Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)
Chapitre 15 : Quand on dit le mot Mariage
4010 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 10/11/2016 07:33
Quelques jours passèrent après l’arrivée de Yuichi chez nous et sa présence chaleureuse apportait la bonne humeur générale. Presque une ambiance de fête que nous les Wakamatsu avions souvent connu par le passé mais perdu trop tôt à cause des tristes évènements que vous connaissez. Je m’étais finalement débarrassé de cette maudite grippe et je pouvais enfin profiter pleinement du retour de mon meilleur ami tout en reprenant avec lui toutes les activités qu’on avait l’habitude de faire ensemble. A la grande surprise de tout le monde, j’étais le premier à proposer des sorties en ville, à la campagne ; j’avais envie de m’évader de notre toit et de retourner pêcher à la rivière, de faire des promenades en forêt, bref, tuer le train-train routinier qui constituait plus d’un tiers de ma vie. Je voyais ces désirs comme une simple lubie tandis que mon entourage considérait çà comme un vrai miracle qui d’ailleurs arrachait toujours à mon père la même phrase lorsque j’en parlais: « Et bien ! Lui qui n’a jamais rien demandé d’autre que sa chambre, son café et son canapé ! »
Un matin des plus frais, un dimanche aux alentours de onze heures, je devais me joindre à Miyuki-chan pour le déjeuner chez elle. J’étais comme à chaque visite chez les Kashima, nerveux et assez coincé. Mais malgré ces défauts, je m’efforçais de paraître agréable et de préserver une bonne image vis-à-vis de son père qui bien que toujours sérieusement atteint par son lolita complex tenait sincèrement à sa fille et attendait de son petit ami qu’il soit irréprochable et digne d’elle. Chaque fois que je me trouvais à leur table, que ce soit pour un thé où pour le dîner, il guettait le moindre de mes faits et gestes en trifouillant ses lunettes rondes comme si je pouvais être le suspect numéro un de l’une de ses enquêtes en cours. Son épouse n’avait pas la même attitude à mon égard. Elle ne cachait pas sa curiosité pour autant il faut l’admettre, mais elle savait rester douce et aimable. Elle m’inspirait beaucoup de sympathie en dépit des questions parfois indiscrètes qu’elle pouvait poser. Certaines étaient du genre : « Qu’est ce que tu trouves d’intéressant chez ma fille ? » où « Tu as l’intention de l’épouser ? »
Mais à quelle genre de réponse s’attendent t-ils lorsqu’ils nous demandent ce genre de choses ?!
Et ce jour là, autour d’un délicieux assortiment de sushis/sashimis et de quelques brochettes de poulet panés, j’eus droit pour le dessert au même interrogatoire…
-Dis moi Wakamatsu, est ce que ma fille et toi avez commencé à parler mariage ?
-Papa !! s’écria sa fille dans un effort incommensurable pour ne pas recracher l’eau de son verre.
-Mais quoi ? Ou est le mal puisque vous vous aimez ?
- Mais monsieur, nous ne sommes même pas encore fiancés ! me suis-je exclamé dans un embarras impossible.
Son regard s’est assombri et il a commencé à réfléchir. Soudain il m’a semblé vraiment contrarié. Il a regardé sa femme quelques instants puis pris d’une stupeur qui me fichait quelque peu les jetons, il s’est emballé :
-Comment ?? Mais vous vous rendez compte que çà fait quatre ans que vous êtes un couple et vous n’avez même pas songé à passer aux fiançailles ?! Qu’est ce qui ne va pas chez vous ?
-Hein ?? avons-nous crié en chœur.
-C’est incroyable ! Je n’avais encore jamais vu çà ! Y avez-vous pensé au moins ?
Je m’apprêtais à répondre quand Miyuki-chan s’est interposé.
-Nous nous fiancerons quand nous l’aurons décidé ! Nous sommes encore jeunes et nous avons encore tout le temps devant nous…Pour le moment les études nous empêchent de faire quoi que ce soit. Nous penserons à ce genre de choses lorsque nous aurons notre diplôme ! …N’est-ce pas Masato-kun ?
Ces derniers mots qu’elle m’adressait étaient empreints d’une certaine hésitation. Il ne fallait pas, je pensais pareil.
-Euuh… ouais bien sûr !
-Aaaah, se résigna son père en touillant tristement son café du bout de la cuillère. Je ne comprends pas. On n’arrête pas de me dire que de nos jours les jeunes sont trop pressés, j’ai plutôt l’impression que c’est le contraire…
-Chéri tu t’emportes un peu trop je crois, tenta de le raisonner sa femme. Notre fille a raison après tout, ils sont jeunes et c’est sûrement plus réfléchi de prendre une décision tardivement pourvu qu’ils soient convaincus de ce qu’ils veulent.
J’ai hoché stupidement la tête pour appuyer sa réponse. Je voulais vraiment que la conversation parte sur un autre sujet. C’était horriblement gênant et je ne savais pas pourquoi, mais discuter mariage provoquait en moi une véritable angoisse. Le mot me faisait autant peur que la chose elle-même. Yasujiro Kashima semblait ne pas vouloir lâcher l’affaire tandis que le téléphone s’est mis à sonner. Miyuki-chan et moi regardions notre unique soutien quitter le salon pour décrocher d’un air dépité.
-D’attendre aussi longtemps comme çà n’est pas bon, çà pourrait même vous ôter toute motivation…
Qu’est ce qu’il veut dire exactement ?!
Pour ma petite amie, c’était la goutte d’eau. Elle se dressa contre son père.
-Cette fois çà suffit papa ! Ce ne sont pas tes affaires et notre relation ne regarde que nous !
A l’instant précis où son père s’était levé pour hausser le ton encore plus fort, Mme Kashima est revenu dans la pièce avec un sourire lumineux qui lui arrivait jusqu’aux oreilles. Elle semblait tout excitée.
-Miyuki ma chérie ! C’est pour toi, Yuko au téléphone.
- J’arrive.
Elle restait plutôt longtemps au bout du fil. Les cris de joie et de trépignassions qu’elle poussait perturbait mon attention et je n’étais qu’à demi concentré sur les questions que me posaient ses parents. Je languissais qu’elle raccroche, oh oui je languissais !
Un bon quart d’heure plus tard, Miyuki-chan est revenu avec quasiment la même expression que sa mère auparavant : un sourire radieux sur les lèvres et un teint légèrement plus rosé que d’habitude. Mais qu’avait-elle pu entendre de la bouche de Yuko pour avoir une mine aussi réjouie ? Je m’imaginais faire cette tête uniquement si je venais de gagner au loto où un voyage habituellement hors de prix.
Elle s’est avancé vers moi avec empressement et dans un élan d’excitation, elle m’a pris les mains.
-Tu ne devineras jamais ! Yuko m’a parlé à l’instant au téléphone et…Oh j’en suis encore toute émue !
Tu vas me faire crever de peur, là…
-Elle était toute énervée car elle m’a dit…elle m’a dit qu’on l’a demandé en mariage !
-Quoi ?
-Oui, oui !
Je n’avais pas le souvenir qu’un homme rôdait autour de Yuko à cette époque là. Même en cherchant, je n’arrivais pas à mettre un nom où un visage sur le prétendant en question.
-Mais….qui est le garçon ?
-Un certain Soichiro Ichihara. Elle me l’a présenté une fois lors d’une sortie et il m’a donné l’impression d’être un type bien. Elle m’a raconté qu’ils ont pratiquement eu le coup de foudre l’un pour l’autre.
-Ah ! Et il l’a demandé en mariage ? Pour de vrai ?
-Mais oui ! Et le mieux de tout c’est qu’elle a accepté et que la cérémonie se fera le mois prochain !
-EEEH !? Sérieux ???!
-Tu imagines ? dit Miyuki-chan en tournant sur elle-même, transportée de joie. Yuko, mon amie d’enfance, une épouse ! Je n’arrive pas à le croire !
Moi non plus. Moi non plus je ne parvenais pas à m’imaginer que la Yuko que nous avons toujours connu, la jolie lycéenne au tempérament fort et un peu rebelle que nous avons côtoyé pendant toute notre scolarité au lycée allait se marier sous peu et revêtir la robe blanche de l’union, délaissant derrière elle toutes les simplicités de l’adolescence pour rencontrer les soucis du ménage et tout ce qui constitue un mode de vie qui me fait peur, une vie à deux, une vie d’adulte.
Un instant, j’ai eu le bref sentiment qu’elle nous abandonnait, qu’elle quittait le groupe d’amis que nous avons formé en quelque sorte. Mais très vite je pris part à l’enthousiasme de Miyuki-chan et je me suis levé sans contenir l’allégresse qui à mon tour illuminait mon visage.
-Nous sommes invités à assister au mariage, toi et moi ! Après il y aura une grande fête qui durera jusqu’au matin, ce n’est pas formidable !
Nous étions si absorbés par la nouvelle, si occupés à nous serrer dans les bras l'un de l'autre que l’on en avait oublié Mr et Mme Kashima qui nous regardaient silencieusement, l’une avec contentement, l’autre avec perplexité.
Yasujiro s’est raclé la gorge pour nous ramener à la réalité. Nous l’avons fixé en clignant des yeux comme si l’on venait de se réveiller d’un rêve qui durait.
-C’est une grande nouvelle. Que çà vous donne des idées, vous deux.
Puis il s’est retiré sans rien ajouter, sans nous adresser un seul regard. Sa remarque eut pour effet de nous gêner une énième fois. Brusquement, Miyuki-chan se libéra de mon étreinte et détourna le regard. Une fois encore, elle rougissait.
Miyuki-chan me raccompagna ensuite devant son portillon. Nous n’étions plus aussi enjoués et bavards que tout à l’heure. Pendant un temps, je ne trouvais rien à dire. Elle aussi semblait être à court de mots. Nous sommes restés silencieux ; c’était comme si l’on s’était tout dit, le vent et le calme de l’hiver n’arrangeant rien à la situation. L’annonce de ce mariage avait d’abord été une fête, puis étrangement, elle eut –pour moi en tout cas- le même effet qu’une douche froide. Comme si notre conscience cherchait à nous souffler : vous voyez les jeunes ? Maintenant il est temps de penser à autre chose que de sortir ensemble comme de simples lycéens et de passer à la phase deux ! Le mariage…Serais-je capable de me marier un jour ? Je me voyais tellement mal dans le costume blanc traditionnel dire oui devant un prêtre, devant toute une assemblée ! J’attribuais systématiquement ce genre de scène aux mauvaises séries sentimentales du samedi et l’idée qu’elle se produise dans la réalité me faisait rire. Je n’arrivais pas à me voir sérieusement dans ce type d’ambiance.
Mais quoique l’on décide, quoique l’on fasse, la réalité nous rattrape toujours. Le temps nous confronte à des moments décisifs dans notre vie comme la mort d’un proche où un passage d’examen. Le mariage est un évènement par lequel il fallait passer pour officialiser l’amour d’une femme et d’un homme aux yeux de la famille et de la société. Au japon, on ne rigole pas avec les mœurs ; les traditions occupent une place importante au sein de la communauté japonaise et leur respect est une priorité chez nous. C’est tout bonnement une question de principe.
J’ai dit à Miyuki-chan alors que je m’apprêtais à partir :
« Ton père a raison. Il faudra songer à se fiancer bientôt. »
Pour toute réponse, elle me donna un léger baiser sur la bouche puis nous nous sommes salués là-dessus, conscients que ce simple déjeuner avait eu sur nous plus d’impact que ce qui était prévu.
Quand je suis arrivé à la maison, j’ai poussé un cri de surprise lorsqu’en ouvrant la porte, je vis un bébé ramper à quatre pattes dans le hall en couinant. Ce dernier s’avançait maladroitement vers moi puis s’est mis à glousser tout en agrippant le bas de mon pantalon.
- Mais…Mais…Mais qu’est ce que c’est que çà ?!
-Ah ! Tu es là Junichi !
Miyuki apparut à son tour, sans doute attirée par mes cris et sans me saluer, elle attrapa l’enfant qui ria de plus belle.
-Tu es une vraie canaille, je te cherchais partout !
Elle l’amusait et l’embrassait, sans se préoccuper un seul instant de ma présence. On se sent à peine transparent dans ce genre de situation…
-Je suis rentré ! ais-je déclaré à haute voix, un peu vexé.
-Oh, bienvenue à la maison, m’a-t-elle répondu d’un ton surpris comme si elle venait de m’apercevoir.
-Qu’est ce qu’il fait là ce gamin ?
Je regardais fixement le nourrisson et le filet de bave qui coulait le long de son menton.
-Je te présente Junichi ! C’est le petit fils d’un ami de papa qui nous a demandé si on pouvait le garder jusqu’à demain après midi. Junichi, voici mon grand frère. C’est un râleur de première mais il n’est pas méchant.
Comme s’il avait compris ce qu’elle disait, le bébé s’est esclaffé de rire tout en essayant de saisir un pan de ma veste avec ses petites mains moites. Derrière nous, à la porte qui menait à la cuisine où je pouvais entendre mon père parler, Yuichi nous observait et dit avec un sourire à la fois amusé et résigné :
« Ta sœur est devenue raide dingue de ce petit, on n’y peut plus rien »
-L’instinct maternel sans doute, ais je répondu avec la même expression tout en me débarrassant de mon manteau puis de mes souliers.
-On ne peut pas rester insensible face à un être aussi mignon !
Et sur ses mots, elle s’est enfuit dans le salon avec le gamin dans les bras.
-çà s’est bien passé chez les Kashima ? m’a demandé Yuichi.
-Si l’on passe au dessus des questions comme « quand allez-vous vous épouser ? » oui on peut dire que çà allait. Il y a du monde dans la cuisine ?
-Ouaip, ton père est en train de parler avec les parents du petiot.
-Je vois. Bon, je vais aller les saluer.
A notre table, un jeune couple faisait face à mon père. De par l’amour qu’ils éprouvaient visiblement l’un pour l’autre, ils étaient beaux et semblaient heureux d’être ensemble. Je me suis poliment incliné tout en espérant que mon père allait pour une fois tenir sa langue et éviter de me descendre avec je ne sais quelle réflexion déplacée qu’il avait toujours l’habitude de dire au mauvais moment et dont lui seul détenait le secret.
-Ah ! Bon retour à la maison fiston ! Je te présente le fils d’un de mes collègues de travail, Shinji Kôtaro. Voici son épouse, Keiko.
Le jeune homme m’a serré chaleureusement la main tandis que sa femme qui devait être à peine plus âgée que moi remarqua :
-Tu as un petit air en commun avec ton père. Mais ta sœur c’est sa mère tout craché !
-Vois-tu mon fils, m’expliqua mon père, ces deux jeunes gens sont les parents du petit bonhomme que tu as peut-être vu en rentrant. Ils vont fêter leur anniversaire de mariage à partir de ce soir et bien entendu, j’ai dit à mon vieil ami que ce serait avec plaisir que je garderai son petit fils et ainsi rendre service à ses enfants !
Il est encore question de mariage…décidément.
-Je me suis même proposé pour le garder aussi souvent qu’il le faudra. Le petit Junichi séjournera quelques fois à la maison pour dépanner le jeune couple, lorsqu’ils auront besoin de se retrouver tout deux entre amoureux, oh oh !
Hmmm…
-Ils ont beau être les parents d’un petit bout d’un an, il n’en reste pas moins qu’ils sont encore jeunes et qu’ils doivent encore profiter de certaines choses.
C’est sûr que d’avoir un enfant à cet âge là…
-Yuichi m’a dit ais-je affirmé. Tous mes vœux pour votre anniversaire de mariage.
-Oh merci beaucoup ! me dit l’homme. Cela ajoute à notre bonheur de voir que tout le monde est heureux pour nous. D’autant plus que çà n’a pas toujours été très facile au départ.
-Ah bon ?
-Et oui reprit son épouse, vois-tu nous étions cousins à la base, mon mari et moi. Et bien que le mariage entre cousins soit légal au Japon, certains de nos proches étaient farouchement opposés à cet union.
Cousins, ils sont cousins…
-Je comprends, ais-je dit d’un ton conciliant. Mais qu’importe, vous êtes ensemble et le passé est derrière vous. Encore mes félicitations. Maintenant excusez-moi, je dois réviser mes cours pour demain.
Mon père applaudit ma décision d’une façon qui me força à le regarder de travers avant de me retirer.
-Tu es sérieux Masato, je suis fier de toi ! A çà il ne manquerait plus que tu épouses la jolie Kashima-san et je serais un papa comblé !
Vous commencer à tous me casser les b***** avec le mariage.
Je suis monté dans ma chambre sans plus attendre, là où Yuichi faisait quelques pompes. (il occupait ma chambre durant son séjour chez nous) Je me suis affalé sur mon lit en affichant un air grave mais au lieu de sortir un cahier de cours, j’ai sorti un manga de mon tiroir de table de nuit. La vérité, c’est que je n’avais aucun contrôle à préparer.