre. Un million de personnes participaient à l’évènement !
Seuls Yuichi et ma sœur n’étaient pas habillés pour l’occasion. A croire que mon ami aussi n’appréciait pas la tenue traditionnelle…
L’ambiance festive enivrait tous les habitants de Tokyo jusqu’aux touristes curieux d’assister à ce que nous respectons depuis nos anciens. Les enfants se précipitaient sur les stands de Kingyo Sukui* où ils se rendaient compte qu’il était bien plus difficile qu’il ne le paraissait d’attraper quelques pauvres petits poissons. Sur certains étalages, on pouvait goûter de délicieuses brochettes yakitoris* et surtout des glaces dont le nombre de parfums proposés dépassaient l’imagination. Comment avais-je pu dire que je n’aimais pas ce genre de festival ? Je regrettais ce ridicule mensonge.
Je n’ai jamais manqué un seul natsu matsuri (festival d’été), pas que je me souvienne. Quand bien même j’avais voulu l’éviter, cela aurait été compliqué, étant le genre d’évènement qui rassemblait le plus de foule à travers le pays et nous-mêmes qui étions au cœur de la capitale…
Je me rappelle qu’à chaque fois, j’y allais avec Muraki, Tôma et Toshio. Eux s’y rendaient surtout dans le but de faire connaissance avec de jolies filles…..Moi aussi.
On y rencontrait souvent Ryuichi qui occupait un stand de boissons rafraîchissantes avec sa mère sur le chemin. Je craignais que l’on ne retombe sur lui cette fois là encore.
-Nous avons de la chance qu’il n’y ait pas eu de pluie, dit mon père en contemplant le ciel plein d’étoiles. Je craignais qu’ils nous en annoncent à cause des lourdes chaleurs que nous avons subi dernièrement.
-C’est une chance en effet, approuva Yuichi. Reste à espérer que ça continue.
-Il n’y a pas de raison avec un ciel pareil, ajoutais-je juste avant de me ruer sur un stand de glaces où le vendeur me narguait déjà en brandissant ses gros cornets dégoulinants de crème.
J’obligeais ainsi le groupe à s’arrêter, profitant de cette occasion pour rire de ma faiblesse.
-Tu veux une glace Miyuki-chan ? Ai-je demandé à ma petite amie, trop polie pour exiger quoique se soit.
-Euhm je veux bien, c’est gentil.
Elle a quand même hésité. Mais comme je l’espérais, elle se laissa tenter et me remercia alors que je lui tendais l’épais cornet avec ses trois boules vanille-fraise.
Soudain, une musique gai et entraînante sortit des enceintes et s’épanouit au cœur de la fête. Une mélodie au rythme rebondissant qui me laissa presque à l’envie de danser. D’autres ne se firent pas prier et bientôt, c’est tout un groupe de danseuses et danseurs, tous vêtus de magnifiques yukatas qui s’élança sous les feux d’artifices. Les rires et les applaudissements encourageaient ce beau spectacle, les gens en réclamaient davantage. J’étais émerveillé. Moins que lorsque j’avais dix ans, mais émerveillé tout de même. Quand on pense que chacun de nous est renfermé, individualiste puis qu’on assiste à ce regroupement d’hommes, de femmes et d’enfants joyeux festoyant sous de tels éclats de joie et de lumière, on se sent tout de même heureux de faire partie de ce monde.
Tous les cinq, on explorait d’autres stands un peu plus loin. Une attraction attira particulièrement mon attention : il s’agissait d’un tournoi de bras de fer. L’homme qui le dirigeait avec sa femme avait de quoi nous faire hésiter à lui tenir tête.
Une musculature de taureau comme j’en avais rarement vu !
Lorsque nous sommes arrivés, il venait de mettre à bas un grand gaillard déjà bien costaud et qui avait sans doute voulu fanfaronner devant sa copine qui le regardait avec déception. Il n’a pas attendu le départ du vaincu pour nous remarquer et nous dire tout en faisant tinter ses cinq piécettes gagnées :
-Messieurs, l’un de vous aimerait tester sa force ? Les prix en valent la peine !
-Pourquoi tu n’essaierais pas Onii-chan ? m’a demandé Miyuki sans le moindre sérieux.
-Tu rigoles…Je vais me faire démembrer direct. Demande plutôt à Yuichi.
-Oui, il vaut peut-être mieux que Yuichi y aille. Je ne pense pas que…a commencé mon père avant que je ne le coupe d’un ton sec.
-Toi aussi tu doutes de moi ? Très bien, d’accord ! Je me lance, si vous croyez que je vais me dégonfler !
-Masato-kun, tu es sûre que… ?
-Allons Miyuki-chan, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! J’ai quand même de la force.
Je me suis avancé vers le gros monsieur aux deltoïdes aussi larges que deux saladiers. Il feignait l’admiration, mais je sentais qu’il avait du mal à ne pas ricaner en me voyant m’assoir face à lui.
-Allons-y ! Ai-je lancé avec un air de défi.
-J’aime bien les petits courageux comme toi ! Tiens pour te le prouver, je te donne un avantage. Je te tends mon bras et je ne me servirai que de l’index pour essayer de te battre. Juste non ?
Et il éclata de rire. La hargne qu’il en résulta décupla mes forces. Je me sentais prêt à faire plier une tour rien qu’avec mes bras. Je n’ai cependant pas tenu plus de cinq secondes sous la poigne terrible de ce gros balèze gonflé d’orgueil comme de muscles.
Je gémissais tout en frottant mon avant-bras démoli.
Amusé par cette compétition, mon père tenta lui aussi l’expérience. Il ne possédait certes pas la même force physique que lorsqu’il avait trente ans, mais il en conservait assez pour tenir tête à ce bonhomme pendant plus d'une minute au moins. Il n’empêche qu’il dut se résoudre à avouer sa défaite et céder sa place à Yuichi qui fut le meilleur d’entre nous, de loin…Il lutta durement pendant de longs instants puis à la grande stupéfaction générale, il réussit à dominer l’insolent forain. Ce dernier, abasourdi n’en perdit pas sa mauvaise foi.
-Faut dire qu’après trois adversaires, on ne peut qu’être fatigué !
Et il se résigna à lui donner son prix. Ce pourquoi nous avions failli perdre le bras n’était autre qu’un petit ticket jaune. Je sentais l’arnaque…
-Rendez-vous au stand 421. Présentez ce bon au vendeur et vous pourrez emporter ce qui vous plaira de sa boutique.
Je m’imaginais arriver devant un étalage de jouets ringards, comme je m’étais trompé ! Une devanture riche en objets de collections, katanas*, kimonos de qualité et autres accessoires…Il y avait également des bijoux de valeurs, différents types de soie, de vêtement, ainsi que quelques alcools.
-Waaah ça alors ! s’est exclamé papa. Vous avez vu les bouteilles ?! Hors de prix ces boissons là en magasin! En effet, ça en valait la peine ! Bravo Yuichi ! Il n’y a que l’embarras du choix. Que vas-tu prendre ?
-Hmm…Il y a beaucoup de belles choses, mais peu m’intéressent vraiment. Quoique le sabre là me plait assez.
Le sabre en question était une arme ancienne, la traditionnelle lame avec laquelle se battaient les samouraï au 19ème siècle. La précieuse épée avait du vécu en plus d’être en excellent état de conservation. Elle avait servi mais gardait un aspect général plus que satisfaisant. Le fourreau était en laque brun, incrusté d’os et l’on pouvait voir quelques traces de rouilles sur l’extrémité du manche. Une belle pièce de collection.
Yuichi l’observa longtemps sans prendre de véritable décision. Puis il remarqua ma sœur qui semblait admirer la beauté d’une bague dorée sur laquelle une jolie pierre brillait de mille feux. Pour sûr, elle ne ressemblait en rien à ces daubes en toque que l’on vendait sur les marchés. Séduite par l’objet, elle appela Miyuki-chan pour le contempler avec elle. Celle-ci dut admettre qu’il s’agissait d’une très belle bague.
-Elle te plait ? lui demanda Yuichi en s’approchant. Miyuki acquiesça vigoureusement tout en enfilant le bijou à son doigt.
-Oui très ! répondit-elle. Je n’en ai jamais beaucoup porté mais j’aime les bijoux.
-Je vois.
Quelques minutes plus tard, Yuichi donnait son ticket jaune au vendeur tout en lui indiquant le bel objet. Il venait de renoncer à son sabre. Il n’est pas allé se vanter auprès de Miyuki mais à simplement dit :
-On y va ?
Et c’est lorsqu’elle s’est exclamé qu’il n’avait pas encore choisi son prix qu’il lui a répondu :
-Si. Miyuki, tu sais qu’elle te va très bien ?
Peu de temps après, nous nous sommes regroupés avec les autres pour apprécier les feux d’artifices. Une ambiance plus calme régnait désormais ; moins d’agitation et plus de passion pour ces explosions de lumière qui duraient mais dont on ne se lassait jamais. Mon père faisait son radoteur en racontant qu’il ne comptait plus le nombre de fois où il avait contemplé ce spectacle d’été. Anna s’exclama d’admiration dans sa langue natale à la vue de toutes ces étincelles. Miyuki-chan me prit la main. Je me sentais serein et léger. Le genre de scène de vie dont tout jeune japonais doit rêver.
Lorsque ma tête redescendit de ce magnifique ciel étoilé, je me suis aperçus que ma sœur et mon meilleur ami manquaient à l’appel. Lorsque je les retrouvai plus loin, près de quelques cerisiers et à l’abri des lanternes aveuglantes, ils étaient dans les bras l’un de l’autre et s’embrassaient longuement.
Il ne m’est même pas venu à l’esprit de les interrompre. Que pouvais-je dire contre ? Que pouvais-je faire sinon feindre celui qui n’a rien vu et retourner auprès de Miyuki-chan et de mon père ?
L’une des paroles que m’avait adressé Yuichi résonnait alors dans ma tête : « je suis désolé, je crois que jamais je n’arriverai à faire comme toi »
Alors, elle t’a dit oui ? C’est bien, c’est comme ça que ça doit être…
Kingyo Sukui* Stand de jeu pour enfant où ces derniers doivent attraper de petits poissons rouges à l’aide d’un filet.
Katana : Sabre japonais utilisé par les samouraïs.