Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 16 : Ce qui aurait pu être un joli tableau de famille

2301 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/02/2015 18:33

Et le jour où devait être célébré le mariage de Yuko arriva. Anna avait soigneusement repassé mes habits mais elle avait aussi ciré mes chaussures d’une façon tellement minutieuse que l’on pouvait difficilement croire que la paire datait de plus de six ans. J’étais nerveux, transpirant et stressé. Et comme par hasard, le bébé se trouvait également là ce jour précis…

 

Nous étions dans le salon ; Miyuki m’aidait à nouer correctement ma cravate.

 

-Oh, reprends-toi un peu ! On dirait que c’est toi qui va te marier dans l’heure qui vient.

 

-Mais j’y peux rien, me suis-je excusé. C’est la première fois que je vais assister consciencieusement à un mariage ! Je voudrais t’y voir.

 

-Le mariage est quelque chose de fabuleux ! Tu verras Yuko-chan dans sa robe blanche et tu en oublieras tes soucis !

 

-Je ne vois pas pourquoi çà me procurerait quelque chose…

 

-Tout simplement parce que n’importe quelle femme est belle dans une robe de mariée.

 

En prononçant ces mots, elle avait un peu trop serré le nœud de ma cravate. Elle vit que mon teint devenait bleuâtre et tout en s’excusant, elle a recommencé l’opération en faisant mine de ne pas entendre les accusations que je portais sur elle d’avoir voulu m’étrangler.

 

«  Vous êtes très bien Monsieur ! » s’est exclamée Anna en tenant dans ses bras le petit Junichi qui tapait joyeusement dans ses mains.

 

-Oui, je dois dire que tu portes assez bien mon costume, a ajouté notre père.

 

-  Il ne te manque plus que la rose à épingler, s’est gentiment moqué Yuichi qui assistait lui aussi aux préparatifs. Mon père qui le croyait sérieux, s’est empressé de le corriger.

 

-Ah non, çà ce sera pour la fois où lui-même se mariera. Bien, je crois que çà vient de sonner. Va ouvrir Anna, ce doit être ma future belle fille !

 

C’était Miyuki Kashima, toujours aussi gracieuse et élégante. Plus je la regardais, plus je me disais que je ne la méritais pas.

 

 

 

 

     Miyuki-chan et moi nous sommes rendus à l’église bras dessus bras dessous, impeccablement mis et solennels dans nos vêtements de cérémonie. Il y avait déjà foule devant l’édifice et parmi le gigantesque attroupement formé, je reconnus Muraki qui s’était également mis sur son 31. Ses cheveux habituellement en bataille étaient laqués et lui donnait un air de premier de la classe qui eut pour effet de me faire rire au premier instant. Sa petite sœur l’accompagnait avec une autre fille. J’ai proposé à Miyuki-chan de venir à leur rencontre.

Nous avons parlé un bon moment en attendant l’ouverture des portes. Muraki me parlait d’un projet de collocation qu’il avait avec un ami qu’il s’était fait dans son université. Il nous a également présenté Himari, une fille énergique et un peu fofolle, une camarade de classe de sa sœur qu’il semblait beaucoup apprécier. J’avais vu juste car lorsqu’enfin nous pûmes rentrer dans l’église, il m’a pris à part pour me chuchoter discrètement à l’oreille : « J’ai l’intention de lui demander de sortir avec moi, garde çà pour toi mon pote hein ? »

 

Je te souhaite bonne chance mon vieux, vraiment.

 

Tous les bancs étaient occupés à l’intérieur. Le gars qui jouait à l’orgue se débrouillait vraiment bien. Au moment où le prêtre nous a dit de nous assoir, j’ai su que cela allait durer plusieurs heures. Nous entamions le moment que je supportais le moins dans les évènements officiels. Mais lorsque nous avons vu Yuko traverser la salle au bras de son père, elle était d’une beauté rayonnante, d’une grâce jusque là bien caché et toute vêtue de blanc, elle nous a littéralement coupé le souffle. Chaque parcelle de tissu de sa robe miroitant la lumière des vitraux en cristal attirait sur elle tous les regards tandis que deux jeunes enfants à l’apparence d’ange soutenaient sa longue traîne le long du chemin qui la menait jusqu’à son futur époux. Une intense émotion qui en valait la chandelle. Sous le voile scintillant, elle avait ce sourire serein qu’elle ne semblait adresser qu’à cet homme qui l’attendait patiemment, comblé et plus amoureux que jamais. Lorsqu’elle l’eut rejoint aux côtés du prêtre, ce dernier put procéder au rituel et nous avons écouté attentivement, tandis que je pouvais entendre renifler les parents de notre amie, assis aux premiers rangs, le regard luisant de larmes mais plein de félicité. Ce jour, ils l’attendaient et on pouvait lire même à cette distance, la fierté au fond de leurs yeux.

 

 

Ils se sont dit oui, ils se sont embrassés ; leur premier baiser en tant que mari et femme.

Yuko, pensais-je à ce moment là, tu étais notre amie, tu es désormais une épouse. En tant que tel, tu portes en toi de nouvelles responsabilités qui font que très certainement, tu n’auras plus le même temps à nous consacrer. Ta meilleure amie est heureuse pour toi. En ce moment même elle pleure de joie à côté de moi. Mais tu ne pourras m’empêcher de penser que derrière cette éclatante gaieté se cache quelque amertume, une inquiétude et une certaine mélancolie à l’idée que tu ne puisses plus revenir en arrière. J’imagine que c’est çà que ressentent les parents quand leurs enfants grandissent…

 

 

Tel qu’il était dit, une longue fête commença par la suite dans une grande salle où les mariés furent félicités et acclamés sous un tonnerre d’applaudissements. Un majestueux buffet occupait tout l’espace de la grande table, tout un banquet qui devait représenter une dépense énorme. Des moyens faramineux étaient derrière un tel festin, pour sûr. Une réussite dont la famille pouvait être fière. Nous étions témoins du commencement d’une vie nouvelle, d’un couple comme celui que nous avions accueillis avec leur enfant tantôt. Plusieurs fois je regardais Miyuki-chan. Elle serrait Yuko dans ses bras avec une tendresse qui ferait fondre le plus dur d’entre nous. Ah, ces deux filles…Une véritable amitié les unissait.

Vers 23 heures du soir, au moment où les invités décidèrent de danser pour digérer leur copieux repas, je sentis inévitablement venir la fatigue s’emparer de moi et de mes pauvres yeux qui se fermaient tout seul lorsque je fus assis, bien trop peureux pour inviter Miyuki-chan à danser… Celle-ci s’en est aperçue et s’est avancée vers moi.

 

«  Tu m’as l’air complètement usé, tu devrais rentrer chez toi plus tôt pour te reposer. »

 

-Mais non ne t’en fais pas. J’ai juste la digestion un peu difficile mais je suis capable de tenir toute la soirée.

 

Elle m’a regardé fixement, d’un air nullement convaincu.

 

-Je ne crois pas non…

 

Elle me tendit une main que je mis du temps à saisir, ne sachant quelle idée elle avait derrière la tête. J’ai pensé qu’elle voulait m’entraîner sur la piste mais elle reprit d’un air sérieux qui me faisait plus penser à celui d’une mère que d’une copine :

 

-Tu vois bien que tu somnoles depuis tout à l’heure, tu ne tiendras pas. Rentre te coucher. Je dirai à Yuko que tu dois rattraper le temps de sommeil que t’on prises les études.

 

-Je suis désolé. J’aurais voulu rester toute la nuit au moins pour te faire plaisir…

 

-Ne t’en fais pas, ce n’est pas de ta faute si tu es épuisé.

 

-Merci.

 

Je l’ais embrassé sur la joue avant de me retirer à pas de mort-vivant, loin de ce tapage, de cette ambiance festive peut-être trop intense pour moi.

Sur le chemin désert du retour, à la simple lumière des lampadaires et en route pour le dernier arrêt de tram, j’entendais aboyer les chiens des rues et les hurlements stridents de quelques pauvres ivrognes qui erraient sans but dans les quartiers sombres de la ville. Une atmosphère glauque qui contrastait tellement avec celle que je venais de quitter que j’en regrettais presque ma décision. Mais je dis presque ; je n’avais pas envie de revenir. Quelque chose me gênait.

 

Le compartiment où je me trouvais était vide. Je regardais d’un air songeur la pleine lune, le visage collé contre la vitre. Je me visionnais à nouveau la scène du mariage, du repas, de la fête. La musique de l’orchestre résonnait encore à mes oreilles. Tout était si calme après. Un monde silencieux, noir et triste. Sans doute le monde qui me correspondait le mieux. Je ne saurais expliquer pourquoi à cet instant, je me sentais malheureux.

 

 

Bien évidemment lorsque je suis rentré à la maison, tous les volets étaient fermés et tout paraissait endormi. Après avoir tourné la clef, je me suis engouffré à l’intérieur. Croyant me heurter à l’obscurité totale, je fus surpris de voir la lumière du salon éclairer une partie du corridor. Pas un son pourtant ne se faisait entendre, pas un bruit.

Sans doute ont-ils oubliés d’éteindre, ais-je d’abord pensé.

J’ai laissé dépasser ma tête du mur, ce qui m’a permis d’assister à une scène émouvante. Miyuki était assise dans la chaise à bascule de papa, profondément endormie. Elle tenait le petit Junichi dans ses bras et lui non plus n’avait pas résisté au sommeil. Il était dans la position du fœtus, recroquevillé sur lui-même, la tête contre sa poitrine avec le pouce dans la bouche. Sa tête touchait celle légèrement tombante de ma sœur. Je croyais voir l’enfant et sa mère. Une mère bien jeune. Quelque chose à ce moment là s’est mit à étreindre mon cœur. Tout ce dont j’avais conscience, c’est que je ne pouvais pas contempler ces deux visages apaisés sans éprouver une certaine émotion. Il était impensable de rester froid face à ce qui aurait pu être, si les circonstances l’avaient voulu, un émouvant tableau de famille.

 

Je me suis avancé dans le plus grand silence, je pouvais entendre leur respiration. J’ai souri d’un air attendri. Puis en essayant d’être le plus silencieux possible, j’ai sorti une épaisse couverture de laine en haut du placard de l’entrée pour l’étaler sur elle et le bébé. Je les ais contemplé une dernière fois puis sans un bruit, je suis monté dans mes appartements…

Laisser un commentaire ?