Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)
Lorsqu’arriva le mois de janvier 1985, je fus la proie d’une mauvaise fièvre qui me fit garder le lit pendant plusieurs jours. Je passais à l’oral pour réciter un texte philosophique en anglais quand je fus pris d’un malaise, un malaise que je sentais venir malgré la volonté qui m’animait d’être présent en cours. 39° de température, bouffées de chaleur, frissons et quintes de toux répétées…Bref, malade comme un chien. Je n’ais pas tenu la matinée et j’ai donc retrouvé ma chambre, fixant tristement mon plafond, nauséeux et patraque.
Seuls Anna et moi étions dans la maison, ma sœur étant en cours et mon père ayant décidé de rendre visite à de vieux amis à lui.
Je ne pouvais pas me plaindre, la gouvernante prenait soin de moi aussi bien que celle qui l’avait fait durant toute mon enfance. Elle faisait de gros efforts pour me soulager de l’ennui, allant jusqu’à m’emmener la télévision pour me distraire, sachant que pour çà elle devait monter les dix marches de l’escalier...Je commençais à réellement l’apprécier.
Le quatrième jour, ma fièvre avait baissé. Mais le temps a toujours été long pour se remettre d’une grippe et je me sentais encore aussi faible qu’un petit agneau. Malgré toutes les bonnes attentions d’Anna, les journées restaient longues et je languissais de me retrouver sur mes deux jambes. Cet après midi-là, je décidai d’abandonner le match de rugby pour une chose que je ne pensais pas regarder un jour : les infos. Etre coupé du monde extérieur donne envie de se renseigner sur l’actualité et tandis qu’ils venaient de terminer leur séquence sur la politique, ils allaient bientôt lancer celle sur le sport :
« Passons maintenant au sport, football plus précisément, une nouvelle qui fait fureur au Japon depuis samedi. L’un de ses champions en titre préférés, le jeune Yuichi Sawada rentre au pays après avoir donné trois fois la victoire au Japon face aux espagnols, aux allemands et aux italiens. Mais l’équipe n’ayant quand même pas triomphé contre les américains, le jeune sportif a déclaré souhaiter se retirer temporairement du football pour revoir sa mère et ses amis qui lui réserveront sans doute un accueil de héros. Nous espérons qu’il fera bon voyage. Quoiqu’il en soit ses fans les plus fidèles attendront son retour sur le stade avec impatience… »
Ces célébrités, ces athlètes, ces stars... Combien j’en ais entendu me dire qu’ils donneraient n’importe quoi pour se retrouver en face de leur idole. Guetter leur sortie du studio, quémander un autographe, une photo, un sourire…
Vous-même, n’avez-vous jamais rêvé de serrer la main à une personne que vous adorez, à qui vous dévouez toute votre admiration ? Beaucoup se vante d’avoir vu des chanteurs populaires en concert, d’avoir obtenu leur signature sur un papier froissé ; D’autres sont heureux d’être revenu d’un festival culturel avec la photo de leur star préférée en poche ; sans parler des mioches qui jubilent de joie tout en embrassant leur balle de baseball dédicacée de la main du joueur qui incarne tout leurs espoirs et leurs rêves de pouvoir un jour lui ressembler.
Sans mentir, je ne me suis jamais vanté de quoi que ce soit, pas que je me souvienne.
Même pas qu’en réalité, Yuichi Sawada est un ami d’enfance. Oui, j’avais pour camarade de jeu l’une des figures les plus populaires du football et je n’en ais jamais parlé à personne, pas mêmes mes plus proches copains. De toute façon, je n’aurais eu aucun moyen de prouver mes mots, je ne possédais aucune photo de lui et je ne l’avais plus revu depuis plus de douze ans…Contrairement à moi, Yuichi a toujours été un garçon ambitieux, méritant et plein d’avenir. Il ne s’est pas sacrifié pour moi pour devenir ce qu’il a toujours souhaité être, un footballeur professionnel, jeune et promis à embrasser une magnifique carrière. Il a eu raison.
Mais avant d’entrer dans le vif de sa passion, Yuichi était le fils d’un ami et associé de mon père qui lorsqu’ils passaient un peu de temps à la maison, jouait pour moi le rôle de ce grand frère souriant, protecteur et inégalable; il était mon exemple, le modèle d’homme que j’admire et que j’ai toujours voulu être. Il ne se contentait pas d’être beau garçon, il détenait de réelles qualités. Un cœur grand comme une montagne battait dans sa poitrine et il n’hésitait pas à se mettre entre mon père et moi lorsqu’il arrivait que celui-ci me punisse injustement. Quelque soit le pétrin dans lequel je me fourrais, il me tendait la main avec ce zèle très fraternel que j’aimais et que je pensais ne jamais retrouver chez nul autre.
On passait nos après midis comme çà, à jouer au foot dans le jardin. Parfois on courrait un peu trop vite, on glissait sur le terrain boueux, on s’égratignait mais on riait. Il ne venait pas souvent à la maison, mais c’était comme si l’on avait grandi ensemble. Ma sœur était là lorsqu’il venait chez nous, avec ma mère. Elle était juste trop petite pour s’en souvenir encore comme moi je m’en rappelle. Je me souviens encore de ces fois où il me prenait sur ses épaules, nous emmenait au parc lorsque nos parents manquaient de temps pour le faire. Il était là, toujours présent et personne ne pouvait le remplacer.
Tous ces vieux souvenirs enterrés depuis des lustres dans une partie infime et cachée de ma mémoire jaillissaient alors que je le regardais des années plus tard sourire aux caméras, saluer ses fans et brandir fièrement ses médailles.
J’espérais en voyant ces images que le succès ne lui avait pas tourné la tête et qu’il avait réussi à préserver intacte cette modestie qui faisait une partie de son charme. Nous avait-il oublié moi et ma famille ? Une question que je me posais également lorsque je le voyais présenter ses amis aux journalistes ; des gens qu’il avait du rencontrer lors de ses voyages. Des étrangers, qui ne connaissaient certainement pas le Yuichi que je connais.
Subitement, une coupure de courant interrompit brutalement le reportage et m’arracha un juron. En un clin d’œil je me retrouvai dans le noir, avec pour seule source de lumière la fenêtre qui laissait entrevoir un violent orage. La pluie tombait à flot et le tonnerre grondait plein de menace. Tout çà fut arrivé si soudainement qu’il valait mieux être méfiant et se préparer à ce que çà dure.
Les gouttes qui tapaient contre ma vitre me donnèrent des frissons et je constatai en passant la main sur mon front que ma température était remontée. Je me suis blotti dans les couvertures tout en grelottant. Alors que je tremblais comme une feuille, je me suis aperçu avec effroi que la pluie se changeait en grêle. Tout s’est déroulé si vite que j’en suis resté sans voix.
Anna est alors montée me voir en catastrophe. Elle avait pu se procurer une bougie et l’allumer, ce qui redonna à la pièce glacée un peu de chaleur.
- Are you all right, Sir’?
- Yes, don’t worry.
- Ouf, je suis contente!
Au contact de la gouvernante, j’apprenais peu à peu à cerner quelques phrases simples en anglais et mieux encore, à y répondre. Elle-même arrivait à mieux comprendre le japonais et à élargir son vocabulaire. Je ne manquais pas de l’en féliciter d’habitude, mais le moment n’était pas des mieux choisis.
Elle s’avança vers moi et toucha mon front et mes joues. Elle déplorait d’avoir à me dire qu’il me fallait prendre une nouvelle fois un médicament. Elle me tendit mon verre d’aspirine puis me regarda l’avaler –par deux fois tellement c’était immonde- tout en tortillant ses doigts sous l’effet de l’inquiétude.
- …Thinking your father and your sister didn’t come back again…
C’est vrai qu’il y avait de quoi s’affoler par ce temps…Les grêlons n’étaient pas très gros de là où je pouvais les voir, mais les éclairs se faisaient nombreux à percer les nuages noirs comme de la suie. Personne n’est jamais à l’abri de se prendre la foudre. Je repensais à l’histoire de ce petit garçon de onze ans qui avait perdu ses deux pieds et ses deux jambes après avoir été foudroyé depuis sa fenêtre. Je n’osais pas imaginer l’horreur d’une scène semblable et je redoutais qu’une telle chose puisse arriver sur un membre de ma famille.
Bien que j’éprouvais la même anxiété qu’Anna, je ne voulais absolument pas ajouter à ses soucis. Aussi ais-je dissimulé toute crainte sur l’expression de mon visage, préférant sourire et la mettre en confiance.
Une heure passa, puis deux, puis trois. Le téléphone de mon père ne cessait de sonner lorsque je tentais de le joindre. Enfin, on sonna à la porte.
Comment çà sonner ?? Comme si papa avait l’habitude de sonner avant d’entrer chez lui ?!
Oubliant complètement que j’avais de la fièvre et que j’étais en pyjama, je me suis rué hors de la chambre. Mes jambes courbaturées me lançaient à chaque pas mais je n’y prêtai aucune attention. J’ai accouru dans le hall malgré les protestations d’Anna et là, j’ouvris la porte à un jeune homme trempé des pieds à la tête, muni d’un sac de voyage, protégé par une capuche et une paire de lunettes de soleil. Bien camouflé, il n’a d’abord rien dit pour se présenter, ce qui ne m’a pas aidé à l’identifier. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un pauvre gars surpris par la tempête qui venait demander un abri en attendant le retour du soleil.
Si c’était le cas, le pauvre gars était bien habillé ! Fringué de marques jusqu’aux baskets !
Tut en faisant face à ce drôle de bonhomme, je me sentais à nouveau céder à la virulence de la maladie. De rester ainsi exposé aux courants d’air n’arrangeait rien, certainement. Je me suis appuyé sur le bois de la porte pour ne pas tituber. Le silence du visiteur m’agaçait profondément. Un chien errant lui avait peut-être mordu la langue. Dans ce cas, peut-être fallait-il que je me contente de fermer la porte ?
« Qui êtes-vous ? Vous allez le dire à la fin ? »
L’homme haussa les sourcils. Abrité par le toit de la maison, il pouvait se permettre d’enlever sa capuche pour divulguer ses cheveux noirs mouillés et décoiffés. Sa grande taille m’intimida quelque peu. S’il avait mal pris ma demande quelque peu agressive, il aurait pu me soulever d’un bras ! Mais il écarta les mains comme s’il allait m’étreindre, puis ôta ses lunettes de soleil. A la seconde qui suivit, je poussais un réel cri de surprise.
« Allons Masato ! Tu ne me reconnais vraiment plus du tout ? Regarde-moi mieux ! Là, çà ne te dit toujours rien ? »
Si, çà me revient ! Ca me revient ! Mais ce n’est quand même pas toi ! Ce n’est pas possible !
Sawada….Yuichi !
-Tu….Tu…Pas toi ! Yuichi ! Mais…Mais !
Yuichi a éclaté d’un rire joyeux puis sans retenue, m’a attrapé pour me serrer dans ses bras comme s’il avait toujours voulu revenir pour le faire. Je sentais à l’énergie qu’il y mettait qu’il languissait ces retrouvailles, inattendues pour ma part, mais tellement heureuses ! J’ai mis du temps à réaliser que mon frère de cœur se trouvait sur le pallier de ma porte, m’étreignant à m’en étouffer et lorsqu’enfin me vinrent les premiers réflexes de répondre à ce geste d’affection, je me suis senti partir dans les airs, brûlant comme un feu de bois ; ma vision se brouillait jusqu’à ne plus percevoir autre chose qu’une silhouette massive et sombre. Pour finir, je me suis écroulé sans connaissance, fiévreux et épuisé…
A mon réveil, j’étais de nouveau allongé dans mon lit, impeccablement bordé et couvert de compresses. Anna était penchée sur moi et tamponnait doucement mon visage avec un gant d’eau fraîche. Tout en retrouvant peu à peu mes esprits, je pensais que les évènements qui s’étaient passés n’étaient qu’une hallucination, un rêve éveillé, un mauvais tour que m’avait joué la fièvre. Je ne l’ais pas cru longtemps. Aux côtés de la domestique, Yuichi était bien là. Il me contemplait avec un air à la fois heureux et désolé.
A sa vue, je me suis à nouveau agité et me suis exclamé en me redressant sur mon oreiller :
-Yuichi ! Tu es là ! Chez nous ! Mais comment çà se fait ?!
-J’aurais espéré te retrouver dans de meilleures conditions que çà. Tu n’es vraiment pas au mieux de ta forme aujourd’hui mon petit vieux…
-Pourquoi es-tu venu ?
-…Ma présence te dérange ?
-N…Non pas du tout! Au contraire ! Mais…Pourquoi es tu revenu chez nous comme çà, à l’improviste ?
-A l’improviste ? Mais ton père ne t’a pas dit qu’il m’avait invité à vous rejoindre dès que je serais revenu au Japon ?
Mon regard s’est soudain assombri. Une fois encore, je n’étais au courant de rien, je découvrais avec surprise les initiatives de mon égoïste de père, toujours aussi secret…
-Non Yuichi, il ne m’a rien dit du tout…
Il paraissait aussi surpris que moi lorsque je l’ais vu sur le pas de la porte.
-Oh, tu m’en vois désolé alors. Je comprends mieux pourquoi tu as fait une attaque en me voyant ! Mais çà va aller, maintenant, hein ?
Il me serra vigoureusement la main avec un sourire bienveillant.
-Peut-être…Monsieur doit pas trop parler…Susurra Anna toujours affolée par mon malaise de tout à l’heure.
-Ca va Anna, ais-je répondu d’une voix qui se voulait énergique. Je suis allongé et je commence à me sentir mieux.
Tant bien que mal, j’ai levé le poing d’un air combatif pour me donner l’air encore plus convaincant.
- I’ll make some tea for you!
Comme si elle connaissait déjà bien Yuichi, elle se mit tout de suite en confiance et accepta de me laisser entre ses mains le temps de s’affairer à la cuisine. A croire que sa bonté était si flagrante qu’elle l’avait cerné dès l’instant où il avait pénétré la maison.
Lorsqu’elle eu fermé la porte, je pus dire ce que je n’avais pu dire plus tôt :
« Je suis vraiment très heureux de te revoir. »
-De même pour moi, m’a-t-il répondu rayonnant. Tu as beau ne plus être un gamin, c’est drôle mais tu as toujours la même tête.
Il ponctua sa phrase d’un éclat de rire qui redoubla lorsque j’y répondis par une grimace.
-Je ne sais pas trop comment je dois le prendre !
-Comme tu veux ! Toujours aussi susceptible, je me trompe ? Ah tu ne peux pas savoir comme j’avais envie de revenir ! J’étais vraiment excité à l’idée de vous revoir.
-Si je m’y étais attendu, moi aussi ! Je suis toujours aussi surpris que tu sois là…D’autant plus que je venais de te voir à la télévision !
-Ah bon ? Ah oui, au flash info ! Mais tu sais, il n’y a que le nom de vrai, ils font souvent des rediffusions… Des journalistes ont absolument tenu à m’interroger sur mes futurs projets après la défaite de notre équipe contre les Etats-Unis.
-Tu dois être déçu, j’imagine…
-Oui, mais çà devait se finir comme çà. Nous ne faisions pas le poids.
-Tu es l’as de l’équipe, tu vaux trois joueurs à toi tout seul !
-Tu exagères beaucoup ! Un joueur même s’il est doué n’est rien sans son équipe. Le foot est un sport collectif, chacun à un rôle à jouer et a son importance. Les américains l’ont très bien compris, et c’est à mon avis ce qui nous a coûté la victoire…
-Pourquoi ? Votre équipe n’est pas assez soudée selon toi ?
-Si, mais il lui manque quelque chose... Nous n’avons pas les mêmes idées et nous ne sommes jamais d’accord pour mettre en œuvre un plan d’attaque. Les joueurs ont trop tendance à se reposer sur moi sous prétexte que je suis leur as. Nous avons cruellement manqué de stratégie durant ce dernier match. Je ne dis pas cependant que nous avons fait de notre mieux, mais nous aurions pu faire mieux...
-Il y aura d’autres opportunités. Tu t’es déjà fait un nom dans le monde du sport et à ton âge tu peux en être fier. Mais…quel âge as-tu d’ailleurs maintenant ??
-Et bien, je vais sur mes 27 ans bientôt.
-Déjà ?? Tu vois, je t’imaginais plus jeune…
-Tu crois que çà ne me fait pas drôle de te voir âgé de 20 piges ?
-On vieillit, on vieillit.
Nous avons ri ensemble, comme nous avions l’habitude de le faire. Je toussais à en suffoquer à la fin, mais Yuichi était là pour me tapoter le dos. Il a reprit d’une voix qui trahissait une certaine nostalgie :
-Tu as pris de l’âge mais tu n’as pas beaucoup changé. Cette maison non plus. J’ai l’impression de l’avoir quitté hier.
Puis il s’est levé de sa chaise pour inspecter silencieusement la chambre. Il scrutait chaque recoin de la pièce comme s’il espérait y trouver quelque chose pouvant le ramener à ce passé qu’il avait laissé non sans regret, pour la gloire et les projecteurs, les écrans de télévision et les caméras…Il finit par trouver ce qu’il cherchait : il s’empara de la photographie sur mon bureau de travail. Une photo de mon père, ma mère, ma sœur et moi. Une photo de la famille au grand complet, la seule que je ne n’ais jamais possédé.
Il regardait chacun de nos visages avec une attention particulière. Une sorte d’adoration éclairait son regard tandis qu’il fixait l’image de mes parents et seul un amour filial pouvait être à l’origine de cette expression.
-Ton père a pris un coup de vieux plus important que le nôtre. C’est normal après tout. C’est un homme rongé par le souci.
-Il a l’intention de bientôt reprendre son travail. Parfois je me dis que ce n’est pas trop tôt. Comme çà il pourra penser à autre chose que de boire…
-Ton père a toujours été un peu trop porté sur la boisson, non ?
-Oui, mais moins que maintenant. Il ne fait que picoler lorsqu’il regarde son feuilleton du soir. Il ne boit presque jamais d’eau…Dieu sait combien de fois on lui a dit que c’était mauvais…
-On videra ses bouteilles de saké pour y mettre de l’eau sucrée, m’a-t-il dit avec un demi-sourire.
Amusé par l’idée, j’ai cligné de l’œil, complice.
-Ton père est le seul que j’ai revu depuis peu. Maintenant que je t’ais vu toi, je me demande comment est devenue la petite Miyuki !
- Et bien… Elle a beaucoup changé. Tu ne la reconnaitrais pas si tu la croisais dans la rue.
-J’imagine. Ah je m’en souviens encore ! Je la revois très bien avec ses deux petites couettes, dit-il amusé tout en portant ses mains à ses cheveux comme s’il voulait mimer la coiffure que ma petite sœur avait autrefois. Elle n’arrêtait pas de courir partout, elle était intenable ! Quand je pense qu’au tout début je lui faisais peur !
A ce moment là, la porte s’est ouverte. Anna revenait pour nous apporter le thé, mais elle ouvrait la marche à d’autres personnes. Mon père était finalement là, trempé comme un linge, suivi de Miyuki tout aussi mouillée que lui et qui portait encore sa tenue d’étudiante. Tous les trois nous regardaient du seuil de la porte. Anna et papa affichaient un grand sourire tandis que ma sœur fixait Yuichi, non d’une manière timide, mais plutôt intriguée. Pour sûr, elle ne s’attendait pas à ce que quelqu’un d’autre soit avec moi dans la pièce. Je ne sais pas si elle l’avait reconnu instantanément ou non.
De son côté, Yuichi lui rendait son regard sans qu’un seul son puisse sortir de sa bouche pourtant grande ouverte. Il restait toujours dans la même position, les deux mains près de la tête comme si sa présence l’avait glacé sur place. Il semblait aussi perdu et choqué que s’il avait vu un revenant.
-Aaah ! Tu es enfin là Yuichi !
En l’espace d’une seconde, mon père s’est jeté sur lui pour lui serrer la main à lui en déboîter le bras.
-Enfin ! Je suis si heureux que tu sois arrivé !
-Et tu aurais pu me prévenir encore une fois !
-Allons Masato, ne t’énerve pas comme çà sinon ta fièvre va revenir ! m’a-t-il répondu avec un remarquable culot.
Sur ces mots, il m’a passé la main sur le front.
-Me touche pas !
-Qu’est ce que je te disais ! Tu es brûlant ! Tu dois te taire, ne pas t’agiter et dormir. Tu vois Yuichi, il n’a pas changé de caractère mon fiston ! Je dirais même que çà a empiré…
Oooh lui !
Mais Yuichi ne répondait pas. J’ai senti qu’il n’avait même pas écouté. Il continuait de dévisager ma sœur d’un air totalement absent. Mais lorsque mon père l’appela une seconde fois, il sursauta puis s’excusa, visiblement gêné par sa réaction.
Puis mon père l’attira contre lui en l’entourant du bras. Il lui tapota amicalement l’épaule.
-Bien bien ! Maintenant nous allons laisser notre malade se reposer bien tranquillement dans sa chambre. Il faut toujours redouter la contagion vous savez ? Allez, allons tous au salon ! Nous y serons plus à l’aise pour discuter.
Yuichi m’adressa un regard qui voulait dire « courage ! » et tous les quatre disparurent derrière la porte, me laissant seul face à ma tasse de thé. Eprouvé par tout ce qui venait de se passer, je me suis laissé tomber lourdement sur le lit, trouvant le moyen de m’endormir presque aussitôt.