Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 22 : Elle ne sait rien

2604 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/06/2017 23:32

 

Il faisait toujours aussi chaud le lendemain…De même pour les après midis suivants. Mais j’en avais plus qu’assez de siester à l’intérieur et j’ai donc décidé de faire une promenade près du parc. A dire vrai, je comptais rôder autour du stade Kasai dans l’espoir d’y rencontrer Yuichi en plein entraînement.

 

Dehors, il y avait quand même un grand nombre de gens qui bravaient la chaleur. Le goudron fondait par endroit sur la route tellement celle-ci était intense et les bar-cafés grouillaient de personnes assoiffées prêtes à mettre n’importe quel prix dans une glace et l’ombre d’un parasol.

 

Parmi tout ce monde, il y en avait de bien plus courageux…ou plus fous selon la préférence de chacun : Les amoureux du sport sur le stade Kasai. Les acteurs et les spectateurs réunis.

 

Ce terrain immense pouvait regrouper plusieurs équipes avec suffisamment d’espace pour que chacune puisse exercer sa spécialité. Le gazon frais si patiemment entretenu demeurait protégé par d’énormes palissades qui servaient souvent de sièges aux petits curieux se regroupant lorsque s’organisaient des matchs. Sur l’un des côtés de ce vaste rectangle d’herbe, des tribunes avaient récemment été construites, bien plus commodes pour assister aux entraînements. Je passais tout près à ce moment là.

 

J’ai vite remarqué deux équipes de baseball qui s’entraînaient chacune de leur côté. Quelques filles jouaient au tennis un peu plus loin dans un coin séparé du terrain par un portillon vert, là où quatre filets étaient placés. Puis enfin, je vis le groupe qui m’intéressait le plus. Heureux de constater que mon intuition ne m’avait pas trompé, je me suis avancé sans aucune retenue vers les footballeurs. Ils semblaient écouter avec attention ce que leur disait leur capitaine, Yuichi, toujours si sérieux lorsqu’il s’agit de football. J’étais venu jusqu’ici dans l’intention de lui parler mais en aucun cas je ne voulais l’interrompre pendant son discours. Il expliquait à ses camarades une nouvelle stratégie pour atteindre la cage de l’adversaire tout en contournant l’ennemi de manière à ce qu’ils ne puissent arrêter leurs dribles. Je n’aime plus autant le foot que dans mon enfance, mais je l’écoutais avec la même oreille attentive que ses coéquipiers. Tout devient intéressant lorsqu’on le dit avec passion.

Yuichi m’a aperçu parmi ses camarades et m’a souri, ce à quoi j’ai répondu par un amical signe de la main. En l’observant je me disais qu’il n’avait pas été élu capitaine pour rien. De tous ceux qui étaient présents dans l’équipe, ce devait être le seul à avoir exercé en tant que professionnel dans l’équipe officielle du Japon, à y conserver une place de choix et par ce privilège, à avoir pu passer à la télévision. Il s’en fichait très certainement, son seul plaisir étant de faire ce qu’il lui plaît.

 

« Tu es venu jusqu’ici pour me voir ? » m’a-t-il demandé après avoir lancé ses compagnons à l’entraînement.

 

 

-Oui, comme à chaque fois que j’ai du temps libre. Je me disais bien que tu affronterais ce cagnard pour pouvoir taper dans un ballon. Il faut bien que tu sois passionné pour faire ça, n’ai-je pas pu m’empêcher de faire remarquer en tentant de m’éventer avec le col de ma chemise.

 

Yuichi ne s’en vexa pas pour autant. Il prit un air amusé, ravi de me souligner que malgré le « cagnard » en question, j’étais moi-même là en face de lui juste dans le but de taper la conversation. Il marquait un point. Peu après, nous nous sommes mis à part du groupe près des palissades.

 

-Tu te sens finalement à l’aise dans ton appartement ?

 

Je voulais vraiment le savoir.

 

-Ça va, ça va. Je me fais encore supplier par ma mère qui préfèrerait me voir abandonner ce studio pour retourner vivre avec elle. Mais je lui ai fait comprendre que je n’en avais aucune envie. A mon âge, vivre avec ses parents ne le fait pas du tout et j’ai besoin d’air. Ma vie d’indépendant me convient tout à fait.

 

-Tu…Tu crois qu’on peut vivre avec ses parents jusqu’à quel âge toi exactement ?

 

-A ton âge c’est encore acceptable, m’a-t-il affirmé en riant, comprenant que je me sentais concerné.

 

J’ai souri tout en regardant au loin sur le stade. Le paysage semblait danser sous l’effet écrasant du soleil. Sortir à cette heure sans casquette relevait de la bêtise la plus totale. Pour ma part, j’ai du échapper à l’insolation uniquement grâce à mes cheveux épais et foncés. Ça ne décourageait pourtant pas tous ces joueurs qui s’élançaient, maillot au corps et goutte au front, à la poursuite du ballon. Je les regardais et je leur enviais cet amour qu’ils portaient à leur passion, en songeant par ma propre expérience que la vie est triste si on la passe à ne rien faire, à ne s’éprendre de rien ni de personne.

 

- Tu as du cran Yuichi, lui ai-je murmuré. Tu aimes ce que tu vis, tu vis ce que tu aimes. Ton obsession pour le sport est ton but dans la vie. Tu as la chance de faire ce qui te plaît et je donnerais cher pour aimer quelque chose avec autant d’ardeur que toi.

 

-Mais tu as une passion Masato ! Une passion que tu partages avec quelqu’un et qui est la plus belle de toutes. Toi et Miyuki Kashima, vous vivez quelque chose que beaucoup d’autres peuvent vous envier, je peux te l’assurer.

 

-C’est vrai qu’avec du recul, je ne t’ai jamais vu avec une fille. Mais je pense que ça t’handicaperait vachement dans tes projets d’avoir une relation amoureuse.

 

-Je reconnais que jusqu’à présent, je ne me suis consacré à rien d’autres que les études et le sport. Le foot a toujours été toute ma vie et bien qu’il m’ait arrivé de regarder certaines de mes amies, les choses n’ont jamais pris une tournure sérieuse. Mais tu sais…Plus le temps passe, plus je me dis que si je trouvais la bonne personne, je serais peut-être prêt à faire des efforts et consacrer une partie de ma vie à fonder une famille comme les autres. Renoncer au foot jamais, mais à une carrière de professionnel célèbre. La célébrité m’est parfaitement égale.

 

-Je le savais! Mais alors c’est bien ce que je pensais, tu n’as jamais vraiment été amoureux ?

 

Il s’est tut quelques instants comme pour réfléchir. Je pensais qu’il ne me répondrait pas, que je l’avais mis mal à l’aise. Il avait vraiment l’air embarrassé. Aussi je m’apprêtai à changer de sujet mais je fus coupé net par sa réponse.

 

-Je crois que je commence à l’être.

 

La chose une fois dite pouvait me la couper… Je me sentais à la fois excité et mal à l’aise face à cet aveu soudain. Comme il l’avait fait pour moi bien auparavant, je l’écoutais me confier ses sentiments et m’avouer que depuis peu, il avait rencontré quelqu’un qui serait peut-être à ses yeux la personne idéale. J’ai eu une exclamation de joie et en véritable frère, je lui ai donné une tape affectueuse sur l’épaule.

 

-Une heureuse élue ? C’est formidable ! Mais elle sait au moins la chance qu’elle a ?

 

-Non, elle ne sait rien.

 

-Tu ne lui a rien dit ?

 

-Non. J’en ai bien l’intention, mais seulement si tu me le permets.

 

-Comment ça, si je te le permets ? En quoi tu as besoin de mon autorisation pour…

 

C’est là que j’ai fini par comprendre. Je n’ai pas achevé ma phrase.

 

-J’aime Miyuki, ta sœur…m’avoua t-il avec gravité.

 

Alors papa avait raison.

Enfin je comprenais à quel point j’avais été aveugle et stupide de ne m’être rendu compte de rien, d’avoir du l’entendre pour y croire et m’en apercevoir. Je retrouvais sur le visage de Yuichi cette fameuse expression ; celle avec laquelle il m’avait exprimé qu’il voulait habiter un appartement. Je voyais aussi plus clair dans ses motivations pour quitter la maison. Il aimait Miyuki et souhaitait s’en éloigner. Mais pourquoi ?

Moi qui suspectais tous les garçons de son entourage d’être des obsédés et des intéressés, je n’ai même pas réussi à deviner les sentiments que nourrissait mon meilleur ami pour elle sous mon propre toit.

 

Il ne s’arrêta pas à ses aveux. Il s’en justifia avec une voix pleine de remords et de culpabilité.

 

-Je crois que dès le premier jour où je suis revenu chez vous, je suis tombé amoureux d’elle. Je ne m’y attendais pas, je ne voulais pas. Mais lorsque je l’ai revu, je l’ai trouvé tellement changée que j’en suis resté choqué. Je ne t’ai jamais rien dit car…Tu sais, c’est délicat. Tu es mon ami le plus cher et je ne voulais pas que notre amitié en pâtisse. Je ne savais pas comment tu allais réagir…Vous êtes très proches tous les deux et à aucun prix je n’aurais voulu te perdre, comme elle d’ailleurs. Plus les jours passaient, plus je me sentais incapable de me taire plus longtemps. Plusieurs fois j’ai failli me trahir et j’ai senti que le mieux à faire, c’était de partir vivre ailleurs, pour oublier tout en gardant un bon contact.

 

 

Yuichi, tu m’en dis beaucoup trop…

 

 

-Seulement voilà reprit-il, tous mes efforts pour m’éloigner n’ont fait que renforcer mon attachement pour elle. J’ai toujours cru que je voyais Miyuki comme une sœur, une petite sœur qu’il me plaisait de chérir et de protéger. Mais je suis désolé…Je crois que je ne pourrai jamais faire comme toi.

 

Au fond de mon cœur, je reçus ces dernières paroles comme un coup de marteau. Yuichi n’imaginait certainement pas que par moment, il m'arrivait de faire les mêmes efforts que lui, à la différence que moi, je luttais depuis des années. J'ai toujours tenté de me raisonner, de me convaincre, en la voyant tous les jours…Bien des fois je me suis posé cette question, de savoir si oui ou non mes sentiments romantiques pour Miyuki avaient évolué, si cet amour était devenu fraternel. Souvent je me suis répondu par l’affirmative sans chercher à évoquer une seule fois le contraire. Mais la déclaration de mon ami d’enfance sema une nouvelle fois le doute dans ma tête.

 

Ces débuts difficiles où après avoir sympathisé sur la plage nous avons appris notre lien de parenté, où j’ai du renoncer à mon malheureux coup de foudre.

 

Si tu savais mon ami, comme c’était fatiguant !

 

 

-Tu ne dis rien, Masato ?

 

 

     Yuichi s’inquiétait de mon silence Visiblement, il appréhendait beaucoup ma réaction. Lui qui d’habitude ne redoutait rien, je le voyais attacher une grande importance à mon opinion, presque comme s’il avait réellement besoin de mon accord pour laisser libre cours à son amour. Un bref instant, je fus touché par ce respect. Il ajouta en me regardant droit dans les yeux :

 

-Tu penses que je suis quelqu’un d’assez bien pour ta sœur ?

 

 

-Euh…ai-je balbutié sous le coup de l'émotion, et bien oui, oui ! Bien sûr que oui ! Tu es un type remarquable Yuichi, mon meilleur ami, mon grand frère, tu es un garçon serviable, sérieux, irréprochable, gentil…

 

Je m’essoufflais dans l’enchaînement de tous ces compliments qui me donnaient le sentiment de diminuer en taille face à lui. A côté, je me suis toujours senti inférieur, mais c’était bien la première fois où ça m’était désagréable.

 

-talentueux, sincère…Tu es bien le seul garçon contre lequel je n’émettrais aucune objection d’être avec elle, et…

 

Il n’avait pas l’air flatté, il ne souriait pas. Il m’écoutait. Il buvait mes paroles avec une attention d’élève vis-à-vis de son professeur et sans m’interrompre ni exprimer aucun sentiment, il me laissa lui confier tout ce que je pensais de lui.

 

-Tu es l’homme que j’ai toujours voulu être, Yuichi. Si Miyuki répond à tes sentiments, je ne vois aucune raison pour m’interposer et je sais que tu la rendrais heureuse. Alors si tu as l’intention de te déclarer, je suis avec toi et je te souhaite bonne chance.

 

Ce ne fut que lorsque je mis mon point final que Yuichi laissa exprimer sa gratitude et son soulagement.

 

-Me voilà rassuré, me dit-il avec un sourire, je voulais vraiment que tu sois d’accord. Je suis soulagé de savoir que dorénavant, je peux compter sur ton soutien.

 

Il se leva et me serra chaleureusement la main.

 

 

-Dans ce cas, je me déclarerai, a-t-il ajouté avec une voix désormais pleine d’assurance.

 

-Quand ?

 

-Je ne sais pas encore. C’est le genre de chose qui ne se planifie pas. Je le ferai quand je sentirai que c’est le moment.

 

Il épousseta son short plein de poussière.

 

 

-Merci de me donner ton appui, petit frère. Maintenant je dois m’en retourner à l’entraînement, c’est à mon tour de jouer et mes camarades s’impatientent déjà !

 

Il me montra du doigt les quelques types qui geignaient de voir leur capitaine perdre son temps avec un gars désintéressé par le sport. Il haussa les épaules d’un air résigné.

 

-Je les ai déjà laissé s’entraîner trop longtemps sans moi. Ah au fait, tu diras à ton père que je viendrai au festival d’été et que je vous y tiendrai compagnie avec plaisir. Allez, salut !

 

Dans un élan de joie, il s'éloigna et alla rejoindre ses coéquipiers. Moi je suis allé plus loin, cherchant l’ombre des arbres, la tête lourde de pensées et le cœur rempli d’incertitude. Le festival d’été serait célébré en ville d’ici deux jours. C’est en y songeant que je me décidai à trouver une cabine téléphonique dans l’intention d’inviter Miyuki Kashima.

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